À notre amertume — Iberis

C’est le territoire de l’ennemi.
Le museau de Nirvana se fronce, alors que son regard cherche, parmi les arbres de l’atoll, la silhouette tant connue d’Iberis. Les mois s’étaient écoulés, sans qu’il ne rentre à la maison, des mois où ils s’étaient quittés sur cette discussion difficile. La sirène n’avait pas abandonné ses projets, pourtant…
Pourtant…
Tu me manques, mon frère.
Alors la prêtresse attends, assise au bord de l’eau, sa queue de poisson venant se poser sur ses pattes. Il était sage de ne pas faire l’affront de s’aventurer sur cette île. Car ce n’était pas pour l’entité ou sa fidèle qu’il était là.

« — Iberis ? »

Seras-tu heureux de me voir ou t’ai-je perdu ?

La silhouette familière de son frère se dessine. La queue de sirène remue doucement dans l’eau. Ce n’était pas la Rose qui venait ou son Oncle. C’était bien son frère. Iberis qu continuait d’aborder si fièrement le glowstick rose.
Son frère que leur mère avait chassé pour cela.
La disciple de Dairo serra les crocs. Oui, ça faisait longtemps. L’Etelkrus fit un pas.

« — Désolée, d’avoir mis autant de temps. »

Il y a du regret dans sa voix.
De la tristesse aussi.
Parce que même si en partant, Iberis avait permit à elle et Iris de se rapprocher… ce n’était pas pareil. Ce n’était pas pareil. Iberis était celui qui la connaissait le mieux, celui pour qui elle n’avait jamais rien caché.
C'est Moustique.

« — Tu m’as manqué. »

J’avais besoin de toi.
Un autre pas, puis la louvette vint enfouir son museau dans le poil de son frère, sentant ses yeux pâles devenir humides.
Je n’aurais jamais dû laissé maman te chasser.

« — Pardon. »

De t’avoir laissé partir.
D’avoir mis tant de temps pour venir jusqu’ici.
Pardon, de ce que j’ai dis lors de notre dernière discussion.

Pourquoi ne pas venir plus tôt ? Pourquoi tant de temps ? Nirvana conserva le silence un instant. Chaque mot dans la réponse qu’il lui faudrait apporter, aurait de l’importance.
Parce que tu vis sur l’île de la Rose Stupide.
Et de son Oncle que je dois détruire.
Que tu les as choisi eux, plutôt que nous.

« — J’espérais ton retour. »

Au passé. À présent, c’était une chose à laquelle elle avait renoncé, car ni lui, ni leur mère n’admettrait qu’ils avaient tort. Cette île, devenait son territoire, à lui et à la Rose, quand les Etelkrus eux demeuraient de l’autre côté de cet océan qui les séparait.

« — Je devais comprendre… »

Tu m’as abandonné.
Parmi ces ignorants.

« — … ce qui était nécessaire. »

Tu m’as abandonné.
Alors j’ai compris.
Que ni toi, ni Iris, ni les autres… vous ne resteriez à mes côtés.
J’ai compris, que seule Dairo comptait.
Que sans elle, j’étais seule.
Vous êtes éphémères, quand elle est éternelle.

Nirvana se recula, fixant un instant son frère. Ces mois écoulés, sans qu’elle ne vienne jusqu’ici… Peut-être jugerait-il cela impardonnable.
Étrangement, elle y était préparée.

« — As-tu trouvé ta place ici ? »

Nirvana serra les crocs.
À mère, je me serais opposée, si tu étais venu ce jour-là.
Me confonds-tu avec Iris ?
Ai-je été du genre à me cacher entre les pattes de mère pour ses faveurs ?
La sirène détourna le regard. Tout cela… la rendait si triste, savoir que son frère ne rentrerait plus à la maison, que jamais plus ils ne seraient comme avant. Iris, ce n’était pas pareil… il n’y avait pas la même confiance, pas la même affection. Nirvana n’avait pas seulement perdu son frère, mais aussi son seul ami. Le seul qui la comprenait, avec qui elle n’avait pas besoin de filtre.
Avant qu’il ne rejoigne la Rose Stupide.
Et que puis-je dire à présent, si tu as trouvé ta place ici ?
Je ne peux pas te demander de rentrer.
Ni te dire à quel point je suis seule sans toi.

Ne reste plus que Dairo.

« — Je suis contente pour toi, Puceron. »

Un sourire sincère, même si le museau est tourné vers l’océan pour qu’il ne puisse pas voir ses yeux devenus humides.
Oui, si il avait trouvé sa place ici, alors elle était sincèrement heureuse pour lui.

Jamais loin du coeur.
Un coeur qui lui paraissait si… vide. Là, contre Iberis, la brume qui s’échappe de ses pattes. Un coeur si vide, quand elle perdait progressivement les liens jadis noués. Qu’est-ce qui le comblerait à présent ? Les paupières se ferment un instant.
Tu as grandi, petit frère.
Assez, pour voir les autres.
… mais peut-être pas encore assez pour les comprendre.
C’était avec ces dernières images du frère heureux et épanoui, que Nirvana voulait garder à l’esprit. Savoir, que rien de plus n’aurait pu être fait. Lorsque la sirène reviendrait en ces lieux, ce ne ce serait que pour éliminer une fois pour toute l’entité. Détruire toute traces d’abominations qui puisse troubler la tranquillité de sa déesse. Un sourire qui étire ses babines, alors doucement elle s’écarte. Ses pattes viennent de nouveau entrer en contact avec l’eau.

« — Prends soin de toi, Iberis. »

Un instant, la sirène fixa son petit frère, conservant dans son esprit cette image de lui heureux. L’Etelkrus disparue dans l’océan.
Puissions-nous nous revoir.