Mental · Mentorat · Grimalk

3/10 PVs

La goule a beau être inexpressive, Grimalk jubile de lui tirer une réaction quand les billes qui servent d'yeux croisent la menace de l'acier.
Il fond de l'avant, prêt à la pourfendre comme il a transpercé d'autres cibles, fussent-elles d'entraînement ou non, et... Rate. Pire que cela, c'est sa propre gueule qu'il blesse dans le faux-mouvement qu'il exécute et qui conduit le couteau à ouvrir sa lèvre, dans un filet de sang qui coule le long de son menton pour tâcher le sol de quelques gouttes.

Le choc d'avoir si grotesquement échoué le fige au milieu du combat, et c'est une sensation de vide qui l'emplit tout entier.
Avant que ce vide ne s'embrase dans une explosion de colère silencieuse.
Ses yeux se plissent, son visage s'assombrit, et il se retourne brusquement vers la créature qui avait profité de ce bref temps mort pour le contourner et venir lui mordre une patte arrière. Il ne se soucie guère de cette nouvelle douleur alors qu'il arrache de lui-même cette prise à la gueule déformée de l'adversaire, sa seule priorité est de rediriger l’entièreté de sa frustration à terminer cette farce qui a duré trop longtemps.
Il ne prend pas le temps de poser les mots et d'y réfléchir, mais l'adolescent est blessé dans son égo. Humilié par ses propres fautes, ses erreurs de jugement, la difficulté inattendue de ce combat qui traine bien trop en longueur.

Le regard doré qui se plante sur la cible est assassin. Et il charge.
Cette fois-ci, aucune résistance ne peut s'opposer à son poitrail quand son corps lancé à pleine énergie percute la créature et la renverse.
Grimalk ne perd pas une seconde et se rue sur la bête à terre, couteau toujours en gueule, plongeant cette fois sans erreur la lame sous le menton découvert pour qu'elle s'enfonce dans le crâne.

L'adolescent relâche la garde tout en gardant le couteau enfoncé et se redresse une seconde, haletant, pupilles étrécies.
La goule ne bouge plus.
Et alors même qu'il se doute qu'elle ne se relèvera pas dans l'immédiat, le torrent de sa frustration continue de jaillir en lui. Il se baisse et reprend sa lame, l'arrache du corps mou pour la planter ailleurs avec un grondement de colère.
Il en oublie que sa priorité précédente avait été d'atteindre Nocera, et il recommence. Encore.
Et encore.

Le claquement sec d'une voix qui cingle son nom éclate la bulle dans laquelle il s'est enfermé, là où n'existaient que lui, la goule, et les moyens de la détruire.
L'autorité le fait se redresser et s'interrompre autant qu'elle hérisse son échine et remonte une babine d'un sursaut. Il n'a jamais bien réagi à être celui qui la subit - quand il voudrait être celui qui l'exerce. C'est surtout l'envie de résister et de défier qui monte en lui en telle situation, la nécessité de faire face et de se défendre plutôt que de courber le dos et d'accepter. Sauf...
Sauf quand la source de l'autorité est digne de respect et mérite d'être écoutée.
Azar était devenu le seul dont il ne contestait que rarement les ordres et les remontrances, à Arabahos, parce qu'il avait su démontrer ce qui le rendait légitimement supérieur. Mais Azar n'est plus là.
Et Nocera... Il a beau l'avoir voulue pour mentor, leur lien est encore trop frêle, ils se connaissent depuis trop peu de temps. Mais Grimalk ne l'a pas choisie sans raisons et les graines de ce qu'il n'appelle pas encore respect, mais au moins estime ou considération, sont déjà semées.
Surtout, il sait qu'elle a raison et lui même est déçu de sa performance, frustré de son échec. Le jeune connaît ses torts et travers - et sa difficulté à les maîtriser.
Ce ton sévère fait écho aux mots qu'a pu avoir Azar à de nombreuses reprises et à ses propres pensées.

Alors les mâchoires serrées à s'en détruire les dents, il se contente de hocher la tête, échine basse et regard planté sur le sol.

— Je ferai mieux.

Ce n'est pas qu'une phrase pour l'excuser.
C'est une obligation qu'il s'impose.


֍ ֍ ֍

Il est prêt quand débute l'aurore et que Nocera revient le chercher.
Il est silencieux tout du long de la marche et concentré quand elle énonce sa nouvelle tâche.

La détermination qui brille dans ses yeux est d'une froideur adulte autant qu'elle brûle de fougue.
Cette fois, il maîtrisera cet incendie.

Les instructions données, Nocera disparaît et lui se trouve seul à attendre, immobile là où elle l'a laissé, concentré à d'ores et déjà enregistrer toutes les informations qu'il pourra exploiter.
Et quand Grimalk sait qu'il peut lancer sa traque...
Il se lève et part d'un pas qui n'hésite pas.

S'avançant dans la direction empruntée par Nocera, Grimalk chasse de son esprit toutes les informations qu'il juge non nécessaire et laisse place entière à tout ce qui doit lui permettre d'accomplir son objectif.
Son pas est lent et posé, ses yeux balaient le sol et toute surface à la recherche du moindre indice, tout dans son corps est tenu à ne pas le déranger jusqu'à sa respiration qu'il fait profonde et silencieuse.

Il n'attend pas de Nocera le cadeau d'une victoire facile, surtout depuis les événements de la veille, et il en aurait de toute façon été vexé. L'adolescent s'épanouit dans les difficultés qui font bouillir son sang, dans la colère d'un contrôle qui lui échappe et qu'il veut se réapproprier.
Alors il sait qu'il va devoir être exigent envers lui-même.

Ce n'est finalement qu'une traque comme une autre.
À la différence que, contrairement à une simple proie, Nocera a pris soin de dissimuler toute trace de son passage pour se rendre inatteignable. L'adolescent hume avec attention pour trouver une fragrance qui diffère de l'environnement autour, un poil violet ou un cheveu qui se serait égaré, une trace de griffe plus récente que les autres venue déranger la mousse ou la terre.

Les minutes défilent sans qu'il ne trouve rien pour lui indiquer qu'il est sur le bon chemin.
Grimalk pourtant ne s'exaspère pas : il n'en est qu'au début de sa traque et il sait la difficulté être grande. Bien évidemment, Nocera ne lui a laissé aucun moyen simple de retrouver sa trace - et ce n'est là qu'une façon de mieux s'illustrer. Il ne doit plus perdre patience, pas laisser la frustration gonfler et s'enflammer comme elle le fait trop souvent en lui.

Alors il demeure concentré et se raccroche au moins à ce qu'il sait déjà. Les pas qu'il aura entendu se fondre en échos lui donnent déjà la direction générale dans laquelle la louve était partie et il maintient ce cap pour continuer à avancer, lentement, attentif à son environnement.
Il n'y avait pas de place à l' errance, au hasard et à la précipitation.

Toujours rien.
Seul un bref soupir s'échappe de sa gueule quand il relève la tête de la zone qu'il analyse pour encore une fois prendre du recul, et qu'il revient un peu en arrière pour s'assurer de toujours être dans la zone où il est certain qu'elle soit passée. Il a pour lui la capacité de se focaliser sur des détails. C'est un mode de fonctionnement qu'il ne contrôle ni ne maîtrise dans la plupart des cas, qui lui aura parfois apporté des ennuis en oubliant une échelle plus globale : mais il sait que c'est une force à exploiter plus qu'il ne le fait déjà, et que dans cet exercice en particulier il est nécessaire de canaliser.
Alors ses yeux d'or parcourent chaque millimètre de sol et de mur pour trouver non pas l'odeur qu'elle semble s'être appliquée à parfaitement camoufler, mais surtout les marques laissées par tout être vivant même au sein de ce dédale.
Nocera a beau connaître ce lieu par cœur, elle n'a eu qu'une demie heure pour se dissimuler et n'a pu complètement supprimer tout indice de son passage. Et elle ne vole pas.

Difficile à remarquer tant elle ne se distingue pas particulièrement du reste, elle est pourtant bien là - il peut le confirmer en s'approchant et en clignant plusieurs fois des yeux.
Une empreinte. Il se trouve que le sol n'est pas sec partout. Un sourire discret se dessine sur ses lèvres quand il se rappelle des premières impressions qu'il eut en arrivant sur ces terres, incommodé par l'humidité qui y régnait, par cet air frais qui lui irritait la gorge. Il s'y est depuis habitué : mais il réalise maintenant que cette malléabilité de la terre sous ses pattes signifie qu'à plusieurs endroits, l'herbe tendre sur laquelle perlent encore les gouttes trahit les zones mouillées. Ils sont au matin et la rosée de la nuit fraîche décore le paysage de subtiles éclats.
Grimalk s'approche de la marque des coussinets à peine enfoncés dans la terre, à côté d'une dalle de pierre, et déplace son corps dans la direction indiquée. Surtout, il fait porter son regard loin en avant - tant pour dévoiler la marque subtile laissée par le passage d'un être vivant à travers la végétation que pour repérer d'autres endroits où l'humidité recueillera de quoi guider sa voie.

Toujours sans précipitation, l'adolescent remonte la direction que lui a indiquée le premier indice et cherche la prochaine étape qui lui confirmera son progrès.
Il ne tarde à la trouver, nouvelle marque dans le sol, creusée à côté d'une touffe d'herbe plus épaisse que les autres qui n'a eu d'autre choix que de se courber au passage de la louve. A nouveau la lumière se reflète subtilement sur la fine pellicule d'eau qui s'est déposée dans le creux de l'empreinte, et Grimalk continue d'avancer, plus serein en se sachant sur la bonne voie. Sa concentration s'en trouve décuplée, et il se gorge de quelques lentes et profondes inspirations de cet air chargé d'informations. Il sent sa gorge envoyer des signaux d'inconfort à ainsi forcer cette respiration, comme aux premiers jours, mais il capte surtout toutes les fragrances chargées dans les particules d'eau flottantes.
Elle ne pourra restée cachée éternellement.

Cette fois-ci, c'est la tâche de couleur discrète d'un poil coincé dans la mousse qui lui révèle qu'il cherche toujours dans la bonne direction. Les cachettes sont néanmoins multiples et diversifiées, autant d'endroits sur lesquels sa mentore a pu jeter son dévolu. Il a récolté suffisamment d'indices pour mieux cibler sa zone de recherche, désormais : même s'il lui faut demeurer prudent et ne pas manquer ce qui pourrait indiquer un changement brusque de direction, il s'autorise à relever un peu le regard et à envisager un déplacement plus ample, commençant à s'intéresser à toute tâche d'ombre que le soleil levant rend progressivement plus contrastée.

Quittant son avancée très méticuleuse pour avancer à plus grands pas vers les potentielles cachettes, Grimalk se met à humer l'air plus fort.
Ses yeux bondissent de point en point et comparent, cherchent, percent : les ombres rasantes et la luminosité encore faible sont autant de zones dans lesquelles se dissimuler, mais l'adolescent se fait confiance pour remarquer tout détail qui ne serait pas à sa place et qui attraperait son regard. La lueur diffuse d'un glowstick qui se reflète contre la roche, une petite portion de corps qui se dévoile à travers le paysage, le son d'une respiration en écho d'une de ses foulées ou encore une odeur qui n'aurait su être dissipée... Puisque Nocera est cachée, elle n'a plus l'avantage des mouvements pour tromper sa présence.
Cependant, après plusieurs minutes à s'intéresser à l'endroit, le loup constate qu'il n'a rien trouvé de probant alors que son ancienne piste avait l'avantage de régulièrement lui offrir des indices.

Il en conclut qu'elle n'est pas ici, et retourne sur ses pas pour reprendre là où il avait choisi de diverger, cherchant où jeter son dévolu cette fois.

Il lui faut peu de temps avant de constater qu'il a fait le bon choix.
A peine est-il reparti sur son ancien filon qu'il retrouve la présence d'une marque. Comme les autres indices, la trace est subtile : sur la roche au sol est venue se déposer quelques restes de terre, qui de loin et en ne faisant pas attention aurait ressemblé à l'usure et salissure naturelles de la pierre. Pourtant, en s'approchant pour mieux sentir et observer, Grimalk en est presque certain : ce dépôt est récent et est signe du passage d'un être vivant. Les particules de terre sont encore fraîches et humides, il lui suffirait de passer dessus ses propres coussinets pour les étaler.
Et à part Nocera et lui... Qui pour passer dans le coin à cette heure, sans se faire remarquer de surcroît ?

Alors l'adolescent remue le bout de la queue, satisfait sans pour autant autoriser l'émotion à l'envahir et le déstabiliser, et continue plus avant.

Viennent de nouvelles minutes sans confirmation de sa progression.
Grimalk fait halte et relève la tête : il est pourtant certain de ne pas s'être trompé dans ses trouvailles précédentes, et il refuse d'envisager l'idée de rebrousser entièrement chemin pour partir dans une autre direction. Nocera est forte et s'est donnée beaucoup de mal, mais lui aussi compte bien prouver sa détermination et ses compétences, ailleurs que dans la destruction sauvage de goules agaçantes.
Elle ne pourra se cacher éternellement, il finira bien par découvrir où elle se trouve.

Alors il persiste, sourcils froncés et souffle court tant sa concentration prend le dessus sur toute chose.