Consolider - Kerguelen.

[Antidaté à avant la mort d'Ajani / peu après la battue & réunion Etelkrus]

L'aube pointait à peine à l'horizon quand Anita émergea du Castel d'un pas silencieux, museau déjà pointé vers le ciel.
Elle vérifia une dernière fois que la plume rouge était toujours bien ficelée contre sa guêtre et que le morceau de tissu qui ferait office de protection avait des attaches solides. Pas question de la perdre.
Et puis, après un dernier regard qu'elle promena aux alentours, l'Alpha s'élança de quelques foulées rapides et décolla vers les cieux encore constellés d'étoiles.
Le temps était clément, la journée s'annonçait sans nuages ; Anita put donc profiter de voir défiler un monde qui s'éveillait quelques dizaines de mètres plus bas à mesure que tout le firmament s'éclaircissait et que débutait un nouveau jour. Le voyage se fit sans accroc et elle en aurait presque continué son vol si tranquille, toujours plus loin vers ailleurs sans penser à rien d'autre qu'au vent qui caressait son corps, si elle n'avait pas eu une mission bien précise en tête.

Quand les odeurs caractéristiques des Champs Mystiques furent portées à ses narines elle entama sa descente, et se retrouva à peu près posée au même endroit que lors de sa dernière venue. Sans doute que son corps avait de lui-même mémorisé un itinéraire un peu personnalisé.

Là, comme la dernière fois également, Anita prit quelques secondes à simplement s'accoutumer aux environs et à goûter quelques rasades d'air avant de rejeter la nuque vers l'arrière pour appeler quelqu'un.

Ajani, Kerguelen on quelqu'un d'autre qui pourrait discuter de sa requête.

L'air frais du matin qui faisait bruisser les herbes fut quelques temps sa seule compagnie avant qu'elle ne voit apparaître une silhouette devenue familière.
Cette fois-ci, pas de spectacle lumineux pour annoncer sa venue : c'était une Kerguelen en forme de louve qui s'approchait vers elle, le visage avenant comme elle le lui avait toujours connu.

Chez l'Alpha Etelkru naquit aussi un sourire et elle inclina la tête à sa salutation.

— Bonjour Kerguelen ! En effet, j'ai bon espoir d'avoir fait l'aller retour avant le coucher du soleil.

Voilà qui annonçait au moins un peu la couleur de ce passage qui se voulait moins prolongé que son dernier. Autant d'ailleurs rentrer dans le vif du sujet avant de laisser l'occasion pour une conversation annexe de se créer - Anita serait ravie de pouvoir échanger quelques mots moins formels avec Kerguelen après coup, mais commencer cette fois-ci par la raison de sa présence.

— J'ai une demande un peu inhabituelle à vous soumettre.

L'hybride s'assit en face de la Nakhu, enroulant sa longue queue autour de ses pattes jointes.
Elle chercha quelques instants comment aborder la chose, se lécha les lèvres et commença.

— L'une de nos louve, jeune adulte, a accouché d'un enfant issu d'un accident et a fait le choix de l'abandonner dans la nature quelques semaines après sa naissance.

Anita marqua une pause, les yeux dans ceux de Kerguelen.
Le sujet était difficile, et devait l'être d'autant plus pour celle qu'elle savait être devenue mère entre temps.

— L'enfant a pu être sauvé, heureusement, et il vit désormais avec son autre mère, une solitaire. Mais nous ne pouvons pas laisser cet acte sans conséquence.

Un soupir quitta ses lèvres.

— Ma consœur et moi nous sommes dis que... Les valeurs des Nakhus, la sagesse et la compassion mais surtout l'amour et le sacrifice dont vous savez faire preuve seraient un cadre bien plus productif que le nôtre pour lui faire comprendre la gravité de son acte et l'aider à devenir une meilleure personne.

Un nouveau soupir quitta ses lèvres. Elle n'était pas vraiment satisfaite de sa présentation des faits, mais peu importait désormais.

— Nous aimerions qu'elle vive avec vous quelques temps.

Ainsi était leur demande : quelques mois, ou plus si nécessaire. De quoi s'imprégner d'autre chose et de comprendre son erreur pour ne plus la reproduire.
Un instant passa, de quoi laisser le temps de la réflexion s'entamer, avant qu'Anita ne rajoute un détail.

— Vous n'êtes pas obligé de donner une réponse immédiate, bien-sûr. Si vous souhaitez en discuter entre vous, nous attendrons votre réponse.

Un sourire ténu revint sur ses babines.

Toutes les émotions qui passèrent dans les yeux de Kerguelen ne furent pas une surprise, et la douceur qui finit par régner non plus. Anita n'en attendait pas moins de sa part et s'en voyait rassurée : il lui paraissait de plus en plus évident qu'elle voudrait bien les aider dans cette tâche particulière et délicate.
À la question qu'elle posa cependant, Anita ne masqua pas une petite grimace.

— Mh. Disons qu'elle était plutôt sur la défensive... Elle est encore jeune, elle-même à peine sortie de l'adolescence quand elle s'est retrouvée enceinte.

Les turbulences habituelles de l'adolescence, avec un corps qui changeait et une personnalité qui se développait, ne faisaient pas bon ménage avec la brutale nouvelle de se retrouver mère et de devoir assumer une telle responsabilité sans l'avoir désirée.

— Elle ne sera sans doute pas réjouie à l'idée et elle aura besoin d'être convaincue du bien-fondé de cette solution. Mais je suis certaine que la laisser chez nous dans les conditions actuelles ne serait pas un terreau fertile pour une meilleure vie.

Autrement dit, Maps protesterait sans doute, oui. Mais en tant qu'Alpha, Anita se voyait aussi un peu figure parentale de tous les jeunes Etelkrus - notamment ceux qui, comme elle, s'étaient retrouvés dans leur rang sans famille pour les entourer.
Et le rôle d'un parent était parfois de forcer un peu le destin pour pousser vers une voie meilleure, même si le jeune n'avait pas encore le recul nécessaire pour le comprendre.

— Bien-sûr, les visites de ceux qui souhaitent la voir seront possibles et je viendrai moi-même la voir régulièrement pour savoir comment elle s'en sort. Et puis, bien évidemment... Vous n'avez pas à la retenir ou à la surveiller. Si elle décide de partir pour revenir chez nous, nous trouverons une autre solution. Elle aura eu l'opportunité de découvrir un nouveau chemin de vie, à elle de la saisir ou non.

Il n'était pas question de l'enchainer quelque part. Anita souhaitait juste l'aider sincèrement à trouver sa voie et à être accomplie pour que ces tristes destins ne se perpétuent pas.

Quand Kerguelen confirma son accord, le sourire d'Anita s'élargit. Elle y avait cru dès le début, mais la concrétisation de cette aide apportée la ravissait.
Autant pour la signification qu'avait le geste sur les liens qui unissaient encore leurs meutes que par l'espoir de voir Maps s'extraire de la spirale dans laquelle elle avait été plongée. Elle était si jeune... La condamner à vie pour une erreur de jeunesse, aussi grave fut-elle, paraissait triste et excessif aux yeux de l'Alpha.

— Je suis vraiment heureuse de l'entendre.

Quant à la suite, Anita se retrouva une nouvelle fois étonnée de la bonté naturelle qui marquait la philosophie Nakhus dans cette volonté d'accueillir au mieux les âmes qui les rejoignaient, même temporairement.
Elle ne put s'empêcher de penser, quelque part, que certains pourraient voir cette attention du mauvais œil : Maps avait commis ce qui était qualifiable de crime en mettant ainsi en danger la vie d'un être innocent et sans défense, et elle se retrouvait accueillie par un cadeau.

Aux yeux d'Anita, c'était au contraire un acte d'un tel altruisme que la jeune louve ne pourrait qu'être plongée d'emblée dans une mentalité si différente qu'elle provoquerait nécessairement introspection. Elle verrait qu'un acte de générosité n'était pas uniquement conditionné par un amour particulier envers autrui, qu'il était possible de donner de soi même pour quelqu'un dont on ne connaissait rien.
Si elle n'avait pas laissé sa chance à Holzer, et à d'autres membres du clan pour la soutenir... Ce n'était pas l'unique voie.

— Son nom est Maps, et son pelage est noir et rouge.

Son pelage caractéristique pouvait être décrit sobrement.
Puisque ses pensées l'avaient amenée à graviter autour d'enfants, et que le sujet principal avait été traité, Anita redressa les oreilles et en profita pour poser une question plus personnelle à celle qu'elle commençait à considérer comme une amie.

— Au fait, comment vont tes enfants ?

Bien, elle espérait.
Kerguelen méritait de voir sa famille entourée de bonheur de la même manière qu'elle s'appliquait à le disperser autour d'elle.