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 ➼ Chagrin et jardin

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Daisy
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MessageSujet: ➼ Chagrin et jardin   ➼ Chagrin et jardin EmptyVen 04 Fév 2022, 12:04

Chagrin et jardin

ft. /


Hiver 2022.
7ans.




J’aurais pas su dire ce qui me tiraillait le plus, entre ma peine et ma haine, alors que je marchais d’un pas traînant sous les poutres de bois supportant cette voûte de terre, m’en allant droit vers ce mur qui ne laissait supposer qu’un cul de sac à qui n’aurait été averti de ce qu’il cachait en réalité.
Face à moi, la terre trembla et se replia sur elle-même, s’enfonçant pour mieux me laisser passer dans ce terrier gardé caché.
J’n’en avais encore pipé mot à personne, et le seul autre loup a en avoir eu connaissance avait décidé de quitter ces terres pour s’en aller voyager. J’pouvais pas lui en vouloir, de préférer cette aventure à celle-ci. Peut-être que j’aurais été tenté d’en faire de même, si je n’avais pas fait cette promesse, qu’était celle de devenir garante de cet endroit et de rattraper tous les affronts commis par mes semblables.
Et puis j’étais mieux seule, à reconstruire cet endroit : c’est moi, de base, qui m’étais engagée dans ce projet.
Lui, il s’était laissé entraîner sans savoir où cela mènerait, pour ça je l’en remerciait.

J’n’y avais cependant pas encore fait grand-chose, dans ce terrier.
J’en avais pas eu le temps, il s’était passé pas mal de trucs qui avaient fait que. Ca n’justifiait pas, et l’entité qui vivait aussi était en droit de me blâmer : mais je comptais me rattraper, maintenant.
Faut dire que la dernière fois que j’y étais venue… C'était suite à la mort de Maman, je crois. Parce que j’avais eu besoin de pas être dérangé, et que c’était le seul endroit qui m’offrait l’assurance d’être totalement seule. Parce qu’il fallait que j’évacue ces émotions négatives, celles que j’avais gardé bien au fond tout le temps qu’avait duré notre triste réunion de famille, parce que c’était mieux comme ça.
Les larmes, c’étaient pas ce que j’aimais le plus montrer, même à la famille.
De toute façon, on était pas proche, avec Maman, alors j’avais pas de raison pour chialer autant que les autres.

Le museau froncé, je m’en vais plus vers le fond, là où la louve noire et bleue aux allures de fantôme nous avait amenés lors de notre première et seule rencontre.

Là où tout était encore ravagé, autant qu’moi.
Fallait qu’ça change, tout ça… Enfin, surtout le terrier.

Je m’approche de quelques plants malmenés. Avec une pierre tranchante, brisée pour la rendre ainsi, je retire les branches les plus abîmées pour en libérer le reste de la plante. Elle aurait plus à déverser sa sève et son énergie dans des trucs morts, comme ça.
Des trucs morts.
Fâchée après le parasitisme de mes pensées, je me tourne vers un autre buisson mutilé. Il me faudrait du temps, pour réaliser une coupe propre de tous ces plants… De toutes les tiges et de tous les morceaux que je découpais, je n’en jetais par ailleurs aucun, et j'essayais d’en faire quelques boutures, histoire de leur offrir une renaissance digne de ce nom et de permettre au terrier de regagner en végétation : j’avais amené dans mon sac les mini-jarres faites avec Papa, pour occuper son après-midi de vieux, histoire qu’il se sente pas trop seul puisque Maman était plus là pour lui tenir compagnie.
J’serre les dents.
Creusant doucement le sol, je remplis les petits pots de cette terre sombre et adapté à ce genre de plantes, et j’y glisse les branches coupées, retirant de celles-ci les feuilles du bas pour mieux enfoncer la tige dans le terreau improvisé.
J’alla ensuite les arroser, avec l’eau d’un petit lac où je ne me permettais même pas de boire, par crainte que l’eau vienne à manquer.
Voilà.
Avec un peu de choses, des racines s’y développeront, et je pourrais les remettre en pleine terre.

Enfin, j’espérais.
J’aurais bien voulu en apprendre plus sur les plantes, avant d’me lancer dans ce projet. Je n’avais pas sû trouver des plantes vivantes dans l’obscurité complète, comme ici, j’savais même pas si ça existait vraiment en dehors de cet endroit. C’était pas faute d’avoir visiter les grottes, pourtant..
J’aurais bien voulu qu’elle m’apprenne, Maman, tout c’qu’elle savait sur les plantes, mais c’fut jamais le cas.
J’étais pas la plus intelligente de ces gosses, elle avait dû le sentir.

Un soupir fait trembler mes babines et j’essuie les quelques larmes qui gouttent sur mes joues.
Fais chier.

Fallait bien qu’j’avoue, ici et à l’abri de la vue de tous, qu’elle me manquait, Maman.
Même si notre relation n’était pas aussi forte qu’avec mes sœurs, avec qui elle avait plus partagée. Même si elle était à l'origine de ce sang de licorne que je détestais tant, même si j’aurais aimé qu’elle m’explique, comment on faisait pour mieux vivre avec.
Comment on évitait de mourir à cause d’un autre, comment on arrêtait, justement, d’avoir peur de mourir à cause d’un autre. C’était une condition difficile que je ne souhaiterais à personne, quand bien même se partageait à ce sentiment une certaine fierté à être par ce biais si connectée à ces vies que j’appréciais parfois protéger. C’était pas clair, j’étais un peu paumée et le resterais sans doute toujours : à sept ans, j’pouvais plus espérer de grand changement, plus proche d’la fin que du début.
J’n’en restais pas moins en colère, qu’elle soit partie sans plus m’apprendre.
J’étais une Licorne conne et incapable de soigner, c’qui n’faisais que me mettre plus en danger. J’avais même pas été apte à me trouver quelqu’un pour m’enseigner, parce que j’arrivais pas à les supporter, les autres, ou presque pas.
Et ceux que je supportais… Ils y connaissaient pas grand chose, en plante.
J’aurais voulu qu’elle me rende un peu plus capable, qu’elle m’influe autant qu’elle avait influencée Onyx, au point de la faire suivre sa voie auprès de la Dragonne.
J’aurais aimé qu’ça soit différent, ouais.
Qu’on soit un peu plus proche, sans doute.

J’portais ça en regret et ça me faisait l’effet d’une brique dans le ventre.
Parce que malgré cette capacité à voir les morts, ce petit don de merde qui survenait chaque automne, j’étais même pas certaine de la revoir, elle.
Elle était devenue une étoile[/], avait dit Prudence. Alors, on n’se recroiserait sans doute plus jamais.

Ce constat serre ma gorge et je prête vite attention à quelque chose d’autre.
Après la coupe et la bouture, je m’intéresse donc aux troncs et à leurs écorces arrachées. Faut les soigner, avant qu’ils ne soient malades. S’ils ne le sont pas déjà…
Ce sont des plaies laissées ouvertes, des risques évidents d’infection.
Et comment on soigne, un arbre malade ?
Je regarde autour de moi. J’ai pas grand chose dans la cervelle, j’ai jamais été amené à trop réfléchir.
Je suis du genre à agir, moi.
Mais j’avise l’argile aux abords du lac : c’est une glaise épaisse qui a recouvert mes pattes et a séché comme du plâtre, lorsque j'ai arrosé mes boutures et que je me suis salie.
Alors j’y vais et je m’en saisis, partant maculer les plaies suintantes de sève. Je protège ce que je peux, je prends mon temps.
[i]J’ai tout mon temps.


Il y a une sorte de sérénité qui sait me prendre, quand je suis ici.
Et parce que, sans doute, je me laisse aller à celle-ci… L’émotion, elle, ose sortir en un sanglot que j’étouffe avant de mieux laisser sortir.
Les yeux mouillés, j’achève de poser l’argile contre les arbres écorchées, ceux que la maladie n’aura sû avoir.

Quant à ceux pour qui il est trop tard, rongé de l’intérieur…
J’veux pas finir comme ça.
Mes cornes les frappent à leur base, défoulement de mon corps tendu pour mieux les briser et les amener à l’entrée, mêlant râles de l’effort et complaintes esseulées au cours de cette tâche. L’action est répétée sur les quelques troncs qui, bien trop abîmés par les griffes des loups, n’auraient que fait naître le risque d’une contamination de leurs semblables.
C’était comme laisser un fruit pourri parmi les bons. Ca finissait par tous les atteindre…

Le souffle rendu court par l’effort, j’essuie mon front de la sueur qui y perle et observe ce qui fut déjà entrepris.
Faudrait encore du temps, pour que j’arrive à tout faire. Et j’aurais pu chercher un peu d’aide, j’aurais pu en parler, de ça
d’autre chose
Mais le silence et cette pleine solitude savaient m’apaiser et me tenir loin de la colère qui trop facilement m'ébranlait.

Je n’voulais plus les voirs, les culs-bénits et les fachos.
Je n’voulais à avoir qu’à supporter ma famille, mon amie, et celle sur qui j’avais promis de veiller le temps que son fils devienne grand. Mais pas ici, non…
Loin des autres, les problèmes n’existaient plus.
Ici, rien ne pouvait m’ébranler. Pas de propos déplaisants, pas de connasses clanistes pour venir me casser les ovaires, pas de situations stressantes qui me feraient soudain hausser la voix, pas l’étincelle d’un feu.
Rien.
Rien que moi et ce qui devait être réparé.
J’en venais même à trouver l’apaisement, dans cette absence de contact lupin et ces travaux qui, je devais l’avouer, me plaisaient et donnaient un sens nouveau à mon existence.

Plus que pour les vies,
j’étais désormais engagé pour le terrier.

T’aurais été sans doute fière de ça, Maman.
Ainsi, je continuerais de mêler chagrin et jardin.
Jusqu'à ce que les deux s’achèvent.

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