Tonton chaotique · Miraj

C’est l’aube, sur sa plage.

Une journée qui commence sans qu’elle ne pressente l'ennui, sachant qu’à elle viendrait de nouvelles occupations. Elle ne connaît que ça, sa plage : mais il suffit d’un élément pour la révolutionner, quand ce n’est un mot apporté par Maman qui agite son esprit et la pousse à la curiosité.
Elle se veut d’abord suivre ce crabe, venu laisser des traces qui n’étaient pas là hier sur le sable mouillé. Jusqu’à remonter à l’animal à qui elle offrira un coup de patte léger pour mieux le retourner, depuis qu’elle se découvrit ce pouvoir que d’influencer ainsi sa vie. C’est un pouvoir tout aussi bien que celle qui offre l’existence en façonnant l’eau. Elle, elle crée pour sa part l’accès à cet Au-Delà qu’elle connaît tout aussi bien qu’ici.
Ainsi, elle le laissera là, lui conférant le statut de parfaite proie pour les goélands. Elle le regarde un instant. Il s’agite, s’évertue à croire en sa vie et en sa qualité de pouvoir survivre. Mais son coup de patte le fit pourtant décider pour lui : il restera sur le dos, jusqu’à ce qu’il ne bouge plus.

Cette attraction lui est pourtant éphémère.
Elle s’en va déjà quérir autre chose.


Elle est une revenue en découverte, dans l’éclat idyllique d’une scène que l’on aménagea pour elle. L’utopie parmi la tragédie du début de son existence, ce qu’elle ne soupçonne pas et prend pour un acquis.
Ceci est sa normalité.
Elle est faite de sable, de vagues dont elle comprend les mouvements au fur et à mesure que les jours passent et qu’elles caressent ses pattes et ensevelissent son corps, de chauve-souris qui sortent la nuit et lui sourient car elles sont ses amis. De crabes, de goélands.
De rencontres. Elle découvre bien des loups de la terre ou de la mer, parfois de la terre et de la mer.
Il faudrait qu’elle en présente une à Maman, un jour. Elle se contente de les garder pour elle, et en parle comme s’il s’agissait d’amis imaginés.

Il faudrait qu’elle en présente une à Mon Oncle, aussi.

« MON ONCLE ! »

Le cri vient du fond du cœur.
Il est deuxième membre de sa famille, au même rang que Maman. Elle ne peut pas dire qu’elle l’aime moins, ni qu’elle l’aime plus : ils sont tous les deux sphères importantes de ce monde qu’elle se construit.

Qu’importe le reste, il lui reste inconnu.

Elle s’enjaille autour de cet oncle sans imaginer ceux véritables. Lui tourne autour en petits sauts, sur le bout de ses pattes elle se propulse à la façon d’une biche. Et soudain ! Elle s’arrête, quand il tombe au sol et disparaît en une myriade d’insectes. Non ! De la poussière.
Elle ne sait pas, elle qui en même temps plisse les yeux et ouvre sa gueule en un petit rire.
Ça n'a pas d'importance, tant ça l’amuse.
Et comme si des millions de fourmis se rassemblent pour ne former plus qu’un seul être, l’Oncle reforme tous ses morceaux animaux qui le caractérisent tant.

Elle n’en a jamais vu d'autres, des comme lui !

« Moi aussi ! »

Bien sûr, qu’elle veut jouer.

Je tiens ça de toi !

C’est ce qu’elle cherche auprès de chaque rencontre, c’est ce qu’elle trouve toujours. Elle exige qu’on l’amuse, et elle s’amuse.

« Ils m’ont montré pleins de jeux, ceux qui viennent de la mer ou de la terre ! »

Vive, elle tourne sur elle-même et revient droite face à lui.

« L’Ombre a fait naître des animaux avec de l’eau, on m’a prit sur son dos pour courir et jouer au destrier, je me suis déguisée en sorcière et en loup à cornes ! Mais je veux qu’on joue à autre chose. »
Ses yeux se plissent.
« Quelque chose de nouveau... »
Les oreilles se dressent et son air s’ouvre.
Elle s’émerveille.
« Je veux jouer dans la neige ! »

Est-ce que tu as déjà fais ça ? Est-ce que tu peux faire ça ?

Ça lui plait, à son Oncle, qu'elle ait faite toutes ses rencontres ! Oh, il en aura vue l'une d'elle, puisqu'il l'en aura protégée. A lui elle ne pense pas à dire merci, mais lui ne lui a jamais demandé de le faire : c'est pourtant grâce à lui, qu'elle est invincible. Et à Maman aussi.
Sa queue se redresse et penche follement à gauche puis à droite, dans des mouvements en désordre. La rose à son extrémité et sa longueur semble la rendre lourde et instable, incapable de tenir bien droite, la faisant forcément vaciller quand elle n'y maintient une résistance suffisamment importante.
La neige est une idée qui lui plait.
On ne lui en refuse jamais aucune.

« OH, ramène en PLEIN alors ! »

Qu'il y ait plus de neige que de sable !
Elle pouffe discrètement, d'un souffle par le nez. Elle tourne sur elle-même, propage son enthousiasme. Elle rit, fort ! Quand son Oncle disparait dans des paillettes qui tombent sur elle comme une pluie fine, disparaissait au travers de ses longs poils. La poussière en tombe de suite, le brillant lui persiste.

Vite vite, mon Oncle, je veux voir la neige !!

Elle croit d'abord à un orage, et aux oreilles droites succèdent son museau pointé vers le ciel d'où elle vient.
Il s'est obscurcit d'un phénomène. Habituel, pour elle.
Pour les autres, bien étrange.
Et elle danse, sur le sable de sa normalité éclatée.
Et elle danse plus vite encore, quand il tombe par grand vent des flocons blancs qui se répandent en épais manteau.

Il l'a fait !

« NEIGE ! »

C'est à son tour de le crier.
Elle bondit vers son Oncle, quand il sort du tunnel. Ce n'est pas lui qui l'intéresse d'abord, l'idée d'aller ailleurs qu'ici est éclipsée par la présence du blanc partout.
Elle y court, bondit ! épuise ses courts membres et prend un peu froid.
Elle continue.

« Moi je sais, que tu peux tout faire ! »
Pas de doute, quant à savoir si cela fonctionnera ou non.

Maintenant elle joue, maintenant elle s'amuse.
Encore, encore !

Il devient tout petit, son Oncle, pour mieux jouer avec elle. On dirait un lapin mais elle n'en a jamais vu, alors il en sera un tout simplement. Elle saute dans ses pas, tourne autour de lui quand tourne autour de lui.
Ça lui donne quelques vertiges, quand il se roule, elle tombe dans la neige et se relève tremblante mais heureuse.

« Oh, oui ! Et même deux, pour pas laisser le premier tout seul. »

Un grand, et un petit. Elle, et lui.
De ses pattes elle rassemble la neige en deux monticules accolées, qu'elle modèle en claquant parfois ses longs crocs. Elle n'a jamais eu aussi froid, glaglah ! C'est un ressenti tout nouveau, elle se sent si vivante au travers de son corps qui tellement s'agite, sans même qu'elle ne le contrôle.
Les spasmes, la douleur de la gelée mordante sous ses coussinets, ne suffisent à avoir raison d'elle.
Elle forme, modèle, assemble.
Colle sur leur visage des petits coquillages pour leur faire un visage souriant.
Elle rit, se rapproche tout contre lui.
Puis la voilà ! Les antérieurs rapprochés du sol et le postérieur relevé.

« C'était mon RÊVE, de jouer dans la neige !! »

Il la comble. Maintenant elle murmure, curieuse.

« Et toi alors, qu'est-ce que c'est ton rêve ?! »

Si on vit, c'est qu'on en a un.

Son Oncle est le meilleur des oncles. Il s'applique avec elle à former les deux bouloups de neige et elle aime la façon dont il claque ses dents pour rire. Clac ! Elle en fait de même, d'une manière fort farouche pour une petite enfant.
Ses longues dents, entre elles, font cependant bruit bien moins important que celui de la gueule de son Oncle. Tant pis ! Peut-être en grandissant, arrivera-t-elle à pareil exploit.

« Oh..! »

Mais voilà soudain que l'enfant doute, quand survient la tristesse chez l'Oncle. C'est l'annonce du rêve, qui le mit dans tel état ? Et si elle s'était trompé, et si il n'en avait pas ?
Elle s'approche du lapin qui dégouline et se répand sur la neige, devient morcellement de poussières en lévitation. Elle tend les pattes et se veut attraper quelques cendres pour les ramener à elle, les oreilles en arrière et l'air désolé. Sensible, à l'état de l'Oncle qu'elle aime tant. Même ses yeux tourbillons ne sont plus que des flaques !
Il ne peut pas tout faire.

« Mais si, mon Oncle..! »

Sa voix est petite, un murmure aigüe qui se meurt entre ses crocs en aiguilles. Elle tend un peu le cou, dodeline sa tête de gauche à droite. Oh non ! Ils ne jouent plus, maintenant qu'il est triste...
Mais soudain

« OH ! »

Le voilà revenu ! Qu'il est beau ainsi formé.

Fier !

C'est mieux ainsi : il a trouvé son rêve et maintenant il vit au travers. Il trouvera comment faire de la neige, sans avoir à aller la chercher au travers de son tunnel ! Et puis... Il veut créer des enfants, plus d'enfants !
La gueule de Miraj reste ouverte, ses yeux braqués sur lui.
Si elle veut des amis ?

« Oui... OUI ! Je veux des amis, des amis qui restent avec moi !! »

Elle bondit soudain, les pattes regroupées sous elle en une parfaite extension. Sa queue et droite et sa gueule ouverte vers le ciel ; un sourire immense sur ses babines et le cœur jaillissant au travers de sa poitrine. Elle le mime un peu, là-aussi, elle s'imagine se recomposer en une forme plus grande que ce qu'elle est.
Enthousiaste, les yeux qui brillent de milles idées de jeux avec ses amis à venir, elle s'approche et pose contre l'Autre ses antérieurs.
C'est pour mieux se rapprocher de ses yeux, étendant contre lui tout son petit corps pour chercher cette tête aux yeux si colorés.

« Mais ! »
Puisque habituée à être entendue, elle reste tout de même...
« Je veux qu'ils ont amusants et jolis, mes amis ! »

Elle ne voulait pas, de n'importe quels amis. Elle voulait des amis parfaits pour elle.

Elle se dresse, applaudit de ses pattes, clame sa joie en des piaillements enthousiastes.
Plus que d'essayer
« Tu vas même réussir ! »

Ceci est prit comme une promesse, Miraj n'oubliera pas.

« J'ai si hâte de les voir ! »

Ils seront beaux ses amis. Ils seront amusants. Ils seront siens et ils feront tout ce qu'elle voudra, elle. Ils joueront longtemps sur la plage et dans la mer, attraperont les crabes et courseront les chauves-souris. Elle serait leur reine, elle l'a décidée, et elle leur montrera tous les secrets de son île.
Sa queue s'agite.
Elle imagine des jeux infinis et les étoiles dans leurs yeux à chaque fois qu'elle prononcerait mot, parce qu'ils écouteront le moindre de ceux-ci. Ils seront avec elle, et à l'inverse des autres qui passaient ici, ils ne la quitteront jamais.
Oui !
Des amis.

Son sourire s'élargit, elle frotte son flanc contre les pattes de son Oncle.

« Tu es le meilleur des oncles, Mon Oncle ! »

Il disparait dans un cyclone et lui laisse le souffle d'une tempête de neige en souvenir.
Elle y jouera, jusqu'à ce que tout disparaisse.
Façonnant d'autres membres d'un peuple imaginé, grande famille qui se constituait sur la Plage.