Quand la bulle éclate [Ft Teddy]

« Quand la bulle éclate »

Elely & Teddy

Lorsqu'elle avait repris complètement conscience, son corps était recouvert de bandages un peu partout. Au cou, à l'épaule, à la patte, sur le flanc.. Bien que les soins avaient été prodigués, les brûlures persistaient et c'était difficile de savoir si elles étaient atténuées grâce à eux ou simplement parce qu'elle s'y était habituée. Elle ignorait depuis combien de temps elle était restée inconsciente car la plupart du temps lorsqu'elle parvenait à ouvrir les yeux, elle retombait dans son sommeil quelques secondes après. Cette fois-ci elle avait réussi à se lever, bien que ses muscles étaient encore à moitié pétrifiés. Elle s'était assise au bord de la roche sur une grande ouverture qui donnait une belle vue sur les montagnes et les forêts alentours. Elle ignorait qu'il s'agissait en réalité de la tanière des anciens Alphas Lazulis. De sa grand mère Morrow.

Un vide béant lui rongeait la poitrine et elle sentait toute la colère retomber en une tristesse inconsolable. La raclée qu'elle s'était prise lui avait au moins servit à relâcher la pression et elle pouvait désormais se libérer de cette plante qui étranglait son palpitant. Les larmes se mirent à couler, incessantes, et creusèrent des cillons sur son visage fatigué. A chaque sanglot son souffle se coupa et elle suffoqua tant sa peine était difficile à sortir. Mais il le fallait. Il fallait que ça sorte une bonne fois pour toute. Comme si on venait d'éclater la bulle gigantesque de toutes les larmes qu'elle avait retenue depuis sa naissance et que tout se déversait enfin hors de ses yeux. Pour la première fois de sa vie, elle faisait acte de faiblesse et laissait tomber le masque.

Tant qu'il n'y avait personne pour la voir, elle pouvait se le permettre.

Elely

C'est si étrange de pleurer. C'est si désarmant de se mettre dans un tel état toute seule. Elle ne comprenait pas pourquoi ses yeux crachaient autant, ni pourquoi elle se sentait aussi vide, aussi désemparée. Était-ce ça la dépression qu'elle avait lu dans les livres ? Cette maladie émotionnelle qui rendait faible et pathétique et qui conduisait les êtres vivants à leur propre fin ? Peut-être qu'elle en était contaminée. Et alors, comment ça se soignait ce genre de connerie ? Dans ses romans les histoires finissaient presque tout le temps bien. Son histoire à elle finira-t-elle aussi bien ? Pourra-t-elle vraiment vivre quelque chose d'aussi joyeux un jour ? Elle était rongée par le doute et surtout, les idées noires continuaient de la tirer vers le bas et de la rendre pessimiste.

Je suis qu'une idiote incompétente. Je n'ai pas été à la hauteur. J'ai perdu lamentablement.

Ses griffes se plantèrent dans la terre alors qu'elle repensait à son combat désastreux.

Je n'ai même pas réussi à la déstabiliser.. Pathétique petite Elely.

Elle s'imaginait déjà le regard déçu de mère qui lui tournait le dos.

Je ne mérites pas un sang aussi pur. Je ne mérite pas une famille aussi noble.

D'un coup de griffe elle s’arracha un bandage sur la patte et appuya sur la plaie encore fraîche et rouge, savourant la sensation de brûlure comme une punition méritée.

Je suis faible. Je ne mérite pas de ..

La voix grave et grisée de son oncle la fit sursauter et elle reposa immédiatement sa patte au sol. Elle s'essuya rapidement le visage en reniflant un grand coup pour reprendre ses esprits. Le sang s'était remit à couler de sa plaie mais elle fit comme si de rien était, la tête tournée vers les montagnes avec un regard chargé d'amertume. Elle était reconnaissante bien évidemment de ses soins, de son aide, mais elle avait beaucoup trop honte pour oser lui adresser un mot ou même un regard. Pire encore fut la sensation qui la traversa lorsqu'elle sentit son regard paternel se poser sur elle. Elle avait envie de fuir loin, loin de toute cette pitié.

La boule dans sa gorge était trop grosse, trop sèche pour qu'elle réponde. Comme si elle avait avalé du sable ou un cailloux et que sa voix s'était éteinte, écrasée par le poids de son échec. La salive lui manquait, elle sentait son cœur battre beaucoup trop vite et elle avait de plus en plus chaud. Elle tentait encore de se retenir en serrant les crocs, Elely, mais cette fois-ci c'était bien plus difficile avec la présence dégoulinante de compassion de son oncle. Les barrières s'étaient déjà effondrées, c'était une lutte perdue d'avance, encore. Et les larmes se remirent à rouler comme des diamants, silencieuses, sur ses joues creusées.

Pourquoi.. Pourquoi je n'arrive pas à m'arrêter ?

Elely

Sur son visage à l'allure fière pouvait s'y lire une lutte bouleversante, des sanglots retenus par des grimaces convulsives aussitôt balayées pour revenir à une expression calme dont seules les larmes continues troublaient la sérénité. Elle sentit les gestes délicat de son oncle qui replaçait son bandage sans un bruit et elle força son corps à retenir les tremblements qui l’habitaient. Ses paroles moralisantes glissèrent dans ses oreilles et firent leur chemin jusqu'au cœur d'Elely, pour le serrer un peu plus à chaque mot prononcé. Ses mâchoires paralysées se crispèrent davantage et elle sentit une nouvelle vague dévastatrice monter dans sa poitrine, puis dans sa gorge, ses tempes.. Et elle déborda de ses yeux avec plus d'ardeur, saccadant son souffle en un sanglot qu'elle ne pouvait étouffer complètement. Elle détourna sa tête à l'opposé de son oncle pour lui épargner ce spectacle désolant mais c'était trop tard. Elle s'effondrait, de nouveau, dans un concert de gémissements et de hoquets incontrôlés.

Pourquoi.. Pourquoi c'est si douloureux..? Souffla-t-elle difficilement d'une voix accablée.

Comment mère fait-elle pour rester aussi forte, aussi impassible? En cet instant, elle mesurait toute la grandeur de sa mère rien qu'à imaginer sa douleur et la lourdeur de son masque porté au quotidien. Elle, à côté de la rose épineuse que représentait la prêtresse, n'était rien d'autre qu'une fragile petite fleure qui essayait de grandir dans son ombre. C'est ainsi qu'elle se voyait : pitoyable, faible, indigne de l'amour d'une mère aussi grande.

Comment tu fais pour être aussi fort.. Comment.. tu fais pour ne pas t'effondrer en y repensant ?

Elle finit par le tourner vers son oncle, son regard, et ses prunelles noyées se logèrent avec une tristesse déchirante dans les siennes. Un visage d'habitude si souriant, aujourd'hui détruit par le désespoir et le tourment.

Iel me manque tellement.. Et Méridor aussi.. et père.. Ils.. Ils ne reviendront jamais..

Pourquoi est-ce si dur d'accepter de voir partir un être cher ? Pourquoi les regrets m'assaillent ? Alors que leurs visages apparurent dans son esprit ses babines se levèrent sur ses crocs dans une grimace figée, et sa tête se baissa, raide, pétrifiée par une nouvelle vague qui l'asphyxiait. D'un geste inhabituel de sa part elle vint aplatir son front contre l'épaule de son oncle et au bout de quelques longues secondes, sa respiration revint brutalement, comme si elle relevait la tête de l'eau de justesse avant la noyade. Elle écrasa un peu plus son visage dans le poil du seul être paternel qui lui restait pour y étouffer ses crics et l'imbiba de toute sa désolation.