What if - Alexandrine

Il faisait beau, aujourd'hui.
Est-ce que sa journée serait belle, elle aussi ?

Elle débuta par des sourires offerts aux siens, cette journée, polis, sincères lorsque son regard bleu se posait sur le visage connu d'une apprentie ou celui d'un comparse apprécié, quelques requêtes écoutées, quelques temps passés à la salle des trône a effectuer des tâches quotidiennes.
Ca, c'était ce qu'elle préférait faire : Ca lui convenait, c'était bien.

Il n'y avait peut-être que ça, de bien, finalement. Le boulot, c'était une fleur au beau milieu d'un beau tas de merde, l'occasion de s'entourer, un instant, d'exister aux yeux des autres, d'être importante.
Lorsque, dehors, la Solitude continuait de la ronger. C'était bête, frustrant, de toujours se sentir aussi vite et impuissante malgré ces années passées à lutter, à essayer d'attraper un bonheur qui, toujours, passait dès lorsqu'elle pensait le saisir.

C'était comme ça.
C'était un pas de plus vers le précipice.

A quoi bon lutter, désormais.

Holly inspira, la gorge serrée, le regard trouble. Elle s'était isolée comme bien souvent, et avait laissé ses pattes la mener au hasard, sur ces terres qu'elle connaissait par coeur, désormais.
Elle ne savait pas pourquoi elles avaient choisi les Dents de Roc mais s'attarda sur l'endroit, par ce que sa journée était terminée et qu'elle n'avait rien d'autre à faire.
Et personne à retrouver.

Elle n'aurait qu'à attendre, ici, la tombée de la nuit.

Son nom, crié comme il l'avait été de bien nombreuses fois, la fit se redresser vivement, dardant, sur la nouvelle arrivante, ses yeux bleus.
Son cœur bondit dans sa poitrine, pas de joie... d'elle ne savait quoi. Peut-être de surprise. Sûrement d'appréhension.
Elle n'avait pas tord, d'appréhender, visiblement.

Le sarcasme d'Alexandrine la laissa sans voix, un moment.
Qu'était-elle censée lui répondre, au juste ? Que venait-elle chercher, là, Alexandrine ? De quoi soulager une colère grandissante ? Le plaisir de l'écraser, pour se venger ? Des réponses ?
Il n'y avait qu'une seule façon de le savoir.

- Qu'est ce que tu cherches ?

Elle s'était plantée là, face à Alexandrine, ne la lâchait pas des yeux.
Pas d'animosité dans son comportement à elle, cependant, pas encore, elle restait calme, peut-être trop. Par ce qu'elle la connaissait un peu, Alexandrine, qu'elle la savait grande gueule, sans filtre.
Qu'il y avait, sûrement, dans ses paroles, la volonté de faire mal, mais tant d'autres choses aussi, comme cette colère, cette tristesse clairement perceptible.

Holly, elle, ne souhaitait pas la blesser.

N'y avait-il plus rien à sauver ?

Elle avait, sans avoir à trop fouiller dans sa mémoire, le souvenir d'Alexandrine qui lui parlait, à la fin de leur échange, de rester amies. Etait-ce une envie bien vite disparue, perdue sur la glace lorsqu'elle était repartie ?
Par ce que de ses mots, et par les maux qu'elle infligeait -toujours plus-, elle nourrissait, au contraire, des tensions.

Ce qu'elle ne savait pas, Alex, c'était à quel point Holly était fatiguée. De lutter. De faire semblant d'être forte. De faire semblant de tout, de tenir debout, de...
De tout ça.
Et de ça, plus que tout.

Son regard quitta le sien, se posa sur un point indéfini, au delà d'Alexandrine.

- Vas-y, alors.

Elle ne mordrait pas, par ce qu'elle n'en avait pas, plus la force, qu'elle n'était plus fière, qu'elle n'était plus forte.
Qu'elle attendait seulement la fin de tout ce merdier, résignée à subir ce qui lui restait à vivre.

Ca, y compris.

Si vide.
C'était ça.
Elle était vide.

Elle ne vit pas le sourire d'Alexandrine s'étirer, n'entendit que le flot de ses paroles et sa mâchoire claquer, provocatrice, peut-être.
Holly se redressa, pour faire quelques pas en avant, là, juste là. Encore, son regard se perdit au loin, sans qu'elle ne sache, elle même, où il s'arrêterait. Peut-être dans ce Ciel, qu'elle avait tant imploré, en quête d'un bonheur qui ne viendrait jamais.
Peut-être dans ce vide, qui la représentait si bien.
Au bord du précipice, c'était là qu'était sa place, littéralement.

Mentalement épuisée.
Le corps si proche du vide, aussi.

- Je voulais être heureuse.

Elle ferma les yeux, juste un instant. Inspira.

- Mais ça n'arrivera pas.

Ca faisait trop longtemps, qu'elle espérait.
Ca faisait trop de revers, qu'elle essuyait.

Elle n'avait espéré qu'une chose, au fond : Ne plus être seule.
Et pourtant...

Et pourtant.

Elle était toujours là, la solitude.
Et elle ne la supportait plus. Tout comme elle ne supportait plus le sarcasme d'Alexandrine. Ce n'était pourtant pas de sa faute, si elle était là, au bord du précipice. Par ce qu'Holly n'aurait pu compter sur la présence d'une seule et unique personne pour combler toutes les carences affectives dont elle souffrait depuis si longtemps, déjà.
Elle ne pouvait imposer cela à personne.

Son regard se troubla, mais elle ne pleura pas, demeura calme.
Toujours trop calme.

Résignée, encore.

C'était facile à dire.. !
Elle avait bien essayé, tant de fois qu'elle ne les comptait plus, d'être heureuse sans avoir à s'accrocher à quelqu'un. Mais comment l'être, lorsque l'on était un animal sociable condamnée à dormir seule, condamnée à être abandonnée, encore et encore, à les perdre un par un, ces loups aimés.
Elle en revenait aux autres, par ce que son monde tournait autour deux. Par ce qu'elle jalousait ceux qui jouissaient de la présence d'une famille, aussi, bancale soit-elle.

Mais de famille, elle n'avait plus.
Les autres l'abandonnaient, encore et encore. Ils pensaient pouvoir la laisser derrière, pour faire leur vie et pouvoir la récupérer tranquillement, à leur retour.

Ces autres là.
Alexandrine et Méridor.
Méridor et Alexandrine.
Peu importait, qui ils étaient, lorsqu'ils n'étaient pas là.

Comment, on est bien, chez soi ?
Tu sais, toi ?

Elle s'écarta du vide et son regard retrouva celui d'Alexandrine.
Si belle et si forte, comme elle l'avait toujours été.

Inaccessible, du moins, en partie, pourtant.
Son cœur, elle ne l'aurait plus et en avait conscience : Voulait-elle vraiment d'une vie comme avant, de toutes manières ? Elle souhaitait un corps chaud qui se serrerait contre le sien, quelque chose.
Pas plus d'espoirs, pas plus de souffrances. Elle ne pourrait accepter un autre abandon, elle le savait, et préférait s'en préserver.

Pas d'engagement, pas de promesses, pas de contraintes.
Juste un corps, là.
Elle aussi, était si belle.

Holly s'approcha d'elle, jusqu'à la frôler, sans lâcher son regard.

- Alors aide moi, un petit peu.

Comme tu as dit.
Aide moi, un peu, à combler ce vide si grand.

Deux corps qui se frôlent, deux corps qui se touchent.
Elle frémit un peu, Holly, par ce qu'elle lui semblait si lointaine, la dernière fois. C'était avant tout ça, avant qu'elle parte au loin, si loin d'elle. Avant qu'elle même trahisse et jette ses espoirs ailleurs par ce qu'elle ne savait plus où les mettre et cherchait, désespérément, quelque chose, un point d'ancrage pour ne pas sombrer.
En vain, ça avait été un échec de plus, un peu plus de sel dans une plaie béante.

Il n'y avait plus rien à sauver, de tout ça et d'elle. Peut-être des miettes à ramasser, une illusion plaisante, captivante.
Elle pourrait être aimée, un instant, par ce qu'elle était belle.
Aimée, un instant, oubliée le suivant.

Les choses seraient toujours ainsi.
Ca faisait si longtemps, qu'elle implorait le ciel, en vain.

Il n'y avait que son rôle de meneuse, pour la faire vibrer... Pour combien de temps, encore ?
Et ça, ça lui suffirait combien de temps ?
De la poudre aux yeux, voilà, ce que c'était. Par ce que ce soir, demain, elle serait toujours aussi seule et toujours aussi consumée par cette fatalité. Par ce qu'elle ne savait s'entourer suffisamment, par ce qu'elle n'avait pas même été capable de donner la vie, une fois.

Tu fais bien, de ne plus me donner ton cœur, Alexandrine...
Par ce que je vais finir de tout détruire.

Le vide m'appelle, encore et encore, et un jour, j'y plongerais. Et alors, ce sera terminé, enfin !
Toutes ces souffrances, toutes ces déceptions, cette solitude.
Ce sera la fin de tout.

- Et quelle vie !

Il retentit, aux bout de ses babines, un rire sans joie.
Allez, soit ! Elle pourrait cesser d'être aussi pessimiste, ne serait-ce qu'un instant, le temps de profiter du corps massif d'Alexandrine et de lui offrir le sien, puisque c'était, là, tout ce qu'elles pouvaient se donner.
Juste un peu d'amour, avant de retrouver le vide.

Elle saurait l'aimer, cet instant là, en oubliant ses erreurs, sa trahison, Méridor.
En oubliant le départ d'Alexandrine, ces appels au secours ignorés, tout ça.
Elles étaient quittes, peut-être, ou peut-être pas. Qu'en avaient-elles bien à foutre, maintenant ?

Dans ce coin à elles, son corps trouva le sien, plus proche, encore. Son museau glissa dans le cou de la louve beige, remonta jusqu'à l'une de ses oreilles, contre sa joue.
Qu'elle était belle, par Dairo !

Elle aimait sa carrure, elle aimait son odeur, elle aimait sa voix, elle aimait la savoir proche d'elle...!
Elle l'aimait, bon sang !
Comme elle l'avait aimé lui, ou peut-être différemment. Qu'importe.

Ses pattes avant attrapèrent son corps massif, le serra contre le sien.

- A quel point ça ne va pas, pour toi ?

Elle repoussa une mèche de cheveux.

Par ce que ça ne va pas. N'est-ce pas ?
Je te connais trop bien, pour fermer les yeux.

- Je ne les confond pas.

Il n'y avait rien de commun, dans leur façon d'encaisser les derniers évènements.
Si Holly se laissait sombrer, manquait cruellement de mordant, trop fatiguée pour répondre et tout juste capable de subir avant que tout ne se termine, ce n'était pas le cas d'Alexandrine.
Clairement pas.

Elle se laissa surplomber, là, encore, sans opposer de résistance, poupée de chiffon qu'elle était devenue depuis... depuis combien de temps ?
Ca n'avait pas vraiment d'importance.
Ses pattes revinrent l'attirer contre elle, là, comme ça, et ses doigts glissèrent dans ses cheveux, démêlèrent quelques noeuds qui avaient pu s'y former.

- Je suis désolée, pour ta maman.

Je sais aussi qu'Anette n'en a plus pour longtemps, elle me l'a dit. Je sais que ce sera dur et... Je ne sais pas à quel point je pourrais être présente.
Mais cela, elle ne le dit pas : il était inutile, et même cruel, d'anticiper ce genre de choses.
Un soupir glissa entre ses crocs.

- Est-ce que cette solitude est douloureuse ? Tu as choisi de t'isoler, pour Aka, pour d'autres raisons, aussi, alors qu'au Castel tu as encore ta famille.

Toi.
Et tu m'avais moi, aussi. Mais ce n'était sûrement pas suffisant.

L'un de ses doigts vint se poser sur la truffe rose de son... amie ?
Drôle d'amitié, dis donc.

- Profite d'eux. Profite d'eux tant qu'il en est encore temps, avant de savoir ce que c'est vraiment, la solitude. Il te reste une mère géniale, une fratrie géniale aussi. Alors arrête de fuir dans ton putain de Nord et profite d'eux !

Le ton était monté, d'un coup, impérieux, et son regard s'était embrasé.
Elle ne lui voulait pas de mal, à Alexandrine, espérait simplement lui éviter, ne serait-ce qu'un peu, de vivre ce qu'elle vivait elle.

- J'ai pas dit ça !

Mais ses paroles pouvaient le laisser penser.
Mais ce n'était pas ce qu'elle pensait : Elle voyait ce départ pour le Nord comme une fuite, pour ne pas voir Sheina mourir et ne pas croiser le regard si fatigué d'Anette. Ce n'était pas que ça, visiblement, il y avait autre chose : Alex avait aimé ça, être loin d'eux, être loin d'elle.

Elles étaient si différentes sur bien des points et c'était pour cela que leur histoire n'aurait pu fonctionner. Elle le savait, Holly, malgré tout l'amour qu'elle pouvait porter à Alexandrine... Elle ne pourrait, elle, pas la laisser partir sans ressentir le manque, si violent, la peur de la voir bouffée par un dinosaure. Et elle ne voulait pas la priver de sa liberté, à cause de ses angoisses.
Alexandrine, de son côté, n'aurait jamais su lui offrir la stabilité dont elle avait tant besoin.

Et Holly ne voulait pas d'une vie passée à attendre son retour.
Elle rejeta la tête en arrière, face à ces crocs qui mordillaient sa peau, coulant vers la belle louve crème son regard embrasé par le désir.
Son museau vint se presser contre son front et elle raffermit sa prise sur le corps musclé de la dragonne.

Ca les mènerait à quoi, tout ça ?
Ca durerait combien de temps, ces moments à se chercher, à s'enlacer, à s'aimer... ? S'aimer sans le dire, évidemment, par ce que leurs cœurs malmenés se devaient d'être préservés.
Ce n'était qu'un pansement sur une plaie purulente, tout ça.
Elle fronça les sourcils.

C'est malsain, je crois.
Ce n'était pas ce qu'elle voulait, finalement. Ce n'était pas elle, de s'abandonner dans un contact qui ne connaîtrait pas de lendemains, qui ne la laisserait pas espérer.
Elle resta silencieuse, un instant, un instant à l'étreindre, un instant à lutter contre la peur de la solitude, l'amour qu'elle portait toujours à la louve crème et le chagrin violent qui étreignait son cœur.

- Arrête...

Holly cilla, par ce que ses yeux piquaient dangereusement et qu'elle n'avait pas envie de pleurer, d'être vue plus faible et vulnérable qu'elle l'était déjà et...
Et ce fut un échec cuisant. Elle remonta ses pattes sur ses yeux, pathétique louve qu'elle était.

- Je ne peux plus souffrir.


Comment finirait-elle, cette libération ?
Par la mort, ou par une reconstruction ?

Il était destructeur, cet amour là.
Par ce qu'à chaque instant, dès que son regard -actuellement troublé par les larmes- se posait sur elle, sur Alexandrine, elle se souvenait de tout : De cette attente de deux mois, après une déclaration plus que maladroite, de leurs premiers émois et de ceux d'après, des belles paroles, des rires, des conflits pour des divergences de point de vue, d'à quel point elle était belle et qu'elle aimait s'endormir sous l'une de ses ailes de cuir, du vide, de l'abandon. De la fin.
Et pourtant, elle le ressentait encore et encore. Peut-être qu'elle ne parviendrait jamais à l'oublier, ni elle, ni l'imbécile à l'armure dorée.

Derrière ses airs de brute, Alexandrine était bien trop gentille.
Peut-être aurait-t-elle agi différemment, sûrement, même, si elle avait su, pour lui.
Peut-être devrait-elle le lui dire, là ?

Elle allait partir, de toutes manières. Quoi qu'elle fasse ou quoi qu'elle dise.
Elle allait partir..!

- Pardon -

Holly savait, qu'elle n'avait pas le droit de la retenir, de lui imposer tout ça, qu'Alexandrine avait ses propres problèmes...
Et pourtant...

- Pardon -

Pour tout, pour ne pas te laisser me détester.
Pardon.
Pardon.
Pardon.

Elle aurait aimé pouvoir lui dire tant de choses, avouer, une partie au moins. Lui donner une bonne raison pour la détester.
Mais, épuisée, elle n'en trouva pas la force.
Cela devrait attendre.

- Tu me parleras.

... De ce qui te ronge, toi.
Peut-être pas maintenant, quand tu voudras.

- Il faudra qu'on parle.

Elle cilla, elle hocha la tête, s'essuya les yeux du revers de la patte.
Pathétique, c'était si pathétique.

- D'accord, pard-

Elle ne devait plus dire pardon, d'accord.

Une épave.
Oui, c'était ce qu'elle était.
Une épave.

Tellement fatiguée, pleine de failles dans lesquelles l'eau s'engouffrait. Elle avait tâché de les ignorer, de jouer la carte de l'auto persuasion, parfois, de se promettre que tout irait mieux, demain...
Mais lorsque l'on lui ôtait tout cela, elle coulait.
Comme une épave.

Holly se redressa un peu. Elle n'allait, tout de même, pas laisser Alexandrine, la traîner jusqu'au Castel.