Sorry about your parents — Ajani

Ce n’était pas chez elle.

Les yeux mauves observent les tombes, une à une, à la recherche de deux en particuliers. Les griffes viennent marquer la pierre où était inscrit le nom d’Angelica. Sa traînée de mère. Sa menteuse de mère. Celle qui l’avait abandonné enfant, uniquement pour passer du bon temps sur les plages. Catin jusqu’au bout. Et puis il y avait celle d’Alys. Père parti trop tôt. Qui l’avait abandonné lui aussi en quelque sorte. Les traîtres méritaient donc une tombe ? La plume rouge éclaire les tombes, alors que Lewis finit par lever son museau vers le ciel couvert. C’était un temps pluvieux aujourd’hui.
Les grenouilles seraient de sortie.
Mais même cette perspective ne parvenait à enthousiasmer la petite louve.

Que devait-elle faire maintenant ? Chez les Raeders elle n’avait pas trouvé sa place. Chez les solitaires non plus. Les Nakhus ne lui avaient pas permit de se trouver. Seul Aka y était parvenu, mais elle possédait son glowstick à présent. Alors quoi ? Lewis devait parcourir les terres à la recherche du plus redoutable adversaire ? Elle savait qu’il y avait pus fort que le Général, plus imposant, plus redoutable. Restait à savoir où.
Sans même avoir besoin de se retourner, elle le sent.
Il sent toujours le sel.
Peut-être étais-ce une odeur qu’elle ne pourrait jamais oublier.

« — Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan »

Ils n’étaient pas chez eux.

De lourds nuages avaient empli le ciel d'une épaisse couche de coton grisâtre depuis le début de la journée, sans que la pluie ne daigne encore tomber sur le continent. L'air était frais, humide, et sentait déjà l'averse qui tomberait bientôt. Ajani le sentait dans sa truffe, dans son pelage, ou même avec cet espèce de sixième sens que les loups partageaient encore avec les autres animaux et qui leur faisait pressentir les tempêtes. Il s'était isolé ce jour-là, peu de temps après sa dernière entrevue avec Yurai, pour réfléchir à tout ce qui lui avait été délivré durant cette drôle de soirée. par la Corneille comme par Ann. Il prenait chacun des sujets un à un, chacune de ses visions, et décortiquait les souvenirs qu'il en avait gardés pour tenter de n'en manquer aucun détail. Il émanait de lui un bonheur tranqauille qu'il ne retenait pas, parce que ladéesse lui avait fait un magnifique cadeau. Tout comme sa belle Eva. Il appréciait sa vie en grande partie pour ces bonheurs qu'il savourait pleinement et qui lui donnaient l'énergie d'aller de l'avant sur les autres fronts.

Ses pas le guidèrent presque machinalement vers le Cimetière, où s'était déroulée la rencontre avec la pirate. Mais ses pensées n'étaient pas focalisées sur les Raeders lorsqu'il passa la haute grille ouverte qui donnait sur l'allée principale. Elles avaient fait leur chemin jusqu'aux Etelkrus, et il se demandait si leurs anciens alliés leur communiquerait le changement de guide qui avait été le leur. Ou s'ils préféraient refermer autour d'eux les lourdes murailles de leur Castel et faire comme si rien de tout ce qui s'était passé durant la guerre dans le grand Nord n'avait d'importance. Hm. La réponse à cette question-là serait sans doute des plus intéressantes, d'autant plus s'il venait à croiser l'une des deux nouvelles Alphas. Car si la vision de Yurai avait été nébuleuse, son instinct lui avait aussitôt fait comprendre de qui il s'agissait. deux louves qui avaient partagé avec lui le rêve terrifiant il y a quelques lunes, et au sujet desquelles il avait... d'étonnantes informations désormais. Il ignorait d'où venait cette magie, mais elle pourrait sans doute se révéler utile dans ce cas précis.

Alors qu'il louvoyait sans but entre les tombes, le regard sur ses pensées plus que sur le paysage morne qui l'entourait, une odeur familière le tirait de ses réflexions. Aussitôt se mêlèrent dans ses yeux un brin d'étonnement et une bonne soupée de joie, et ce avant-même que ses prunelles ne captent la lueur rouge non loin, ou que ses oreilles n'entendent la voix qui l'appelait de ce nom si étrangement réconfortant. Son visage se détendit en l'ombre d'un sourire et il s'avança vers la silhouette qui se trouvait-là, dos à lui, face à de froides pierres dont il ne pouvait lire le nom d'aussi loin.

"Lewis." La salua-t-il en s'approchant.

Il s'arrêta à quelque distance derrière elle, ne voulant pas empiéter sur son espace si elle ne le voulait pas. Mais son coeur était gonflé de joie de la revoir, gonflé de fierté de la lumière brûlante qu'lele portrait désormais, et il ne pouvait empêcher son pouvoir d'en répandre une partie dans l'atmosphère du moment. Ou peut-être ne le voulait-il pas. La louve violette avait une place toute particulière dans son coeur, même s'il doutait que ce fût réellement réciproque, et leur séparationl'avait dessinée à la fois comme l'une de ses plus précieuses connaissances et l'un de ses plus grands regrets. Il était plaisant de la revoir, de remplacer dans sa mémoire l'image de la louve s'en allant par une nouvelle, plus actuelle, plus ancrée dans ce présetn duquel il l'avait cru disparue.

Cette joie.
En totale contradiction avec ses sentiments propres : sa culpabilité, sa colère. Cela n’avait aucun sens. Les babines frémissent, prêtes s’étirer en un sourire alors que Lewis n’en avait aucune envie.
Ça lui donnait envie de vomir. Lutter contre cette joie qui l’envahissait, cette joie qui n’était pas sienne, mais appartenait à un autre.
La tête se secoue, alors qu’elle se recule, d’un pas, deux. Assez pour s’échapper de l’emprise du pouvoir de Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan. Assez pour ne plus ressentir tant de joie. Assez pour retrouver ses sombres pensées, sans pour autant abandonner le nom de celle qui porta le nom d’Angelica. C’était pour elle que la mauve était venue jusqu’ici.

« — La joie n’a guère sa place en ces lieux. »

Le ton semble vide de tout sentiment. Privé de la joie d’antan, de l’insouciance.
Même à cette distance, elle ressentait quand même une forme de bonheur qui ne lui appartenait pas. Si elle usait à son tour de son pouvoir, pour rendre le Nakhus minuscule, d’une taille aussi insignifiante qu’une grenouille, cela lui permettrait-elle d’échapper au pouvoir de l’Oracle ?
Mais ce n’était pas bien. Ce n’était pas chose à faire.
Et le rire monte, alors que la gueule s’entrouvre. Les pattes viennent cacher une partie du visage de Celle-Qui-fur-Pirate-Un-Jour. Qui diable donc pouvait se permettrait de dire que telle chose était bien ou non ? Qui pouvait bien se permettre de juger un acte qui lui paraîtrait juste ?
Personne.
PERSONNE.

Parce que personne ne me l’a appris ce qui était bien ou mal. Parce que personne ne m’a montré. Vous tous, vous êtes juste contenté de juger, sans jamais comprendre, parce que c’est ce que vous faites de mieux. Vous vous montrez égoïstes, puis méprisez ceux qui tentent de se racheter. Mais c’est terminé.
Je n’ai plus rien à prouver.
À moi de me montrer égoïste.
À moi de détruire ce qui m’entoure si c’est ce qui me chante.

Les yeux mauves finissent par se reposer sur Ajani.

« — Qu’est-ce que tu es venu chercher ici ? »

À part la désolation qu’offre ces terres maudites ?

La réaction de Lewis fut rétive, elle recula de quelques pas en secouant la tête, s'éloignant de lui. Les prunelles froides de l'Oracle n'eurent pas besoin de plus pour comprendre ce qu'il se passait - elle n'était pas la première à avoir ce genre de réaction étrange à son approche, et la cause était presque toujours la même. Un peu à regrets, il dressa autour de son esprit cette barrière qui ne laissait plus rien filtrer qu'un calme tranquille, neutre, mur étanche entre son monde et celui où vivaient les autres. Lorsque la louve mauve parla, son ton jeta un frisson dans l'échine du grand loup. N'eût été sa volonté lui permettant de masquer ce qu'il ressentait, l'air se serait soudain empli de froideur. Il s'était réconforté, sans doute, en se laissant croire que Lewis serait plus heureuse loin d'eux. En voyant la lueur rouge à son oreille, il s'était conforté dans cette idée, celle qu'elle avait enfin trouvé sa place, qu'elle suivait son chemin. Que la déchirure discrète que son départ avait causé était justifiée, parce qu'elle devait mettre son bonheur à elle avant celui d'autres loups.
Mais peut-être s'était-il fourvoyé. Ces paroles sans émotions n'étaient pas celles d'une louve heureuse.

Elle eut un rire qui n'avait rien de réconfortant, qui pinça le coeur du lion blanc, alors qu'une patte venait cacher son museau. Ajani s'était immobilisé, tendu, attendant quelque-signe de ce qu'il lui faudrait faire. Il n'osait pas s'approcher plus, de peur de la faire fuir. C'était sans doute faible comme choix, une faiblesse née dans la joie qu'il avait à la revoir après tant de temps. Elle finit par reposer les yeux sur lui et parler à nouveau. Lui demander ce qu'il était venu faire ici, lui - et c'était une bonne question, qui n'avait pas vraiment de réponse.

"Je cherchais un endroit pour réfléchir." Répondit-il doucement, et l'écho de sa voix grave résonna dans le Cimetière désert.
Et toi ?

Que faisait-il ici, loin des terres Etelkrus et de son nouveau dieu, si proche de l'allégeance qui avait été la sienne pendant de longues années ? Il ne la croyait pas suffisamment sentimentale pour venir pleurer des parents qu'elle n'avait pas - ou presque - connus. Mais peut-être s'était-elle senti le besoin de venir leur rendre visite, peut-être son séjour chez la meute belliqueuse lui en avait appris plus à leur sujet.

"Pardonne-moi si je t'ai... dérangée." Ajouta-t-il, parce que la réaction qu'elle avait eue à son approche était sans équivoque.

Il finit par s'asseoir à son tour, détendant ses muscles, et son regard fit le tour des tombes environnantes.

"Comment était-ce, de rencontrer le Grizzli ?"
Et d'en triompher.

Il n'était pas très doué pour les mots, même s'il s'améliorait avec l'âge. C'était une manière détournée de lui adresser ses félicitations, de lui exprimer combien il était heureux pour elle, d'avoir franchi cette étape avec succès. Une interrogation demeurait sur ce que cela lui avait apporté toutefois. Visiblement pas tout ce qu'elle avait cherché en quittant les Nakhus.