Du silence en ce monde ☾ Lestat

Les yeux plissés et l'air ma foi peu joliment hagard, lui faisant pour cette fois apprécier cette toute solitude qui était sienne, Isrâ s'extirpa de ce message qui laissa derrière lui un goût fade dans sa gueule et un bourdonnement à ses oreilles.
Ceci jusqu'à ce qu'inexistant ne devienne le goût, et que plus rien ne parvienne aux oreilles.
Diantre, l'on avait donc de cesse de s'acharner sur iel.
La vie ne l'épargnait point au quotidien ! A ces malédictions nouvelles, iel se savait désormais en posture de soumission. Les acceptant, comme l'œuvre d'une malice ou d'un dieu capricieux.
Était-ce là Mido, qui le prévenait d'une couardise ? Au fond d'iel, cela n'était qu'une hypothèse peu vraisemblable : sa vie se consacrait aux savoirs, quand bien même forts occultes, et aucune de ses actions n'étaient faites sans avoir connaissance des conséquences. Ma foi, y mettait même souvent grand coup de symbolisme autant que grand coup de stylet.

Trop instruit•e, trop consacré•e aux études, ce n'était donc pas punition du Vert.

D'en revenir à la Malice. Ses ambres roulent et de l’air se chasse par son nez, en un bref soupir soufflé.
D’une patte, iel referma l’ouvrage qu’iel lisait alors, portant sur les symboles et la signification des élements et des planètes. En celui-ci, il lui manquait bien des informations : il n’en était que trop peu satisfaisant.

Allons.
Il lui fallait d’or et déjà retourner à la bibliothèque.

De surdité, iel s’accoutumerait bien, tout comme l'absence d’odorat durant l’enfance : la vue, davantage, aurait pu lui manquer. Iel profiterait de cet état pour ne guère plus entendre les voix stridentes et les propos imbéciles de cette plèbe qui savait ô combien l’entourer.
Voyons cela comme une bénédiction.
Pour ne point être surpris par un individu, de prendre toutefois Chat au fort mauvais caractère (diablerie d’animal, de qui tenait-il donc ?!) sur ses épaules ; de ses griffes plantées dans sa peau et de son dos rond, l’aviserait de quiconque s’approcherait de leur duo.

Solution comme une autre ; Isrâ se voulait être de prudence.

Le chemin pris est une habitude.
De la vasque à la bibliothèque, l’herbe écrasée sous ses pas aurait pu trahir la route prise.

Comme d’habitude, le bas-peuple affluait seul ou en petit groupe en ce lieu de connaissances. Pourtant si peu, aurait pu être digne du Raptor : il aurait pu être effrayant, de constater qu’une présence régulière en ce lui n’eut été suffisante pour effacer la sottise de biens des esprits.
Le regard porté sur eux est supérieur.
Isrâ s’estime et les juge.
Le temps de haïr ce monde ne dure pourtant qu’un bref instant, car il ne lui fallait perdre de temps dans ce qui ne lui apportait pas même l’ersatz d’une satisfaction à se savoir ainsi dominant•e.

Déjà, iel partit retrouver ce rayon où tant l’on pouvait y percevoir. Reprenant ses recherches, là où iel s’était arrêté.
Quels runes, quels glyphes, viendrait-iel inscrire dans ce cercle qui lui permettrait d’échanger une vie contre une autre. Elles doivent être finement choisies, apporter avec elles la puissance de leur définition.
Un livre est ouvert, étudié. Puis un second.

De ce dernier, bien des pages se détachent et glissent sur le parquet poussiéreux.
Chat se redresse face à elle et Isrâ l’houspille en sifflant.

Un mouvement lent de sa queue, et l’une des feuilles se rapporte à sa patte. Un fragment de rite… Le contenu lui fait hausser un sourcil, alors que son museau se fronce d’un dégoût prononcé.
Qui diable aurait besoin d’un tel traitement ?! De son existence, Isrâ n’avait point rencontré loup dont le museau débordait de mucus séché. Pourtant fallait-il croire que ceux-ci existaient, pour écrire pareil remède.
Tsk.
La page est pliée et remise aléatoirement entre deux reliures.
Ma foi, la curiosité l’emporta et du reste, les rassembla de ses pattes.

Point d’alphabets alchimiques ! Il s’agissait des fragments d’un livre autre, dont les restes auraient été placés. Isrâ les détaille, se surprenant de voir les usages presque puérils que l’on pouvait faire de la quintessence de ces terres. Un art que l’on ne respectait dans ces pages. De dédain, iel éprouve pour l’auteur de ces abjectes rites à la nécessité somme toute relative.

Puis…

Il y eut ce passage, pour éloigner de soi les mauvais esprits. Ceux à l’origine de ces torts que l’auteur soignait ici. Ceux qu’Isrâ cherchait aussi à se débarrasser, pour ce Grand Soir.
Ensuite, ce second morceau.
Lever la surdité.

...

Si iel se serait résigné à cet état, il lui serait toutefois plus confortable de regagner un tant soi peu son ouïe avant que ne commence son rituel… Ses yeux se plissent, l’intérêt est gagné.
…
Jusqu’à ce qu’un haut le cœur ne saisisse sa précieuse personne, du moins.

Diantre !

Les ingrédients, dressés en liste, l'amenaient déjà à la nausée. Qui plus est, c’est avec point d'hésitation que ce breuvage, loin du nectare divin d’un thé ou de l’hydromel, se devrait d’être avalé et déprécie par son fin palai.
Bénédiction avions-nous dis : l’absence de goût en devient véritablement une en cet instant présent.

Longtemps, son regard persiste sur les mots.
Isrâ hésite.
Adepte du Vert, pourtant, se doit d’expérimenter, de vérifier, d’en comprendre le fonctionnement et d’en vérifier la possible réussite.

Ma foi, il aurait été aussi mal avisé, que de se répugner sur cela.
Quand à côté, l’on hésiterait à sacrifier deux vies pour autant si ce n’est moins de chance de réussite.

La page est prise et l’alchimiste solitaire s’en va quérir ce dont iel a besoin.

Bave de crapaud, pour déboucher les canaux.
On trouvait en celle-ci un peptide nommé urumin, qui se voudrait soigner de la grippe.
Iel voulut bien y croire.
Partons quérir un crapaud, dans le fond d’un canivaux.

Plume de colombe, touchée par la bave du crapaud.
Une symbolique, ou la frasque de l’auteur ? Ses épaules se haussent.
Prenons moyen de facilité, on la retire d’un chapeau.

Compoté de mites, pour regagner l’écoute.
Il ne manque de ces insectes, rongeant les pages des vieux ouvrages. Un insecte dont l’ouïe était fine ; rare au sein du groupe auquel elle appartenait. C’était sans doute pour cela, que son usage était demandé.
Elles sont trouvées au compte-goutte.

Cela l’éloigne de ce qu’iel à l’initial recherchait, pourtant conquises sont ces nouvelles connaissances.
Au sein d’un mortier emprunté à ce loup à moins une patte qu’iel souvent trouvait à la bibliothèque (et possédant un démon qui forçait chez iel tant le respect que l’envie de posséder pareil créature, tant sa présence suffisait à ne point avoir envie de s’en prendre au loup à l’apparence si faible et aux allures bien naïves), il fut placé ces trois ingrédients.
Puis avec force de sa poigne, de broyer ce contenu.
Mixer avec finesse, les insectes craquent sous la pierre de l’outil et leurs pattes encore s’agitent de quelques sursauts avant le trépas. La bave est épaisse et visqueuse, adhère en un long filament dont iel peine à se débarasser et à bien mêler au reste.
La plume, elle, reste ce qu’il y a de plus dur à incorporer ; c’est au stylet que iel la découpe d’une manière fine et efficace, la réduisant en une poussière blanche et volatile.

Peut-iel un peu d’eau rajouter ?
Le thé du bibliothécaire est avisé.
Ma foi, nous reprendrons sans doute un peu de bave.

Un peu plus, le crapaud est pressé sous sa patte, récupérant d’un opercule ce qu’il s’échappait de sa gueule. Le contact de sa peau humide et froide contre son coussinet, fortement lui déplait. Iel ne comprend pas, ô combien certains aimaient ces créatures.
A choisir, sans doute encore aurait-iel préféré Chat à cela, quand bien même stupide était cet animal.

Le tout s’homogénéise un peu plus.

Ce n’est plus qu’un face à face, entre iel et cela. L’on devine encore tous les morceaux des expédients, petites paillettes grises et blanches qui luisent au travers de la transparence de la bave.
Point d’hésitation.
Pour cette précision, iel ne se permit d’en avoir.

La plèbe dira que c’est cul-sec, que fut avalé ce breuvage.

Une grimace s'étire le long de sa gueule et iel se pourlécha de manière rapide les babines, celles-ci froncées et les crocs affichés. En l’absence de goût, la texture, elle, ne se faisait point oubliée. Elle collait au palais, peinant à descendre le long de sa gorge. Comme du miel, se voulait enrober toute sa bouche, d’une manière ma foi bien moins agréable.
Ce n’est là point chose qu’iel aurait avoué avoir un jour consommé.
Pourtant…

Un sifflement léger, à une oreille puis l’autre.
Un bourdonnement qui enfle et qui grandit, s’empare du tympan.

Le bruit autour est gardé tenu, ce n’est point parfaitement retrouvé qu’est ce sens, mais le voici suffisant.
Dans le feu, iel fit disparaître le reste de crapaud, sans grande attention pour cette vie. Rend lavé le mortier, se garde le papier.

Enfin, s’en va retourner queue et tête haute à ses initiales recherches, narguant ce monde du vert de l’oeil luisant à l’extrémité de son toupet.