Chaleur [Libre]

 ⱷ Chaleur

Il court, une torche entre ses crocs serrés. L'herbe gelée craque sous ses lourdes foulées. Il n'a qu'une idée en tête. Un point fixe qui le brûle entièrement. Ses muscles chauffent sous l'effort. De son museau s'échappe de la vapeur blanche. Expiration chaude dans un climat bien frais. Mais il n'est pas dérangé par ces températures basses. Il y est habitué depuis tout petit. Son physique est même taillé pour çà. Il est une énorme boule de poils sur pattes. Un tas de fourrure énervé. Çà peut faire peur pour un spectateur non averti.

Il a de bonnes raisons de ressentir cette fureur en lui. Il a été sujet de moqueries. A cause de son handicap. De son identité de Sans-Oreille. Çà fait mal d'être ainsi mis de côté. De voir son approche hésitante vers ce groupe de jeunes loups rejetée aussi cruellement. Lui, il ne voulait qu'essayer de se faire de nouveaux amis. De s'ouvrir aux autres. Désillusion totale. Il n'a pas eu besoin d'entendre pour comprendre. Il lui a suffit de voir ces rictus moqueurs. Ces pattes qui pointaient son crâne. La jeunesse est conne. Il s'est enfui, les larmes de rage mouillant les bébés plumes ornant sa truffe.

Tout cet emportement, il le dévie vers la cause principale de sa Différence. Celle qui a maudit sa grand-même. La Sorcière Mona Lisa. C'est sa faute tout çà ! C'est à cause d'elle que Maman a des difficultés à distinguer l'origine des bruits. C'est à cause d'elle que Lucian et lui-même sont dépourvu d'ouïe. Et qu'ils galèrent autant à construire des liens avec leurs semblables. Il la haït. Et aujourd'hui, il décide de la confronter.

Le Manoir Hanté se dessine dans son champs de vision. Il ne ralentit sa cadence qu'arrivé à l'entrée. Cette porte à moitié close raffermit sa détermination. Il entre d'un coup d'épaule. Aujourd'hui, pas de musique pour s'annoncer. Ce ne sont pas les Araignées qu'il est venu chercher. Mais celle qui se tapie dans l'Ombre. Sa torche, il vient précautionneusement la caler sur un candélabre. Évitons l'incendie involontaire. La gueule libre, il sort de sa besace un morceau de charbon. Il va se placer au milieu de la pièce. Un vieux tapis protège le parquet. A l'aide de sa force, il le roule et le pousse dans un coin. Il veut un sol nu. Voilà. Maintenant, il peut le 'souiller' à sa manière.

De son morceau de charbon, il se met à tracer minutieusement un symbole géant. Un V tourné vers la droite. Kenaz. La rune du Feu et de la Purification. Un dessin qui devrait être considéré comme un blasphème dans cet endroit maléfique. N'envoyait-on pas les Sorcières au Bûcher, selon certains livres de la Bibliothèque ? Une offense volontaire pour faire sortir de sa cachette Mona Lisa. Pour lui hurler toute la haine qui lacère son cœur et l'empêche d'atteindre la Sagesse Nakhu.

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Il n'a pas à attendre longtemps. Une silhouette sort de l'ombre. Sans un bruit pour lui. Juste en face. Sa réaction est immédiate. Dans un réflexe, ses crocs se dévoilent et son pelage se gonfle. Il n'a jamais aimé être surpris. Encore moins dans un lieu rempli de danger. Et encore encore moins dans l'état émotionnel dans lequel il est.

Mais un rapide coup d'oeil acéré lui suffit à comprendre qu'elle n'est pas Celle qu'il cherche à attirer. La représentation de Mona Lisa, il la connait par coeur. Et cette louve ne lui ressemble pas du tout. Beaucoup trop colorée et trop jeune. Même si le regard qu'elle lui lance pourrait tout à fait coller au visage d'une Sorcière.

Babines et poils s'abaissent. Les battements du cœur ralentissent un peu. Sauf qu'il n'a pas prévu d'avoir de la compagnie canine. Il ne fait pas dans la dentelle. Pas de salutation d'usage. Seule la vérité sort de sa gueule. Voix robotique dénuée d'émotion chaleureuse.

"T'embêtes pas, je suis Sourd. Je chasse de la Sorcière. Le danger va être présent. Tu restes ici à tes risques et périls."

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Un hochement de tête est la réaction que lui offre la presque inconnue. Un simple geste qui veut tout dire. Pas de parole inutile. Pas d'effort à fournir pour la comprendre. Tant mieux. Il ne souhaite pas perdre son temps ni sa concentration dans un endroit pareil. Il n'est déjà pas totalement maître de lui-même. La colère a une emprise bien plus forte. L'envie de réclamer ce dont on l'a privé.

Déjà, sa partenaire s'élance dans une traque sans indice. Sans réfléchir. Mais la réflexion a-t-elle sa place ici ? Il reste persuadé que le danger se dévoilera par lui-même. Ils n'ont qu'à arpenter cette bâtisse pour l'attirer. Qu'importe que leurs objectifs ne soient pas identiques. Il est là pour sa quête personnelle en priorité. Pour Mona Lisa. Elle focalise son esprit. Son nom tourne en boucle.

Il s'ébroue. Il ne se sent pas capable d'attendre ici. Il récupère sa torche. Le Feu chasse les Démons. Le Feu brûle et apeure les Monstres. C'est son allié.

Il lance un dernier coup d'oeil à sa Rune. Son premier appel. Il avance à son tour. A la recherche d'un coin bien visible où tracer un second Kenaz.

Il ne s'attarde pas sur le cocon. Il n'est pas venu ici pour récupérer de quoi soigner les siens. De toute façon, il ne veut rien de cet endroit maléfique. Ce serait empirer les maux. Ou alors, il faudrait le purifier avant toute utilisation.

Est-ce les flammes qui dansent devant son regard qui l'hypnotisent ? Il se sent comme happé. Il fixe ce point orangé. Seule note de couleur éclatante dans ces couloirs cachés dans la pénombre. Son cerveau doit lui jouer un tour. Ce feu n'a rien de réconfortant. La torpeur qui le saisit n'a pas lieu d'être.

Il resserre ses crocs sur la torche. Il ne doit pas se laisser aller. Il ne doit pas être le Chassé. Il faut rester le Chasseur.

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Il continue d'avancer à allure plus modérée. La fougueuse énergie fournit par la colère s'est tarie. On a fermé le robinet trop tôt. A moins que ce ne soit son corps qui n'est pas habitué à ressentir d'émotions aussi fortes ?

La louve cherche à entrer en contact avec lui. Elle casse sa progression en lui barrant le passage. Il est obligé de s'arrêter. Son regard doré se pose sur ce qui lui est tendu. Une fiole. Il s'en méfie immédiatement. Tout ce qui vient d'ici est susceptible d'être mauvais ou maudit. Il approche sa torche pour mieux analyser. Il finit par la déposer au sol, près d'un second cocon ouvert. Il a besoin de sa gueule.

Avec prudence, il enlève prudemment le bouchon et hume l'odeur du liquide. Il fronce le museau. Il a reconnu le délicat parfum. Il se rappelle des cours de sa Mère. De ses avertissements face aux belles fleurs qu'il convoitait. La Beauté n'est pas sans danger. Il ne faut pas s'y fier. Même si elle porte les couleurs de sa Déesse.

"De la Digitale. Magnifique plante aux clochettes violettes. Mais toxique pour nous."

Il rebouche la fiole avant de la lui rendre. Il n'a pas besoin d'un tel souvenir. Il n'est pas certain que de poison vienne à bout d'une Sorcière. Elle n'est pas louve comme eux.

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La fiole rendue et la torche reprise, il continue son avancée. A chaque porte rencontrée, il l'ouvre et passe prudemment la tête à l'intérieur. Est-ce ici qu'Elle se cache ? Non. Rien que des meubles et de la poussière. Il grave une rune de Feu sur la porte avant de continuer. Il sera sûr de ne pas se perdre comme çà. Mine de rien, la bâtisse est beaucoup plus grande à l'intérieur que vue de l'extérieur. Papa lui a raconté qu'il y a même des passages connus uniquement par les Araignées géantes. Bien des secrets entourent cet endroit.

En voilà un nouveau ! Quelque chose apparait sur leur chemin. Stendhal imite Dysis et s'immobilise à son tour. A quoi ont-ils affaire ? Il plisse les yeux et cherche des informations sensorielles. Pas d'odeur. Pas de forme précise.

"Çà ressemble aux âmes que je vois. Un fantôme peut être ? Le Cimetière n'est pas bien loin."

Il se serait échappé ou perdu. Il ignore tout de la vie de ces êtres. C'est dommage. Il ne sait pas trop comment se comporter face à cette Chose. Il choisit de l'éviter. Il ne veut pas le toucher. Ses forces, il doit les garder pour Mona Lisa.

Il passe devant pour montrer l'exemple. Il se colle contre le mur pour le longer et passer à côté. Au moment où il effleure une fenêtre du couloir, celle-ci éclate. Des morceaux de verre viennent se loger dans son corps.

Alors çà, il ne l'a pas prévu. Çà ne fait pas du tout parti de son plan. Cette agression soudaine calme immédiatement ses ardeurs. Surtout la douleur. En plus, il y a d'autres fenêtres plus loin.

Son museau s'abaisse. Il regarde son propre sang tâcher le sol. Il en proie à un dilemme. Qui est le plus dangereux : le sorte de fantôme ou les fenêtres ? Et comment retirer les bouts de verre qui le blessent un peu plus à chaque pas ?

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Il ne mourra pas de sa blessure. Il le sait. Il a le savoir de Maman pour le rassurer. Il n'a pas à être affolé. Il est plutôt un peu stupéfait de cette attaque. Jamais il n'aurait imaginé se faire avoir par une fenêtre toute bête. Son honneur ne sait même pas comment le prendre.

Un mouvement de l'air le fait se tendre. Sa tête pivote rapidement. Ah oui, la jeune louve. Une tête brûlée comme lui. Ses yeux se plissent en voyant le sorte de fantôme toujours présent. Mais il n'a pas saisi l'occasion pour l'achever. Pourquoi ? Que veut-il ? Il n'aime pas ce qu'il ne comprend pas.

Ses paupières clignent. Une fois. Deux fois. Il se concentre sur les mots de son alliée du jour. Des soins ? Il est vrai que dans sa position, il ne lui sera pas aisé d'enlever les débris de sa patte. Il en a conscience. Alors, il acquiesce du museau. Ses iris dorés se plongent dans ceux de sa camarade. Il fait don de sa confiance. Il espère ne pas le regretter.

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Il n'est pas dupe. Il est beaucoup trop habitué à observer ses pairs pour être aveugle à leurs expressions corporelles. Il voit ses légers tremblements. Ce n'est pas dû au froid. L’adrénaline réchauffe. Elle n'est pas totalement sûre d'elle. Il serre les crocs. Il est prêt à intervenir si elle empire son état. Il ne compte pas perdre une patte aussi bêtement.

Il suit chaque mouvement. En silence. Ce n'est pas le moment pour briser la concentration de la novice. Il sait se faire patient calme. Un par un les débris de la fenêtre quittent sa chair. Non sans douleur. Mais il ne faut pas bouger.

Il tique lors de l'utilisation d'un tissu pas totalement propre. Mais il n'a pas mieux sur lui. Il se promet de désinfecter sa patte à son retour. Ne surtout pas choper une infection. Il ne veut pas de ce genre de souvenir. Çà lui ferait perdre du temps sur ses projets.

Une fois les soins terminés, il lève son membre. Il réajuste le bandage en tirant dessus avec ses mâchoires. Un peu plus serré. Voilà. Çà tiendra plus longtemps. Il teste. Il effectue quelques pas en avant. Petite douleur. C'est supportable. Il évitera de mettre trop de poids sur sa patte. Rien de vraiment handicapant.

"Merci. On continue."

Mais avant, il se sert de son propre sang ayant coulé sur le sol, pour tracer une rune. Différente des précédente. Uruz. Le Taureau. La Ténacité, le Courage, la Force. Des adjectifs qui collent bien aux deux explorateurs. Ce n'est pas cette attaque en traitre qui les arrêtera.

Armé de sa torche et de sa volonté d'aller jusqu'au bout, il reprend la route. Cette fois-ci, il longe le côté opposé aux fenêtres. Il ne se fera pas avoir deux fois.

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Son idée fixe pour les Runes interpelle son alliée du jour. Il sent son regard insistant. Il n'a pas besoin d'oreille pour comprendre où elle veut en venir. A-t-elle besoin de le savoir ? Ne se moquera-t-elle pas ? Il hésite. Il pèse le pour et le contre.

Oui, il peut lui révéler çà. Il lui doit bien çà pour s'être occupé de sa patte. Même si le soin est très sommaire. Mais tous n'ont pas la chance d'avoir eu un professeur particulier. Il ne peut pas lui en vouloir. Elle a tenté de l'aider et c'est déjà super de sa part.

"Rune du Taureau. Uruz. Pour donner plus de puissance à notre décision de continuer. A notre courage."

Ou folie de jeunes esprits. Mais c'est en essayant que l'on devient forgeron. A force d'expériences, ils apprendront leurs limites. Ils ont normalement toute la vie devant eux.

Et aujourd'hui, leur excursion a pour sommet Mona Lisa. Ils leur restent encore beaucoup à grimper.

Son regard se met à l'action. C'est son sens le plus développé. Il cherche des traces infimes de passage. Des poils oubliés, des fins fils d’araignée brisés. Il suppose que la Sorcière a une enveloppe matérielle et qu'elle peut laisser des empreintes derrière elle, dans toute cette poussière.

[Dés ING pour la recherche de traces de passage.]

Il lui semble apercevoir une zone où la poussière est moins épaisse. Comme dérangée. La trace d'un vieux passage ? Il se retourne pour l'indiquer du bout de museau à la louve l'accompagnant. Le voit-elle elle aussi ?

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