Everything Stays (ft. Désastre)

La matinée était déjà bien avancée, il faisait beau dehors, les oiseaux chantaient, les fleurs s'épanouissaient et Dough vaquait dans le Castel. Il arpentait ses couloirs en trottinant, l'esprit divaguant. Effectuer des missions de nuit semblaient maintenant être une habitude, à tel point qu'il se trouvait vivre en décalage d'avec ses congénères : se couchant à l'aube pour se lever lorsque le soleil était au plus haut. Mais il lui arrivait parfois de faire l'impasse sur le sommeil, sous l'influence de la vitamine D et de l'adrénaline.
Et aujourd'hui était un de ces jours.

L'Épée n'était donc attendu nul part et pouvait profiter de ce moment pour lui. Trop harassé par sa nuit de chasse puis par sa randonnée jusqu'au temple d'Aka, il préférait épargner à ses muscles une séance d'entraînement.
Alors, pour une fois, il s'autorisait à ne rien faire que de flâner dans cette grande bâtisse, croisant régulièrement des comparses qui suscitaient parfois une curiosité rare et passagère.

Brusquement, le rouquin s'arrêta.
Son regard avait glissé à l'intérieur d'une pièce adjacente au corridor que le loup empruntait pour se poser sur deux figures hautement symboliques.
Les trônes.
Comme attiré par une force surnaturelle, ses pattes se mirent en action de façon automatique jusqu'à ce qu'il y entre.
Ce n'était pas un endroit qu'il avait l'habitude de fréquenter. Pour lui, il avait une connotation pratique : elle existait pour qu'il y rencontre les alphas, pour se voir confier des missions ou pour formuler des requêtes. Rien de plus.

Alors, pourquoi est-ce que tant d'Etelkrus semblaient accorder à ce lieu quelque-chose de plus… Spirituel ? Il n'y avait jamais eu que pour le temple d'Aka qu'il eut éprouvé tel sentiment.
Il faut dire que l'éducation qu'il avait reçu de son père n'y était très certainement pas étrangère.

Soupirant, Dough s'allongea sur le ventre et posa sa tête entre ses pattes avant. Il sentait que la réflexion dans laquelle il s'apprêtait à se plonger serait bien plus épuisante que n'importe quel exercice physique.
Son enfance… S'y était-il seulement arrêté un jour ? Avait-il seulement déjà pris la peine de faire la rétrospective de sa vie ? Comme beaucoup d'Etelkrus, il avait grandi en bon soldat. On lui avait appris à être fort, on lui avait appris à se battre, on lui avait appris à mettre ses muscles à l'usage de la meute.
Il apparut soudain à Dough qu'il était le seul de sa famille à ne pas s'être détourné de ce chemin. Il était, après tout, le seul porteur du glowstick rouge. Elvazio et Solelio avaient rejoint le Corps, quand Cookie et Désastre avaient choisi le rôle de Panseurs… Et Pepper… Pepper…
Le loup releva la tête vers le trône qu'avait jadis occupé son Alpha de sœur. C'était étonnant qu'il ait songé à elle de la même façon qu'il avait pensé aux vivants. Il faut dire qu'il ne s'était pas vraiment attardé sur sa mort, pourtant survenue… Quand ? Il fronça les sourcils et compta sur ses doigts de pattes. Presque un an et demi auparavant… Si longtemps ? Il n'aurait pas cru…
En même temps, est-ce que sa disparition avait changé quelque-chose à sa vie ? La réponse était non.
Bien sûr, elle pouvait paraître honteuse. Parce-que les autres avaient eu l'air si triste. Parce-que le deuil s'était étendu à toutes la communauté.
Et lui n'avait pu ressentir qu'une colère et un sentiment d'injustice qui s'étaient effacés bien plus rapidement que ce qu'il avait lu sur les faces pleines d'émotions des autres lupins.
Dough se retourna pour regarder vers le mur, mal à l'aise, reposant sa tête sur ses antérieurs, les oreilles plaquées contre son crâne. Il n'avait pas envie d'y penser. Il n'était pas obligé d'y penser. Si ?
Il grommela dans son bouc.

Codage par Libella sur Graphiorum

Il ne l'a pas senti. Il ne l'a pas entendu. Il ne l'a pas vu.
Qu'il est difficile de réaliser qu'il n'est pas épargné par les affres de la vieillesse.
En réalité, il pourrait bien rejoindre Pepper très prochainement…
C'est la première fois que cette pensée le frôle. C'est la première fois que l'idée de sa propre mortalité s'impose à lui autrement que dans le contexte d'un combat, que dans le contexte de son rôle d'Épée.
Il mourra un jour et rien ne garantit que ce sera en fier combattant.
Horrible prise de conscience que voilà. Subitement, une douleur aiguë étreint sa poitrine, son souffle se coupe, un râle de douleur lui échappe, ses paupières se plissent et ses muscles se crispent, ses oreilles se rabattant sur son crâne.
Pas maintenant.
Pas comme ça.
La vérité ne peut pas tuer… Si ?

Comme son neveu s'approche, le loup s'efforce de dissimuler son trouble. Il ne peut pas lui imposer ça.
« Elle me manque encore, Pepper. Est-ce que Pomme te manque autant ? »
Non, il ne peut décemment pas lui imposer ça. Pas quand il doit encore vivre avec l'absence d'un être qui lui était cher.
Dough se redresse, se focalise sur sa respiration pour se décontracter au mieux. Mais c'est difficile. Il a l'impression que tout son corps lui est douloureux, quand quelques heures auparavant, il gambadait encore sans soucis.
Il n'y a pas que l'âge, qui lui pèse. Ce qui a finit de l'achever, c'est ce lieu. Ce sont les souvenirs. C'est la réflexion sur ses propres sentiments, qu'il ne peut tolérer.

Le petit… Il doit lui répondre. Il doit être là. Il secoue doucement la tête, tentant de se remettre les idées en place, tentant de se focaliser sur une conversation qu'il n'est pas prête à avoir.
Mais il la doit bien, à Désastre, hein ? Parce qu'il est son oncle. Parce qu'il doit être présent pour lui. Parce-que c'est demandé si naturellement… Parce qu'il te considère comme un pilier, comme une évidence.

Pomme. C'était marrant, il n'y pensait plus que peu. C'était surtout l'image de son père, Nachos, qui l'avait marqué. Et s'il savait bien que Pomme n'avait pas été absente, elle avait pourtant été beaucoup moins présente. Dans ses souvenirs, du moins.
"Nan. J'peux pas dire."
Il avait bien conscience que c'était dur, comme réponse. Alors, il tenta d'argumenter un peu.
"Mais c'est moi, ça. N'est pas tous des brutes sans cœur…"
Il ironisait sans même le savoir, s'appropriant cette image que les autres avaient de lui, et à laquelle il ne pouvait pas croire. Parce-que s'il avait souvent l'air de se battre les reins de tout et de rien, alors qu'il y avait bien des choses qui l'atteignaient. Par exemple, en cet instant, il aurait voulu prévenir Désastre. Que lui aussi allait le quitter un jour, parce qu'il était plus près de la fin que du début.
Il faut croire que Dough avait juste une facilité à foutre le passé sous le tapis et à l'ignorer.
On avançait mieux, comme ça.
Du moins, c'est ce qu'il pensait. Ce qu'il ne comprenait pas, c'est que la douleur n'en était que plus vive quand elle trouvait un moyen de s'exprimer.  

Codage par Libella sur Graphiorum

« Tout le monde a un cœur. »
Une phrase courte qui fait pourtant naître des sentiments contradictoires chez l'oncle de celui qui l'a prononcée.
Une forme de chaleur, de bonheur, de plaisir, de savoir que Désastre est là pour lui. Comme le neveu n'est pas capable de comprendre le second degré, Dough ignore qu'il est tout aussi littéral ici. Et, quelque part, il se sent soutenu, rassuré. Parce qu'il lui semble que le loup face à lui est capable de reconnaître que lui aussi possède et peut faire preuve d'émotions.
De la douleur, aussi. Comme s'il avait été poignardé en plein cœur. Un pincement qui s'empare de sa poitrine pour s'effacer et ne laisser qu'une impression de se noyer. Il ne sait pas d'où vient toute cette eau, mais elle essaye de s'échapper par ses yeux.
Encore assis, le rouquin détourne le regard et plisse les yeux, espérant pouvoir contenir ce qui doit sortir. Espérant cacher le tourbillon de tristesse qui s'efforce de l'emmener vers les abysses de l'éplorement.
Comme si une petite voix lui chuchotait : "Pleurs, Dough, pleurs. Tu verras, ça fait du bien."
Mais cette voix lui est étrangère. Cette voix, ce n'est pas la sienne. Parce qu'il ne s'agit pas là de son mode de fonctionnement. Parce qu'il ne laisse rien paraître, rien sortir, l'Épée, le disciple d'Aka, le vieillard ronchon. Parce qu'il se contente d'encaisser en se disant que tout ira mieux demain.

« …Tu ne sens pas battre le tien ? » 
Il ne s'y attendait pas, à celle-là. Une parole qui achève de rendre ses pensées lugubres bien réelles. Et Dough de se répandre en sanglots en s'abattant sur le sol.
Bien sûr, qu'il le sent. Le cœur, c'est toujours lui qui a dirigé sa vie, bien plus que le cerveau. Sous une couché épaisse de muscles, bien sûr, mais le cœur ne s'approche-t-il pas du muscle, finalement ?
Parce qu'il sait ce qu'il veut et ce qu'il ne veut pas.
Parce qu'il est suffisamment courageux et entreprenant pour s'en saisir.
Et pourtant, pourtant… Il y a des choses qui échappent à son contrôle. Il y a des choses avec lesquelles on ne peut que vivre, sans jamais oublier. Comme la disparition de ses proches…

Tentant de se calmer au mieux, l'oncle adresse un regard en coin à Désastre, afin de percevoir la réaction de celui-ci.
C'est finalement l'aîné qui se voulait présent qui aura cédé le premier.
Il s'en veut pour ça, Dough. Il se serait voulu le chêne qu'on ne peut abattre. Il aurait voulu que ses racines consolident celles de l'arbrisseau en train de pousser.
Quoi qu'à bien y réfléchir, il n'est plus si jeune, Désastre.
Pourtant, Dough ne peut se résoudre à le voir comme un adulte. Pas qu'il ne le considère pas comme accompli, bien au contraire. Mais parce qu'il lui souhaite encore beaucoup d'événements heureux et d'années à vivre.

Codage par Libella sur Graphiorum

Dough n'avait pas quitté sa position allongé, quelque-part trop fatigué, trop faible pour pouvoir se relever. Pour l'instant, du moins. Car l'union faisait la force. Et Désastre semblait bien décidé à panser les blessures de l'Épée : mais cette fois, pas en Panseur. Le rouquin ne se serait jamais dévoilé de la sorte devant un simple Panseur, de toutes façons.
C'était un moment - une épreuve, même - familiale. Et il sembla au guerrier que c'est une bataille qu'ils auraient dû livrer ensemble bien des lunes auparavant. Peut-être qu'il ne serait pas aussi cassé. Peut-être qu'il ne serait pas aussi brisé.
Il savait, pourtant, à quel point il était important de panser ses plaies avant d'être en mesure de revenir à la charge.
Mais il avait pourtant omis de prendre soin des blessures du cœur.

Mais Désastre est à ses côtés et le regarde. Il appose une patte sur son épaule, aussi, pour renforcer sa présence. Alors, il n'est pas seulement à côté de Dough : il est avec Dough. Ils partagent quelque-chose de bien plus fort que l'espace, l'air qu'ils respirent ou même le sang qui coulent dans leurs veines. Ils partagent des événements de vie et de l'affection l'un envers l'autre. Même si ces deux Etelkrus ont une façon bien particulière de l'exprimer.
L'Épée ferme les yeux et sa respiration se fait plus apaisée. Il se sent en confiance et en sécurité, grâce à Désastre.

« Moi aussi, je suis triste sans elles. »
Alors, ils partagent les peines, aussi. Même s'il aura fallu bien du temps à l'aîné pour surmonter l'étape du déni et entrer dans celle de la dépression. Après tout, ne pas être triste, n'était-ce pas une façon de nier la situation ? De nier la disparition d'êtres chers. De nier que plus jamais il n'aura l'occasion de passer du temps à leurs côtés.

« On peut en parler.
...
On doit en parler. »
Dough affiche un sourire triste avant de rouvrir les yeux pour poser ses pupilles sur son neveu. À ce moment, il s'aperçoit que sa gorge est sèche et sa voix enrouée.
"Pour dire quoi gamin ?"
La question est sincère, sans sarcasme. Il n'a jamais été copain avec les mots, le guerrier. Et, face à la fatalité, il se contente généralement de l'accepter, ou plutôt, de l'ignorer. C'est comme ça, on ne peut rien y faire. On peut juste ravaler sa colère et l'utiliser comme moteur pour l'entraînement ou le combat.
C'est la vie.

Codage par Libella sur Graphiorum

« Des moments avec elles. Les moments qui t'ont fait plaisir. Pour les honorer, pour y penser et accepter qu'elles ne sont plus là. »
C'est encore un sourire triste qui vint étirer les babines de Dough. Quoi qu'il ait pu en penser, ils en avaient bien vécu, des choses ensemble. Et son regard de s'assombrir. Parce-que maintenant, ces moments n'appartiendront plus qu'au passé.
À moins qu'on ne les transmette. À moins qu'on ne les fasse vivre.
C'est avec une attitude plus sérieuse que le rouquin accorde son attention à Désastre.
La place des défuntes se trouvait peut-être près des plus jeunes, finalement ? Passer du temps avec la famille qui lui restait, n'était-ce pas faire perdurer leur mémoire ? En leur apprenant peut-être des choses que ses membres ignoraient ? En racontant des histoires ?
Une nouvelle larme roula sur la joue de l'Épée. Il ne prit pas la peine de l'essuyer.
Il en avait marre de se cacher pour pleurer.

« ...C'est fini, mais on peut encore faire ça. Et à force de faire ça, il n'y aura plus la tristesse.
Sinon... Elle reste. Comme le pue dans une plaie non cicatrisée.
...
Je ne veux pas que tu t'infectes. »
Le visage de Dough s'adoucit à son tour. Les premiers mots furent difficiles à encaisser, car l'Épée voyait s'estomper le neuveu et ressurgir le panseur. Mais à entendre la dernière phrase, il avait envie de se soigner, pour son neveu. Pour ne pas lui imposer un fardeau supplémentaire.
C'est tout en se raclant la gorge que l'aîné se redressa.
L'heure n'était plus à la tristesse. L'heure était aux contes et légendes familiales.
Tonton Dough, raconte-lui une histoire.
Il laisse échapper un rire qui sonne un peu faux, comme s'il n'avait pas ri sincèrement depuis longtemps. Comme si la machine était rouillé. Et puis, il avait vraiment soif, là.
"Hum... T'vois, t'n'oncle, m'frère, Cookie ?"
Question idiote, mais il ne savait pas comment introduire son récit. Il se fait la réflexion qu'il devrait passer plus de temps avec Cookie. Ils s'étaient un peu perdus de vue, dernièrement, les jumeaux.
"'Vec li, on f'sait des bonnets pour Pepper. On écrivait nimp' d'sus, puisqu'elle y voyait rien !"
Le sourire qui l'anima fut un peu moins triste. Sa petite queue s'agita un peu.
L'oncle espérait que Désastre ne connaissait pas cette histoire et qu'il saurait l'apprécier. Certes, c'était un humour vaseux, au dépend d'autrui, mais ça n'avait jamais porté préjudice à Pepper, n'est-ce pas ?
"'C'bien une d'seules fois où j'ai écris..."
Le jeu en valait la chandelle.

Codage par Libella sur Graphiorum

« Ah. »
Bon, l'accueil de son histoire ne pouvait pas franchement être qualifié de chaleureux. La queue de Dough cessa de s'agiter.
« Je n'avais jamais compris, pourquoi elle portait... I f*cked your boyfriend. »
L'oncle retrouva un peu d'enthousiasme, content d'avoir pu apporter un peu de lumière sur ce mystère. Il est vrai que ce bonnet était tout de même un détail qui attirait l'œil quand on regardait Pomme. Lui avait le sourire aux babines à chaque fois qu'il le voyait.
« Amusant. »
Un court silence s'installa le temps que Désastre ne poursuive.
« ...J'aimais bien, la voir sortir des fruits de ses oreilles. C'était son don de naissance, à elle, je crois que peu le savaient. Elle les utilisait parfois dans les entrainements dans le noir, pour me surprendre. Ou me les donnait. »
Le rouquin ne parvenait pas bien à imaginer la scène, mais la mention d'entraînements lui réchauffait l'âme. Il avait pu constater que son neveu n'était pas inapte au combat, et comprenait donc que Pomme avait du s'employer à lui fournir une éducation militaire, tout comme Nachos l'avait fait pour lui. Elles les avaient armés.

Dough se lève, s'étire. Il crevait vraiment de soif là et comptait partir en quête d'une flaque d'eau. Libre à Désastre de le suivre ou non.

Codage par Libella sur Graphiorum