-Iris-
L'hiver s'installait sur les terres Etelkrus, et Iris connaissait ses premiers grands froids. Son pelage s'était épaissi avec la descente des températures, s'adaptant au froid qui la prenait lorsqu'elle sortait en dehors de sa tanière. La jeune louve vivait Décembre pour la première fois, et devait également admettre pour la première fois sa
frilosité . Sortir de chez elle était de plus en plus difficile, le froid se faisant mordant dès le matin. Contrairement à d'autres loups, elle n'avait pas de poils à foison, longs et chauds : seulement une pauvre sous-couche qui avait du mal à la tenir au chaud durant la journée.
Alors, elle s'adaptait. Elle sortait un peu plus tard, profitait du soleil lorsqu'il se décidait à sortir. Restait un peu plus tard aussi, de plus en plus nocturne : la nuit était, pour elle, une sorte de refuge de silence, loin de la vue des autres, de leur jugement. Elle n'avait pas à parler, la nuit. Elle n'avait pas à côtoyer son frère, ni même à penser à lui. Elle n'avait pas à penser à Maps qui grossissait à vue d’œil. Elle n'avait à penser à rien d'autre que ce qu'elle voulait. Évidemment, ce temps volé à ses jours la fatiguait, mais peu importe : elle en profitait pour s'amuser, s'entraîner à la chasse, courir pour ne pas avoir froid. Son endurance croissait avec l'âge à défaut de pouvoir entraîner sa force : pour cela, il lui faudrait apprendre.
Cette nuit là, lorsqu'elle s'était glissée hors de la tanière familiale pour enfin pouvoir respirer, tout était silencieux. Une chappe ouatée pesait sur le Castel et ses alentours, et même les rayons de la lune devaient se frayer un chemin laborieux à travers la nappe de brume qui enlaçait les terres. La jeune louve sortit du Castel, le son de ses patte sur le sol atténué par l'atmosphère, ou bien peut-être par elle-même, qui n'osait pas déranger les esprits dormant dans les brumes. Tout était immobile à part elle, qui avait l'impression de naviguer dans une mer blanche, de basculer dans un autre monde où le temps passait au ralenti. Arrivée dans la forêt, le silence se fit encore plus équivoque : minuit ne sonnerait pas ce soir.
La marche d'iris est silencieuse, se fondant avec les ombres blanches et statues fantomatiques immobiles, vestiges d'arbres ou d'autre végétation que l'hiver avait frappé. Et comme à chaque fois qu'elle est totalement seule, son esprit vagabonde, à la recherche de sens peut-être, ou bien incapable de se libérer des problème qui l'occupaient la journée. Ses premières pensées allèrent évidemment à Maps : son amie grossissait de jour en jour, et même si Iris voulait être là pour elle, l'angoisse de ce qui allait changer une fois qu'elle aurait sa portée était pesante. De plus, leur secret était également compliqué : elle était, à sa connaissance, la seule à savoir qui était le « papa » des petits, et il lui semblait qu'elle ne pouvait pas rester sans rien faire. Une etel se faisait agresser, se retrouvait pleine sans en avoir envie … Et elle devait rester sans rien faire ?
D'un autre côté, il y avait son frère. Son frère avec qui elle n'avait presque plus aucun lien : il passait de plus en plus de temps hors des frontières, de toute façon. Elle qui s'était tant inquiétée, à présent s'en détachait. Elle préférait ne plus souffrir pour lui, qui de toute façon ne comprenait rien. Qu'il fasse ce qu'il veut, mais qu'il ne compte plus sur elle pour en avoir quelque chose à faire.
D'un soupir, elle relève la truffe. Elle se sent un peu mieux, après cette marche. Finalement, elle se sent mieux lorsqu'elle est seule, lorsqu'elle est loin de lui. Il est alors plus facile d'oublier qu'elle avait un frère qui s'en foutait d'elle. Peut-être qu'il était temps qu'elle se cherche elle-même, qu'elle trouve la raison de son insatisfaction permanente. Son inconstance la fatiguait, et plus elle cherchait à être rationnelle, plus les émotions qui l'agitaient explosaient violemment. Elle était incapable de les maîtriser, incapable d'être maîtresse d'elle-même. Elle repense alors à son cauchemar, à ses démons : peut-être que l'araignée la maîtrisant était une partie d'elle-même, celle qu'elle ne contrôlait pas et qui ruinait bien souvent ses relations. Sa jalousie. Sa colère. Son désir de vengeance.
Elle soupire. Avant d'aller chercher un glowstick, il fallait qu'elle trouve ce qu'elle voulait, qui elle voulait être. Pour les autres, cela semblait évident, mais elle … Chaque jour était une occasion de se détester, chaque fois qu'elle explosait, chaque fois qu'elle passait devant un miroir. Chaque fois qu'elle pleurait. A fleur de peau, chaque émotion était décuplée, bien trop grande pour un corps aussi petit, bien trop forte pour ses pattes aussi faibles. Les yeux levés vers la lune, le calme en elle se fait plus profond. Elle en est capable. Et comme pour lui donner raison, soudain, elle aperçoit une particule descendant lentement du ciel, premier mouvement dans une nuit entièrement immobile. Particule suivie d'une autre, puis de dix autres, centres autres, tombant sur elle sans un bruit. L'entourant d'un rideau de flocons et d'une impression de paix, pour la première fois de sa vie.
Il neigeait.