Murmures [Libre]

Il y avait de ces rencontres dont on ne se remettait que difficilement. Il y avait de ces moments qui restaient ancrés dans l'esprit comme s'ils murmuraient des secrets inaccessibles à la conscience. Et il était indéniable que la dernière rencontre d'Iris avec Emilitia avait été de ceux-là. L'etelkru avait ressassé longuement ce qui avait été dit, ses actes, qui une fois rentré au clan lui avaient parus incohérent avec celui qu'il prétendait être. Il avait eu honte.

Et puis, il y avait pensé, encore et encore. Il avait réalisé, sûrement, que l'attrait qu'il éprouvait pour la louve noire n'avait finalement rien à voir avec elle, et que continuer sur cette voie, sur ce fil était le moyen le plus simple de tout perdre. Sa vie, précautionneusement à l'équilibre depuis quelques mois, ses amis qu'il comptait nombreux, sa famille désarticulée mais aimante. Pourquoi tout risquer, lorsque le gain était inconnu ?

Il n'en avait pas la réponse.

Il savait simplement qu'il le voulait. Plus profondément que n'importe quoi d'autre. A chaque fois qu'il cherchait à s'en éloigner, il y revenait avec plus de frustration, avec plus de volonté encore. Et chaque fois, il était plus difficile encore d'avouer qu'il serait un jour capable d'ignorer les murmures des ombres pour se consacrer à la lumière. Il voulait savoir si la puissance de l'autre côté en valait le coup, et ce, même si cela lui coûtait énormément.

Prenant congé quelques jours pour se rendre chez les nakhus, prétextant des recherches sur les armures à effectuer, il s'était débrouillé pour se débarrasser de son partenaire de ronde, le laissant à la bibliothèque endormi sur un livre. Il avait eu besoin de s'éloigner, besoin de gagner un lieu où peu le connaissait, où il pourrait s'essayer à trouver la réponse à ce qu'il voulait. Il avait pris, en vrac, de quoi effectuer une sorte de rituel dont il n'avait aucune connaissance. Les informations à la bibliothèque étaient si rares qu'il avait à peine récupéré quelques mots et extrapolé le reste.

Une fois dans la Vallée, couvert par le murmure des morts, il avait trouvé un endroit abrité, sous une protubérance rocheuse pour installer ses bougies. Au sol, il trace devant chacun d'elle les symboles trouvés dans les livres, les liant entre elle par un tracé de charbon. A côté de lui, son carnet à présent usé et garni lui sert de modèle pour le tracé. Au centre, il pose un miroir trouvé dans le Castel, petit mais réfléchissant.

Lentement, il dépose ses épaulières au sol, cachant la lumière rougeoyante de son glowstick avec pudeur. Puis, il se saisit d'un pot de terre, y dépose le reste de ses charbons et une écorce d'if qu'il fait brûler avec lenteur. Il sort enfin une petite dague, trouvée dans les Profondeurs, ainsi qu'une corne de chèvre. Il y grave trois mots avec application, alors que la fumée âcre du bois se répand dans son habitacle semi-fermé.

טרור דם אש

Dès lors que le rituel est entamé, il lui semble qu'il ne peut s'arrêter. Tout ce qu'il avait lu et conçu dans son imagination prenait vie sous ses yeux fascinés. Il entre dans le cercle, pose la corne à brûler et d'une patte, grave les même mots sur le miroir, avec plus de difficulté. Enfin, il lève la dague. Il fallait lier par le sang. Mais au moment de trancher, il hésite.

Et un coup de vent vient balayer l'air, aérant un instant son esprit embrumé. Sa patte se baisse, vaincue. Qu'est-ce qu'il était en train de faire ? Ses crocs se découvrent en un rictus de colère, et d'une patte rageuse il balaye la scène. Le pot brûlant vole en éclat, le miroir gravé se retourne, les tracés s'interrompent. Iris, lui, a le souffle court et agité. Il lui faut sortir.

Il marche quelques mètres, soufflant pour éclaircir son esprit embrumé par les vapeurs, et finit par donner un coup de patte rageur dans un cailloux au sol, avant de prendre sa tête entre ses pattes. Il était perdu. La honte le regagne, encore, puissante, mais dans son coeur hurlait toujours le désir de continuer, d'aller chercher plus profond encore ce que lui murmuraient les ombres.