Messagère funèbre [Libre]

± Messagère funèbre

A nouveau elle voit le monde d'en haut. Un privilège donné à peu d'élus. Encore moins à ceux non dotés d'ailes. Mais le temps n'était pas l'extase. Non, il était plutôt au chagrin. A ce cœur alourdi par la peine. A ce devoir de partager cette tristesse à d'autres. Et de parfois contaminer d'autres congénères par ce sombre sentiment. Mais cette nouvelle, bien que mauvaise, les Nakhus ne pouvaient pas la garder pour eux. Parce que Lewis était la mercenaire d'Aka. Du Dieu Rouge. La meute pour laquelle elle offrait ses services méritait d'être prévenue.

Alors, par sa grande vitesse, cette tâche lui était revenue. Sous sa forme d'aurore boréale, elle avait avalé les kilomètres, jusqu'à apercevoir les prémices des frontières. Le tapis sans fin d'herbes sanguines. Un lieu pas du tout choisi au hasard. Choisi pour sa couleur qui rappelait l'allégeance de sa cousine. Un symbole. Choisi également pour son côté pratique, car elle n'aurait pas à attendre trop longtemps avant d'être repérée.

Elle perdit de l'attitude jusqu'à flotter à quelques centimètres du sol. A ce moment-là, elle cessa d'utiliser son don. Pour ne laisser qu'une louve bien mortelle derrière ces voiles lumineux. Petite silhouette dont la force résidait en sa foi et son amour.

Son regard doré parcourut l'étendue rougeâtre. Des bribes de souvenirs remontèrent. Elle se rappelaient ses premiers pas dans ce paysage. C'était à l'occasion de sa mission ambassadrice. Dame Pepper et Dame Anette. L'alliance obtenue. Il y a des années de cela. Le temps passait si vite.

Elle ajusta sa cape. Il faisait beaucoup plus chaud ici que chez elle. Elle respecta sagement le tracé olfactif des limites du territoire Etelkru. Elle n'avait pas besoin d'hurler et d'inquiéter inutilement les habitants. Elle savait que les patrouilles étaient fréquentes. Patiemment, elle attendrait.

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Les minutes s'écoulèrent doucement. Puis une heure passa. Suivie d'une deuxième. Çà commençait à devenir long pour une meute qui défendait ardemment ses terres. Où étaient donc les patrouilles ? Avaient-elles changé leurs chemins de ronde ? Pourtant, là où se portait son regard, des empreintes fraiches étaient visibles. Le marquage des frontières était lui aussi frais. Que se passait-il ? Leurs voisins avaient-ils des soucis qui les tenaient loin d'ici ? Qui avait nécessité l'emploi de toutes les pattes disponibles ? Ou n'était-ce qu'un signe de changement des mœurs ? Ou un simple manque de rigueur ?

La Colombe ne savait que penser de cette absence bien inhabituelle. Il faut dire que cela faisait un petit moment qu'elle n'avait pas croisé l'un de ses habitants. Toujours cette petite déception d'avoir vu leur collaboration du Grand Nord se faner avec le temps. Elle avait bien essayé d'en croiser un lors de ses nombreux voyages pour la récolte de plantes médicinales. Mais à chaque fois, elle n'avait rencontré que la solitude. Les terres libres ne semblaient pas les intéresser. C'était dommage car c'était de parfaits lieux pour des rencontres uniques.

A force de rester assise à attendre, elle avait attrapé des fourmis dans les pattes. Elle se retrouvait obligée de se mouvoir. Ce n'était pas une sensation agréable. Mais seul le mouvement saura faire fuir ces picotements. Elle se mit à sautiller de son côté. Pour chasser plus rapidement cet engourdissement. Elle ne pensait vraiment pas devoir patienter aussi longtemps. Autant s'aventurer le long de la frontière. Elle aura plus de chance de trouver une âme.

Avec ses petits sauts, elle suivit la barrière olfactive. Sans jamais l'enfreindre. L'esprit un peu moins tranquille à cause de cette étrange sérénité.

Mais voilà que ce coin de pays ne lui était pas familier. Elle ne connaissait pas ses dangers. Alors, elle ne put bloquer un jappement de douleur lorsqu'après un bond, l'un de ses coussinets entra au contact avec une boule piquante. Bien cachée, tel un piège. Elle ramena bien vite sa patte à elle. D'un coup d’œil elle l'inspecta. Pas de gros bobos. Un peu de sang là où elle avait été piqué. Elle était d'un poids suffisamment léger pour éviter qu'une épine ne s'enfonça profondément dans sa chair. Mais les coussinets restaient une zone du corps sensible. Alors, çà faisait mal.

Elle décida de faire une pause. Personne ne l'attendait. C'était plutôt le contraire. Elle vint délicatement lécher sa mini blessure. Toujours prudente lorsqu'il s'agissait de soins. Même Couturière, son âme resterait celle d'une Sortcelière. Prendre soin des autres, c'était l'essence même de son existence. Mais là, la voilà devenu sa propre patiente. Ce qui fit monter un petit rire dans sa gorge. Peu rancunière elle jeta même un regard curieux à cette baballe plein d'épines. Quel étrange objet dans une plaine d'herbes rouges. Un peu incongru. Comme sa présence d'ailleurs.

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Finalement, sa pause fut écourtée par l'arrivée soudaine d'une congénère. Enfin quelqu'un ! Et impossible de se tromper sur son appartenance. Ce rouge luisant ne pouvait appartenir qu'à une Disciple du Grizzly. Plutôt que son allure imposante, voire dominante, ce fut son visage qui attira l'intérêt de Kerguelen. Un minois qui lui était familier. Elle fouilla dans sa mémoire.

Ses moments partagés avec des Etelkrus étaient suffisamment rares pour rapidement trouver ce qu'elle cherchait. Cette louve avait fait parti du petit groupe hébergé sur leurs terres. Avant l'incendie. C'était même elle, la Couturière, qui les avait accueillis et guidés jusqu'à l'Oracle. Alors, son nom ne lui était pas inconnu. Il venait de lui revenir, accompagné du souvenir. Ne perdant pas son attitude douce et bienveillante, elle la salua à son tour.

"Bonjour Epée Sakura."

Un peu de protocole ne faisait pas de mal. Elle ne pouvait se permettre d'être aussi familière qu'avec les siens. Pas dans ces circonstances où son cœur était encore enserré par son chagrin.

Elle reposa sa patte égratignée sur le sol. Çà piquerait encore un peu, mais rien d'handicapant. Elle restait une louve habituée à marcher sur de longues distance pour dénicher la plante qui lui fallait. Et puis, elle préférait avoir tous ses appuis pour délivrer le sombre message. Un peu de courage.

"Je suis venue annoncer la disparition de l'une de tes Sœurs de Foi. La Mercenaire Lewis n'est plus. Elle nous a quitté hier soir."

Son sourire disparut, remplacé par une flamme de tristesse dans ses iris. La Mort n'était jamais quelque chose de simple à accepter. Et pourtant, il fallait bien offrir cette mauvaise nouvelle à la deuxième famille de sa cousine. Parce qu'elle avait peut être des liens au sein des Etelkrus. Elle avait bien lié sa vie à Aka. Un acte si important.

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Elle fut touchée par ce bref geste de soutien. Un geste qui montrait que malgré leur clan différent, elles restaient des louves avec des cœurs. Proches malgré tout. Un léger sourire de remerciement monta sur ses babines. Elle n'avait pas la force de faire plus. Ce ne serait que mentir.

Le difficile message avait été transmis. Nulle question n'avait été posée. Son travail s'arrêtait là. Sa mission avait été accomplie. Cette nuit, elle pourra essayer de trouver le sommeil avec une âme un peu plus allégée. Lewis ne serait pas oubliée. Tous auront une pensée pour elle.

"Sa dernière demeure sera le Cimetière. Si vous souhaitez lui rendre un dernier hommage, n'hésitez pas. Je serai là pour vous accompagner."

Car leurs frontières n'avaient jamais été imperméables. Il était impossible de claquer la porte à des museaux dans ce contexte si particulier. Sur ce point-là, elle s'accordait parfaitement avec Ajani.

"Je dois rejoindre les miens. Ma journée n'est pas terminée. Merci Sakura. Qu'Aka te garde."

Qu'aucune mauvaise nouvelle ne frappa à nouveau les Etelkrus, c'était tout ce qu'elle leur souhaitait. Tout était si chamboulé actuellement. Bien trop flou. Si emmêlé. Si compliqué.

Sur un dernier signe de tête, la Colombe changea son apparence. Elle quitta sa forme terrestre pour celle des Lumières. Cherchant inconsciemment à apporter un peu de couleurs dans ce monde si gris.

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