The legend — Stendhal

En sortant de l’eau, Nirvana fit fuir un phoque. Un nuage de fumée s’échappa de sa gueule lorsqu’elle prit le temps d’observer les alentours. Tout était si… blanc. Cherchant à chasser les dernières nageoires, la sirène se secoua. La neige craquait sous ses pattes quand elle avançait.
C’est paisible ici, loin de la stupidité de certains.
Personne qui viendrait lui parler sans n’avoir rien à lui dire d’intéressant.

Malgré le froid, Nirvana décida de continuer d’explorer un peu.
Dans tous les cas si cela devenait trop insupportable elle pourrait toujours retourner dans l’eau.
Mais pour l’instant elle souhaitait s’approcher un peu des vestiges du monstre marin, celui qui avait blessé Tante Anita, pour savoir ce qui l’attendait vraiment lorsqu’elle irait dans le Nord.

Nirvana continue sa progression, s’arrêtant par moment pour observer le sol en entendant la glace craquer. L’idée que d’autres monstres marins peuplent ces eaux vinrent effleurer son esprit.
Peut-être que le Grand Nord est bien plus proche sous les eaux qu’il ne l’est sur terre.
Gardant un rythme assez rapide, l’Etelkrus jetait parfois un coup d’oeil derrière son épaule pour estimer la distance qui la séparait avec l’eau, jusqu’à apercevoir une silhouette au loin. Ce n’est pas trop imposant, ça avance lentement. La prêtresse se dirigea donc vers cette forme de vie croisant les griffes pour que ça ne débouche pas sur une rencontre ennuyante.

Ou une seconde rencontre.

Nirvana leva le museau, un sourire aux babines.

« — Tu as poussé, Sauterelle. »

Elle lui fait face pour parler, articulant soigneusement chaque syllabes, parce qu’elle n’avait pas oublié son handicap.
Pas de loup mécanique pour l’accompagner aujourd’hui. Tout comme il n’y avait pas de bête éclipsante pour venir s’en prendre à lui.
Ils étaient seuls dans ce désert de glace.

Ces souvenirs semblent gêner Sauterelle. Cela remontait à quelques années maintenant. Un haussement de sourcil lorsqu’il affirme ne plus vouloir jouer avec les renards ou les prédateurs.

« — Ce ne sont pas de bons partenaires de jeux, l’un comme l’autre. »

Pour les renards, Nirvana avait un profond respect car ils étaient les représentants de Dairo.
Quand au prédateur… c’était de la curiosité, bien que la créature ne soit pas du tout coopérative.

« — Tu aurais pu être dévoré ce jour-là. »

Sans que tu n'en ai conscience à l'époque.

Hum, une sauterelle avare de dangers. Nirvana ne savait pas si c’était une si bonne chose, mais après tout si le risque l’intéressait… c’était son problème non ? Du moment que les autres ne se retrouvaient pas impliqués… La disciple de Dairo vint pencher son museau, conservant le silence un moment pour l’observer.
Elle n’avait pas croisé beaucoup de Nakhus dans sa vie, pour ainsi dire, quasiment pas. La sauterelle et le loup mécanique furent les seuls…

« — Un peu. »

Pas assez encore.

« — Mais tu viens quand même seul ici. »

Alors qu’il y a peut-être d’autres monstres pourfendeurs de glaces sous nos pattes.

La prêtresse ne sait pas si le raisonnement est bon. Il était vrai que seul, l’on pouvait se sentir plus libre, mais avec d’autres… l’on allait plus loin. Chacun avait sa force, à condition de bien s’entourer. Nirvana trouvait qu’aux côtés des autres, se dépasser était plus facile.

« — Tout dépend de qui t’accompagne. »

À sa remarque sur un lien plein de libellules géantes, l’Etelkrus eu un léger froncement de sourcils. Les insectes n’était pas vraiment une chose qui l’intéressait… encore moins si leur taille était inhabituelle.
Un bref moment silencieux, avant qu’elle ne réponde à sa remarque.

« — Je n’ai pas le poil aussi épais que vous les Nakhus, je prends un peu plus l’humidité. »

Surtout quand je n'ai pas mes écailles.

Personne.
Une âme solitaire, qui ne cherchait pas la compagnie ou dont la compagnie n’était tout simplement pas souhaitée. Étais-ce pour cela que Nirvana l’avait croisé errant sur ses propres terres, à la merci du danger ?

« — C’est probablement mieux ainsi. »

Pas d’idiots pour corrompre ton esprit.
Pas de menteurs pour te poignarder dans le dos.
La solitude pouvait avoir quelque chose d’étrangement réconfortant.

« — Me compares-tu à une serpillière, Sauterelle ? »

Le monstre des profondeurs. Celui qui manqua de tuer Tante Anita. Celui que son clan avait vaillamment combattu et anéanti.
Sa famille adoptive s’était fièrement dressée contre la menace.

« — Ils l’ont anéanti. »

Pour que plus jamais il ne morde.

D’un mouvement du museau, elle l’invite à montrer le chemin. Non pas que le froid la dérange, mais si il souhaitait discuter dans un endroit plus chaud… Nirvana n’y verrait pas d’objection.
Un crâne donné à Aka, pour nourrir son orgueil. La sirène haussa un sourcil aux paroles du Nakhus.

« — Qu’y a-t-il de noble dans le fait d’ôter la vie ? Nous le faisons uniquement parce que cela est nécessaire à notre survie. »

La disciple de Dairo fixa Stendhal.

« — Mais il n’y a rien de noble là-dedans. »

Nous. Il parle pour sa meute. Un léger spasme qui secoue la louvette, en reprenant au gamin qui arpentait les champs mystiques, sans se soucier du danger. Son regard se voile, alors que ses prunelles pâles soutiennent le regard de Stendhal.

« — Qu’il est dommage, que vous n’abhorriez pas l’enlèvement des vôtres par l’entité. »

Cela ne semble pas vous répugner.
Bien au contraire.
Qu’attendez-vous, pour le repousser ?
Nirvana devait faire des pas plus rapides pour suivre le rythme de par sa petite taille, mais ô grand jamais, elle n’aurait demandé à ce qu’on ralentisse la cadence. Un Nakhus qui rêve de gloire et de combat. N’étais-ce pas un peu ironique au bout du compte ?

« — Te battrais-tu ? »

Un sourire qui vient étirer les babines de Nirvana à la question.

« — Non. Seule ma déesse m’importe. »

Pour elle je tuerais.
Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour défendre son honneur.
Dairo ne m’abandonnera jamais, ne me trahira pas, quand la famille peut à tout moment se détourner de toi.

La provocation, suffit à ce que le Nakhus ouvre un sac resté trop longtemps fermé. Les informations, certaines tant convoitées sont enfin délivrées.
Peut-être aurais-je dû commencé par toi, Stendhal.
Lui semble conscient, de l’influence de l’entité, de sa présence néfaste. Sa mère aussi. Nirvana s’arrêta, fixant le loup noir. Rien qui ne les empêche d’aller jusqu’au bout. Le pourraient-ils vraiment, les Nakhus ? Aller jusqu’au bout et faire ce qu’il faut ?
Vous qui refusez de tuer, le feriez-vous si cela nous débarrassera de l’entité ?

« — Je dois la voir, ta mère. »

La louvette marqua une pause.

« — J’irais jusqu’au bout. »

Sa Rose Stupide a mon frère.
Son existence dérange ma déesse.
J’irais au bout, pour l’emprisonner, la détruire.
Elle et ses larbins.

Nirvana reprit sa marche, effectuant quelques bonds pour rattraper le Nakhus.

« — Ma foi a toujours été la même, je la vénérais depuis ma première rencontre. Que ce soit avant ou maintenant, ma vie lui appartient. »

Je vis pour la servir.

« — Seras-tu un disciple de la Corneille ? »

Un spasme. Nirvana se redressa. Cette chasse, c’était la sienne, pas celle des Nakhus. C’était plutôt à eux de participer, depuis le temps que l’entité s’en prenait à eux, kidnappait les leurs. Si ils étaient parvenus à gérer la situation, jamais elle n’aurait eu à intervenir à la demande de Dairo.
Jamais la Rose Stupide n’aurait corrompu mon frère.
Jamais elle n’aurait perdu de temps, à lire de stupides notes.

« — Qui te dis que je ne veux que participer ? Je réussirai. Cette entité, je l’offrirai à ma déesse. »

Mort ou vif.
Avec ou sans l’aide des Nakhus.
Je veux lancer la partie finale, avec l’entité.
Le regard de Nirvana semble un peu plus sombre. L’Autre était devenue son obsession. Enfant, cela avait été les poissons-loups, aujourd’hui…
Tu es mon nouveau projet, entité.
Jusqu’à ce qu’un meilleur te supplante.

À la question sur son épreuve, Nirvana sembla pensive un instant. Le bon moment ?

« — À mon premier anniversaire je crois, je voulais être lié à Dairo, à tout jamais. »

Jusqu’à la fin.

Son museau s’agite, alors qu’elle étouffe un rire.

« — Dis-moi Sauterelle, pourquoi les Nakhus ne sont pas venus trouver assistance pour éliminer l’entité ? »

Nirvana fit un pas.

« — Pourquoi, attendre toutes ces années, attendant qu’il enlève d’autres membres de votre clan ? »

Son museau ne se trouvait plus qu’à quelques centimètre de celui du loup.

« — Je te l’ai dis, j’irais jusqu’au bout. Qu’importe ce qu’il m’en coûte, ce que je dois perdre. » Nirvana marqua une brève pause. « La question est, est-ce que les Nakhus le sont, eux, prêts à aller jusqu’au bout ? »

Faire tout ce qu'il sera nécessaire, même si ça veut dire aller contre leurs principes ? Nirvana fixa un instant Stendhal, une lueur déterminée dans son regard avant de finalement se reculer. Elle le suivit, jusqu’à la lavvu, se faufile dans l’ouverture.
La prêtresse observa chaque recoins, avant de finalement se poser sur une petite peau. Une grimace qui étire ses babines. Les disciples d’Aka auraient probablement adorés ce lieu.
Que des trophées de chasse.

« — Pourquoi est-ce si important pour toi, d’avoir un glowstick ? »

Oh, voilà que la sauterelle montrait les crocs. Un sujet sensible, l’entité et ses ravages chez les Nakhus.

« — Peut-être ne l’ont-ils pas fait pour une bonne raison. »

Parce que ce n’est pas à eux de nous unir.

« — Les tiens de dieux, devaient espérés une approche plus douce, quand les divinités Etelkrus se moquent de la douceur. Notre clan n’a pas de regret à faire ce qu’il faut.
Cela ne fait pas parti de ses valeurs. »

Un léger super qui franchit les babines de la louvette. Les Etelkrus semblaient tous être des disciples d’Aka sur certains points, alors qu’à leur tête ils avaient une disciple de Kiro et une de Dairo.
Quelle ironie.
Je n’aurai aucun scrupule à tuer.
Exactement le même discours qu’elle avait tenu à Pomelo.

« — En voilà un discours bien étrange, venant d’un Nakhus. » Nirvana marqua une pause. « Et intéressant. »

Bien loin de l’image que l’on a des disciples de Yurai.

« — Si toi tu reprends les recherches, au nom des Nakhus, alors je serais prête à unir mes forces aux votre. Je ne veux surtout pas, de retour en arrière. »

Il semble aimer Yurai, autant qu’elle ait Dairo.
La dévotion, était une chose que Nirvana appréciait.

« — Lui sont-ils tous aussi dévoués, les autres Nakhus ? »

Téméraire, pour un Nakhus. Nirvana se contente de la parole, nul besoin d’ajouter autre chose. Ils n’étaient plus des enfants, qui devaient cherché à se convaincre. C’était une simple question d’honneur à présent.
Et elle pense que Stendhal en a.
La sirène fait un mouvement du museau.

« — Quand tu seras prêt, viens à la frontière Etelkrus. »

N’aies pas l’audace de la traverser.
À la réponse, une expression peinée chez la sirène. Les Nakhus n’avaient qu’une seule déesse à chérir, une seule à qui dévouer corps et âmes.
Et d’autres préféraient se tourner vers les divinités solitaires.
Quelle tristesse.
Où étaient-ils les fiers disciples ? Dévoués à Yurai ? Seulement une poignée sur tout un clan.

« — Quelle tristesse. Lorsqu’un clan est supposé n’avoir qu’une seule divinité, il faut alors tout faire pour lui être dévoué.
Les autres ne devraient pas avoir d’importance.
Ne devraient même pas avoir leur place. »

Mais c’était là le raisonnement d’une prêtresse.
D’une Etelkrus.