Elle regarde l’océan et la brume qui y monte, le ciel est orange et la lune se dévoile.
Son poil est trempé d’eau et d’embruns, Miraj revient du continent pour la énième fois. Elle qui peut encore plonger dans les ombres et se permettre telles promenades, ce don pourtant ne saurait se perpétuer. Elle le sait bientôt épuisé et se désole d’une telle perte.
De se savoir bientôt grandit lui passe pourtant cette déception, acceptant d’en avoir si bien profité après tout.
Bientôt.
Le zénith de cette douzième pleine lune, qu’elle contemple sans un bruit, marquerait son passage
d’enfant à
pleine adolescente. L’idée la fait sourire, que de se savoir presque femelle. Elle sent monter, plus que ce jour manquant pour concrétiser
un an de vie pour
cinq ans d’existence, des hormones nouvelles et des sensations accaparantes. Plus que la rose et la mort, s’élève de façon fort farouche l’odeur des envies auxquelles elle se laisserait un jour tenter, par curiosité tant que par le besoin de donner la vie au travers du corps mort.
J’eus comme plus grand regret de t’avoir si mal porté.
Il devint envie quand je vis Hedwige attendre mes chères sœurs.
Elle s’est dit que lorsqu’elle serait grande, elle deviendrait maman.
L’envie est restée, elle est désormais grande. Cette pensée bien que fugace se veut pourtant être première.
Bientôt.La lune continue son ascension et elle lui tourne enfin le dos, lorsqu’elle la sait au-dessus d’elle.
Ses pas sont sereins, elle ne craint pas ce qui l’attend demain.
Tu ne soupçonnes pas le réel bouleversement qui t’attends pourtant.
Elle pense à ce qu’elle fera de son nouvel âge plus que du changement que celà lui apportera. Au-delà d’enfants qu’elle désire un jour,
plutôt d’une grossesse dont elle profiterait tant, elle veut poursuivre ses découvertes sur la contrée des vivants. Elle veut sentir sous ses pattes le sable du désert, sans doute de nuit pour que le soleil ne brûle sa peau et ses yeux, ainsi que la glace des contrées gelées.
Avant d’être mère, soyons aventurière, elle veut explorer ce qu’elle n’a pas encore vu de ses yeux de vivantes mais tant observer de Là-Haut.
L’envie persiste à vouloir s’amuser,
le désir d’apprendre se fait quant à lui de plus en plus fort. Un besoin de s’enrichir qu’elle n’eut satisfait et qui se révèle à l’aube de sa première année, elle doit savoir un peu plus.
Tu es fille intelligente, tu l’as toujours été.
Elle irait chercher les runes évoquées avec la Dame Noire, elle s’en irait découvrir leur signification et leur usage.
Pour en faire quoi ?Nous nous permettrons d’assurer ta protection.
Vous étiez tant à posséder des fragments d’armure qu’il m’en faut une aussi.
L’envie est créatrice. Comme lorsqu’elle enfile des coquillages autour d’un fil, après les avoir percé d’une dent, elle veut créer davantage. Elle veut se parer sans doute d’argent, étinceler sous une coque protectrice gravée de préceptes connus d’elle. Elle veut qu’il reste sur son corps et en ce monde, même après sa mort, des objets qui à jamais lui succèderont.
Nous y réfléchirons, ma fille, nous te rendrons plus brillante que tu ne l’es déjà.
Il faut que l’on me remarque !
Et dans cet avenir qu’elle se
forge, dans ses envies qui se dressent et l’oblige à une longue vie pour tout accomplir, vient celle nouvelle et sinueuse.
Tu auras envie de devenir. Tu auras envie de pouvoir.
Elle plisse les yeux et se sent anormalement fatiguée.
Peut-être est-ce l’eau dans son poil et l’air frais qui s’unissent pour la faire tomber malade, au travers de ce frisson qui parcourt tout son dos. Elle n’y a prêté que trop peu d’attention, fusse peut-être un état gardé latent qu’elle ignora au dépend d’un moment ou d’un amusement.
A petit trot rapide, elle traverse la plage pour se rapprocher des palmiers et de l’orée de la jungle. Elle s’en va s’allonger au fond de sa cahute, de celle qu’elle se fit lorsqu’elle prit une forme plus avancée d’indépendance et que lui vint l'idée d’un jour partagée une nuit avec son mari. Elle lui permettait aussi plus ample exposition pour ses beaux objets et ses tentures, se créant temple plus digne que celui d’un dieu sur cette plage, affichant ses possessions et lui offrant accès immédiat à toutes celles-ci.
Ce changement avait été fait sans transition ni hésitation. Elle n’avait été que peu dépendante de maman, souvent absente ou occupée bien que toujours aimante, trouvant vite plaisir à ses voyages faits jusqu’à croiser une rencontre nouvelle ou connue. De façon plus générale, elle n’avait été que peu dépendante des adultes, trouvant auprès d’eux un certain amusement ou bien un enseignement, plus qu’une discipline ou qu’une quelconque limite...
Le froid persiste.
La jeune louve glisse autour de ses épaules une cape épaisse faite de deux tissus assemblés.
Ce soir, il lui vint pourtant l’envie de ne pas dormir seule.
Me voici presque malade !
Je l’étais si souvent.
Elle ne le fut guère durant tout ce temps, du moins pas assez pour nécessiter le moindre traitement. Elle s’épargna de tout, et aurait souhaité poursuivre ainsi.
Ce fut sans compter cette mauvaise saison, aux couleurs chatoyantes et aux odeurs délicieuses d’humus. Ce fut sans compter sa fragilité, poupée de porcelaine qui se para de quelques épines pour mieux résister.
Une lamentation et les oreilles en arrière, elle s’allongea sur sa couche. Elle ne trouve plus la force de quérir l’attention d’une des membres de cette famille recomposées, pas même d’attendre que la lune soit le plus haut pour s’entendre souhaité son anniversaire tant attendue.
Là où j’aurais eu toutes attentions !
Le cri aigu de l’amie Aurore, chauve-souris de la plage, ne fut lui-même suffisant pour la faire se lever.
Elle lui souhaitait un bon anniversaire.
Miraj, déjà, se voulait endormie.
…
Minuit passe et ta fièvre monte.
Tu as rencontré tant de loups, qui surent te combler d’instants ou d’amusements. Il est indéniable que tu es sociale, et désormais tu te rendras exigeante.
Tu as compris par usage quels étaient les mots qui permettent d’obtenir, par un sourire et un merci il t’est possible de combler tous tes besoins, ayons la possibilité d’être manipulatrice et opportuniste.
Tu ne fus pour autant dépendante, à l’inverse pour cet investissement manquant auprès de toi, développa si vite une si forte indépendance, tu es une femelle libre en devenir, où l’ordre est un choix que tu fais.
Tu t’es faite quelques amies, tu es tombée amoureuse, tu as eu des sœurs et tu as renoué avec ton sang, tu as rencontré quelques gens idiots mais tu n’en détestas qu’un, aujourd’hui tu aimes ou tu détestes avec plus de générosité.
Tu as goûté aux initiatives et à ce que tu peux faire, à l’impact que tu peux avoir sur d’autres que toi, tu veux faire en sorte que change les vivants comme le monde, vite, tu veux agir aussi de mots, de marques ou d’actions.
Tu as voulu exister et tu feras en sorte d’être retenu.
Tu étais une enfant.
Voici venue ta Corruption, ma Lumineuse.
Là où est née l’amertume et la colère froide, l’excessivité et la haine. Là où est mort la faiblesse apparente pour se taire au fond du corps et s’y muer en poison, la sensibilité et l’empathie sur le bout de la langue.
Qu’en sera-t-il pour toi ?
Tout se veut exagérer.
J’aurais voulu repousser ces quelques mèches de cheveux qui collent à ton front et te souhaiter…
Mes vœux les plus chaleureux à l’occasion de ton anniversaire, ma belle enfant.
Elle tremble sur sa couche et elle se recroqueville sur elle-même. Des soubresauts parcourent ses flancs et ses cheveux collés masquent la sueur qui perle sur ses tempes. Elle a froid et son corps est brûlant, elle aime ressentir
Mais ceci n’est point agréable…
Elle fut parfois malade, de souvenir jamais autant. La fièvre est si forte qu’elle assèche ses lèvres et rend ses yeux brillants. Quand elle les entrouvre, il lui semble que sa plage penche et peut-être même qu’elle valse, tant et si bien qu’elle ne peut se dresser sur ses pattes pour lui dire de cesser d’ainsi s’agiter.
Un battement de paupière fait passer plusieurs heures, le jour la surprend autant que cette silhouette tangible qui se dresse devant elle. Celles aux ailes si différentes qui lui rappellent tant
«
...Mon Oncle… »
Un murmure qui se glisse en dehors de sa gueule et qui provoque un esclaffement bruyant chez la silhouette.
«
Eh bien, on peine à émerger, pour son propre anniversaire ! »
Ce n’est guère l’Oncle mais Neiter. Une sœur, une amie, une confidente. Quelqu’un qu’elle tient à voir : pour elle, elle se redresse, et la voilà prise dans ses pattes.
Le regard de la plus jeune s’écarquille face au constat que l’on ne peut que faire à sa proximité.
«
Wow, tu es brûlante ! Est-ce que ça va ? -
C’est mon anniversaire et je ne me sens pas bien. »
Paradoxe de ses ressentis.Il tombe de ses flancs quelques touffes blanches, quand elle passe ses doigts sur son poil.
Il y a alors chez cette sœur, cette amie, cette confidente ! un mouvement de recul qui ne peut lui échapper et serre un peu son cœur.
«
...Tu crois que j’ai la galle. -
Je crois que c’est grave. »
Je vais chercher de l’eau..et quelqu’un est une phrase que prononce la presque-adolescente avant qu’elle ne la quitte. Miraj ne la voit que partir, l’image sans le son, la tête reposée sur le sol depuis que son corps fut lâchée et que le froid lui revint.
Au fond de sa gorge elle fait mourir un sanglot, qui la fait renifler et crée au bord de ses yeux quelques larmes discrètes.
Elle est seule en cet instant et cela ne lui convient...
Mère dit : les émotions sont une faiblesse.
Elle saura en faire usage.
...Pourtant il se passe si peu de temps jusqu’à ce que vienne de l’eau fraîche et une patte,
du moins un membre, pour faire tomber sa fièvre.
Une attention d’une silhouette.
Maman ou Tante Edwige, son Oncle ou bien Neiter, peut-être une autre de ses soeurs.
Sa température monte encore et sa conscience est fragile. Elle veut garder les yeux ouverts mais les voici pourtant clos, elle veut se lever et se laisser enlacer mais elle n’en est plus capable.
Elle la perd, cette conscience pour qui elle lutte, et elle sombre dans l’obscurité.
Je reste proche de toi, jusqu’à ce que nos âmes soient unies pour le meilleur comme pour le pire.
Son poil s’obscurcit et le changement est évident,
la transformation remarquable.
Le blanc disparait de ses flancs, une couleur framboise noire se propage sur ses pattes comme sur son encolure. Au rouge passe le violet, l’intensité se ternit mais la longueur et l’épaisseur se gagnent à ce profit.
Sa mue est rapide, presque instantanée, elle effraye et inquiète autant que la fièvre qui ne diminue.
Les médicaments sont non supportés, l’eau fraîche inefficace.
Je ressemble un peu plus à mon Oncle…
Ou à ce pusillanime que se veut être ton géniteur.
Le temps passe et la situation aurait pu faire craindre son trépas.
L’adolescente est maigre et sa revenue parmi elles fait qu’elle est la plus fragile d’entre toutes.
Je veux encore vivre, j’ai encore tant à faire ! Je veux encore toucher, goûter et sentir, je veux encore donner la vie et créer bien des choses.
Il y a tant d’expériences auxquelles prétendre encore. J’ai eu l’attention d’un dieu et puis un mentorat, j’ai porté la vie sans le savoir et regrette de ne point t’avoir élevé. J’ai appris bien des choses
Sans pourtant accomplir.
Elle est agitée dans son sommeil, elle se recroqueville un peu plus.
Tu fus mon plus grand accomplissement, ma Lumineuse.
Pour m’avoir fait naître morte, ou m’avoir ramenée à la vie en perdant la tienne ?
Je te promettais un avenir grandiose.
Tu as achevé ta quête plus que tu n’eus un enfant.
…
Je n’étais seulement ta fille.
J’étais ton projet.
...Et la fin de ma solitude.
Ses babines frémissent et se soulèvent, dévoilent les crocs pointus. Sa respiration s’accélère, son rythme cardiaque suit cette cadence.
Elle semble prise d’un cauchemar.
Son poil est devenu si sombre.
Tu comprends bien des choses.
Bien plus désormais.
La journée est passée et la nuit revenue, elle ne trouve toujours pas d'apaisement dans ce tel bouleversement et son état semble fait pour durer.
Mon Oncle, m’avait vous permis de vivre seulement pour une année ?
Tu aurais dû reprendre pleine existence, mon enfant.
Sa tête est lourde des deux âmes en conflits et de la corruption d’une d’entre elles. La douleur est tenace et cogne dans son crâne, elle a l’impression que le centre de ses tourmentes se dessine en une barre derrière ses yeux.
Comme si appuyer sur ceux-ci aurait pu la soulager, elle les presse de ses pattes en même temps qu’elle respire à plein poumon.
Maman, es-tu prêt de moi ?
Je suis là.
Tu n’es plus.
Elle se retourne et se rétracte, ses membres tout contre elle. Entortillée dans ses couvertures, la voilà qui suffoque presque, cherche de l’air frais autant qu’elle souffre du sable devenue glace sur son pelage.
Le cauchemar n’est plus, il se veut être un conflit interne.
Elle et iel se tiraille, elle lui en veut lorsqu’iel regrette.
Elle ne veut plus l’écouter, iel veut encore transmettre.
Il est vrai, que je ne suis plus.
Bientôt, je ne serais rien.
Comme nombreuses et quelques uns, l’on se souviendra de toi pour avoir été le ventre m’ayant donné vie.
Fusse pour cela, qu’il te faut rendre ton existence extraordinaire.
Pour ne point qu’être un ventre comme le sont trop.
Nous nous en donnerons les moyens.
Nous deviendrons grande, au-delà de l’âge et de la taille.
La fièvre diminua soudain au lendemain de son anniversaire.
Elle cessa de trembler et de perdre toute l’eau de son corps par son front et ses pores, elle cessa d’avoir froid et de se laisser dans la tourmente.
Elle trouva conciliation, juste avant son éveil.
Profitons encore de tout moment.
Il nous en laisse occasion.
Quand le bleu de ses yeux redevint plus lumineux, quand la vue qui s’offrit à elle fut celle de la fin de la nuit et de l’arrivée imminente de l’aube.
Elle aurait pu avoir l’impression de n’avoir dormi que quelques heures, que celà n’était que cauchemar sous effet d’une fièvre abominable.
Ne lui déplaise pourtant d’avoir loupé cet évènement qui lui était désigné, que celui de sa renaissance,
Miraj avait désormais un an et un jour.Il lui fallut un instant pour qu’elle se dresse, gracile plus que fragile, sur ses pattes presque nouvelles. Elle n’eut nul besoin d’arranger son pelage ou ses cheveux, les laissant impeccablement retombés par ce don sien.
Et de princesse de la plage, elle s’afficha aujourd’hui comme une reine posant pour la première fois depuis longtemps la patte sur le sol granuleux.
Elle se savait belle, aussi changée.Elle avait sur le minois l’air ravissant de la jeunesse malicieuse autant que le regard vif de celle qui observe et réfléchit. Le port de tête dressé, le buste droit et la queue survolant le sol, elle respira l’odeur connue du sel.
A cet instant, elle se sentit bien.
Persuadée de ce qu’elle voulait et de ce qu’elle deviendrait un jour, prête à s’offrir tout moyen pour réussir.
A cet instant, elle eut envie de vivre davantage.
Oubliant l’impression de mort imminente qui la fustiga un instant, il fallut cependant qu’elle se rappelle à elle les mots du premier jour.
Comme une promesse, à honorer désormais.
Et avant que toute louve ne vienne vers elle, elle souhaita offrir la vision de son changement à celui qui lui permit d’ainsi devenir.
«
Mon Oncle, nous devions nous revoir à ma première année. »
D’une voix qui se pose, elle murmure à son attention dans la nuit. Assise devant cette mer qu’elle observait depuis longtemps mais dont elle ne se lassait pourtant, volontairement présente sur cette Atoll qu’elle chérissait de retrouver chaque nuit qu’importe celle ou celui qu’elle quittait pour s’en aller la retrouver.
Elle dresse son museau vers le ciel...
Pour d’avance lui sourire.