Pente [Violette]

± Pente

Le souci est chassé par les mots rassurants de Violette. Pas de complication pour sa blessure. Seul un peu de patience serait nécessaire pour un rétablissement complet. Par contre, ses dernières paroles provoquèrent un regard confus chez la louve. C'était une blague n'est-ce pas ? Il riait. Çà ne pouvait qu'en être une. Il ne pouvait pas sérieusement envisager de retourner au Manoir pour en découdre à nouveau.

Heureusement la bulle de perplexité fut rapidement éclatée. Ce n'était que des mots maladroits. Une maladresse qu'elle accepta d'un clignement de paupières. Et elle passa à autre chose. Kerguelen avait suffisamment côtoyé le mâle pour connaitre certains aspects particuliers de sa personnalité. Il détonait dans les âmes tranquilles qui peuplaient ces terres. Cela ne servait à rien de vouloir changer les gens. Il fallait plutôt apprendre à les connaitre. La tolérance. Valeur de base de leur grande Famille.

Et l'épreuve qui arrivait à grands pas allait lui demander beaucoup de patience et de compréhension. Ouvrir son esprit et plonger volontairement dans le mauvais souvenir du Manoir. Mais c'était un mal pour un bien. Car cela se voyait à son langage corporel que son camarade en souffrait. Elle aussi d'ailleurs. Aucune tâche importante ne l'attendait. La situation était idéale pour surmonter cet obstacle. Pour offrir la Rédemption.

Alors, elle ne chercha plus à avancer. Elle respecta la distance imposée par Violette. Sûrement importuné à cause de ses chaleurs. A son tour, elle posa son postérieur dans l'herbe. C'était mieux, elle était plus stable dans cette position. Les effets de sa roulade finiraient bien par l'abandonner. Sa voix se fit douce pour affronter ce regard revêche. Elle n'était pas là pour se battre avec lui. Mais seulement pour donner et recevoir des explications mutuelles. Pour renforcer leur amitié et ne pas la perdre à cause d'un silence.

"Parlons-en. Crevons cet abcès pour continuer d'avancer, ensemble. Le veux-tu ?"

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Un sourire naquit tel un bourgeon d'espoir sur le visage de son camarade. Elle préférait largement cette expression faciale. D'autant plus qu'il accepta sa proposition. Alors, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Elle aussi devait affronter ce mauvais souvenir. Elle déglutit avant d'ouvrir la serrure  renfermant les sombres images du passé. Elle se fit assaillir par sa découverte d'une scène sanglante en poussant la porte du Manoir. Elle revit sa tentative de dialogue avec l'énorme arachnide. Puis, le point de bascule. Là où tout avait volé en éclats. Ses paupières se fermèrent, barricadant la suite du film mental.

Elle entendit Violette reconnaitre qu'il avait fauté. Elle ressentit sa volonté de se faire pardonner. Mais pour cela, elle devait l'aider. Car son ami devait ignorer où se situait sa faute et ce qu'elle avait engendré dans le cœur de ses camarades. Alors, elle s'ouvrit à lui. Ses paupières laissèrent s'échapper ses iris dorés. De sa voix douce et dénuée de toute accusation, elle lui offrit ce qu'il s'était passé dans son cœur, à elle.

"J'ai été blessée de te voir contredire ma décision. Dans un autre contexte oui, nous aurions pris le temps de chacun apporter nos arguments respectifs. Mais, c'était une situation particulièrement tendue. Un choix difficile qui ne s'adressait qu'à moi malheureusement. Je pensais naïvement que la confiance absolue que je porte en chacun d'entre vous était mutuelle. J'oublie parfois que le monde n'est pas aussi beau que j'aime me l'imaginer..."

Elle lâcha un petit soupir. Fatiguée de ses propres erreurs de jugement, de sa candeur qui la caractérisait tant. Et surtout, comment pourrait-elle répondre à l'invitation d'Ajani, si elle n'arrivait pas à gagner la totale confiance de ses pairs ? Sa nomination au rang de Couturière n'aurait-elle pas dû être une preuve que sa famille pouvait se fier à elle ? Qu'elle était fiable ? Non. Il fallait toujours continuer à travailler dur. Être présente pour chacun, jour après jour. Se tuer à petit feu à la tâche.

"Mais depuis, j'ai compris que ta réaction avait été déclenché par mon choix. Que j'ai une part de responsabilité moi aussi."

Qu'elle avait été comme le comburant qui avait déclenché le feu de Violette. Parce que lui et Umaïma n'avaient pas eu toutes les informations. Parce que c'était sûrement la première fois qu'ils assistaient à une dialogue avec une Araignée. Là où l'expérience avait été bénéfique pour Kerguelen, son manque avait été désastreuse pour le mâle. Il était l'heure de lui apporter des réponses. Mais avant, il fallait surtout lui laisser le temps d'assimiler ses paroles et de s'exprimer à son tour. C'était une conversation à deux.

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Elle ne put empêcher son cœur de se pincer en apprenant que Violette l'avait pensée capable de laisser mourir l'un des siens. Elle s'en doutait un peu, au fond d'elle. Mais l'entendre dire à voix haute faisait mal. C'était une image d'elle qu'elle détestait, car fausse et terriblement contraire aux valeurs qui guidaient sa vie. Elle n'était pas comme çà. Sa tête se balança doucement de la gauche vers la droite.

"Jamais je ne sacrifierai l'un de vous. Que ce soit mon compagnon ou toi. Vous êtes ma famille. Je vous aime."

Un sourire sincère accompagna ses mots. Elle aurait même aimer le lui prouver par un câlin. Mais ce n'était pas la meilleure période de l'année pour des contacts tactiles et innocents avec les mâles.

Rien ne changerait le fait qu'elle vivait pour eux, pour sa meute. Elle consacrait chaque minute de son temps pour leur apporter soin et amour. Un peu comme une mère en fait. Aimante et tolérante. Bien trop clémente aussi.

"Et si un jour j'ai la malchance de me retrouver confrontée à cette horrible situation, je choisirai sans hésiter le même destin que Maman. Je t'en fais la promesse, Violette !"

Sa patte vint frapper le sol, tandis qu'une lueur déterminée alluma son regard. Elle ne fuirait pas. Si le seul choix possible était de laisser s'éteindre une vie, elle offrirait spontanément la sienne. Parce qu'elle avait moins de valeur. Parce que les autres comptaient bien plus à ses yeux.

Et c'était pour çà, qu'elle souffrit en silence de voir son ami se rabaisser. Elle voulait le voir s'élever et prendre confiance en lui et en ses capacités.  

"Oh, ne te sous-estime pas. Tu ne possédais pas la même expérience que moi avec les Araignées. Tu ne pouvais pas non plus savoir que nous n'aurions pas réellement été séparés avec Lestat. Tu n'as fait qu'écouter ton cœur et çà je peux le comprendre."

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Elle ne put ignorer qu'il avait quand même l'air assez chamboulé pendant qu'elle répondait. Cette histoire lui pesait vraiment sur le cœur. Elle avait bien fait de l'inciter à en parler. Pour enlever tous les non-dits et repartir sur une base saine. Pour un retour à une sérénité d'esprit mutuelle. Pour ne plus voir ces sentiments tristes dans le regard de son ami.

Voilà, elle préférait ce sourire qui venait étirer ses babines. L'amusement ressemblait à de la joie. C'était bien mieux que la culpabilité.

A sa promesse, elle pencha la tête sur le côté. Chaleur dans son être. Elle était heureuse d'apprendre qu'il ne douterait plus d'elle. Cela chassait sa crainte de ne pas être suffisamment à la hauteur pour les siens. Même si elle continuerait de travailler sur elle-même pour devenir une meilleure personne.

Les mots n'étaient pas nécessaires pour cet échange presque solennel. Ses yeux dorés étaient comme un livre grand ouvert. Elle lui offrait naturellement sa confiance. Elle ne douterait pas qu'il tiendrait sa parole.  

La suite de la discussion l'étonna. Agréablement. Violette n'avait pas gardé rancune envers les Araignées. Par sa volonté de rédemption, il montrait qu'il avait ouvert son esprit à leurs différences. Et çà, çà ne pouvait que faire plaisir à la Colombe. Créant une pointe de fierté qui se traduisit par un grand sourire. Ce comportement se rapprochait beaucoup de ce qui était attendu d'un Disciple de la Corneille.

"Je suis heureuse d'entendre un tel projet ! Il m'est difficile de répondre à ta question. La première chose qui me passerait par la tête serait des insectes. Une montagne d'insectes vu leur taille."

Ou des insectes géants. Comme ceux qui vivaient dans le Monde Oubliés. Mais jamais elle n'accepterait que Dame Libellule et ses congénères soient traquées et blessées par sa faute. Ce n'était pas du tout une bonne idée.

"Ou peut être quelque chose qui rappellerait la forme de leurs toiles ?"

Une œuvre qu'il aurait créé de ses pattes pour rendre hommage à leur habilité et à la beauté de leurs créations. Du moins, c'est ce que ferait la Couturière. Après, elle ne les avait pas assez côtoyées pour vraiment les connaitre. Elle respectait bien trop leur territoire et leur envie de ne pas être dérangées.

"Je pense qu'il leur faut surtout du temps. Rares sont les loups à se comporter correctement avec elles. Qu'importe le cadeau que tu leur feras, il portera ton odeur. Elles verront tes efforts. Ce sera difficile de gagner leur confiance et leur pardon, mais déterminé comme tu l'es, tu réussiras ! Et si tu rencontres des difficultés, je suis là !"

Prête à le soutenir et à l'aider dans sa tâche. Comme tout bon Nakhu. Comme une amie fidèle.

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Elle laissa éclater un petit rire devant tant de démonstration d'enthousiasme. Pas du tout importunée par ce contact physique soudain. Bien au contraire. Violette réagissait comme... un petit frère ? Elle ne savait pas si ce terme était le bon. Elle n'avait jamais eu de fratrie. Mais çà ressemblait à ce qu'elle avait pu apercevoir chez les enfants d'Eva.

Peut être qu'elle avait tort ? Qu'était-il réellement pour elle ? Elle chassa cette question de son esprit. Elle n'aimait pas qualifier ses relations. Son amour était sans limite. Elle laissait aux autres le choix de décider comment eux, l'aimait. Et elle se pliait à leurs désirs.

Elle savoura l'instant présent. L'ambiance légère et gaie. Noyant l'évocation des mauvais souvenirs du Manoir. Tout avait été dit et avoué sur cette histoire. Elle ferait dorénavant partie du passé.

Son cœur battait si fort. Elle était tellement heureuse d'avoir pu l'aider, d'avoir pu éclairer son chemin vers la Rédemption. Qu'il était doux ce sentiment d'avoir pu être utile, d'avoir accompagné l'un de ses amis plus près de son propre bonheur. Cette journée était merveilleuse.

L'âme blanchie, elle rendit sa salutation au mâle. Visage rayonnant comme le petit Soleil qu'elle essayait d'être. Elle ne le retiendrait pas plus longtemps. Elle le laissait volontiers courir vers la voie du Pardon.

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