A l'ouest [LIBRE]

-Ted-

La petite vie de Ted avait été en partie chamboulée au retour de ses parents au refuge, ainsi que deux de ses soeurs. Un retour qui s'était fait sans Onyx, et chargé d'informations importantes et graves : la bibliothèque avait brûlée, et les frontières étaient désormais fermées. Ted n'avait rien dit, mais s'était assombri : il aimait la bibliothèque, aimait lire, rechercher, et absorber les informations. Ne plus avoir ça, c'était rude.

Il avait mit quelques jours à se faire à cette idée, avant de réaliser que les quelques livres qu'il avait empruntés - principalement sur la vie de la faune et sur la flore - manquerait probablement aux nakhus. Alors, les livres dans une besace d'osier, le grand loup s'était mit en marche avec appréhension jusqu'à la frontière nakhus. Comment allait-il se faire accueillir ? La situation était-elle vraiment aussi déséspérée ? Et parmi ce stress, une pointe de colère : lui n'avait rien fait pour mériter ça, pourquoi le clan détenant un tel joyau avait décidé de le garder pour lui tout seul .

Il ruminait toujours lorsqu'il arriva près de la frontière. Evidemment, personne à l'horizon. Oscillant d'une patte à l'autre, Ted resta immobile : devait-il appeler quelqu'un ? Ou bien entrer ? C'était si ... peu naturel de respecter cette frontière qui avant signifiait sécurité, connaissance, accueil. Il se remit à marcher, longeant la frontière, indécis avec sa besace en bandoulière. Quelqu'un finirait bien par venir .... Non ?

-Ted-

Ted n'eut pas à attendre si longtemps que ça avant d'entendre un bruissement d'aile. Un loup à plume se posa un peu plus loin, aux couleurs chatoyantes, le regardant. Le grand Ted s'immobilise : c'est un nakhu. C'est ce qu'il attendait et pourtant ... Il est pétrifié. L'autre s'approche, la tête enfouie dans une épaisse écharpe malgré le beau temps. Et sa voix est réduite à un murmure, rassurant le grand Ted : les nakhus ont eu beau fermer leurs frontières, ils sont toujours les mêmes, calmes et non agressifs. Enfin du moins, celui-là en a l'air.

Le loup au look d'ursidé balbutie un "... Je" avant de se pencher pour farfouiller dans sa besace. Il en sort un ouvrage, puis un autre, les montrant à l'ailé. Le regard obstinément fixé sur le sol, il déglutit. Il s'est préparé à ce moment depuis qu'il était parti de la maison, pourtant devant le fait accompli, tout est plus difficile. Il souffle, puis dit d'une voix faible :


Il se serait donné des baffes, Ted. Il aurait pu dire son nom, expliquer qu'il les avait emprunté avant l'incendie, présenter ses regrets face à la tragédie qui les avaient touché. Demander si tous avaient été sains et sauf, même mentionner sa famille qui avait été là. Il aurait pu dire tout ça, mais comme d'habitude, ses cordes vocales refusaient de fonctionner. Frustré, il coucha les oreilles sur son crâne, le regard toujours fixé devant lui.

-Ted-

Le mâle s'approche des livres, et Ted recule, presque avec regret. Il sait qu'il ne pourra les remplacer, et pourtant il a tant d'autres choses à lire ... Il aurait voulu emprunter plus de choses sur la sylve, sur les licornes, mais aussi des informations pour l'aider à construire le poulailler qu'il était sensé faire avec son papa. Des trucs sur les plantes aussi, plantes exotiques ou d'ici, plantes médicinales et toxiques. Et les animaux, la faune habitant ses contrées, il voulait tout découvrir. Et puis ... Il aurait bien aimé un bon roman, il fallait se l'avouer, pour pouvoir s'endormir sans problèmes.

Mais ses considérations paraissaient soudain bien futiles lorsqu'il capta le regard triste du nakhus. Le clan avait perdu une partie des livres, et cette idée était une déchirure pour eux, bien plus que pour Ted qui n'y voyait que le côté pratique. Alors, il baissa le regard, un peu penaud de n'avoir pensé qu'à lui, à ses propres connaissances. Tout le monde était déçu, triste de ce qui s'était passé, pas seulement le jeune mâle cendré. Il soupira légèrement : il respecterait la frontière, le temps que tout ça se calme. Mais en attendant, il devra apaiser son besoin de lecture autrement, peut-être en écrivant lui-même ses bouquins ?

Il y réfléchi, une seconde. Le parchemin qu'il a emprunté aux nakhus commence à manquer, et il ne sait pas comment en fabriquer. Il pourrait le demander à celui d'en face, qui a l'air plutôt sympa ... Il oscille d'une patte à l'autre, le regard toujours fixé au sol, indécis. Puis se racle la gorge, inspire, et demande :

Nymeria

Iel se promenait quand iel entendit des voix. Des intrus ! Ahah ! Iel attendait, avec Eldunari, de les trouver pour les tabasser, surtout les plus petits que iel, mais peu s’étaient pointés. Alors si c’était quelqu’un à tabasser, ce serait une occasion en or. Iel s’approcha discrètement, puis identifia la forme d’un de ses grands frères : Cheza. Cheza qui ne lui avait jamais adressé encore plus de trois mots. Sans nul doute, leur écart d’âge avait creusé un fossé qu’il n’avait pas su combler, mais cœur du jeune loup sombre, fils d’Oracle, était déjà devenu sombre face à ceux qui n’avaient pris le temps de le connaître plus jeune. Du haut de ses 6 mois, iel se considérait à présent au-dessus de cette masse de poils ingrate qui était son grand frère, et son regard d’or se fit dédaigneux en se posant sur lui.
Pfrt, il parlait avec les étrangers, en plus.

Mais leur sujet attisa sa curiosité, alors iel sortit de sa cachette, son regard d’or se posant avec dédain sur l’inconnu. Son odeur. Il sentait un peu comme Prudence. Qui es-tu, ingrat, qui vient rendre des livres à notre clan, alors que les siens ont détruit la bibliothèque dans toute sa splendeur ? As-tu un lien avec Prudy ? Peut être qu’il venait prendre des nouvelles ? Iel sentait surement comme Prudence, comme iel l’avait guidée partout dans les terres Nakhus. Iel s’avança vers eux, avec un faux sourire.

« Bonjour frère, bonjour étranger. »

Iel les salua tous d’un d’un hochement de tête respectueux, l'air légèrement gêné de déranger leur conversation. Mais que du faux, iel se délectait d'empêtrer les desseins de son frère.

« Seriez-vous un membre de la famille de Prudence ? » demanda-iel avec un air chaleureux, envers l’inconnu.
Tout pour être dans les bons livres de la louve licorne.

-Ted-

Le loup aux grandes ailes répondit que les nakhus n'en fabriquaient pas. Mais alors, comment faire tous ces livres ? La curiosité piquée, Ted attendit la fin de la phrase. Des peaux, ce n'était pas évident à trouver pour un solitaire, et surtout il fallait tuer. N'était-ce pas possible d'en faire à partir de feuilles ? Par exemple, des feuilles séchées ... Mais non, elles seraient trop cassantes. Ha, si seulement Ted pouvait se rendre à la bibliothèque pour rechercher ça ... Mais tout avait brûlé. Enfin, tout, non et heureusement. Les quelques livres qu'il avait ramené -et qui lui manquaient déjà- en étaient la preuve.

Mais la conversation coupa court alors qu'un autre loup surgit des fourrés. Androgyne, ni son apparence ni son odeur ne permettait de définir un genre au nouveau venu. Ted resta silencieux, croisa son regard, un instant dédaigneux, puis affable, amical. Avait-il rêvé ? Le grand mâle recula légèrement, un peu inconfortable. Un inconnu, il pouvait gérer, mais deux à la fois ? Les deux loups semblaient frères, et surtout, le nouveau lui demanda immédiatement s'il était de la famille de Prudence. Mal à l'aise, Ted hocha la tête, le regard un peu fuyant, la patte serrée sur sa sacoche. Oui, ils étaient ... frères et sœurs, même s'ils se connaissaient peu. Et encore, depuis le refuge, ça allait mieux ! Ted fit alors un pas en arrière : il rentrerai, il n'avait plus rien à faire ici. Enfin ... A part pour demander des informations sur la fabrication de parchemin. Mais aussi loin de la bibliothèque, c'était peut-être inutile.

Nymeria

L’étranger semblait se fondre dans le paysage, reculant déjà.
D’abord, iel se sentit fièr.e. Ha ! C’est ça ! Recule, étranger, va-t’en, sous-race de loup. Mais d’un autre côté, iel était embêté. Pourquoi est-ce qu’iel prenait peur comme ça ? C’est vrai qu’il ressemblait peu physiquement, à Prudy, mais il semblait aussi super différent psychologiquement. Iel voudrait dire à Prudence qu’iel avait rencontré son frère, et qu’il allait bien, au moins.

« Je lui dis que vous êtes passé ? » demanda-iel, visiblement confus. Pourquoi est-ce qu’il partait comme ca ? Ne voulait-il pas savoir comment allait sa sœur ?
Puis iel réalisa. Est-ce que lui, ferait un effort, pour savoir ce qu’il était arrivé à Cheza ? Surement pas, il n’était jamais venu le voir, cet odieux loup qui était pourtant son frère. Lui, iel avait son excuse : iel avait été petit.e jusque-là, ne pouvant sortir sans ses parents sur le dos ! Peut être qu’ils n’étaient pas proches.

« Nous pouvons lui apporter un message, si vous désirez ? Désolé de vous avoir brusqué. » proposa-iel, et son regard se fit plus honnête, moins froid et menaçant.


Iel réalisa alors que Cheza ouvrait ses ailes. Déjà, il allait partir. Nymeria aurait beau aller le chercher au bord du territoire Nakhu, sans doute il partirait toujours en s’envolant. Cela lui mettait une pique de douleur qui l’enfuriait encore plus. Iel aurait aimé pouvoir voler, lui aussi. Tous, sauf Eldu’ et leur père pouvaient voler. Son père, iel l’évitait, il trainait avec lui une longue liste de règles dont le jeune sombre ne voulait entendre parler. Eldu était le seul avec qui iel pouvait aller se promener, sans sentir le poids manquant des ailes sur son dos. Iel se demandait bien ce que ça faisait, de voler par-dessus les nuages, de voir la terre se déplier sous ses pattes. Souvent, dans ses rêves, iel volait : mais cela ne rendait que le réveil plus dur. Mais … iel serait surement toujours aussi acide, si iel n’essayait même pas de lui parler poliment.
Iel se tourna vers Cheza, ses oreilles descendant un peu. C’est vrai qu’ils n’avaient jamais pris le temps de se parler, mais Cheza, de tous ses frangins plus vieux, semblait le plus libre, et iel aimerait savoir comment c’était en dehors de chez les Nakhus. Et peut-être, quelque part au fond de lui, cela lui manquait, d’avoir un grand frère.

« Est-ce que tu accepterais de m’accompagner un peu sur la route du retour … s’il te plait … Cheza ? »

Surement pas jusqu’au Dédale, Cheza semblait quasiment jamais y mettre la patte. Iel avait l’impression de s’arracher cette politesse du fond de la gorge, mais pour la première fois, iel ressentait une pointe de regret de ne jamais lui avoir parlé. Qui était son grand frère, qui pourtant, n’était pas si grand ?

La situation était de plus en plus tendue. Le loup blanc murmura qu'il espérait avoir pu aider, avant de déplier ses ailes pour partir. Ted était un peu confus : il comptait demander plus d'aide pour les parchemins mais ... C'était impossible à présent. Pas dans cette situation. L'autre loup alors lui parla de Prudence, ce qui le rendit encore plus confus : lui porter un message ? Mais ... Elle n'allait pas rentrer au refuge ? Pourquoi ce nakhus la connaissait si bien, au point de la voir plus régulièrement que lui ? Il secoua la tête. Il fallait qu'il la voit, mais elle était sur la route depuis un bout de temps, et il avait d'autres choses à faire ... Quel casse-tête. Peut-être qu'Onyx, ou les parents en savaient un peu plus.

Finalement, Ted n'en pouvait plus. Il salua les deux loups d'un double signe de tête, avant de reculer d'un pas, tout contracté. Puis, il fit demi tour et parti nerveusement, encore gêné et confus de la situation. Un échec pour le mâle, qui s'en retournait sans livres et sans assez d'informations sur les parchemins. Et surtout, avec des questions en plus sur sa soeur.