Un autre jour - Elvazio

Ici, elle s'était sérieusement blessée.
Il en faudrait bien plus qu'un mauvais souvenir, ou même deux, si l'on comptait les crises de spasmophilie endurées des années plus tôt, sur la plage, pour que la louve bleue renonce à venir en ce lieu. Il était un endroit de recueillement, puisqu'il abritait le temple de la déesse orange, celle qu'elle priait depuis...
Depuis vraiment beaucoup de temps. Depuis son adolescence.

Si lointaine, déjà, se trouvait être cette période de sa vie.
Elle ne la regrettait pas pour autant, n'y ayant pas été plus heureuse que cela. Sa vie s'était finalement construire ensuite, petit à petit, grâce aux rencontres qu'elle avait pu faire au sein de sa meute. Beaucoup l'avait faite grandir.
Pour cela, elle leur en était reconnaissante : La solitude dont elle souffrait alors était devenue plus supportable, quand bien même elle n'avait pas réussi à la combattre totalement.

Il était difficile, de vivre sans famille, lorsque l'on était entourées par celles ci.

C'était un fait qu'Holly avait fini par accepter, tout comme elle acceptait la situation actuelle, après l'avoir endurée : La malchance, qui lui valait cette blessure à la patte, cependant en bonne rémission, l'absence de Méridor -qui finirait par revenir-, le fait qu'elle ne puisse pas lutter contre le temps passant, ce même temps qui emportait tant de connaissances, avec lui.
Déjà, apparaissaient de nouvelles perspectives, des choses à faire.

Elle continuerait d'être une Alpha, en espérant servir du mieux possible cette meute qu'elle aimait tant et de gérer tout ce qui touchait, de prêt ou de loin, à ce rôle.
Ce fut un peu pour cette raison, qu'elle le héla.
Entre autre.

- Elvazio !

Un sourire amical sur les babines, elle s'avança vers lui.
De sa génération, il faisait partie de ceux qu'elle connaissait moins, avec sa soeur Solelio. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir porté beaucoup de respect, et une reconnaissance toute aussi grande, envers son père, Athelstan, pour ce qu'il avait pu lui apporter.
Ce serait sûrement l'occasion de rattraper ce manquement.

Son odeur et l'empreinte de ses pattes faisait presque partie du paysage désormais. peut-être un jour finirait-on par ressentir en ce lieu la mélancolie qui l'habitait la plupart du temps, cette tristesse indéfinissable qui habitait ses grands yeux bleus, que l'on parvenait à lire même lorsqu'il souriait, même lorsqu'on le croyait heureux. Comme chaque matin, Elvazio s'en était allé au point du jour jusqu'au temple de la Renarde. Silencieux, il avait déposé devant elle des petites fleurs jaunes qu'il avait trouvées sur le chemin. A chaque jour une nouvelle offrande, rarement prévue, qu'il laissait venir à lui tandis que ses pattes tricotaient le long chemin du Castel aux Falaises. Il avait prié pour Solelio ce jour-là, pour que son esprit guérisse des terribles blessures qu'elle avait reçu lors de ces deux longues années dans le Nord. Il voyait qu'elle allait mieux, indéniablement, mais il demeurait dans ses prunelles une ombre que même lui ne savait chasser. Ou bien seulement pour un instant, et elle revenait aussitôt. Comme un fantôme qui la hantait, une crainte sourde qui la faisait douter de chacun de ses gestes et de chacune de ses paroles. Que les conséquences de son expédition soient encore si présentes tant de temps après son retour ravivait chaque jour la culpabilité qui le rongeait lui. Celle de n'avoir rien fait, qu'il tâchait de noyer dans l'espoir qu'il n'était pas trop tard pour la guérir.

Aors il passait du temps avec elle, autant que faire se pouvait. Il lui confiait ses pensées, ses états d'âme, la traitait comme avant pour lui montrer que rien n'avait changé. Qu'elle n'avait pas changé pour lui, et qu'l lui faisait une confiance aveugle même quand elle-même avait peur que ses sens la trahissent. Et il priait Dairo pour qu'elle veille sur elle et la guide de sa douce chaleur. Il n'avait pas dit de mot ce jour-là, devant l'autel. Simplement des pensées diffuses, qu'il tâchait de ne pas trop mêler à sa propre peine concernant une certaine louve aux yeux violets. Pour ça,il ne priait pas, enterré dans la certitude que ce serait intuile. Il ne priait pas pour lui, de toute manière. Peut-être parce qu'il jugeait inconsciemment qu'il n'en valait pas la peine, l'idée ne l'effleurait même pas.

Il était à peine remonté, sorti du temple, sur la sente qui suivait les Falaises lorsqu'une voix appela son nom. Surpris, il se figea et tourna la tête dans la direction d'où le mot était venu. La silhouette claire de Holly se dessinait dans les couleurs pastels de l'aube. Elle s'y fondait à merveille, n'était l'éclat presque trop soutenu de son glowstick orange. Il redressa les oreilles et la rejoignit d'un pas un peu nerveux.

"Bonjour, alpha Holly." Lança-t-il avec un hochement de tête déférent.

Lorsqu'il releva le museau, une lueur curieuse s'était allumée dans son regard.

"Viens-tu prier Dairo ?" Demanda-t-il avec douceur - il n'avait pas la prétention de penser qu'elle était venue spécifiquement pour le chercher.

Elle devait bien l'avouer, il y avait toujours quelque chose qui lui paraissait un peu étrange, dans ces paroles solennelles, empruntes du respect que l'on réservait aux puissants. C'était comme si l'on s'adressait à quelqu'un d'autre, comme si une part d'elle ne pouvait encore admettre qu'elle n'était plus seulement la louve qui avait grandi en même temps que tant d'autres, Elvazio compris.
Elle s'était toujours voulue être une camarade et n'avait pas ce désir de creuser la distance entre elle et les siens. Surtout avec ceux de sa génération.

- Bonjour, Elvazio !

Elle l'avait hélé, afin d'être certaine d'obtenir son attention, mais pas salué : C'était une erreur rattrapée.

- C'est chose déjà faite. Je te cherchais.

D'un naturel sociable -avec les siens, du moins, les solitaires et la vermine ne sauraient dire la même chose d'elle- elle n'avait aucun mal à aborder les siens et adoptait, par ailleurs et contrairement au loup chocolat, une allure on ne peut plus sereine et décontractée.
Ici, dans son élément et en compagnie de l'un des siens, elle ne pouvait qu'être bien.

- Nous avons aperçu quelques raptors sur nos terres et aux alentours. Il va falloir s'en débarrasser avant qu'ils ne deviennent une réelle menace. Quelques équipes se sont déjà formées, sur les terres. Je comptais m'occuper des plaines savanes même si elles ne sont pas nôtres... Que dirait-tu de m'accompagner ? Je pensais proposer à Helga de nous rejoindre également. Ce serait un réel plaisir, pour moi, de pouvoir collaborer avec d'autres disciples de Dairo.

Quelque chose s'alluma, dans le bleu de ses yeux, alors que son sourire amical se faisait réellement enthousiaste à cette perspective.

Les oreilles du mâle chocolat se redressèrent légèrement de surprise lorsqu'elle révéla le chercher lui. Vraiment ? Son regard bleu lui aussi s'agrandit légèrement, et il fut comme presque toujours un parfait reflet des sentiments qui l'habitaient. Sans doute parce que l'une d'entre elles était Anita, il n'avait pas réellement l'impression d'être important aux yeux des hauts-gradés. Son père l'avait été lui, et peut-être d'ailleurs les cheffes actuelles auraient préféré un jeune comme lui plutôt que ce qu'elles avaient avec son rejeton. La pensée était à peine douloureuse tant elle lui paraissait logique et évident,e tant elle était habituelle dans son esprit tourmenté. Elvazio étant Elvazio, il fut toutefois touché par cette attention et l'écouta sans mot dire.

Ensuite, il tomba des nues. On lui proposait à lui de venir aider à chasser des prédateurs, d'effectuer une mission pour la meute pour laquelle il ne se serait sans doute même pas proposé de plein gré, se persuadant qu'on refuserait. Il resta bouche bée un instant, puis secoua la tête alors que son esprit mesurait la possibilité que ce fut un genre de mauvaise blague. Quelque-chose pour lui donner un espoir qui serait aussitôt brisé. mais il avait envie de croire que l'enthousiasme qu'il lisait dans les yeux de l'alpha était réel. Que la perspective d'aller en mission avec lui et Helga était une chose positive. Qu'il était demandé et pas vu comme un fardeau qu'il faudrait promener. Il balaya ses dernières méfiances alors que le petit démon dans son esprit souffla d'un air méprisant. Et un sourire touché se dessina sur ses babines.

"J'en serai plus qu'honoré." Souffla-t-il - il en avait presque les larmes yeux tant la scène paraissait irréelle.

Puis une ombre passa sur son visage, et il ne put s'empêcher d'ajouter :

"Es-tu certaine que je sois la bonne personne pour... ce genre de mission ?"

Face à cette louve qui incarnait tout ce qu'il n'était pas et ne serait jamais, qui incarnait otut ce que l'on voulait que les Etelkrus soient et qu'il n'était pas, son assurance déjà fragile vacillait. Il y avait toujours la même scène qui lui revenait à l'esprit lorsqu'il éprouvait une étincelle d'enthousiasme à l'idée de participer aux activités du clan, de contribuer, d'aider. Toujours l'ombre du refus qui lui faisait peur, qui l'écrasait au sol comme un alpha enragé.

Holly plissa le museau, une lueur amusée dans le regard.

- Et pourquoi tu ne le serais pas ?

Allons bon, elle ne souhaitait pas l'entendre se dévaloriser ou douter de ses compétences : il portait la couleur de la Renarde, chose impossible pour un incapable.
C'était presque si elle ne se félicitait pas, désormais, d'avoir songé à lui pour cette mission : ainsi, Elvazio pourrait prendre confiance, peut-être même s'illustrer.

- Nous serons également accompagnés de Sakura, disciple d'Aka.

Une précision qui avait son importance : ils ne seraient pas seulement entre disciples de Dairo. Avec eux, se trouveraient des muscles.
Ce n'était donc pas la force physique, qu'elle attendait d'Elvazio, mais bien une réflexion dont elle-même manquait parfois.
Elle pencha la tête sur le côté, songeuse.

- Nous pourrions peut-être les piéger... Mais il nous ferait quelque chose d'assez grand pour ces créatures. As-tu des idées ? De pièges, ou d'autres moyens qui nous faciliteraient la tâche.

Son regard se posa dans le sien, curieux.

La réponse lui parassait tellement évidente qu'il ne sut quels mots trouver pour la formuler. Il y en avait tellement qu'il aurait sans doute pu écrire un texte entier à ce sujet ; mais il ne parlait pas à n'importe qui et on ne lui demandait pas de s'épancher sur son mal-être non plus. Après un petit temps il répondit donc doucement :

"Je suis loin d'être le meilleur de nos combattants. Ou de nos chasseurs."

Il eut un petit sourire triste qui ponctua sa phrase, tandis que ses pensées faisaient son chemin en réalisant soudain qu'il pouvait également y avoir une autre raison au fait quo'n lui demande à lui : celle que personne d'autre n'était disponible et qu'il était peut-être mieux que rien. Ce n'était pas aussi glorieux que d'être spécifiquement choisi... Mais même cela pour lui était quelque-chose de touchant, de différent. Au moins n'était-on pas un fardeau lorsqu'on était choisi un peu par défaut ; sinon on ne l'aurait pas choisi du tout. Et c'était tout de même bien plus crédible à ses yeux que l'idée qu'elle aie pu penser à lui spontanément.

Il hocha la tête en écoutant évoquer le nom de Sakura - une bien meilleure Etelkru que lui, ce qui équilibrerait un peu les compétences au moins. Il n'avait que peu échangé avec la louve rose, mais la réputation des apprenties de Holly les précédait, comme celle de leur mentor. Des louves dans le moule, des louves fortes, comme on les aimait dans l'enceinte du grand Castel.

A l'interrogation de Holly, il réfléchit un instant - la question eut le mérite de le distraire de son chemin habituel de pensée - et finit par répondre :

"Je sais à quoi ils ressemblent, mais pas quelle taille ils font... Sont-ils plus grands qu'un loup ? Comment se battent-ils ?"

Ses yeux tristes se firent interrogatifs, alors que plus hypothèses naissaient dans son esprit. S'ils étaient suffisament petits, il pouvait peut-être même utiliser son pouvoir pour les neutraliser - c'était surtout une question de rapidité et de pertinence de l'emplacement des pièges. Ceux qu'ils avaient fait lorsqu'ils étaient plus jeunes avec Anita pourraient aussi convenir - mais il se doutait qu'Holly y aurait déjà pensé. Donc sans doute ne convenaient-ils pas.

Vous reprendrez bien un peu de dévalorisation ?
Elle n'avait jamais vu ça, chez aucun individu... Il lui semblait ? Dans tous les cas, Holly était surprise par la réaction d'Elvazio et cette perception, catastrophique, qu'il semblait avoir de lui-même.
Il n'y avait probablement rien à faire pour lui, dans l'immédiat mais elle espérait, tout de même, vraiment, que cette mission permettrait au mâle brun de prendre confiance en lui. Ce ne serait pas un luxe.

- Ils sont petits, à peu près de notre taille, de souvenir. Individuellement, ils ne représentent pas un grand danger. Les choses sont, cependant, plus compliquées à gérer lorsqu'ils se réunissent, ce qui est le cas actuellement. Pour ce qui est de leur technique de combat, ils n'en ont pas vraiment, ce sont des êtres primitifs. Ils mordent ce qui est à portée de gueule et griffent, éventuellement, plus pour attraper les proies qu'autre chose, de ce que j'ai vu. Nous pourrions anticiper en allant les observer de plus prêt, afin de réfléchir à un plan adapté si ça te convient. Les pièges que nous avions réalisés me semblent un peu légers pour des hordes.

Plissant le museau, elle se permit une petite plaisanterie.

- Je suis certaine que notre collaboration sera fructueuse et que nous serons bien plus efficace que les équipes de ceux qui ne sont pas disciples de Dairo.

Anita n'avait qu'à bien se tenir.