Deux sauvages (Grimm)

Grimalk 5 PV - Daim 0 PV


Il y a bien un sabot jeté dans les airs pour venir encore rencontrer sa mâchoire avec un bruit sourd : mais Grimalk n'en tient pas compte quand il plonge de l'avant et enfonce la lame dans l'encolure du daim.
La bête mugit, s'agite de plus belle : mais le sang coule et il n'y a plus que quelques secondes de vie à tirer de ce corps bientôt mort. Quelques gouttes de sang sont projetées depuis la bouche qui renâcle, la respiration est laborieuse et le loup entend que la bête s'étouffe.
Et après quelques secondes, il n'y a plus rien qu'un corps inerte et des yeux vitreux.

Satisfait, Grimalk relève la tête et se lèche les babines, passe une patte sur son museau endolori. Il a gagné. Comment le signaler à l'autre ? En poussant un bref hurlement, en allant le voir, peut-être ? Il n'est pas loin et il ne sent pas d'autre prédateur dans la zone - le risque de voir sa propre proie disparaître est proche de zéro.
Un bruit de chute suivi d'une lutte, un peu plus loin, fait virer sa tête en direction des fourrés dans lesquels l'autre adolescent chasse, sourcils froncés. S'il est lui aussi proche du but, il doit se dépêcher de déclarer sa victoire avant que l'autre ne tue aussi sa proie.
Ça règle son questionnement : c'est en même temps un aboiement rauque qu'il envoie dans les airs que son corps qu'il jette de l'avant, abandonnant sa proie pour galoper vers la cacophonie de la mise à mort. Après quelques secondes, haletant, il surgit près du jeune géant Etelkru qui a déjà plongé ses mâchoires dans le ventre de la bête - alors même qu'elle respire encore, ses yeux affolés s'agitant de toute part.

Les babines de Grimalk se froncent et tout son corps se tend - quand sa voix éclate, elle est sèche et autoritaire.

— Hey ! J'ai abattu ma proie en premier, j'ai gagné. Tu dois me donner la tienne quand elle est morte, pas la manger vivante.

Ce sont les règles sur lesquelles ils se sont accordés.

C'est le plus naturellement du monde, après avoir laissé sa proie mourir de l'agonie d'un ventre ouvert plutôt qu'en l'achevant proprement avant de commencer son repas, que l'autre relève vers lui son immense tête cornue en affirmant avoir gagné.

Les yeux de Grimalk s'arrondissent et lui se fige quand sa première réaction est simplement un immense vide devant ce que l'autre prononce comme une évidence, un point final et indiscutable à l'interaction.
Puis colère et frustration éclatent en lui comme un brasier et un grondement sourd monte de sa gorge. Son poil se hérisse, toute sa posture se redresse et sa queue se lève dans la continuité de son échine, tête basse et crocs dévoilés. L'or de ses yeux étincèle d'un sentiment mauvais quand il le dirige vers le rouge des siens.
Il aurait du s'en douter. Que cette créature plus proche de la bête sauvage que du loup ne pouvait pas être de confiance, qu'il n'aurait jamais du s'y fier pour un défi.

— Tu crois peut-être que j'aurais abandonné ma prise pour simplement venir te regarder ?!

Il fait un pas de plus vers son rival, le cœur battant.
Tout ce qu'il veut en cet instant, c'est arracher de son visage cet air satisfait et le mettre à terre, lui faire comprendre qu'on ne se moque pas de lui ainsi. Mais même s'il est plus jeune, l'autre est plus grand. Surtout, il a laissé Týr planté dans la gorge du daim et deux autres de ses couteaux sont pareillement abandonnés sur sa zone de chasse - or c'est bien en pointant ses lames sur une gorge que l'on fait le mieux pression, et qu'on obtient d'eux la soumission.
Le Nakhu se maudit en cet instant de n'avoir pas respecté une des règles pourtant primaire - toujours récupérer ses armes au plus tôt, de crainte de ne pouvoir le faire après et de ne plus les avoir en cas de besoin - en ayant cru que la situation appelait à dépasser cette contrainte.
Puis dans le feu électrique de son ire, Grimalk entrevoit également les souvenirs de Nocera, de son entraînement à ses côtés.
Des moments où il a perdu patience et s'est laissé distraire par des émotions trop fortes, comme contre la goule.

Tout son corps encore contracté, le brun s'applique néanmoins à un effort. Il laisse s'échapper d'entre ses crocs l'air qu'il retenait, relève un peu la tête.

— Soyons logiques un instant. Si j'ai eu le temps de te rejoindre pour assister à la mort de la tienne, c'est que ma proie était déjà abattue. Suis-moi à l'endroit où je l'ai laissée, et tu verras bien.

Sa voix est sèche et intransigeante, ses yeux ne vacillent pas.
Il est toujours tendu par la hargne et le sentiment de s'être fait rouler, mais il laisse à l'autre une unique chance de prouver sa bonne foi.

Grimalk ne sera pas la Bête, lui.

Ses crocs se serrent si forts à la première réponse du grand loup qu'il craint de les sentir éclater.
Était-il stupide au point d'oublier que s'il n'était pas intervenu, cette brute aurait simplement commencé son repas sans même se soucier de savoir s'il avait gagné ou perdu ? Grimalk reconnaît sa part de responsabilité dans la situation absurde dans laquelle ils se trouvent.
Celle d'avoir voulu faire confiance à un individu à peine capable de garder en tête les règles simples d'un défi basique, alors qu'il était évident qu'il allait simplement s'adonner à ses besoins basiques.
Il se rappelle de sa rencontre avec l'autre loup-bête géant, de comment la fermeté avait été utile - mais s'emporter avait été contre-productif.
Et pourtant profondément tentant.
Les moments qu'il passe avec Nocera, l'insistance dont elle fait preuve à contrer sa facilité à bouillir trop vite et trop fort, s'ancrent également dans son fil de pensées pour l'aider à ne pas céder au feu qui ronronne dans ses entrailles.
Alors même si son corps ne se détend pas, l'adolescent se contient. Il se contentera de lui rappeler les faits.

— Je venais m'assurer que tu respectais ta part du contrat. De toute évidence, j'ai bien fait, tu aurais dévoré ta prise avant même de chercher à savoir si tu avais gagné ou perdu.

Sa voix est froide et grondante et son regard d'or percent l'autre mâle, sans crainte aucune de sa plus haute carrure.
S'il avait pris la peine de traîner sa proie jusqu'à lui, il n'aurait jamais revu la moitié de la carcasse au moins.
Puis pour aggraver son cas, le jeune géant refuse de le suivre.
Une fois encore, Grimalk sent un mélange électrisant de son sang qui se glace mais laisse pourtant derrière lui ses émotions enflammées et un cœur qui bat plus vite.
Cet Etelkru se paie sa tête.
Le pelage du brun se gonfle et l'hésitation revient. Sa première envie est de lui tenir tête en restant ferme sur sa première proposition, non désireux de se soumettre aux quatre volontés d'un tricheur.

Mais s'il tient tant à ne pas abandonner sa proie, quand bien même elle ne lui appartient déjà plus, un compromis peut encore être trouvé.
Il est un être pensant qui fait des efforts de conciliation - la bête avait tout intérêt à le comprendre.

— Alors prends la carcasse sur ton dos et suis moi jusque là où j'ai laissé la mienne. Fort comme tu es, tu devrais y arriver sans problème.

L'une de ses babines se lève sur un rictus railleur alors qu'il commence à amorcer un demi-tour pour mener leur marche de là où il venait, sans pour autant le lâcher du regard.

— Tâchons de ne plus nous séparer, cela vaudra mieux.

Tu serais capable de dévorer le daim dès que j'ai le dos tourné, ou de m'accuser de triche et d'avoir abattu la bête en ton absence si tu ne constates pas par toi-même qu'elle est déjà morte, animal.

Son comportement le sidère.
Oh, il voit bien dans le regard pourpre de l'autre, c'est lui qui passe pour l'idiot et l'incohérent. Il n'y avait pourtant rien de difficile à refuser sa proposition initiale si elle ne lui convenait pas et qu'il ne comptait pas s'y tenir ensuite.
Le cœur de Grimalk continue de battre puissamment, et la tentation de laisser tonner son irritation pour que cette brute comprenne l'étendue de ses torts et à quel point ses actes étaient criblés d'illogisme le griffe de l'intérieur, mais il continue de la museler. Ce serait de toute évidence peine perdue de faire rentrer un peu de bon sens dans de crâne épais et primitif. Il parle d'un défi puéril, mais a bien été le seul à décider qu'il en serait finalement ainsi.
Grimalk, pour sa part, se plait à déjà se considérer adulte et à se comporter en adéquation.
Et les adultes ne passent pas des accords pour ensuite les trahir quand ils sont lassés, qu'ils ont un peu faim ou qu'ils ont changé d'avis.
Ces adultes là ne sont pas de confiance, et ces adultes là n'ont que peu de valeur.

Alors, soit. Si cet Etelkru préfère s'enfoncer dans la médiocrité d'injonctions banales et bestiales, Grimalk l'y laissera, puisqu'il a au moins la décence de ne pas chercher à repartir avec ce qui ne lui appartient plus.
C'est encore une chose qu'il juge profondément idiote, d'avoir tant troublé le cours du pacte et insisté pour voir sa proie et de finalement tout abandonner par simple flemmardise. Ses yeux dorés brûlent d'un jugement sévère quand il observe la silhouette massive s'éloigner - il ne tentera bien évidemment pas de le retenir.
Au final, même s'il n'a rien pu inculquer dans cet esprit étriqué, il a tout de même obtenu ce qui lui revient.
Et c'est chargé de deux proies qu'il pourra revenir à son clan, au terme d'un voyage qui s'annonce long et éprouvant.

Le Nakhu ne doit donc pas traîner, et c'est sans tout à fait pouvoir se débarrasser de l'irritation qui avait dressé son poil qu'il se retrouve à disposer de mieux les deux cadavres pour reprendre la route vers le Nord, déchargeant ses contrariétés dans l'effort physique - les muant même d'une certaine manière en satisfaction, d'avoir eu gain de cause sans même avoir à user de ses lames.