Parler - Alexandrine

Parler.
Elle avait dit qu'elle le ferait, alors ce serait le cas.

Mais comment parler de ces choses là ?
Elle était tendue, Holly, et la nuit avait été courte, agitée par tous ces songes, toutes ces anticipations, toutes ces recherches d'un discours honnête qui ne la ferait pas trop tourner autour du pot et qui ne serait pas trop cash non plus. C'était un exercice difficile pour lequel elle n'était pas vraiment douée.
La communication avait toujours été difficile, avec Alexandrine, même lorsqu'elles étaient encore compagnes. Alors maintenant... ?

Est-ce qu'il fallait vraiment lui parler ?
Est-ce qu'elle ne serait pas plus en colère, alors ?
Et si elle l'apprenait d'une autre gueule que la sienne : de celle d'Anita, de celle de Narcisse ou de celle de Sakura, par exemple ? Ce serait alors pire et...
Les doigts de ses pattes vinrent trouver ses tempes et elle inspira profondément.

Et si ça se passait vraiment très mal ?
Si... Ca avait des répercussions sur ses relations professionnelles avec Anita ? Elle serait alors obligée de partir d'ici.
Peut-être pourrait-elle rejoindre Méridor, alors.
Ses oreilles se couchèrent sur l'arrière de son crâne.

Holly frémit lorsque son regard se posa sur la massive silhouette de la louve crème. Elle l'avait cherchée loin des grottes, afin qu'elles puissent parler, ou crier, sans être entendues.
Sa nervosité monta d'un cran, mais elle s'approcha.
Pas question de se défiler, pour le moment.

- Salut.

Ah, avec tout ça, elle en aurait presque oublié la vermine grouillante.
Par ce que ce n'était, visiblement, pas suffisant, d'avoir les Raeders comme voisins, il fallait également qu'ils se retrouvent avec... ça. Et ça, ça venait jusqu'à leurs portes pour leur piquer leurs proies, et se bouffer entre eux et... Et c'était à croire qu'ils n'en finiraient jamais.
Enfin, un peu d'optimisme.

- Ca ne durera qu'un temps.

Elle s'humecta les babines.
Elle n'était clairement pas là pour parler de ces... trucs, dont elle ne connaissait même pas le nom. Et puis, Alexandrine s'était calmée, depuis la dernière fois.
Est-ce qu'elle avait vraiment envie de la mettre en colère ?

Il fallait qu'elle lui parle ! Elle se l'était promis !
Son cœur se serra un peu plus.

- Euh, o-oui...

Elle ravala sa salive.

- Je suis venue te parler.

Ce n'était pas ce qu'elle faisait déjà, lui parler ?
La communication, Holly, la communication : On ne tournait pas autour du pot.

- Je préfère que tu l'apprennes de ma bouche plutôt que de celle de quelqu'un d'autre. J'ai vu quelqu'un, moi, pendant que tu étais au Nord et jusqu'il y a peu. Je... sais pas si c'est important, maintenant, de le savoir. Mais voilà.

Quelqu'un qui lui avait menti, quelqu'un qui était parti.
De cela, elle ne pourrait pas se plaindre, cependant : Ce n'était là qu'un retour de Karma.

Et maintenant, elle n'avait plus qu'à attendre l'ouragan.

Elle s'était attendue à la voir exploser dans une colère si grande.
Oh, évidemment, le ton était bien loin d'être doux, c'était, de toutes manières, quelque chose qui n'aurait pas pu être possible étant donné leurs rapports actuels et le sujet de leur conversation.
Vinrent les premières interrogations : Celles pour lesquelles elle peinait, elle même, à trouver une réponse.

- Il est parti.

Il y avait tant de lassitude dans ce simple constat.
Par ce qu'il n'était pas seulement parti. Il avait d'abord tissé sa toile, autour d'elle en lui faisant mille promesse, en prononçant mille mots d'amour et l'avait rassurée sur ce qui l'effrayait, cette fameuse solitude. Elle avait sacrifié, pour lui, par ce qu'il lui avait tant promis et qu'elle n'avait pas souhaité le perdre.
Finalement, c'était lui, qui l'avait abandonnée.

L'admettre avait quelque chose d'humiliant.
Pepper l'avait pourtant prévenue, jadis.

Elle cilla.

- Je t'aimais,  je l'aimais aussi. Il était là quand tu ne l'étais plus. J'avais peur qu'il parte aussi. Je savais qu'il partirait si...

Si je n'étais pas totalement sienne.
Elle déglutit.

- Je voulais t'en parler. Je suis venue plusieurs fois, dans le Nord, sans te trouver.

Peut-être pas assez de fois, par ce qu'elle n'avait pas trouvé le temps, par ce qu'elle avait pris peur alors qu'il commençait déjà à partir.
Elle avait voulu le préserver, quelque part, lorsque lui ne s'était pas emmerdé pour la laisser en plan.

- Je ne voulais pas jouer sur deux tableaux.

C'était, tout de même, ce qu'elle avait fait : Mais ça, elle ne le mentionnerait pas.
Pas maintenant, du moins.

Toujours pas d'ouragan.
Il ne viendrait peut-être pas, finalement.

C'était aussi bien, ainsi, ça lui convenait bien mieux, de pouvoir parler avec Alexandrine dans un calme relatif plutôt que de subir son emportement, quand bien même elle aurait pu le comprendre et l'accepter.
Si Alexandrine s'était faite trop peu présente, ces derniers temps, Hollyhock ne comptait pas, non plus, lui donner les tords : Elle-même aurait du s'obstiner un peu plus, certainement, ne pas commettre l'interdit, discuter avec elle, clairement, avant que tout ne soit trop tard.
Peut-être que les choses auraient alors été différentes. Ou peut-être pas : lui n'aurait pas pu la partager, et tout n'avait été qu'ultimatum, dans sa conduite.

L'Alpha bleue redressa la tête pour poser un regard plus franc sur Alexandrine.
Elle avait compris, ce qu'elle voulait dire, par ces gestes dans l'air. Et se sentit, elle aussi, si lasse, si bête.
Vide, encore.
Tout ça pour ça.

- Je pensais pas que...

Elle bougea une patte, aussi, peinant à trouver les mots comme elle avait toujours peiné à les trouver, face à la dragonne.

- Désolée. Je sais bien que j'ai agi de façon stupide. Je voulais ne blesser personne, vraiment pas. Finalement, c'est tout le contraire, qui est arrivé.

Hollyhock baissa la tête, penaude.
Ca avait été dur pour tout le monde : Pour Alexandrine, qui s'était faite jeter sans plus d'explications, pour elle, qui avait du quitter quelqu'un qu'elle aimait... Le seul qui s'en était bien sorti, dans cette histoire, avait préféré tout planter après avoir obtenu ce qu'il souhaitait, lui laissant une saveur bien amère dans la gueule et un cœur en miettes.

Et maintenant, elles étaient toutes les deux malheureuses.

Elle hocha la tête, le cœur lourd.
Bien sûr, qu'elle n'avait pas fait tout cela dans le but de peiner quelqu'un, c'était même quelque chose qu'elle avait souhaité éviter : elle ne pouvait, pourtant, s'empêcher de se sentir monstrueuse, parfois, et si mal par ce qu'elle avait fauté. Ce ne serait pas quelque chose qu'elle pourrait se pardonner : pire encore, cet acte devrait rester secret.
Pour ne pas blesser, pour ne pas détruire davantage : il n'y avait aucune raison pour qu'Alexandrine l'apprenne un jour, et c'était sûrement mieux comme ça. Il était inutile de remuer le couteau dans la plaie, par ce qu'il devait être douloureux, de savoir que l'on avait été trompé.

C'était le seul secret qu'elle s'accordait, désormais. Le seul ? Peut-être pas.
Était-ce réellement un secret, de toutes manières ?

Autre chose à dire ?

Elle réfléchit, un instant un peu long, sonda sa mémoire, à la recherche d'autres éléments qui auraient leur importance.

- Rien qui ne me vienne pour le moment. Mais si c'est le cas, je te dirai.

Hollyhock avait encore un travail si délicat à accomplir, pour reconstruire quelque chose avec Alexandrine, tout en ayant conscience que, si l'avenir et, surtout, si la louve crème lui permettait telle chose -au moins, l'amitié-, plus rien ne serait semblable à l'avant. Il y avait des cicatrices qui resteraient, pour elles deux.

- Et toi ? Est-ce que tu as des choses à me dire ?

Holly hocha la tête.

- Pas de soucis, je les ramène !

Elle aurait, honnêtement, aimé passer un peu plus de temps en compagnie d'Alexandrine. Mais c'était sûrement trop demander, pour l'instant, du moins. Alors elle se contenterait d'avoir pu discuter avec elle.
C'était déjà bien.

La louve bleue lança les espadassins sur ses épaules.

- A plus tard.

Son regard accrocha un instant la silhouette de l'ailée, avant qu'elle ne se décide à rentrer au Castel.