Le serpent et la sirène — Désastre

Nirvana profita de sa petite taille pour se faufiler entre les adultes qui venaient déposer leurs proies sur le tas de gibier. Y’avait aussi ceux qui discutaient au beau milieu du castel, sans regarder en-dessous de leur museau. Tss.
La louvette pénétra dans l’antre des panseurs, s’approchant de la silhouette grise qui l’intéressait. Il semblait en meilleure forme que lors de leur première rencontre. Calme, elle s’assit avant de prendre la parole.

« — Bonjour Désastre ! Je peux te poser une question pendant que tu travailles ? »

Elle appréciait observer, surtout que le rôle de panseur était celui qui l’intéressait le plus. Entre bourrin expert et bélier canin… comment dire… soigner les autres c’est ce qui semblait être le plus constructif.
Sans faire perdre plus de temps au gris, Nirvana posa sa question.

« — Que sais-tu du monstre aux yeux tourbillons ? »

Dairo avait parlé de conséquences désastreuses en parlant des enfants créés par cette entité. Désastre était ainsi une des meilleures pistes qu’elle avait pour obtenir d’utiles informations.
Si cette entité est un problème pour Dairo, alors c'est un problème pour moi aussi.

C’était Chay qui était la patiente du jour. Nirvana fixa un instant la blessure, l’une des épaules présentait une ouverture. Cela semblait important. Délicat.
Le regard suit chacun des mouvements. C’était aussi intéressant que les réponses qu’elle attendait.
L’entité mystérieuse semblait avoir de grands pouvoirs. Au-delà de juste brouiller les dieux ou de créer des enfants magiquement. Une forme changeante… la capacité de disparaître… tout cela c’était des pouvoirs bien puissants. Probablement la cause des difficultés qu’éprouvaient les dieux à le repérer. Pourtant des signes devaient bien le trahir non ? Quand il cessait de bouger ? Ou utilisait sa magie ? Rendre malade, contrôler les pouvoirs, il était comme une sorte de dieu. Un dieu du chaos.
À chaque explication, Désastre avance dans son travail. Chay ne semble rien sentir.
Y’a-t-il d’autres moyens de pression qui permettent de faire taire la douleur ?
Pas de surprise chez Nirvana aux dernières paroles. Oui, elle s’y était attendu, à ce qu’il soit l’un des fruits de la magie de cet autre.

« — Tu crois qu’il est foncièrement mauvais ? On dirait qu’il cherche à attirer l’attention, un peu comme un enfant. Peut-être qu’il veut qu’on le reconnaisse… qu’on sache que lui aussi a d’aussi grands pouvoirs que les dieux. »

Peut-être que lui aussi aimerait avoir ce titre.
Nirvana réfléchit un instant, son regard rivé sur la suture. Un nouveau craquement, la blessure de Chay est refermée et l’épaule remise en place. Cela semblait presque indolore pour sa soeur de lait. La louvette hésite, ce n’était pas pour ça qu’elle était venue à la base… mais si elle pouvait en apprendre un peu plus.

« — La pression que tu as effectué, pour combien de temps ça peut faire taire la douleur ? Est-ce que ça suffit pour tout le corps ou uniquement cette zone ? »

La sirène désigna les épaules de l’enfant de Perrine.

Cette entité n’est pas mauvaise, mais ce qu’il fait n’est pas forcément bon. C’était juste à la limite, pas assez pour être l’ennemi numéro un, mais suffisamment pour qu’on s’en occupe quand même.
Un enfant aux grands pouvoirs.
Donc pour espérer le rencontrer, discuter avec lui, il fallait se montrer amusant. Ne pas l’ennuyer… au risque d’être puni.
Quelque chose.
Les sourcils de Nirvana se froncent légèrement, alors qu’elle lie les éléments entre eux. Attirer autant l’attention pour se cacher constamment…

« — Il veut qu’on sache qu’il est là. Tout ce qu’il a fait, c’était pour nous montrer l’étendue de ses pouvoirs afin d’attirer notre attention… et maintenant qu’il l’a, il pourrait passer à un projet plus grand. Nous montrer ce qu’il a vraiment l’intention de faire. »

Maintenant il a de l’importance, toute la meute sait qu’il existe et à l’extérieur, pas mal devaient être au courant aussi. Et si en faisant ça, ça le rendait un peu plus fort à chaque fois ?
Il faut se montrer plus malin.

L’attention se reporte sur Chay. Les explications sont écoutées.
La pression semblait importante, tant pour la durée que les effets souhaités. Donc temporairement, un loup blessé pouvait presser un de ces points pour faire taire la douleur ? Très intéressant. Est-ce qu’en pressant certains points on pouvait aussi soigner plus rapidement des maux, comme un rhume ou des migraines ? Nirvana mémorise les zones montrées, les conseils.
À la proposition, la louvette quitte Chay des yeux pour lever les yeux sur Désastre.

« — Je veux bien. »

C’était la première fois qu’elle voyait cette technique, les panseurs qu’elle observait lors de ses passages se fiaient principalement aux plantes.
Mais ça, c’était bien plus intéressant.

« — Je ne sais pas. »

Pas encore.
C’était sans aucun doute, quelque chose de grandiose. Bien plus que la maladie ou des enfants magique, une chose plus grande encore. Plus menaçante aussi. Jusqu’où cette entité irait-elle ?
Peut-être qu’elle ne peut pas tuer, que c’est pour ça qu’elle se contente de créer.

Il y a beaucoup d’informations. Nirvana s’approche de Chay. Mémorisant les points donnés, revoyant le panseur appuyer sur l’un de ces points pour soulager la douleur de la patiente tout à l’heure.
C’était très précis.
Les points sur la nuque ne sont pas montrés de suite, jugés bien plus dangereux. Désastre avait parlé d’étoile déboité ou de douleur en cas de mauvaise manipulation… au niveau de la nuque cela devait probablement se solder par une mort nette.
Aux explications sur le positionnement des doigts, Nirvana s’exerce dans le vide, bougeant ses doigts un à un, appuyant sur le sol pour voir quelle force elle était en mesure de mettre. De part son petit gabarit, l’effort serait plus grand pour elle que pour lui. Elle corrige en voyant les gestes du gris.

La disciple de Dairo s’approche quand il se propose pour les premiers tests. Mieux valait en effet laisser cette pauvre Chay en paix. Nirvana espérait ne pas déboiter l’épaule de Désastre… lui qui venait tout juste de sortir de ses deux pattes cassées.
Comme il lui a montré, elle positionne ses doigts au point de pression, faisant attention à ce que ses griffes ne soient pas trop en avant.
Maintenant il faut appuyer. Assez fort, mais pas trop.

Ce n’était pas assez fort.
Au moins ce n’était pas complètement raté, mais il fallait accentuer la pression. Nirvana avait peut-être trop hésité à son premier essai, de crainte de cause plus de douleur que de bien. Après tout, Désastre ne pouvait pas se permettre d’être blessé de nouveau à une patte. Il était panseur.
Mais il me fait confiance.

« — D’accord. »

La disciple de Dairo se redresse, suivant les conseils du gris, pour se pencher un peu plus en avant. Elle repositionne ses doigts au point de pression, prête cette fois à appuyer plus. Déjà, le poids basculé vers l’avant lui donne un peu plus de prise. Ne restait qu’à contrôler la force à mettre dans cette action.
Concentrée, la sirène en oublie Chay à ses côtés, se focalisant uniquement sur le point de pression. Ça lui semblait différent, plus impactant. Elle observe Désastre, attendant son avis.

La louvette ne peut cacher un sourire satisfait en entendant le panseur. Si elle voulait réutiliser cette technique, il faudrait qu’elle fasse attention au poids à mettre. Quitte à prendre un peu d’hauteur.
Désastre s’exprimait peu, mais ça ne représentait pas un problème. Nirvana préférait qu’on parle moins et que cela soit intéressant plutôt que l’inverse. Car il y en avait dans la meute qui appréciaient parler pour ne rien dire… ce qui était assez navrant.
Elle se recula d’un pas, ça lui semblait intéressant de savoir ce que ça faisait.

« — Oui, d’accord. »

En attendant qu’il fasse la manipulation, elle décida de le questionner un peu sur l’utilisation de l’accupressure.

« — Est-ce qu’on peut se servir de l’accupressure pour soulager les maux ? Par exemple permettre à un loup malade de mieux respirer ? Apaiser les migraines ? »

Cela rendait les soins de base peut-être encore plus efficaces ?

Au moment où elle sent la pression sur son épaule, c’est comme si la patte était endormie. Nirvana la patte sur le sol sans pour autant en ressentir le contact. Intriguée, elle essaya de remuer les doigts sans pour autant ressentir quoique ce soit. C’était si étrange, comme si ce membre appartenait à un autre.
Son museau se relève en entendant les explications.
Donc en combinant plusieurs techniques on pouvait soulager les maux de crâne, à partir du moment où on identifiait ce qui causait les douleurs. Pensive, Nirvana s’efforça de retenir les différents remèdes avant de répondre à la question du panseur.

« — Non pas vraiment, j’étais juste curieuse. »

C’était ce que les autres semblaient avoir le plus.
L’expression se fait plus sérieuse quand les maux du froid sont évoqués. C’était le genre d’information utile pour elle qui envisageait un jour d’explorer le nord, mais comme elle s’y était attendu, on ne pouvait pas pleinement se reposer sur la technique du panseur.
Un sourire étire les babines de Nirvana à la remarque.

« — Oui. »

Mais il y a des loups que je refuse de soigner, comme ceux qui souillent la réputation des Etelkrus ou de Dairo.
Ceux-là ne méritent pas de soins.
Être panseur c'était ce qui au final demandait le plus de réflexion dans une meute de guerriers.

« — Tu peux m’apprendre ? »

Nirvana est préparée à un refus. Désastre était un panseur très occupé et elle comprendrait sans mal qu’il n’ait pas le temps de donner des cours.
Auquel cas, elle continuerait d’apprendre en observant et en posant des questions aux autres.

Patiente, Nirvana attend. Elle est presque surprise quand le loup répond favorablement à sa demande. Un créneau, c’est ce qui lui est accordé. Le gris semble avoir une routine bien précise.
Du moment que son créneau n’empiète pas sur les moments consacrés à Dairo et aux entraînements.

« — Ce serait parfait. »

Les leçons s’annoncent nombreuses, denses et de toute évidence très intéressantes. Les plantes ne semblent pas occuper une place aussi importante pour Désastre que chez les autres panseurs. Sa technique était différente, c’est qui intéressait Nirvana.
À l’évocation des maux du froid, la louvette prête une oreille attentive. Partir dans le grand nord faisait toujours parti de ses projets et ce serait sans aucun doute utile qu’elle soit en mesure de s’y préparer.

« — C’est déjà beaucoup et plus que je ne l’espérais. »

Le museau s’incline.

« — Merci de m’avoir accordé ton temps, Désastre. »

Et à être prêt à me l'accorder dans le futur.