Whenever | Prudence

Alors que les Nakhus faisaient le deuil et de leur Bibliothèque et de leur anicenne confiance en tout ceux qui les entouraient, Hedwige devait bien avouer qu'une pointe de culpabilité était née dans son coeur.
Car de son côté, sa vie allait de mieux en mieux.
Et elle avait du mal à ne pas sourire ou exprimer ce bien-être nouveau toute la journée.
Elle découvrait la notion très simple d'être heureux.

Après la mission de construction pour le Spinosaure, Nocera lui avait proposé de devenir son apprentie, ce qui était un honneur assez incommensurable pour son petit coeur de coton. Son père lui avait confié une mission importante auprès des Raeders, qui eux-mêmes avaient eu quelque-chose à lui faire transmettre. Cette confiance que d'autres loups mettaient en elle était un puissant moteur dans sa vie de louve timide, lui donnait l'assurance de servir à quelque-chose pour ceux qui comptaient pour elle.
Et maintenant, elle allait apprendre à lire.

Elle ne s'avouait pas encore franchement que ce n'était pas exactement la lecture qui faisait sautiller son coeur dans sa poitrine à l'idée du rendez-vous qui allait venir. mais le fait était qu'elle y allait avec un sourire qu'elle était incapable de contenir sur les babines, avec le pelage soigneusement épousseté et blanc comme la neige. Les deux dernières fois où elle avait rencontré celle qui serait son instructrif, elle s'était retrouvée le pelage trempée de boue, par les caprices de la météo et par sa propre maladresse. Cette fois-ci, elle tenait à être présentable. Alors elle avait passé un moment à retirer la saleté de ses pattes, à lisser ses plumes épaisses, à rendre soyeux le pelage épais de son cou. Finalement, elle s'était envolée sous un ciel d'un bleu vif, le vent dans le dos, vers la Bibliothèque.

A battements d'ailes prudents, elle contourna la partie brûlée du bâtiment pour planer dans l'allée centrale. Elle tâcha d'éviter au maximum les endroits couverts de suie pour des raisons évidentes, et finit par se poser lorsqu'il commença à être dangereux de battre des ailes au milieu des étagères. Une ambiance moins chaleureuse que lors de ses précédentes visites régnait dans la Bibliothèque, sans doute car même dans les parties épargnées par le feu les larges cheminées n'avaient pas été rallumées. Un frisson secoua la jeune louve, qui s'ébroua et se mit à marcher entre les allées, ses immenses yeux dorés parcourant les rayonnages à la recherche d'une silhouette familière.

"Prudence ?" Appela-t-elle doucement.

À la base, Prudence était propre. Le matin elle s’était lavée (ainsi que sa tignasse qui demandait un certain entretien) avant de traîner du côté des chants de fleurs histoire de s’imprégner de leur odeur. Puis y’avait eu ce passage à la bibliothèque.
Et là…
Prudence nettoyait un peu tous les jours à sa façon. Retriant les livres, dépoussiérant ceux couverts de suie, déplaçant les morceaux de bois carbonisés… ce qui faisait qu’elle retrouvait de nouveau sale. Couverte de suie et de la cendre dans les cheveux.

En entendant son nom, la Licorne redressa la tête, se secouant pour tenter de dégager toute trace de saleté (peine perdue bien évidemment). Serpent jusque-là lové entre le bois brulé se redressa en sifflant menaçant (se faisait de plus en plus irritable avec l’âge). La Licorne s’avança entre les rayons, avant de se retrouver truffe à truffe avec Hedwige. Cette dernière avait grandi depuis leur première rencontre et d’elle se dégageait cette même odeur qu’avait les femelles en cette période.

« — Bonjour Hed’ ! »

La queue nattée remue doucement.
Les yeux mauves fixent sans gêne le corps de la Nakhus, avant de croiser de nouveau les prunelles dorés.

« — Tu t’es mise sur ton trente-et-un dis-moi, difficile d’être propre avec toutes ces cendres ahah ! »

Ce fut d'abord un sifflement qui lui indiqua la direction, puis l'odeur familière de la louve à cornes. Hedwige sentit son coeur bondir dans son poitrail, habitée par une espèce de trac incontrôlable, lorsque la silhouette de Prudence sortit d'une petite allée sur le côté et qu'elles se retrouvèrent face à face. A sa proximité, elle sentit elle le parful caractéristique des chaleurs qui entourait sa congénère. Si c'était une période qu'elle vivait d'ordinaire assez mal, toutes ces choses qui allaient bien dans sa vie lui faisaient mettre tout ça de côté. Elle battit légèrement de la queue et une expression heureuse se dessina sur son visage, illuminant ses immenses yeux dorés. Sa tête rentra légèrement dans son cou dans une petite moue un peu timide - et probablement cocasse sur une louve de sa taille - lorsque Prudence remarqua qu'elle s'était bien apprêtée, et elle répondit un peu nerveusement :

"Oh, je... je ne voulais pas noyer tes livres cette fois-ci."

Ses prunelles se détachèrent un instant de celles de la louve pour aller sur son reptile, qui ne paraissait pas franchement ravie de la voir. Puis elles se relevèrent alors qu'elle ajoutait :

"Tu n'as pas eu de difficultés pour t'intégrer... à la meute ?"

Elle tut soigneusement la joie que lui avait inspiré la nouvelle de sa venue chez les Nakhus - mais elle était certaine que sa mère avait remarqué combien elle avait été d'humeur radieuse ce jour-là, puisqu'elle était presque certaine qu'elle l'avait gratifiée de ces regards un peu amusés et maternels qui veulent dire : je sais tout. Mais elle était de si bonne humeur qu'elle n'en avait pas eu grand chose à faire, et le reste de la journée s'était très bien passé. Depuis, elle guettait chaque occasion de croiser sa nouvelle camarade au dédale ; avec plus ou moins de discrétion.

Tout en écoutant, Prudence continue de nettoyer un peu, repoussant quelques morceaux de bois brûlés, passant sa patte sur les couvertures de livres noircies pour en déchiffrer le titre.

« — Roh tu sais un peu d’eau… ils ne vont pas protester ! »

Ils n’auraient pas protesté au moment de l’incendie.
Un rire amusé à la question.

« — Vous êtes amusant, les Nakhus, à toujours avoir cette question sur le bout des lèvres… »

La griffe de Prudence effleura doucement les babines de la blanche, avant de se reculer avec un sourire, poussant doucement Peter pour accéder au livre sur lequel il s’était couché.

« — … j’essaye encore de trouver un rôle qui puisse me convenir… et convenir à la meute ! Il fait froid ici, je ne dirais pas non à une cape. »

La tête s’incline légèrement.

« — Et toi, tu t’intègres bien ? »

Prenant soudainement conscience que non seulement elle avait interrompu Prudence dans son activité, mais qu'en plus de cela elle ne l'aidait absolument pas et se contentait de la regarder, la louve blanche tira un trait sur son pelage éclatant - après tout, il avait déjà fait son effet, et elle ne voulait pas passer pour quelqu'un de trop inutile ou fainéant - et se mit à l'ouvrage elle aussi. Elle lança un regard rapide aux ouvrages que Prudence époussettait et finit par se mettre à attraper ceux qui se trouvaient non loin, dans une pile un peu informe, et à les répartir en deux colonnes. Celle pour ceux qui étaient simplement salis - du moins en avaient-ils l'air - et celle pour ceux dont les coins, une partie de la couverture, voire même la majorité de leur silhouette avait sûbi d'incroyable dégâts. Le cuir et le papier calciné craquaient désagréablement sous les griffes, soulevait de la poussière, faisait crisser le sol en y déversant le reste du sable que l'on avait utilisé pour étendre les foyers.

Elle remua les oreilles lorsque Prudence rit à sa question, et eut une sorte de petit rire elle aussi quand elle effleura sa babine de la griffe, en un geste taquin et touchant à la fois. Visiblement, Hedwige était loin d'être la première à s'inquiéter du bon accueil qu'avait eu l'ex-solitaire dans la meute. Cela ne la surprenait pas trop, car sa famille était globalement bienveillante, surtout en ces tmps un peu troublés où les liens paraissaient s'être encore resserrés entre eux. Parce qu'ils avaient soudain pris conscience que quelqu'un pouvait juste leur vouloir du mal, parce que certains d'entre eux avaient pris de grands risques dans l'incendie et auraient pu ne pas en revenir. Après tant d'années de paix relative, ou au moins à n'avoir aucune crainte de l'extérieur, cela remuait indéniablement. Hedwige en avait été remuée, même si les choses étaient passées au second plan dans une logique que seul le coeur pouvait comprendre, et pas le cerveau.

Fort heureusement, tout semblait aller... bien ? Pour Prudence. Il n'était pas étonnant qu'lele cherche encore sa place, au moins ne paraissait-elle pas déçue ou préoccupée par le sujet. Les grands yeux d'Hedwige suivirent son mouvement du regard lorsqu'elle poussa son compagnon à écailles pour continuer son oeuvre. Elle lui dit avoir froid, et il était vrai que les terres Nakhus étaient froides. la Bibliothèque, depuis que les feu n'y brûlaient plus, avait elle aussi été rattrapée par ce froid et bientôt, si rien n'était fait pour les rallumer, l'hiver viendra givrer les belles couvertures et le sol de pierre, comme il le faisait avce tout ce qui se trouvait sur leur territoire. Quant à la cape... chez les Nakhus, il fallait un rang pour obtenir celle qui en était le symbole. Toutefois, étant donné la gentillesse de Kerguelen, peut-être pouvait-on se risquer à demander une vieille cape sans broche au moins pour passer l'hiver. L'idée trotta dans la tête de la louve tachetée, et avant qu'elle n'aie pu répondre, la question lui revint en pleine face.

Alors ça, elle ne s'y attendait pas. Elle se figea dans le mouvement qu'elle avait entreprit et une expression surprise se dessina sur son visage. Elle ne sut pas tout de suite quoi répondre, parce qu'elle n'avait pas vraiment réfléchi à la question. Sans doute parce que personne, y comprit elle, ne se l'était vraiment posée. Est-ce qu'on devait s'intégrer dans une meute lorsqu'on y était né ? Elle était partit peut-être un peu bêtement du principe qu'elle était supposée se sentir à l'aise et à sa place chez les Nakhus car c'était là qu'elle avait grandi, là que vivait sa famille - et un peu plus désormais. Elle s'accordait assez bien aux valeurs de la déesse qui veillait sur eux. En bref, sur papier elle n'avait pas vraiment de raison de ne pas s'y sentir intégrée.
Pourtant la réponse ne franchit pas ses babines d'une manière aussi évidente, et après avoir laissé filer un instant, elle répondit doucement :

"je crois... je crois que maintenant oui."

Ses yeux étaient descendus sur ses griffes tandis qu'elle se revoyait dans son adolescence. A cete époque-là, elle se sentait rarement à sa place - trop grande, trop maladroite, jamais au bon endroit. Maintenant qu'elle savait de mieux en mieux voler, une partie de ce poids-là était partie de son coeur. Si seulemetn les Nakhus avaient vécu dans les nuage,s s avie en aurait été autrement plus aisée.

"Il y a toujours le ciel qui a une place pour moi." Ajouta-t-elle en relevant les yeux vers Prudence, avec un air presque amusé.

Puis, ses larges prunelles toujours rivées sur la solitaire, elle ouvrit les ailes et en souleva une pour lui proposer de venir continuer son tri à l'abri de ses plumes épaisses. Elle n'avait pas de cape - et le poil suffisamment épais pour que cela ne lui manque pas trop - mais elle pouvait lui offrir au moins cela.

Hum… Prudence avait remarqué qu’Edwige avait ce côté un peu effacé… celle qui voulait se fondre dans la masse sans trop attirer les regards. Quand on était solitaire, ça ne posait pas de problème, mais la Licorne se doutait bien qu’au sein d’une meute, cela devait être différent… surtout chez les Nakhus où tous semblaient vouloir avoir un rôle à jouer. Aussi, elle ne fut pas surprise pas la réponse de l’ailée.

« — … mais tu n’en es pas sûr. »

La disciple de Moiro conserva le silence un moment.

« — C’est compliqué de trouver sa place. Je suis née solitaire, ma famille toute entière l’est aussi depuis la fin des Lazulis. Pourtant j’ai choisi un autre chemin. Peut-être que toi aussi… tu dois chercher ta voie ? »

Sur terre ou dans les cieux. Quelle importance au final ? Prudence observa l’aile tendue un instant avant de se glisser dessous pour continuer son rangement. Sa patte se saisit d’un live, qu’elle reconnut comme le carnet de l’aventurier lu quelques mois auparavant, lors de ses recherches sur les abominations d’Eldritch. Elle n’avait rien su trouver dans cet ouvrage… et elle n’avait pas poursuivit ses recherches depuis.
Il fallait qu’elle les reprenne.
Mais de ce livre carbonisé, elle n’apprendrait plus rien.

« — Quel gâchis… j’aurais cru que Yurai aurait protégé la source du savoir des terres punk wolfiennes… »

Mais elle ne l’avait pas fait.
Peut-être parce que la bibliothèque n’était pas censée appartenir aux Nakhus ?