Assis dans ton lit, tu soupires.
T’es là, le dos pas droit, disons carrément courbé, le regard figé sur le mur de ta savane. C’silencieux, c’matin. C’silencieux comme depuis qu’elle est partie, et qu’il n’y a plus d’autres souffles pour se positionner en canon du tien. C’tellement silencieux que tu t’sentirais presque mal à l’aise de te lever, de faire bruisser la paille et les feuilles de ta paillasse, de faire craquer tes vieux os.
Disons plutôt c’est qu’une excuse pour ne pas te lever.
C’est sans doute c’qu’elle t’aurait dit, eh, ta Licorne. La réflexion te fait avoir un p’tit rire, bref, un coup avant qu’tu te ressaisisse et que tout redevienne…Silencieux.
Encore.

C’était sans doute ça, qui était le plus dur. Le silence. Nan.
Son absence.
C’était ça, l’plus compliqué. C’est ce que tu disais chaque matin, lorsque tu te réveillais sans personne à tes côtés. C’est c’qui était le plus pesant le soir, aussi, lorsqu’aucun flanc tiède ne venait se coller au tien.
T’aurais même pas pu dire c’qui te manquait le plus, depuis son départ (pour pas dire sa mort, c’était un mot un peu rêche sur le bout de ta langue). Sa chaleur et l’affection qu’elle dispensait avec justesse et parcimonie, sa langue acérée par la malice et une arrogance certaine, votre accomplissement le plus important qu’elle te rappelait chaque jour en se levant à tes côtés (celui d’une vie sereine, loin des tumultes que vous aviez traversés)...

Tout.
Ouais, tout.

Tu gardes les yeux secs. Tes larmes se sont taries.
Elles furent fleuves et maintenant ne sont que crises éparses, celles qui se déclenchent quand soudain tu repensais à elle, à un instant quelconque de la journée. Quand t’aurais voulu te tourner vers elle pour partager une parole réfléchie et bienvenue (après tout, tu disais toujours des paroles réfléchies et bienvenues, eh), et qu’aucune oreille n’était là pour capter mots aussi captivants qu’intéressants. T’parlais souvent dans l’vide, pour compenser. Puis tu pleurais, un peu.
Mais ça s’arrêtait vite. Quelques sanglots, pour faire passer l’émotion.
Et le soir, devant le crépuscule et les étoiles, ça t’reprenait parfois. L’émotion vive.
L’reste du temps, tu te voulais souriant.

Ce n’était pas la première louve que tu perdais, pourtant.
On ne s'habituait pas, à la perte d’un être cher.
Il t’avait fallu tellement de temps, pour accepter la perte de Mel. Tellement, que tu n’aurais même pas sû dire si en ce jour, t’en étais pleinement remis, hein. Et tu savais, que le deuil de ta Licorne ne serait sans doute pas fini lorsque tu t’en irais, parce que c’était long, le deuil, parce que t’étais vieux.
Tu l’acceptais aujourd’hui, ce fait.
Vieux.
Mais pas assez pour ne parvenir à se lever en c’matin !
T’voilà enfin debout, Teddy, partant mastiquer quelques racines et avaler quelques fruits. Comme chaque matin partagé avec elle, tu te tenais encore à ce régime.
Tu chassais, ensuite. Tu te permettais quelques prises, sans conviction.
Mais chaque repas pris sous ce toit t’imposait la végétalité.
Question de respect.
Ou un p’tit clin d’oeil pour celle qui était parti rejoindre les étoiles.
Tu vois, que j’les mange encore tes racines dégueulasses, eh.

L’repas terminé…
Fallait trouver d’quoi s’occuper.

T’en passais tellement, du temps avec elle !
Qu’maintenant, il te fallait trouver quelqu’un d’assez digne pour t’écouter parler (ou plutôt, quelqu’un apte à t’écouter radoter). T’étais solitaire mais loin d’être asocial, tu vivais seul mais tu cherchais la compagnie.
Tu envisageais de plus en plus de quitter la savane pour t’installer définitivement au refuge construit avec tes filles et ton fils, mais c’était une étape encore trop compliquée à franchir. Pour quelques nuits, sans problèmes ! Pour plus, ça serait devenu une habitude et tu n’étais pas prêt à renoncer à c’que tu considérais comme ton foyer.

Il ne t’empêchait de souvent t’y rendre,
Autant que chez Moiro.
C’est d’ailleurs chez elle, qu’tu te rendis en premier. Non pas parce que t’avais trouvé personne avec qui discuter ! Certes, peut-être un peu : mais c’était l’envie, la première raison de ta venue.
T’y allais souvent, sur l’île aux roses, celles toujours belles même en hiver.
Et comme d’habitude
T’allais souvent lui parler, sans attendre de retour.

T’y va beau, bien apprêté, parce qu’elle mérite ta plus belle gueule, parce qu’être sans Licorne ne te donne une raison suffisante pour ne pas t’entretenir. T’y vas le pas souple, aussi, celui que tu empruntes lorsque tu fais l’effort de te concentrer et qu’tu ignores tes quelques. Tu n’es plus capable de le tenir au naturel, mais il t’es facile de le faire de la porte du temple jusqu’à sa fontaine.
Et là, tu t’inclines

« Mes salutations, Ma Dame.»

Puis tu t'assoies, posant quelques fleurs de la savane sur son autel, toujours noué par un lien rose vif détaché de ton pouvoir.

« De vous voir me fait l’effet d’une cure de jouvence, vous faites palpiter mon cœur comme au premier jour. »
Ce vieux muscle qui, ma foi d’avoir tant aimé, se portait toujours bien.
« Par ailleurs, ne croyez pas que je viens vous visiter par défaut, chère Moiro. Il m’est bon de vous voir, fidèle déesse que la mort ne saurait emporter. Je ne vous cache cependant la solitude que provoque le départ de ma Licorne, et compatis avec le sentiment que vous devez partager avec la perte de votre prêtresse.
Je comprends ce manque et espère que vous vous remettez bien, ma chère. »
Tu ne sais si beaucoup pensent à lui demander. Toi, ça te vient souvent.

Ces quelques mots, seuls, suffisent à faire passer cette solitude.
Tu n’pouvais te sentir qu’aimer, devant la statue de ta déité.

Elle te vient ta déesse, de grâce et de beauté faite.
Elle est tigresse aux allures souples que tu ne te lasses de contempler, frémissant au contact de sa longue queue sous ton menton. Tu poses sur elle un regard sûr et brillant, alors que ton cœur s'emballe de quelques battements plus rapides. Le sourire parait en coin sur tes babines, étirant tout un côté de ton visage pour mieux en souligner une pommette et les rides joyeuses de tes yeux.

« Je me plais à croire que vous m'aimez bien trop pour envisager que je vous quitte, ma tendre Moiro. »

Elle ne pouvait convenir de le laisser partir, lui, fierté parmi ses disciples. Quel autre dieu, pour se vanter d'avoir loup aussi notoire et ancien que toi ? Tu brillais encore de sa couleur et t'appliquais chaque jour à mériter celle-ci, transformant ton âge en avantage. Les cheveux blancs et les rides ne t'avaient jamais rendu aussi sexy.
Sur cette taquinerie qui illumina ton visage blanchit, tu retrouvas cependant un sérieux certain quand elle te fit paraître sa propre peine face à la perte de sa prêtresse.
Il te semblait qu'il n'y avait eu qu'elle, pour ainsi la représenter, du moins tu n'avais eu vent par l'histoire d'une autre porteuse de rose qui soit digne de ce rang. Et le vide qu'elle laissait, cette absence infinie, ne pouvait que vous ébranler.
Elle, pour qui elle fut prêtresse. Toi, pour qui elle fut amie.

Le sourire en coin s'efface, il ne subsiste que l'ombre de celui-ci.
Que deveniez-vous, en cet instant ?
Une déité en présence d'un disciple...
Ou bien deux amis de longues dates se retrouvant autour d'un évènement commun, qu'était celui de la perte.
Vous vous vouliez être égaux, aujourd'hui.
Alors que tes yeux se portent sur la tigresse, tu tournes la tête et détaille la statue érigée là.

« Je n'ai, de toute ma vie, pas rencontré louve plus à même de porter votre couleur qu'Anianka. Elle fut celle qui me guida à vous. Et plus que de n'être qu'une guide, elle fut mon amie la plus proche. »
Un petit sursaut prend tes épaules.
« Je ne vous cache pas que ses moult charmes surent me faire de l'effet, elle aurait su faire succomber tous les mâles de ce continent. Elle était votre image, presque aussi parfaite. »

Partager t'apaise un peu. Tu as besoin de parler d'elle, un peu : sa farouche compagnie te manquait autant que la charmante compagnie de ta Licorne.
Elles furent toutes les deux les louves les plus importantes de ton existence, avant que ne se joigne à elles tes nombreuses filles.
A ton tour, tu tournes la tête vers la Tigresse à tes côtés.

« Puis-je savoir, la façon dont elle devint votre prêtresse ? »

Tu es aussi curieux que désireux de lui permettre le partage.
Et, peut-être, de s'apaiser elle-aussi.