-Iris-

Et la frustration était revenue, intense. L'amertume, les questions. Les pensées parasites, inutiles. Iris commençaient à bien les connaître, ces pensées là. Elle pensait trop, Nirvana lui avait dit, elle qui était disciple de Dairo, c'était bien qu'il y avait des pensées néfastes à comparer aux bonnes pensées, à la réflexion. Aujourd'hui, elle le voyait de ses propres yeux : ses pensées s'affolaient, se mêlaient à ses émotions pour former un brouillard qui l'empêchait de réfléchir correctement.

Nirvana et Ibéris l'excluaient un peu ces derniers temps. Elle ne savait pas pourquoi, mais avait remarqué qu'en plus de passer du temps ensemble, ils évitaient maintenant de parler de certaines choses devant elle. Iris ne pouvait que se douter de quoi : ils préparaient quelque chose, probablement en terres solitaires. Se mettraient probablement en danger, sans elle. Allaient vivre des aventures, et la compagnie de leur plus jeune sœur n'était plus désirée.

Qu'avait-elle fait de mal ? Beaucoup de choses, à vrai dire. Elle avait tenté de contrôler Ibéris sans le comprendre, ne le comprenait d'ailleurs toujours pas. Mais Nirvana ? Elle avait passé du temps à essayer de renouer avec sa sœur, mais elle se sentait mise à l'écart. Ses relations étaient jugées, par Ibéris du moins. Mais Nirvana ? Elle qui était intelligente, qui avait toujours été un appui et de conseils précieux pour Iris ?

La jeune louve secoue la tête. Elle détestait ça, ne comprenait pas pourquoi sa sœur s'éloignait peu à peu, et se sentait arrachée d'une partie d'elle-même. Mais en même temps … Elle n'était pas intéressante. Elle n'avait pas d'objectif, pas de but, pas d'aventures à raconter. Elle n'avait rien vécu, ne vivait rien. Rien ne la faisait vibrer à par la jalousie et la colère. Elle était triste. Elle avait pleuré un peu, cette nuit, vaincue par le sentiment de défaite qui l'envahissait.

Mais le matin était venu, et avec lui était revenu sa promesse faite à elle-même. Toujours se relever. Il fallait donc qu'elle trouve une solution. Mais même si elle était à présent portée vers l'avant, ses émotions la retenait toujours. Comment trouver un but lorsqu'elle passait son temps à s'occuper de ce que les autres pensaient d'elle ? C'était maladif, elle ne pouvait s'en empêcher. Alors qu'elle marchait, plusieurs idées lui vint. La première était d'aller chercher de l'aide chez Dairo, immédiatement écartée : la Déesse n'avait pas que ça à faire. La deuxième était de sortie, seule, d'aller construire sa vie et apaiser sa curiosité. La bibliothèque était toujours fermées, peut-être qu'en s'infiltrant chez les nakhus … Mais elle avait également écarté l'idée. Nirvana ne serait jamais impressionnée par ce genre de chose. Le problème était peut-être que sa sœur ne donnait d'attention qu'à ce qui l’intéressait, elle. Une activité à deux alors ? Mais quoi ? Iris savait que sa sœur aimait la plage, mais vu le temps et ses rhumes, c'était une terrible idée. C'était un casse-tête, qui l'avait occupé toute la matinée, augmentant sa frustration, sa colère, son sentiment d'inutilité.

Jusqu'à ce que ses pas la mènent vers le temple d'Aka. Aka, Dieu du combat, du courage et de la force. Tout ce qu'elle n'avait pas. Ballotée par les vents, pliées pour essayer de plaire aux autres, la louve n'avait pas l'impression de vivre vraiment. A part …

Elle entre dans le temple, avec précautions. La dernière fois qu'elle a vu Aka seule à seule, elle s'était faite poutrer proprement (excusez le langage). Mais depuis, elle avait réalisé qu'il n'y avait que dans le combat qu'enfin toutes ses pensées s'arrêtaient. Plus il était dangereux, plus elle était concentrée. Plus elle morflait, plus elle aimait. Elle lève le museau pour regarder la statue. Elle restait faible, elle le savait. Elle restait faible, mais au moins lorsqu'elle perdait, elle pouvait montrer qu'elle se relevait, et c'était seulement dans cet acte qu'elle avait l'impression de valoir quelque chose. C'était seulement là qu'elle se sentait apaisée. Un sourire vient effleurer ses babines, un peu triste. En elle, les émotions bouillonnent, mieux contrôlées que la première fois, mais toujours aussi violentes. Le sentiment d'injustice, l'impression de ne rien valoir. La peur de perdre sa fratrie, ses amis, le jour où eux aussi se rendraient compte qu'elle ne valait pas grand-chose. Et plus elle se sent couler, plus elle sourit : car elle sait que le combat n'en sera que meilleur. Elle ouvre la gueule, relève les yeux vers la statue.


La décision est déjà prise.

Défonce moi.

-Iris-

Le temple se fait plus chaud, et la présence du Dieu rouge devient incontestable. Sa voix retentit, presque maternelle, emplissant le temple et entourant Iris. Il acceptait : elle n'en attendait pas moins de lui. Un sourire vint fleurir sur ses babines, ses émotions bouillonnantes remuant ses entrailles. Sa colère et sa frustration cherchaient un exutoire, et le Dieu rouge lui en donnerait un.

Elle entendu le cliquetement avant d'apercevoir son adversaire. Elle se tourne, les muscles frémissant avant de jauger la forme rouge qui vient d'apparaître devant elle : un lynx, de nouveau. Il ne lui faut pas plus d'une seconde pour reconnaître son premier adversaire, celui qui l'avait vaincue la première fois. Celui contre qui elle avait dû admettre sa faiblesse, mais avait fait le premier pas vers la force. Elle sourit : Aka avait un humour certain.

Elle ne se laisse pas plus le temps de réfléchir. Laissant eclater ce qui grondait dans son ventre, elle jailli, plus rapide qu'avant, plus décisive. Elle sort les crocs : cette fois-ci elle n'essayera pas de broder dans la ruse ou la réflexion, elle voulait goûter au sang quitte à se faire mal. Le réflexe était presque celui de l'auto mutilation, une violence orientée sans chercher à se protéger. Et ses crocs touchent. S'enfoncant dans le côté du cou du lynx, elle s'agrippe au félin, gronde et serre la mâchoire. Elle veut faire mal, elle veut se sentir vivante, elle veut prendre sa revenche sur celui qui lui a laissé les cicatrices nacrées qui courent sur son pelage. Et le goût du sang empli sa gueule.

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-Iris-

Iris ne lui laisse pas le temps de souffler. Elle encaisse le coup, faible, sans même y penser. Il ne vaut rien comparé aux chocs que lui a infligé Sakura, ne vaut rien contre la gifle que Dough lui a fichue lorsqu'elle est devenue sa disciple. Même si le lynx a grandi, elle réalise maintenant qu'elle aussi, elle a grandit. Elle a murit, pris en poids, un peu en puissance et surtout en résistance. Elle sait que même si elle perd, même si elle pleure de douleur et crache du sang, elle se relèvera.

Elle enchaîne en grognant, poussant sur ses pattes pour projeter son adversaire au sol. Le renversant -faucher ses pattes aurait été plus efficace, mais elle n'est pas là pour l'être- elle racle le sol, lâchant se prise qu'une fois tombée par terre. Elle roule, sens le contact du sol la galvaniser encore, et se relève.

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-Iris-

Le répit n'a été que de courte durée. Iris tourne la tête, crocs retroussés, oeil concentré sur son adversaire et uniquement lui. Adversaire qui se jette de nouveau sur elle, furieux. La patte se lève, les crocs jaillissent, et la chose peut-être la plus logique serait d'éviter ou d'essayer de déséquilibrer le lynx. Mais Iris n'est pas là pour ça. Elle grogne, couche ses oreilles, et se campe sur ses pattes, baissant son centre de gravité afin d'encaisser le coup.

L'impact est violent, mais elle tient. Elle sent les crocs de son adversaire s'enfoncer dans sa chaire, sa patte venant déchirer son cou. La douleur éclate, rouge, le sang coule, rouge, mais elle résiste. Poussant sur ses postérieurs, elle vient embrasser le lynx et lui rendre la pareil, plantant elle aussi ses crocs dans son cou, secouant la tête en grognant. Les deux adversaires l'un contre l'autre comme pourraient l'être deux amants, si on omettait la rage et le sang qui éclatait entre eux. Et la jeune louve se sent enfin vivre, dans la douleur d'être blessée et le plaisir de faire mal, la rage dirigée contre un objet tangible qu'elle peut combattre plutôt que quelque chose qu'elle ne peut affecter. Le combat était catharsis.

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-Iris-

Leur embrassade s'intensifie encore, le lynx refusant de lâcher prise et plantant encore plus profondément ses crocs dans la chaire de l'adolescente. Elle gémit de surprise, grogne de rage, se débat mais sent son sang la quitter un peu trop vite pour éclabousser le sol du temple. Elle se sent, un instant, partir, tomber, et en une lucidité violente, comprend que le combat est terminé. Elle s'est bien battue, mais sa faiblesse a eu raison d'elle.

Vraiment ?

Non.

Un battement de cœur, et il semble à Iris qu'une force étrange la soutient dans sa chute. Le temps s'étire, et elle capte le regard du lynx, l'attire avec elle, l'enferme. Un frisson la prend, et elle sent sa présence, celle de l'Araignée. Mais elle n'est pas venue pour elle, mais pour lui prêter sa puissance. Elle est là, au bout de ses griffes, il lui suffit de ...

Se battre.

Punis toi.

Pour ce que tu m'as fait.

Un nouveau frisson la prend. Des fins fils, invisibles, viennent se tendre au bout de ses pattes pour s'accrocher au lynx, comme lors de son cauchemar. Il lui suffit de tirer ça et là pour manipuler, dans cet infime instant où elle refuse de choir, où elle refuse de perdre. Se battre non pas pour se relever, mais pour ne pas tomber, refuser la faiblesse, progresser. Un sourire fin étire ses babines, le goût du sang est métallique dans sa gueule. Elle l'emporterait avec elle.

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-Iris-

Un sourire carnassier vient éclairer le visage d'Iris alors qu'avec délice, elle inflige la punition pour l'avoir abattue à son adversaire. Et ils tombent, ensemble, sur le sol dur et froid, paré du sang qu'elle a offert au Dieu. Il n'est pas encore temps d'analyser ce qui vient de se passer, de comprendre comment la louve avait réussi l'exploit de contrôler son adversaire, car la voix du Dieu vient emplir le temple, lui ordonnant -lui demandant- de se relever. Alors Iris se relève, inspirant pour vaincre la douleur, les crocs découverts et serrés. Le calme l'a regagné, cette paix post-combat qui diffuse un plaisir étrange dans tous son corps après l'effort.

Elle lève les yeux vers la statue, un sourire crispé de douleur sur les babines, avant que d'un souffle la douleur disparaisse. Elle expire, soulagée, le cœur toujours palpitant du combat qu'elle venait de mener, la tête toujours enivrée du contrôle qu'elle avait pris sur l'autre. Et lorsque la lumière disparaît, une seule reste : elle baisse les yeux, et comprend. Un glowstick.

Elle pouvait être fière.

Sa gorge se fait sèche, captivée par la lumière rouge qui vibre devant ses yeux. Elle n'y était pas destinée, Iris. Mais c'est une reconnaissance de force, pour celle qui se pensait si faible : Aka l'accepte parmi les siens. Alors, elle s'avance pour prendre avec délicatesse la lumière rouge, soudain empli de cette fierté qui lui manque si souvent. Elle le regarde, un instant, avant de relever les yeux vers la statue.

Un mot soufflé sobrement, alors que dans son cœur résonne les promesses. Celle de le rendre fier, celle de l'honorer, et de toujours se relever, toujours. Elle ne pense pas à ce que penseront les autres, sa fratrie qui juge les rouges d'idiots. Elle ne pense pas à son corps, encore beaucoup trop faible, à son esprit l'étant encore plus, à ses doutes, ses pleurs. A la place, elle inspire l'odeur du sang et profite de pouvoir se sentir fière, rien qu'une fois.

C'est la tête haute qu'elle sortira du temple, glowstick à l'épaule.

[Si Aka ne veut plus répondre, le topic est libre à qui veut ;)]