[Mildred et Désastre] Tout est arrangé

Sous le voile son souffle est court, sous ses poils les muscles sont raides.

On ne doit pourtant rien remarquer et si elle n'a réussi à chasser la tension qui l'habite, elle déploie tous les efforts pour que sa démarche demeure fluide et régalienne.  
Il ne faut pas fauter. Il ne faut pas qu'une griffe claque trop fort, qu'un doigt frôle trop la roche, il ne faut pas trébucher, il ne faut pas faire un mauvais pas. Tout le monde le verrait.
Le tissu fin aux reflets de satin qui couvre son visage et pare sa chevelure ne lui laisse à apercevoir que des formes floues et indistinctes, mais elle sait qu'ils sont nombreux. Et Mildred sait qu'à cet instant, alors qu'elle remonte d'une allure maintes fois répétée cette longue procession, tous les regards sont braqués sur elle.

Son poil est lustré et elle se sait apprêtée, Mère y aura veillé.

Aucun détail n'aura été laissé au hasard pour celle qui portait sur ses frêles épaules l'immense honneur de représenter leur famille, elle qui fut choisie parmi ses autres sœurs pourtant nombreuses et selon elle bien plus méritantes.

A mesure qu'elle avance ses oreilles captent les sons qui indiquent que proche est son arrivée et l'angoisse monte encore d'un cran.

Est-ce qu'il sera beau ?
Elle n'a su obtenir beaucoup d'informations, n'a pas non plus osé beaucoup en demander de peur de froisser le visage de Mère et d'allumer dans le regard de miel des braises de colère. Elle ne voulait pas être insolente, seulement la rendre fière.
Est-ce qu'il sera gentil ?
Son clan est réputé pour ses coutumes guerrières, elle sait pourtant d'après les quelques romans qu'elle a lu qu'il peut tout de même être tendre.

... Est-ce que nous nous aimeront ?
Ces choses-là prennent du temps. Elle n'a encore jamais été amoureuse, peut-être que lui si ?

Enfin sa truffe capte les odeurs mêlées de la proximité de Mère, celle d'une autre présence forte et féminine, et puis...
Et puis une fragrance plus musquée, quelque chose de différent.
Son promis.

Son cœur s'emballe et le stress lui tord maintenant les boyaux alors qu'elle s'arrête au carré, le port de tête bien haut et la queue enroulée dans une courbe gracieuse. Le monde entier s'est tu et le silence est assourdissant, amplifie les respirations qu'elle ose à peine prendre pour les rendre monstrueusement bruyantes à ses propres oreilles.
Et que dire des coups puissants dans sa poitrine qu'elle ne sait calmer, alors qu'elle sait imminent ce moment où une patte viendra lever son voile ?

Oh, par Moiro. J'espère que mes coussinets ne laissent pas de trace de sueur.

L'attente lui est difficile à supporter tant elle se croit capable de défaillir à chaque instant.

Elle savait bien, qu'elle n'était pas celle qu'il aurait fallu choisir.
Ses émotions à elle sont trop instables, ses doutes trop handicapant. Ne finiront-ils pas par voir aussi la fragilité qui se cache sous la fourrure dense et belle, par repérer le subterfuge de ce corps qui fut second plus frêle de sa grande fratrie ? L'entraînement à la grâce et à la tenue, l'apparence que l'on soigne à outrance ne suffisaient pas tout à fait à compenser ces défauts.
Si elle enfantait des héritiers affaiblis pour ce clan qui s’enorgueillissait de la force physique ? La faute tomberait sur elle, on l'accuserait de ne pouvoir remplir le rôle dont on l'avait honorée, l'on trainerait son nom dans la boue.

Elle sent sous son pelage sa peau qui tressaute de tremblements incontrôlables et elle retient de justesse la fuite d'un gémissement d'impuissance.

Puis un mouvement caresse l'air, quelque chose s'accroche au tissu et vient faire trembler sa vision calfeutrée du monde tout autour.

Encore son coeur s'emballe car elle comprend qu'est venu le moment.
Dans moins d'un instant le voile ne se tiendra plus en rempart contre l'inconnu qui va la posséder et contre la lumière intense qui va l'agresser.
Sous ce voile tout était encore doux et teinté de réconfort, sous ce voile demeuraient les fragments de sa liberté et les dernières secondes de l'innocence d'un visage adolescent destiné à être femme.

Les rayons s'engouffrent dans ses rétines et l'aveuglent.

Mildred doit se battre contre le réflexe de fermer les yeux en réaction à l'agression, elle parvient à réduire sa défense à simplement des paupières qui se plissent. Les larmes affluent et menacent de tomber mais par miracle elle évite aussi cette catastrophe.

Et alors qu'elle s'habitue à cette nouvelle luminosité, alors que ses yeux clairs découvrent tout ce décor, toute la foule, toute la cérémonie... Elle le voit, Lui.
Ses pupilles tombent dans ses yeux rouge rubis et c'est comme un choc qui arrête son cœur pourtant affolé. Son estomac se contracte de la même manière qu'avec ce stress qui l'a malmenée, mais pourtant elle sait dire que c'est... différent.
Leurs regards sont accrochés ensemble, tant par la tradition qui veut qu'à cet instant où les futurs mariés se découvrent ils n'aient d'attention que l'un pour l'autre - tant par cette curiosité mutuelle qui veut se satisfaire.
Et pour elle, aussi, parce qu'elle aurait été bien incapable de se détacher même si elle l'avait voulu. C'est un mélange d'émotions complexes et acérées qui la submerge, qui la percent de milles aiguilles.

Elle se dit que c'est mieux que de ne rien ressentir, ou que de ressentir du dégoût.

Peu à peu elle parvient à regagner contrôle de sa vision, assez pour le détailler d'une plus ample manière.
Il est plus jeune qu'elle de quelques mois sans que ce soit significatif. Déjà parce que pour son âge il n'en demeure pas moins doté d'un corps d'adulte : la rigueur de son clan transparait dans ces muscles fins et ciselés sous le pelage rayé. Ses appuis sont solides, son bâti est fort ; il n'en reste pas moins d'apparence légère et vive.
Une incarnation modèle de cette meute qu'il représente. En réponse à cette réflexion monte à nouveau de l'angoisse, chez elle. Elle n'est pas assez bien. Il le verra.

S'impose également une évidence quand ses prunelles vairons retournent dans les siennes. Chez ce mâle, non, chez son époux, il n'y a aucune émotion.

Alors que dans sa gorge à elle elles s'étouffent, que dans ses pensées elles s'emmêlent, que dans sa poitrine elle se bouscule. Mildred ose poser un mot dessus : elle le trouve bel et bien beau, à sa manière, certes plutôt éloignée de ses propres critères et de ceux que sa famille dresse en étendard, mais tout de même.
Elle le trouve intriguant, elle le trouve attirant.
Il ne la laisse pas indifférente.
Pire ; il la bouleverse pour ce qu'il est plus que pour ce que leur présence à tous les deux représente.

Elle ne sait pas dire s'il s'agit d'un coup de foudre car dans les romans, tout est décrit comme étant bien plus beau. Dans les lignes de ces histoires qui n'arrivaient qu'à d'autres existaient des papillons dans le ventre, des pensées étourdies, une sensation de légèreté et surtout une évidence. Qu'il s'agit d'une bonne chose, que l'attraction en est pratiquement magnétique, qu'il s'agit là d'amour.
Pourtant chez elle, il s'agit surtout d'un malaise supplémentaire qui vient se mêler au reste. Elle voudrait croire qu'elle a pu en tomber amoureuse au premier regard ; tout serait bien plus simple ! Mais elle doute d'être assez chanceuse, tout comme elle se méfie de son évidente naïveté.

Alors elle écoute enfin les mots solennels que prononce la mère du prince après en avoir manqués beaucoup.
Il s'appelle Astre. C'est un beau nom et la syllabe qu'il accorde en consentement, premier mot qu'elle entend naître de sa voix rauque, amènent une nouvelle vague de chaleur à ses joues.

Et viennent ceux de la sienne.

— Mildred, princesse de la noblesse Lazulis, fille du Chevalier Alpha Gloriel et de moi-même, Anianka, Prêtresse de Moiro. Acceptez-vous de prendre Astre pour époux ?

—  Oui.

Sa voix s'est un peu étranglée, elle prie que personne n'ait remarqué.

Puis après un silence éclatent des jappements et des hurlements qui parviennent de l'assemblée et elle connaît la suite, répétée elle aussi.
C'est le moment où, tout en gardant haut son port de tête, tout en gardant dans une ligne droite son dos, elle doit se pencher avec mesure et qu'il en fera de même. Jusqu'à ce que se mêlent leurs souffles chauds, jusqu'à ce que leurs museaux s'effleurent seulement ; et alors il faudra repartir à foulées accordées et prendre ensemble ce chemin qu'elle fit à l'arrivée à travers la foule rassemblée.

Et jusqu'à leurs quartiers privés, se laisser escorter.

C'est à peine un contact que s'échangent les moustaches.
Les sens trop en éveil pour le manquer, elle remarque sa respiration qui chez lui s'est suspendue ; mais ses pensées, elles, sont trop chaotiques pour qu'elle sache quoi faire de ce détail. Peut-être avait-elle commis une nouvelle faute et manqué une étape des nombreuses répétitions, peut-être que dans toutes les instructions que lui donna Mère il y eut celle de maintenir son souffle lors de cet instant car il aurait été impoli de déranger par quelque chose d'aussi banal qu'une expiration le moment le plus sacré de la journée, le climax de la cérémonie, la seconde où ils scellaient le basculement de leurs vies respectives.
Son estomac sombre un peu plus à l'idée de cette erreur dont elle s'est déjà convaincue, mais elle n'aura heureusement pas davantage le temps de s'y attarder.

Car Astre, son époux, donne le signe du départ et il lui faut renforcer ses murailles ébranlées pour ne point les voir céder devant la foule.
Ce rassemblement de loups qu'elle traversa à l'aller dans un silence religieux, dissimulée derrière le voile dont elle regrettait désormais la protection, éclatait maintenant de milles exclamations.

Car cette union qui venait de se sceller était symbole de pouvoir, et le pouvoir était chose que l'on brandissait bruyamment.

Le chemin qu'elle fit seule est maintenant partagé par la silhouette svelte du Prince Etelkru et devoir accorder leurs foulées est une prouesse délicate qui demande presque toute sa concentration. Le tempo qu'impose la tradition et son statut de femelle, par défaut davantage soumise à lui qui est son mâle selon les termes de ce contrat, la mène à calculer ses mesures de sorte que le couple s'avance côte à côte mais, pour elle, avec un demi-temps de retrait. Ainsi Astre posera toujours patte en premier, et Mildred restera quelques centimètres derrière.
Et ce mince écart se devrait de rester régulier pour que détail finement arrangé ne se mue en défaut grossier.
Coordonner ainsi des mouvements est un art supposé se bâtir dans de multiples répétitions mais pour cette occasion ils doivent mutuellement s'adapter et arranger cette démarche au plus vite et au plus fluide.

Elle considère heureusement ne pas s'en sortir si mal que cela ; et adresse un remerciement mental aux enseignements d'Anianka autant qu'elle bénit qu'il soit fils de Kiro et non d'Aka, pour cette souplesse d'allure qui facilita la tâche.

Quand bien même son statut de disciple marque une inégalité supplémentaire entre eux.
Plus jeune qu'elle, pourtant davantage accompli.

Elle ne peut plus se permettre de s'attarder sur de telles pensées maintenant qu'il n'y a plus aucun tissu pour dissimuler les possibles fluctuations de son expression.

Alors elle garde la tête droite et ne concentre son esprit que sur l'exécution de ses pas bien réglés, que sur le port de son corps qui se doit excellent pour ne pas faire d'ombre au prince bicolore.
Les yeux vairons maintenus dans une ligne droite prête à transpercer l'horizon, il lui arrive parfois de croiser quand même quelques regards.
Ceux d'inconnus la plupart du temps, ceux de membres honorables qu'elle devrait apprendre à reconnaître.

Et parfois le sien, dans un éclat rouge qu'elle surprend quelques fois dans sa direction - à moins qu'elle ne se l'imagine.
Mais chaque fois qu'elle pense en tout cas que c'est bien les yeux du Prince qu'elle a surpris sur elle, un nouveau coup au cœur la déroute et une nouvelle vague de chaleur la submerge.

Et enfin, ils y sont.

La clameur de la foule s'est progressivement tue, les derniers loups à avoir partagé leur route jusqu'au bout du parcours s'en sont allés.
Et maintenant ils sont seuls.

A nouveau revient le stress sans se faire attendre, tambours rapides qui imposent nouveau rythme à son myocarde.
A la lourde porte qu'il ouvre, Mildred s'avance dans ce qui remplacera une Île fleurie en guise de nouveau foyer. Sans ses sœurs, sans ses frères, sans ses parents et leurs nobles amis, sans la présence coutumière des têtes connues et importantes des Lazulis.

En silence elle lève la tête et détaille chacun des ornements, la disposition de l'habitat, le raffinement de l'ensemble. La température qui règne est douce comme celle de son Île, la luminosité qui s'engouffre via de généreuses ouvertures chasse ce que cet endroit clos aurait pu avoir de lugubre, l'odeur est agréable et délicate - elle imagine le travail qu'auront fournis les domestiques pour qu'à leur inauguration des lieux, tout y soit parfait.
Elle peut bien l'avouer ; l'ensemble est réussi et elle s'aventure vers la pensée que oui, elle pourrait aimer cet endroit.

Pourtant demeure le malaise.

Celui d'y habiter dès à présent avec un inconnu qui éveille autant de négatif que de positif dans l'affolement de ses sens.

Et à partir de maintenant elle est bel et bien seule sans des conseils dictés d'une voix sévère mais vénérée, et bel et bien misérable face à la réalisation qu'elle ne sait du tout quoi faire.
Elle se sent cruche tout juste bonne à rejoindre les quelques poteries qui ornent certains meubles. Belle peut-être, mais trop idiote pour faire honneur à la réputation de sa famille.

La voix grave qui s'élève la fait sursauter. En vitesse ses iris trouvent leur cible et elle soutient le regard du mâle gris.
Elle a noté son hésitation, tout comme elle a noté son timbre atone et la totale neutralité de son expression.
Et si elle s'efforce à se dire qu'ils ne se connaissent pas encore, qu'il est peut-être tout aussi mal à l'aise qu'elle et le cache derrière cette indifférente façade, la pensée qui s'impose en dominante est celle qui lui parait la plus évidente.

Il est déçu.

C'est le mot qui tourne en boucle dans sa tête.
Il devait s'imaginer une autre louve, peut-être moins superficielle, plus proche de ses valeurs, peut-être plus belle aussi ?
Les standards de sa meute n'ont sans doute rien à voir avec ceux de la sienne.
Elle ne peut empêcher le fil de pensées de dégringoler en cascade incontrôlable vers cette réflexion qu'elle n'eut que de manière fugace mais qui s'embraye à ce train infernal : Astre avait peut-être une amoureuse dans son clan, une autre femelle qu'il aurait aimé pour louve - et Mildred n'était plus que gouffre les séparant.
Sa bouche s'est asséchée mais la sueur chauffe ses tempes et elle force un sourire sur ses lèvres pour lui répondre.

—  C'est très bien arrangé, je vous remercie.

Comme face à tous les autres elle a forcé sa voix à ne pas trembler, l'a modulée des intonations chantantes et sereines qui allaient de pair avec la noblesse de son sang.
De lui, elle est persuadée de lire un contrôle total sur la situation. Elle ne peut pas échouer si vite, ne peut pas se déshonorer en décevant encore plus ses attentes.

—  Désirez-vous que nous visitions l'endroit un peu plus en profondeur ?

Elle espère convaincant le masque d'aise et de confiance qu'elle bâtit derrière son sourire crispé.

Le regard carmin est fixe dans le sien et elle s'inquiète de ne toujours rien pouvoir y lire avec certitude.
Il y avait pourtant toujours eu, chez elle, une sorte de perception plus aigüe du ressenti d'autrui : il lui était aisé de remarquer une légère inflexion d'humeur, de déceler de la colère ou de la déception. Cela n'avait jamais été un don agréable, que de capter un peu plus ces émotions négatives dans le regard de ceux qu'elle voulait rendre fiers et d'y confirmer ses propres doutes.
Mais tenter de lire quelque chose, chez lui, s'apparente à fixer une eau calme et trouble.
Même les plus clairs des rayons en étaient renvoyés et étaient incapables de percer.

Heureusement il ne tarde pas à acquiescer, de cette voix grave et un peu morne, et leur remise en mouvement est l'occasion de peut-être passer un moment un peu moins gênant et de pouvoir concentrer son attention et ses dialogues sur autre chose.
Sans davantage d'informations à son sujet, elle continue de le croire parfaitement adapté à cet environnement et maître de leur rang.
Comment pourrait-il feindre une telle indifférence proche de l'ennui autrement qu'en étant mille fois préparé à ce moment ?
L'angoisse générée par ce déséquilibre entre eux demeure présente mais elle entrevoit aussi la possibilité de peut-être manœuvrer assez habilement dans ses traces pour se sentir plus à l'aise en répliquant les codes, cachant son impuissance dans un léger train de retard qu'elle s'appliquerait à maintenir.

Il lui suffit de le suivre !
Et tout se passera bien.

Jusqu'à ce que leur progression à peine entamée soit coupée d'une nouvelle question.

Par où ?...

Ses muscles se crispent et Mildred se mord la lèvre inférieure dans un accès de nervosité. A nouveau elle se sent inondée de chaleur et peine à masquer sa mine déconfite lorsqu'elle tourne un peu le visage vers lui, à la recherche d'un indice.
Mais descendre où ?
C'est la première fois qu'elle vient ici et elle n'en sait rien. Elle se persuade maintenant qu'il s'agit là d'un énième manque aux attentes, que peut-être existe pour les gens de leur étiquette une connaissance à avoir sur un plan standardisé de leur royal logis, et qu'il était coutume pour la louve d'initier l'itinéraire vers un... sous-sol, donc ?

Et il lui faut maintenant trouver un escalier, car Astre lui a demandé la direction.

—  Hum je- Pense que peut-être c'est le couloir central-

Elle se tient bêtement immobile, la gueule entrouverte et le cœur battant, encore plus démunie que lorsque que plus tôt dans cette journée elle n'avait été qu'une adolescente qui attendait qu'on lui retire son voile.
Alors Mildred sent les larmes affluer en même temps que sa honte gonfle et la submerge et elle tourne vivement le visage pour prendre la tête de leur duo dépareillé, dans l'espoir de fuir les yeux inquisiteurs du jeune mâle. S'il est de plus en plus difficile de faire mentir son visage, elle peut néanmoins continuer à dresser la queue et à faire décrire à son corps des courbes gracieuses dans une illusion d'assurance.
C'était tout ce à quoi elle était bonne.

—  Allons voir !

Elle s'exclama d'une voix faussement enjouée et trotta le long d'un corridor, balayant les portes de son regard vairon, suppliant d'y trouver une ouverture. Mais il n'y a rien de si évident qu'un trou béant dans la roche pour la rassurer et faire fonctionner sa bravade.
Dans une ultime tentative, elle pousse de l'épaule une porte légère et tombe sur une buanderie.

Alors Mildred ne résiste plus à la bulle qui a envahi et comprimé sa poitrine et éclate en sanglots.

Ses joues s'inondent, son corps s'agite de soubresauts incontrôlable.
Chaque sanglot supplémentaire qu'elle ne sait contrôler est une raison de plus pour se fustiger et alimenter encore le chagrin dans un cercle aussi infernal qu'incontrôlable. En cet instant elle aurait voulu pouvoir s'enterrer et ne jamais ressurgir aux yeux du monde ; ni devant sa famille, ni devant Astre, ni devant quiconque.
La louve se mord les lèvres pour tenter d'empêcher son visage de se déformer sur les pleurs qui la secouent encore mais c'est peine perdue ; trop grand est son désarroi.

Puis une voix grave qu'elle a presque oublié tant en cet instant ses pensées se concentrent davantage sur la honte qu'elle porte sur sa famille plutôt que sur le mâle témoin de la scène surgit dans son dos, et elle se rappelle que oui, son nouvel époux est bel et bien témoin de cet accès d'affectivité qui est aux antipodes de... De tout.
De la noblesse qu'elle est supposée porter, du contrôle de soi que veut leur étiquette, de son rôle de louve adulte qu'elle incarne depuis aujourd'hui.
Diantre, elle était maintenant l'épouse de l'un des loups les plus influents du continent, pas une enfant !

Cette pensée ne calme pas son envie de disparaître ni son chaotique chagrin, mais elle suffit néanmoins à lui asséner un petit coup de fouet qui calme ses larmes.
Mildred passe une patte rapide sur son visage pour tenter de l'arranger au mieux avant de se retourner vers son mari, les yeux encore rouges, les joues creusées de sillons humides, un sourire tremblant sur les lèvres.

—  N-non, pardonnez-moi. C'est... L'émotion du changement.  

A travers sa peine, néanmoins, constater que le loup bicolore est toujours là, derrière elle, les yeux sur elle et qu'il a cherché à savoir ce qui n'allait pas diffuse une légère chaleur dans sa poitrine.
Bien-sûr rien n'efface l'embarras cuisant qui la marque au fer rouge, tout comme le regard désapprobateur de Mère qu'elle s'imagine sans mal et qui la hante.
Mais de lui elle s'est attendue à tout un éventail de réactions allant du soupir à des crocs découverts, dans un élan de colère qui aurait enfin brisé son masque impassible pour révéler à quel point il se sent leurré de l'épouse qu'on vient de lui offrir.

Il lui aurait suffit de se détourner et de partir sans lui accorder un dernier regard pour révéler à leurs deux familles la calamité qu'elle incarne.
Au moins, tout aurait été fini.

Mais au lieu de ça... Il la questionne, il attend, il observe.
Et si elle n'est toujours pas capable de déceler grand chose dans ce regard écarlate, elle n'y voit au moins rien de négatif.

Alors Mildred se détend un peu plus encore et son sourire se fait un peu plus sincère bien que toujours aussi gêné.

—  En fait, je ne sais pas s'il y a un escalier ici.

L'aveu est soufflé dans un murmure presque amusé et la libère d'un poids inattendu.

Je comprends.
Ce sont deux mots simples et sans ambition, mais ils lui font relever encore un peu plus la tête et scruter avec plus d'intensité ce visage noir et blanc. Elle n'y voit toujours rien de moqueur, rien qui la... juge, elle qui a cette habitude systématique de déceler dans chaque pli et dans chaque regard les sous-entendus d'un entourage qui évalue et qui critique.
Puis elle voit ses commissures bouger pour la première fois, dans la trajectoire avortée d'un sourire.

Dans sa poitrine, son cœur se réchauffe encore.

Suite à l'aveu ne vient pas non plus un quelconque contrecoup et plus inattendu encore : il lui semble que c'est un aveu de son propre cru qu'il lui livre.
Et la situation s'éclaircit pour ce qu'elle est : un simple malentendu, un quiproquo, entre une louve qui a parlé de profondeurs comme un concept large et un loup qui l'interpréta comme un souterrain.
Mildred reste un instant incrédule et bouche bée, les yeux légèrement écarquillés. Il n'y a pas de grandes attentes dans son esprit pour lesquelles elle ne convient pas, pas de condamnation permanente qui s'inscrit au fur et à mesure de chaque faux-pas qu'elle exécute. Elle qui fut si prompte à se convaincre de ce cauchemar qui lui parut être une évidence est tout aussi rapide à comprendre, sur ce déclic, qu'elle s'est trompée.

Leurs deux familles, oui, vivaient en harmonie avec l'étiquette. Pour l'application des moeurs, pour la grandeur d'un nom, pour la lutte vers le pouvoir et la reconnaissance.
Mais lui, eux...
Ils ne sont encore que des adolescents que l'on a mariés du jour au lendemain.

Et chez eux deux transpercent cette innocence et cet embarras à devoir se débrouiller avec des notions et des valeurs qui les dépassent.

A peine quelques minutes après les pleurs, c'est un gloussement incontrôlable, de soulagement, qui la secoue.
Mildred porte une patte à sa gueule pour masquer un peu ce rire, pas tout à fait

—  Je crois qu'on s'est tous les deux trompé, alors.

Le dire plus que le penser la libère d'un poids.
Qu'elle n'est pas seule à être empotée : Astre aussi, à sa manière bien plus discrète.

—  Nous pouvons donc visiter sans profondeur le reste de l'appartement.

Elle s'essaye à un trait d'humour avant de se lever et de le contourner, la queue recourbée dans un geste cette fois plus sincère.
Peu à peu, Mildred se sent davantage à son aise.

Le mâle sur ses talons, ils détaillent cette habitation qui est leur dans une atmosphère plus légère.
La température de l'endroit n'a sans doute pas changé, il lui semble néanmoins qu'elle a gagné quelques degrés. Mildred lève les yeux sur tout ce qui les entoure ; elle détaille du regard les voutes sculptées, les ornements travaillés, les décorations appliquées. La plupart de ces éléments sont des choses qu'elle sait apprécier, notamment car elle perçoit l'effort et le temps qu'il a fallu déployer pour parvenir à un tel résultat.
La multiplicité des pièces la laisse en revanche indifférente, et peut-être même un peu perdue. C'est un étalage de grandeur et de trop, c'est l'impression d'avoir un grand espace à combler et ça ranime cette tension en elle : que de ne pas être à la hauteur de tout cela. Mais elle imagine qu'elle n'a pas vraiment le choix, de toute manière.

Astre reprend la parole et elle écoute avec curiosité l'avis qu'il exprime, étonnée -et encore rassurée- de l'entendre former une opinion tant assumée.
Elle même n'aurait probablement pas osé, malgré les progrès qu'ils viennent de faire, révéler ses retenues et ses incertitudes. Mais son époux n'a pas hésité, tout comme elle remarque qu'il a abandonné le vouvoiement que leur imposait jusqu'alors leur statut et la distance - à moins qu'elle n'ait été première à le faire par mégarde dans ce moment de rupture et d'abandon ?
Elle s'en serait sans doute formalisée et inquiétée si Astre n'avait pas semblé y accorder si peu d'importance.

Peu à peu, elle découvre chez ce prince une sincérité et une simplicité qu'elle n'a pas l'habitude de côtoyer.
Et qui est bien plus agréable que cette impression constante de ne pas correspondre à un moule trop complexe et trop exigeant.

Il s'exprime à tâtons, sans grandes phrases bien pensées destinées à frapper fort. Il exprime seulement ce qu'il pense dans l'instant, sans sous-entendus élaborés qu'il faut longuement étudier pour les comprendre.

—  Je trouve qu'il y en a beaucoup, et j'aime bien celle avec la cheminée aussi. Je crois que nous n'avons pas encore vu la chambre.

N'est-ce pas l'une de celles qui est destinée à être des plus importantes, pour le temps qu'ils y passeraient et la symbolique qu'elle revêt ? Ils sont revenus dans la salle principale proche de l'entrée après avoir remonté le couloir principal dans le sens inverse, restait une sorte d'alcôve dans un autre coin, avec une porte de tissus rouges plutôt que de bois.
Elle s'y aventure, sa queue battant désormais un tempo un peu plus allègre au rythme de ses pas, et elle pousse du museau le rideau.
La lumière tombe dans cette pièce d'une manière différente : plus tamisée, plus intime. Dans la roche qui constitue les murs sont creusées de nombreuses niches, emplies de chandeliers et autres bougies, et plus bas est disposée la literie : une couche large et d'apparence confortable, avec quatre planches de bois nobles pour former un sommier qui renferme de quoi émuler un matelas. Sans doute du duvet et de la paille sur différentes strates ; elle ne saurait décrire l'exacte composition, tant la disposition est fine et empêche de voir les détails disgracieux. Ainsi cette garniture est-elle couverte et contenue par un drap noble, et attendent leur venue, plus tard ce soir, de nombreuses couvertures, des moelleux coussins et d'autres tissus.

Sur la même paroi qui accueille la lucarne, est creusée une vasque dans laquelle s'écoule un filin d'eau claire - et sont répétées les trois bannières des Dieux Lazulis.
A l'opposé où répondent en miroir les couleurs des divinités Etelkrus, dans l'épaisse cloison qui se partage avec la salle principale et sa cheminée, un plus petit âtre est présent. De quoi maintenir une température agréable dans cette pièce également. Mieux encore, elle vient de le remarquer - en bas du lit repose un ustensile de métal sombre dans lequel rougeoient quelques braises, enfermées dans la prison sécurisée pour diffuser la chaleur dans les couvertures sans risquer de créer un feu.

Mildred sourit et tourne les yeux vers Astre à ses côtés.

— Ça a l'air très confortable, qu'en dis-tu ?

Elle réfléchit maintenant à ce qu'il pourrait manquer, à ce qu'il faudrait changer, comme l'a suggéré le loup...
Lui vient une idée soudaine.

— Je crois que j'aimerais bien avoir... Une serre. On pourrait se débarrasser d'une pièce inutile mais lumineuse pour y faire grandir plein de belles plantes !

Un peu comme chez moi.
C'est peut-être ce qui lui manque le plus, malgré le soin qui permet à ce logement de paraître accueillant et complet. Mildred est née à l'air libre, sur une Île fleurie dont elle aime le parfum et la prolifération de verdure.
Elle voudrait pouvoir retrouver cet écrin de verdure dans sa nouvelle demeure.

Un de ses sourcils se hausse d'une imperceptible manière quand elle le voit s'avancer vers le lit à sa question.
A vrai dire, elle ne s'était pas attendue à ce qu'il désire l'essayer maintenant pour pouvoir répondre, mais... Pourquoi pas. Il s'y aventure d'une patte puis de deux et de quatre ; et s'y couche d'une manière bien particulière qu'elle n'a encore jamais vu chez un canidé. Rien ne dépasse : il n'a pris qu'une toute petite place en bout de lit, parfaitement ordonné dans une masse compacte.
A nouveau un petit sourire amusé s'invite sur les lèvres de Mildred. Astre a réellement de drôles de caractéristiques qu'elle ne lui aurait pas soupçonnées.
Comme il lui confirme que le lit est confortable, et comme il y reste pour continuer de là-bas la conversation... Elle hésite, d'une patte qui se lève un instant et reste un peu suspendue.

Est-ce une invitation à l'y rejoindre ? Déjà ?

L'idée ramène un certain trac dans son ventre, sensation qui s'était dissipée lors des dernières minutes partagées.
En fille de la Prêtresse de Moiro, Déesse du charme et de la séduction, elle est loin d'être étrangère au savoir de ce qu'auront à faire un Prince et une Princesse dans un lit.
Et si Astre est loin de physiquement lui déplaire, ce sera tout de même la première fois qu'elle aura à partager ce genre d'intimité.

Mildred déglutit avant de le rejoindre, tâchant de masquer son appréhension. A côté de lui sans pour autant le coller elle s'étend, dans une posture moins rangée que la sienne - elle n'est pas sûre de savoir aussi bien se plier sur elle-même - mais un peu fermée tout de même.
Une certaine chaleur a envahi son corps et gagné ses joues qui n'a rien à voir avec la température agréable de la pièce.

Heureusement Astre reprend le sujet de sa serre et détourne ses pensées, lui permettant de se raccrocher à la discussion pour évacuer son stress.

—  Quelques roses oui, mais pas que. Malgré ce que son nom laisse entendre, toutes sortes de fleurs poussent sur l'Île aux Roses.  

La question suivante l'interloque et elle le regarde d'abord sans rien dire, les yeux un peu agrandis. Elle cherche le lien entre la serre ou les plantes ou les roses et la peur des serpents, mais elle a beau se creuser la tête elle se sent à nouveau comme une idiote.

— Hum, je ne crois pas... Enfin, je crois que je n'en ai jamais vu.

Tout au plus a-t-elle croisé la route de quelques orvets, dissimulés dans la dense végétation. Elle les sait très proches des serpents et ne les associe pas à une quelconque frayeur. Au contraire, elle les trouve amusants et se dit même qu'elle les aime bien.
Tant qu'ils ne sont pas trop gros, du moins. Elle sait qu'un lézard ne mord pas, mais certains serpents sont dangereux et elle se porte très bien de les avoir loin d'elle.
Peut-être est-il là, le lien ? Astre s'y connait peut-être particulièrement en serre et jardinage, et sait que les cultiver dans un tel environnement peut attirer les serpents ? Elle n'y avait pas pensé.

— Pourquoi, tu crains qu'ils s'infiltrent dans la serre ?

La lumière jaune dans ses yeux qu'elle soutient lui rappelle cependant que son Dieu, Kiro, est un serpent.
Il est donc peu probable que lui les craigne.
Cette inquiétude n'est peut-être que pour elle, et elle ressent un nouvel élan de plaisir à l'idée.
Il se soucie d'elle en cherchant à prévenir des problèmes qui ne sont même pas encore arrivés.

Derrière elle, le bout de sa queue ondule un peu plus.

La réponse tarde un peu, mais confirme sa supposition et gonfle un peu plus ce sentiment positif au fond de sa poitrine. Elle pense alors que l'interlude consacré aux serpents est terminé puisque le loup gris n'a pas élaboré, et qu'il s'agit surtout de la prévenir et la préparer à cette éventualité.
Mais il reprend finalement et... Ah. Il y a donc bien quelque chose de plus, finalement. Mildred penche un peu la tête. Elle sait que certains ont ce que l'on appelle communément des familiers, sous forme de créatures diverses et variées de tous types pour accompagner la vie des loups. Mais elle n'a pas mémoire de guerriers sélectionnant la compagnie d'un serpent ; elle les imagine plutôt avec des oiseaux, que l'on représente bien volontiers sur les gravures et les tapisseries des familles nobles.
Un serpent, c'est peut-être par honneur pour Kiro, et pour faire peur aux ennemis d'une manière différente. Puisque il avait peur que le serpent l'effraie.
Elle l'imagine brusquement gros et long, muni de crochets intimidants, et un frisson parcourt son échine.

Mais elle ne veut pas lui montrer davantage de signe de faiblesse, tout comme elle ne veut pas le vexer. Alors elle demeure neutre, et vient encore une suite.
Astre est un serpent, c'est le don qu'il a reçu de Kiro. A cela elle fronce un peu les sourcils, perplexe. Que veut-il dire par être un serpent ? Qu'il avait maintenant des traits communs avec les reptiles ? Comme des crochets, des écailles quelque part sur le corps, un sang froid, une langue fourchue ?
Ils se connaissent à peine, et elle n'a que peu eu le loisir d'observer les détails de son corps tout comme l'intérieur de cette gueule qu'il n'ouvre qu'à peine. Ce sont des éléments qu'elle a pu manquer.

Mais peut-être veut-il simplement dire que grâce à son glowstick il peut se changer en serpent. Mildred aurait alors choisi, à sa place, de dire je deviens un serpent plutôt que je je suis ; mais la façon singulière qu'à le Prince de s'exprimer est la particularité qu'elle lui a le plus remarqué.
Alors il vaut mieux clarifier, n'est-ce pas ? Leurs débuts l'ont montré : plutôt en parler que s'enfoncer dans une mauvaise interprétation.

— Tu veux dire qu'avec ton pouvoir tu te transformes en serpent ? Je voudrais bien voir.

Elle est curieuse, elle n'a encore jamais vu de pouvoir qui implique une transformation. Il s'agirait aussi du meilleur moyen de voir pour de vrai si elle a peur des serpents ou non.
Puis elle semble se rappeler quelque chose et ajoute ;

— Pour ton serpent intelligent, nous pourrions le mettre dans la serre alors, si tu veux.

Ou ailleurs, peu lui importe. Tant que ce n'est pas dans la chambre.
Elle pourrait s'habituer à croiser la route d'un serpent en allant dans certaines pièces ; mais elle ne souhaite nullement se réveiller en sursaut au beau milieu de la nuit à cause d'un corps longiligne venu se glisser contre le sien.

Son intuition a été bonne et il confirme une transformation plutôt qu'une hybridation.
Il accepte également de lui montrer son pouvoir à l'extérieur. Mildred quitte son regard un instant pour parcourir la chambre du sien et une sueur froide revient chatouiller son échine. Trop petit. C'est le mot qu'il a employé pour exclure cet espace d'une démonstration de pouvoir, c'est un clair sous-entendu d'un manque de place pour déployer sa forme reptilienne. La louve trouve pourtant que la pièce est déjà assez grande pour une créature de belle taille.
Évidemment, elle aurait du se douter que les Dieux Etelkrus ne donneraient pas à leurs disciples une métamorphose ridicule. Il fallait pouvoir impressionner l'ennemi et le tétaniser d'un simple regard.

Elle n'est plus si sûre de vouloir le voir, ce pouvoir, mais elle ne peut pas vraiment faire marche arrière.

Il confirme vouloir mettre son serpent intelligent dans la serre et elle se contente de hocher la tête d'un geste distrait, l'esprit ailleurs, occupé à d'ores et déjà se constituer une encyclopédie de toutes les formes les plus effrayantes et monstrueuses possibles de serpent géant.
Il l'invite alors à la suivre et elle acquiesce encore ; partagée entre le soulagement de quitter le lit pour le moment et toutes les significations qu'il avait - à moins que là encore, elle ne soit allée chercher beaucoup trop loin - et l'angoisse de se retrouver bientôt face à une créature repoussante en lieu du jeune prince.
Sur ses traces tous deux gagnent l'extérieur et elle reste en retrait quand lui s'éloigne et commence à se mouvoir différemment. A chaque nouveau pas son glowstick brille plus fort, et elle a presque l'impression d'entendre son coeur pulser et se charger de puissance.
Elle fait un nouveau pas en arrière alors que le sien, de coeur, s'est aussi mis à tambouriner et que son poil s'est légèrement hérissé.

Mais l'appréhension n'a pas tout à fait occulté la curiosité, et ses yeux sont rivés sur le spectacle.

Quand jaillissent les ailes et que s'étire le corps.

Ses yeux s'agrandissent et sa gueule s'ouvre un peu de stupeur.
Astre n'a pas menti : c'est bel et bien en serpent qu'il se transforme, mais il est loin de tout ce qu'elle a pu commencer à s'imaginer. Il est doté d'ailes de plumes, son pelage bicolore s'est réassemblé en formes géométriques. Plus qu'un serpent classique que l'on aurait agrandi et qu'elle aurait cru repoussant et effrayant, il se rapproche d'une créature de légende.
Imposant et redoutable, oui. Mais aussi fascinant.
Un peu tremblante et toujours un peu secouée, Mildred finit par rompre son immobilité pour s'approcher de la gueule du serpent.

Peut-il encore la comprendre sous cette forme, voire communiquer ?
Elle hésite, puis lève une patte pour la poser avec délicatesse sur le museau écailleux. Elle veut ressentir cette matière nouvelle.

— Je ne m'attendais pas à ça, mais c'est... Unique.

Elle n'a pas trouvé d'autre mot pour le décrire.

— Sous cette forme, je suppose que peu de monde oserait nous assiéger.

Un petit sourire amusé relève ses lèvres. Tous les Etelkrus avaient-ils une forme aussi puissante pour appuyer encore davantage la crainte qu'ils imposaient et leur identité guerrière ?