[Stendhal/Lagherta & Mildred/Désastre] Entrevue royale

Comme tous les matins, Mildred avait commencé sa journée par une prière à Moiro.
Si presque toutes les pièces de sa demeure sont décorées des couleurs des six Dieux, c'est dans une salle exiguë et reculée que la louve exécute chaque jour ce rituel. C'est un endroit sombre qui est dédié à la spiritualité, au centre duquel se dresse un autel de pierre assez simple.
Ce n'est guère plus qu'un caveau voûté qui pourrait rendre aisément claustrophobe si le plafond n'avait pas été si haut dans l'unique but, tout en haut, d'aller chercher la lumière du jour. Une lucarne circulaire perce la roche et les rayons inondent alors la salle en un point bien précis : ils frappent la face supérieure de l'autel et l'eau claire qui repose dans le léger creux qui y a été évidé.
Et dans la trajectoire de cette lumière et de l'eau reposent six statuettes. Grizzly, Raptor, Dragonne, Renarde, Serpent et Tigresse sont chacun taillés dans une pierre précieuse différente et translucide. Il suffit alors d'une patte experte pour imposer une rotation au disque de bois noble qui les maintient debout et se place dans l'axe la représentation que l'on souhaite prier.

Traversée par les rayons, se projette alors la couleur vive pour se mélanger à l'eau dans un rappel des fontaines des divinités. Toutes concentrées en un seul endroit.

Mildred a pour habitude de procéder par ordre d'importance.

Clac.
D'abord une courte pensée pour Mido, Dieu avec lequel elle n'a que peu de connexions mais un respect tout de même transmis.
Clac.
Se dresse Ao, Déesse qui force son admiration et qui marque plusieurs membres de famille de sa couleur.
Clac.
Enfin la Tigresse. Pour elle les mots pensés s'étirent et sont chaque fois nombreux.

Une fois cela effectué, la louve avait également pour habitude de faire défiler les divinités Etelkrus et de leur accorder une pensée polie, en respect à cette union qui la liait désormais à leur égide.
Puis Mildred prenait aussi le soin de laisser Kiro dernier maître de l'autel, pour que de jaune comme le soleil il colore l'eau en une parfaite harmonie avec l'aura dorée qui teinte le reste de la pièce.
Et que le Serpent soit celui à accueillir Astre à son entrée, si lui aussi souhaitait se recueillir.

Après avoir quitté la pièce suivait une autre habitude de son nouveau quotidien : celui d'aller voir la serre en pleine conception.
Plusieurs aides et domestiques s'attelaient à réaliser le gros des travaux mais Mildred tenait à participer et à superviser l'avancée afin de pouvoir insuffler sa vision.
Chaque nouveau jour est un regain de plaisir quand elle constate en passant l'entrée que ce projet prend forme. Des plantes déjà en pleine croissance embaument l'air, de la terre fraîchement apportée remplit les bacs, les systèmes d'irrigation sont de plus en plus aboutis.

À plusieurs occasions il lui faut se rappeler de garder les yeux sur le sol et pas seulement en l'air pour ne pas marcher sur le serpent intelligent de Astre.

Aujourd'hui Mildred ne peut cependant beaucoup s'attarder en cet endroit qui lui apporte une certaine paix.
Car aujourd'hui, Astre et elle reçoivent de la visite.

* * *

Lorsqu'elle le rejoint, après une dernière vérification de son apparence et de sa parure - que l'occasion veut simple mais percutante  ; il ne s'agit pas d'en mettre plein les yeux mais d'assurer une rigueur dans ce qu'il y avait de royal chez elle -  lui est également apprêté, et la salle dans laquelle se tiendra la réception est dressée.
Ses yeux la parcourent dans un balais rapide, remarquent que rien n'a été laissé au hasard. A la patte qui se tend elle accroche les yeux heterochromes et acquiesce d'un geste simple, empli à la fois de retenue et de maîtrise.

Tout en elle se concentre déjà à la performance.

Alors sa tête se tourne vers les loups qui sont dans l'attente d'un accord de leur part.

Et s'ouvre la grande porte.

Mildred s'avance d'une foulée élégante et fait face au couple présent dans l'encadrement.
Son corps est droit et sa posture exprime une noblesse contenue du bout de sa truffe aux derniers poils ondulés de sa queue en panache avec une excellence façonnée depuis sa tendre enfance.
Bourrée de défauts malgré tout , jugerait-elle sa propre performance, mais elle se sait néanmoins maîtresse en ce domaine parmi tous les présents et eux incapables de remarquer ces imperfections.

C'est pour ça qu'elle prend les devants.
Non pas que le stress soit absent de ses entrailles, non pas qu'elle se sente réellement à l'aise. Mais du temps qu'ils ont passé ensemble, de ce qu'ils ont commencé à apprendre l'un de l'autre... Mildred sait que Astre est encore moins adapté et que c'est à elle d'endosser les formalités.

Devant le loup noir et brun à la crête zébrée elle s'incline alors.

— Sir Stendhal, c'est un plaisir de vous recevoir en notre demeure et nous vous remercions du temps que vous avez accepté d'octroyer à cette entrevue.

La princesse se relève de sa courbette pour porter ses pupilles fendues sur la louve qui l'accompagne, contrastant par la clarté de son pelage.

—  Et qui a l'honneur de vous accompagner ?

Un sourire relève ses lèvres et une patte reste suspendue, le poignet prêt à se fléchir pour une nouvelle salutation quand serait déclinée l'identité.

Lagertha remua la truffe contre celle de son bien-aimé. Elle l'appelait doucement à rejoindre la terre, éteindre les belles pensées où il aimait se perdre. Aujourd'hui, l'éclipse se devait d'illuminer l'alliance des deux meutes. Tout comme eux, deux loups au sang contraire mais dont l'amour a frappé pour réunir un contraire à son autre. La jeune phoenix s'était lissé chaque plume, pour rendre son pelage impeccable et de ne pas se rendre telle une gueuse à une entrevue entre hauts rangs. Elle se demandait d'ailleurs pourquoi choisir elle, qui était encore qu'une simple louve de bas quartiers, qui n'avait rien d'exceptionnel qu'à part des regards de travers aux dires de sa ressemblance avec Dame Alex.

Ignorant ses pensées, elle s'était dirigé à l'antre, une aile posée sur le dos de son cher Valentin avant de saluer avec plus de respect ses aînés. L'un d'eux parla et Stendhal en répondit. Encore une fois, Lagertha baissa la tête en signe de soumission et de civilité.

Honorée de vous rencontrer Dame Mildred. Bonjour, Maître Désastre.

Elle s'arrêta un court instant avant de secouer allégrement ses ailes pour en faire tomber quelques unes qui s'enflammèrent, dans une belle pluie rougeoyante.

C'est un honneur pour mon tendre Stendhal et moi-même de venir en ces lieux. Espérant ne pas vous contrarier.