C'qu'on oublie ➼ Chausson

Elle s'enfonce, toujours plus loin de vous. Elle ne cherche à vous distancer, pourtant, elle ne semble pas vouloir vous y perdre (Chausson avait raison, fallait lui faire un peu confiance). Elle s'arrête de temps en temps et...finit par se stopper tout court, là, près de ces végétaux sur lesquels tu poses tes yeux.
Des feuilles éparses... Déchirées, tombées, sans que l'automne ne semble être venu ici.
Des troncs dépourvues de leurs écorces, comme si on l'avait arraché... Non. On l'avait forcément arraché, même malade un arbre gardait son tronc.
Un buisson dépouillé de ses branchages, d'une façon qui ne pouvait qu'altérer sa repousse... Quel herbivore, pour ainsi cueillir ?

Tu n'étais pas une chasseuse mais une cueilleuse, toi, justement. Et tu savais de ce fait reconnaitre, c'qui était l’œuvre d'un loup ou d'une souris, d'un lièvre, d'une autre vie.
Les brisures sont nettes, loin des petites morsures éparpillées sur toute une surface ou autour des feuilles les plus basses. Le tronc arraché en morceaux longs et larges, plutôt qu'abimé de façon plus hasardeuses selon les aléas du temps.
Traces de griffes et de crocs plus que marques de plates et longues incisives...
Le tout est malmené, c'est clair.

Les loups étaient trop venus ici. Des membres de ta famille avaient aussi participé à ça.
On avait cueilli, arraché, sans trop faire attention à la façon dont pourrait se remettre cet endroit, à la façon dont les autres espèces dépendantes de ces végétaux auraient pu être impactés. On a mis à mal l'écosystème d'ici, c'est ça ?
Tu détaches tes yeux de tout ça, pour la mater elle.
Elle, et son corps qui tombe aussi en lambeau. Comme ces plantes, près de qui elle se tient.
La coïncidence n'peux pas être ignorée. T'es pas la plus futée, mais quand même ! à côté de ce qui te semble être une évidence, tu n'peux pas passer.

« Vous...Vous dépendez d'ces plantes, 'fin d'ce qui se trouve ici ? »

Tu désignes l'endroit d'un moulinet de la patte. A copier l'état de ce qui a été bafoué, ça n'pouvait être que ça. Et il te vient alors quelque chose de plus grave en tête, là, tout d'un coup.
Quelque chose qui t'inquiète parce que ça fait un peu ref' à la famille, cette notion si importante.

« Eeh, est-ce que vous êtes issu d'une espèce de loup dépendante de c't'endroit, est-ce que vos descendants le sont aussi et peuvent disparaitre comme ça ?! »
Il venait du terrier et il brillait tout comme elle, ton frère, le p'tit Ted... N'était-il pas loup des terres comme vous ? Est-ce qu'il risquait d'perdre des morceaux comme cette meuf ?! Est-ce que le fait d'avoir, alors, ouvert cet endroit ne risquait pas de mettre sa life en danger ?!
My god.
« Aah si c'est l'cas, faut réparer ça, une p'tite taille, quelques plantations..Non ? »
L'angoisse te fait parler davantage, de façon plus rapide.

Plus que de sauver des vies, t'en avait peut-être engagé d'autres.
La tienne comprise.

Son silence est stressant et quoi que dise Chausson à ce moment là, tu n'écoutes pas vraiment. Tes yeux sont braqués sur elle, les cils légèrement froncés, le cœur battant fort. Alors quoi ? Etait-il possible, oui ou merde, de faire quelque chose pour cet endroit ? Ou bien n'était-ce que la pire idée de ta vie, que de déblayer ce chemin...
Tu prends une profonde inspiration.
Et au même moment, la louve brusquement disparait et emporte avec elle ta vision.

Putain, qu'est-ce que c'était encore que ça.


Tu reprends ton souffle, émerge puis
...
A nouveau, un ressenti plus fort.

Et maintenant tu la fixes, le cœur toujours aussi rapide. Parmi les gosses, t'en avais bien reconnu un. Ce que tu dis ce fond en une confidence, un murmure porté au bout des lèvres.

« Vous vous êtes occupé de mon p'tit frère, vous... Vous avez sauvé Ted. C'est ma sœur, qui l'a sorti d'ici, mais c'est à vous qu'il doit sa vie. »

Tu fais un pas vers elle. Il n'y avait rien de plus important que la famille, pour toi, il te prenait désormais l'envie d'aller serrer dans tes pattes ton asperge de frère. Alors, de savoir qu'un de ses membres devaient sa vie à cette étrange louve, à...cet esprit du terrier, ça te forçait au respect (même si tu n'avais pas kiffé, subir ces visions, même si t'étais toujours pas en confiance).
Tu réalisais aussi que ta sœur, que ta mère peut-être aussi, avaient contribué à la fermeture de cet état, même en moindre parti. Pour y être venu un jour, pour avoir prit, même un tout p'tit peu.
Putain.
Tu t'accablais de cette charge, que de devoir racheter leurs erreurs, que de rendre la pareil d'une vie pour une vie.

« Comme vous avez condamné cet endroit pour mieux vous protéger, n'est-ce pas.
...
Et nous, nous l'avons réouvert. »

Tu réfléchis, Agathe. A ce qu'il faut faire. Détruire ce que vous aviez entrepris ?
Quelqu'un d'autre, peut-être un jour, chercherait à rouvrir cet endroit.
C'est ton sang de Licorne qui prend les devants, et face à elle tu inclines la tête.

« Cette idée était la mienne ! Que d'déblayer l'entrée pour espérer sauver les vies coincées ici...'fin, j'm'attendais pas à ce que le terrier puisse être autant en souffrance.
Je peux pas ignorer, le mal qui vous a été fait. »

Car me voilà désormais responsable de votre état, ne vous en déplaise.

« J'aimerais vous aider à aller mieux. »

Et vous remercier, d'avoir gardé sain et sauf Ted. Et obtenir le pardon, pour tous ceux qui vous ont malmenés.

Chaque battement de ton cœur ressemble à un bond violent dans ta poitrine.
C'était comme marcher sur des chardons, que de communiquer avec l'entité, ou l'esprit du terrier, ou tu ne savais même pas son nom. Tu te voulais l'aider, pour les causes protégées ; comme tu t'en voulais rester méfiance, pour cette magie qu'elle possédait et sur laquelle tu n'aurais pu avoir maitrise.
Cette magie qu'elle use sur vous
Tu as un mouvement de recul, lorsqu'un souffle bleuté imprègne tes pattes et y laissent une marque qui reste en surface, un reflet plus qu'un dessin concret.

Et alors que tu veux lui demander
« W-Woh, qu'est-ce que tu nous as fais ?! »
déjà elle s'efface.

Elle vous laisse là.
T'sais pas quoi en penser, sinon que clos resterait ce terrier. Au moins, tu savais les vies sans danger.
Quant à la tienne...
Elle finirait par s'orienter autour de ce terrier.
Tu le comprendrais bien assez tôt, alors que vous vous détournèrent de l'endroit de sa disparition pour prendre chemin du départ.

Tu reviendrais.