[Edessa et Teddy] Les sirènes

-Edessa-

Le cri des mouettes qui volent au dessus de l'océan l'avait toujours apaisée. Depuis la première fois où ses yeux s'étaient posés sur l'étendue immense d'eau jusqu'à aujourd'hui, chaque fois les oiseaux crieurs l'avaient accompagnée. Elle qui maintenant ne faisait qu'un avec l'Océan rêvait d'aller conquérir le ciel, parfois. Elle sautait, haut, jaillissait avec les vagues en projetant une écume blanche vers les cieux, mais ne restait jamais bien longtemps en l'air. Si sa transformation avait adopté celle du poisson-volant, il lui manquait encore quelque chose pour aller rire avec les oiseaux blancs.

Quelque chose comme du vent. Vent qu'elle écoute, sur cette plage, yeux mi-clos. Pelage sec, blanchi par le sel de sa baignade, elle écoute, sent, ressent. La respiration de l'océan, le gargouilli des courants et des brises marines, calmes ou rebelles, constantes ou anarchiques. Ses cheveux flottent un peu autour d'elle, la fondant avec ce qui l'entourait. Jusqu'à ce qu'une voix ne vienne la déranger.

Elle ouvre deux yeux ambrés sur une odeur solitaire, de fumée et de musc. Un mâle, le corps sec et le pelage brun, deux cornes de bélier ornant son front. Quelques éclats de cristaux brillent sur son pelage, reflétant le soleil sur ses poils brillants. Il était beau. Pire que ça, il était attirant. Et pour parfaire le tableau ... Une voix grave et joueuse, qui éveillent en la louve l'étincelle malicieuse qui habituellement l'habite. Son coeur rate un battement, il n'est pas à son habitude de s'emballer pour ce qu'elle prend pour un jeu. Mais éclairé par l'océan, il lui semble que le mâle est un jeu qu'elle désire ardemment gagné. Alors, elle sourit, malicieuse, et entre dans la danse.


Elle se lève, joue des hanches pour venir pivoter autour du mâle. Le regard fixé dans le sien -et son coeur qui s'emballe sans qu'elle ne parvienne à expliquer pourquoi- elle continue :

-Edessa-

Les paroles ont le mérite de faire apparaître un sourire en coin au mâle. Sur le visage viril du charmant mâle, Edessa y lit quelque chose qu'elle adorait voir : du désir. Elle aussi le désire, il ne faut pas se mentir : un corps d'apollon aux muscles secs, cachés sous un pelage brillant, des cornes de cristal ornant un front haut et une mâchoire bien dessiné. Et surtout, une répartie aguicheuse, qui se prête aux badinages de la séduction. La frisée n'est pourtant pas conquise : il lui vient l'envie de jouer, encore, de ses atouts et d'apprécier pleinement l'effet qu'elle peut avoir sur les mâles, lorsqu'elle est en pleine confiance.

Il se fend d'une révérence, et elle s'approche en quelques pas rapides, baissant la tête. Soudain, ils sont proches, souffles entremêlés. Le coeur ne s'emballe plus car le contrôle est la clef : les yeux figés dans les siens, elle ne le lâche pas d'un souffle, penche la tête en gardant captif son regard tout en l'incitant à se redresser.


D'un pas danseur, elle s'écarte, entretenant la frustration d'un contact inachevé. Elle lève le museau au ciel et rit avec les vagues, sauvage.

-Edessa-

Le brun dévoile un peu de son histoire, et la frisée s'y intéresse dès lors qu'on y parle de pirate. Un ancien reader, alors, c'était étonnant ! Mais si leur équipage semblait assez soudé, elle ne doutait pas qu'on puisse ne pas y trouver sa place, parmi les fortes têtes. Pourtant, il ne semblait pas manquer de caractère, celui qui n'a pas peur de se frotter aux sirènes. Elle sourit, se tourne vers l'Océan en l'embrassant du regard. Lui avait été son seul et vrai amour, depuis le premier jour où elle l'avait vu.

Elle se souvenait encore, comme si c'était hier, du cri des mouettes et de l'odeur salée qui l'avait assiégée, surprise de prime abord. Elle avait marché des jours et des jours, apeurée, méfiante et épuisée. Sans famille, sans support, chassée par les etelkrus, elle vivait au jour le jour, en alerte en permanence. Sans but, sans envies, rien ne l'animait plus à part une soif de liberté folle et l'instinct de survivre, coûte que coûte. C'est alors qu'elle l'avait vu, enfin d'abord senti, ressenti. Le bruit des vagues s'était imposé à elle telle une énorme respiration, renflement puissant de la terre. Et en avançant, elle avait vu émerger l'horizon bleu où le soleil se reflétait à l'infini.

Elle s'était approchée, frappée par la vision onirique. Les vagues douces l'avaient accueillie, elle avait senti pour la première fois le sable et le sel dans son pelage, sur ses pattes et sa gueule. Elle avait admiré longtemps la courbure de la plage, fascinée par l'infini liberté qu'elle offrait. Et pour la première fois depuis qu'elle avait quitté ses parents, elle s'était sentie heureuse, d'un bonheur puissant et incontrôlable qui ne l'avait plus lâché tant qu'elle restait près de Lui. L'océan était son premier amour, et elle lui avait été fidèle depuis.

Le rythme des vagues pulsant dans les veines, elle tourne son regard vers l'inconnu qui, aujourd'hui, est le centre de son attention. Elle était mariée à l'Océan, mais leur union était libre, et son coeur assez vaste pour y accueillir un autre. Mais elle devait s'assurer de l'entente de ses deux amants, avant toute chose : alors en répondant elle recule vers la mer, laissant les vagues caresser son pelage avec douceur :


Un rire léger, une invitation.

-Edessa-

Elle rit, laissant planer le doute. Après tout, elle était un peu une sirène, et elle savait qu'elle tiendrait bien plus longtemps que lui sous l'eau. Une fois dans l'Océan, elle ferait ce qu'elle voudrait de lui, pourrait même le tuer si elle en avait envie ... Son regard s'allume d'une étincelle joueuse. Elle ne désirait pas le moins du monde se séparer de ce beau loup à la verve fournie. Elle entre dans l'eau à sa suite, ses yeux suivant le cercle qu'il décrit en nageant. Il semble qu'en plus d'être doué avec les mots, il ne soit pas menteur : sa nage faisait penser à celle d'un poisson, gauche comparée à celle d'un reader transformé, mais bien meilleure que n'importe quel continental.

Il finit par ressortir, l'eau rendant son pelage brillant plutôt que de lui donner un air de chien battu -on était dans un rêve, après tout. La frisée le dévore du regard, le laissant s'approcher et glapit face au défi. Il avait du culot, de défier une reader ! Et ne savait probablement pas à quoi s'attendre. Relevant le défi, elle saute à sa suite. Les écailles couvrent sa peau, et ses nageoires sortent sur ses côtes et son dos. Elle bat des pattes, une fois, deux, et elle le dépasse avec la facilité d'un animal marin. La gueule ouverte, elle expire un nuage de bulle en un rire sous-marin, inaudible mais joyeux, avant de jeter un regard en coin narquois au mâle. En s'enfonçant dans l'abysse, elle ralentit, curieuse de voir jusqu'où le mâle irait pour lui montrer qu'il gagnerait son pari. Allait-elle le noyer ? Elle en doutait, mais l'envie de gagner était plus forte que l'inquiétude pour ce bel inconnu.

-Edessa-

Il a du souffle, ce continental ! Il la suit toujours plus profond, traversant l'écran de bulle qu'elle expire, d'abord, puis n'expire plus alors que ses branchies prennent le relais. Elle triche, mais cela finit par payer : elle gagne. Le mâle derrière elle fait demi-tour, et elle s'arrête avant de se décider à le suivre avec souplesse. L'eau était devenue plus naturelle que la terre depuis sa transformation, et c'est avec un grand sourire qu'elle émerge, laissant ses poumons prendre le relais sur ses branchies. Elle émerge de l'eau, nageoires saillantes et écailles brillantes, avant de les résorber avec lenteur. Devant elle, il doit s'incliner : on ne peut battre une sirène au concours d'apnée.

Et comme tribu pour sa défaite, il lui offre un poème. Elle, se laisse séduire par les rimes, si proches d'une chanson. Pas très musicienne, elle a appris le chant des tripes durant leur bataille, et sait maintenant apprécier la beauté des mots et de la musique. Il lui propose un rendez-vous, et elle rit à la mention de la présence d'alcool : il n'a pas menti sur son ancienne appartenance, ou bien sait simplement l'amour qu'on les readers pour leur rhum. Elle se prête au jeu, lui répond en quelques vers qu'elle tord en une chanson se balançant au grès des vagues :


Elle rit, esquisse quelques pas de danse dans le sable, dessinant d'étranges arabesques éphémères devant les vagues. La danse était son expression, le chant simplement un outil pour s'y appuyer. Les vagues lui répondent, joueuses, et elle s'avance vers lui : où voulait-il allait, pour ce rencard particulier ?

-Edessa-

Elle aime se sentir désirée, Edessa, qui n'aimerait pas ? Et lorsqu'elle danse, il se joint à elle, et elle le désire d'autant. Ses yeux content une histoire qu'elle se plait à écouter, leurs corps sans se toucher partagent, aux côtés de l'Océan. Et lorsqu'elle a fini, il se rapproche, l'effleurant sans la toucher, sans oser ou pour la rendre folle. Dans les deux cas, il sait y faire, et son coeur s'emballe -juste un peu- alors qu'elle plonge ses yeux dans les siens. Une invitation, qu'elle saisit avec élégance, posant sa patte dans la sienne avant de le suivre.

Là où les readers ont commencé ...

Il est une âme peut-être plus vieille que la sienne, derrière ses airs de jeune adonis. Elle n'y était pas, lorsque les readers avaient commencés, et avait entendu dire que leurs débuts avaient été sombres. La curiosité redouble alors, et elle le suit d'un pas allant le long de la plage de sable blanc. Elle le laisse mener la danse, et s'arrête en même temps que lui. Un rendez-vous à la tombée de la nuit sera parfait pour se laisser languir, juste assez. Elle sourit :


Elle accroche son regard un instant de plus, juste pour s'assurer qu'il ne la laissera pas languir trop longtemps, puis fait demi-tour, queue levée, sans se retourner. Elle avait encore du travail.


Le soir était tombé, la mer irradiant encore légèrement, gorgée des rayons que le soleil avait laissé en se couchant. Edessa arpentait lentement la plage, prenant son temps pour arriver au point de rendez-vous. Elle avait passé l'après-midi dans une sorte de brouillard, mais s'était retrouvé de nouveau sur cette plage, cette fois apprêtée : ses cheveux noués était laissés un peu fous, comme toujours, mais désormais ornés d'anneaux de perles. Ses hanches étaient nouées d'une ceinture, où de multiples coquillages cliquetaient lorsqu'elle marchait. Elle lève le museau vers la mer, cherchant du regard la silhouette de son date. Il ne lui ferait pas le deshonneur d'être en retard, quand même ?

-Edessa-

Le cliquetis étrange d'un objet de métal surgit alors des ombres, et une lumière ténue d'abord vient vers elle. Edessa s'arrête, curieuse, avant que la lumière ne devienne plus forte, et qu'elle aperçoive celui qu'elle avait rencontré ce matin. Le fascinant loup aux cristaux s'avançait vers elle, souriant, le poil encore plus beau qu'avant : lui aussi s'était apprêté pour l'occasion. Se faisant demoiselle, elle se laisse guider avec curiosité vers le lieu de rendez-vous. Si d'autres, plus rustres, auraient profité de son intérêt plus tôt pour essayer de lui grimper dessus, lui avait l'air d'un autre genre : plus calme, plus mature peut-être.

Arrivée devant la nappe, déjà elle est charmée par la touche marine ajoutée au lieu : les objets lui rappellent son chez-elle, sur l'île de Morne-oeil, et le tableau était rendu parfait par un bouquet aux flagrances délicates, venant se joindre aux embruns de l'océan. Cachant son admiration, cependant, elle prend place en souriant. Jamais quiconque ne lui a offert un tel repas ... Elle relève un regard joueur avant de répondre :

Trompeurs, pervers, violents, ils avaient de nombreux défauts. Elle relève des yeux malicieux : lui était loin de toutes ces descriptions, mais elle aimait essayer de le déstabiliser. Essayer, seulement : celui-là avait une verve à toute épreuve. Elle se saisit du verre, en boit une gorgée avant de sourire, acceptant le compliment d'un air satisfait, mais le regard brûlant de curiosité :

-Edessa-

Les regards s'accrochent, les verres se vident et la nuit les enveloppe : seule la lanterne les éclaire d'une faible lumière, donnant à la scène une atmosphère intimiste. Edessa écoute avec une attention non feinte : elle aimait sa compagnie intéressante, les voyageurs et navigateurs étant en première ligne sur sa liste de souhait. S'il avait arpenté le continent, alors il aurait des histoires à raconter, et elle pourrait l'écouter et se mettre à rêver. Peut-être même qu'ils pourraient voyager ensemble, et à cette simple pensée -lui, elle, seuls sous les étoiles, à découvrir le monde- son coeur palpite un peu plus. Le verre est fini, il en faut une deuxième : ce n'est pas une soirée où la sobriété prélaverait.

Elle sourit, trinque avec lui, sirote une gorgée pour porter bonheur avant de ménager son silence, et finalement de répondre :


Elle prend une gorgée de nouveau, le regard porté vers la mer avec une expression affectueuse.


Elle rit, joyeuse, avant de se pencher un peu au dessus de la table. Déjà, ses roues rosissaient sous l'effet du rhum, mais son discours restait clair.

-Edessa-

Il se rapproche presque jusqu'à laisser leurs souffles s'entremêler, et elle plonge son regard dans le sien, un instant un peu trop long pour que ce ne soit pas anodin. Lui fronce le museau, et elle est frappée une fois de plus par la singularité de son visage, si expressif. Ses yeux pétillent d'une étincelle qui lui donne envie de voir le monde de ses yeux, de découvrir son monde à lui, ses aventures, ses amours. Elle ne se lasse pas de la regarder, cette étincelle, qui brûle dans ses iris et qui l'attire comme le chant d'une sirène bien particulière. Si elle a réussi à l'envouter, alors il a fait le même exploit.

Puis, sa patte relève la bouteille, et un autre verre est servi. Cette fois-ci, Edessa le sirotera, l'alcool lui montant doucement à la tête. Le rhum est bon, et elle s'y est habituée chez les readers, mais elle est curieuse de voir la résistance de celui en face qui lui a pourtant proposé de boire. Elle lève doucement la patte pour trinquer, les yeux pétillants de chaleur :

Elle boit une gorgée. Son premier amour ne lui tiendrait pas rigueur d'une autre aventure, elle le savait : elle était libre, à jamais. Son museau s'approche alors avec intérêt du poisson, goutant une bouchée. Cuisiné avec saveurs, elle s'étonne une fois encore des manières du mâle rencontré, dont les pattes polies cachent un bon cuisinier. Elle savoure, ravale une gorgée de rhum, et se penche de nouveau, joueuse :

-Edessa-

Le mâle se fait élégant, ménageant son silence comme une arme pour allumer la flamme de l'attente chez Edessa. Était-il au courant de son charme ? Probablement : ce n'était pas pour rien que brillait sur son corps la même lueur rose que celle de la belle Umaïama. La frisée se trouve suspendue à ses lèvres, transportée avec son réçitdans le grand Nord, aux côtés du mâle de quelques années plus jeune. Elle qui venait du Nord pourtant n'avait jamais entendu parler de ces étendues gelées : elle avait vu la neige, mais jamais en de telles proportions.

L'intrigue continue, lui donnant encore plus envie d'en savoir plus. Mais, manant avec perfection l'art de la frustration, le mâle ne lui en dit pas plus sur les prêtresses, sur les terres magiques d'où il venait, et à la place lui propose un voyage, pour le voir de ses propres yeux. Les yeux d'Edessa s'agrandirent légèrement, alors qu'elle sent son coeur se pincer avec délice. Elle voulait partir avec lui, l'idée était excitante et partager le voyage avec lui serait l'occasion d'apprendre à plus le connaître. Elle sourit, reprend une gorgée avant de s'avancer, frôlant son museau du sien :


Elle dévore son regard des yeux. Les voyages, les aventures, tout cela était son plaisir. Si le mâle était galant, elle pouvait l'être tout autant. Elle se rapproche un peu, encore, sentant son souffle sur sa peau, désirant avec ardeur en avoir d'avantage. Mais il n'était pas question de se donner, déjà : le jeu était ce qui l'intéressait le plus.

Elle voulait un plan à trois. Malicieuse, elle sourit : elle cherche un brin de peur, peut-être, dans le regard du mâle. Accepterait-il de lui faire confiance ?

-Edessa-

La frisée soutient le regard du mâle un instant, profitant de leur proximité, avant de s'écarter de nouveau. Toujours souriante, elle reprend son verre, faisant tourner le rhum entre ses parois de trois doigts délicats. Elle n'aime pas l'avouer, mais elle aime bien trop ce mâle pour vouloir voir finir cette belle soirée. Pourtant il se fait tard, et elle sait que bientôt, elle devrait rentrer chez elle et lui de son côté. Elle relève les yeux vers le mâle, détaillant une fois encore son visage régulier, son sourire et ses yeux brillants. A n'importe quel autre, elle aurait proposé de faire le chemin inverse, ou d'aller un peu plus loin pour passer la nuit ensemble. Mais lui ... Elle ne voulait pas gâcher ce qu'ils avaient en allant trop vite. Edessa devenue timide, qu'est-ce qu'il ne fallait pas voir !


Elle rit, plus doucement, gardant les yeux posés sur le mâle. Ils se reverraient, elle le savait, l'espérait de tout son coeur. Car elle voyait le même désir dans ses yeux que ce qui battait dans son corps. Elle cille, baisse les yeux avant de demander d'une voix un peu moins assurée, soudainement, comme par peur de gâcher le mystère :