S'ancrer [Prudence]

± S'ancrer

Un oasis s'étend sous ton aurore. Un refuge verdoyant. Quelque chose qui ressemble fortement à votre Petit Éden. Mais avec des fleurs à la croissance démentielle et désordonnée.

Es-tu dans un rêve ? Es-tu réveillée ? Après cette terrible vision de ta terre détruite, tu ne sais plus.

Tu sens l'air devenir plus compact autour de toi. Autour de vous. Tu perds de l'altitude. Tes forces s'amenuisent. Ton regard vise la porte de ce qui était un cabanon de jardin. Tu atterris dedans.

Dès que tes voiles lumineux frôlent le sol, vos apparences redeviennent mortelles. Créatures si fragiles.

Le puissant parfum des plantes s'engouffre en toi. Même les murs ne résistent pas à son passage. Il te semble entendre comme un bruit de ... larmes ? Tu es déboussolée. Un enchainement trop important de montagnes russes pour ton petit cœur.

Tes yeux se baissent vers le sol. Entre tes pattes, il y a la silhouette de ton Amie. Tu te rappelles son sourire. Celui qui t'a fait agir. Ton Ancre. Il est toujours là. Mais c'est tout. C'est trop peu maintenant.

Tu l'observes avec ton regard un peu ancré dans la réalité. Un peu moins vide. Elle semble dormir telle la Belle au Bois Dormant. Non. Plutôt comme une poupée. Une Poupée désarticulée.

Tu dois pouvoir la réparer. Tu aimais recoudre les peluches de tes fils. Tu étais douée pour çà. Prendre soin des choses et surtout des Autres.

Alors, tu t'affaires. Tu laisses ton expérience guider tes gestes.

Sortcelière un jour, Sortcelière toujours.

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Tu palpes avec douceur. Tu repères les os brisés. Tu remets ceux qui ont bougé à leur place. Les autres, tu les traites avec ce que tu possèdes. Tu sais que le temps aidera à leur reconstruction. Tu t'occupes aussi de cette vilaine marque. L'empreinte du coup de l'Anteka. Laissera-t-elle une cicatrice ? Tu ne l'espères pas. Tu as toujours connu ta jolie Poupée dénuée d'imperfection.

Tu fais de ton mieux. Comme d'habitude. Çà te calme ce travail. Parce que tu sais ce que tu fais. Tu n'as plus besoin de réfléchir. Tout est plus simple que les évènements précédents.

Ta Belle au Bois Dormant s'éveille. Avec sa voix, elle t'oblige à t'ancrer au sol. A quitter le rôle de soigneuse. A rouvrir progressivement tes sens à la dure réalité qui t'entoure.

"Je..."

Cette question est bien plus difficile qu'elle ne le parait. Elle te force à prendre conscience de ton propre corps. De ton état d'esprit. Tout ce que tu voulais éviter. Car tu sais bien, au fond de toi, que non, çà ne va pas. Pas du tout même.

Tes yeux se parent de gouttes salées. Tu clignes vivement des paupières. Tu cherches pitoyablement à détourner l'attention. Tu détaches ta cape d'Oracle pour couvrir ton Amie.

"Tu frissonnes."

Ce n'est pas assez. Tu décides d'ajouter ton écharpe. Tu la déroules doucement de ton cou. Tu veux en faire un coussin chaud et moelleux pour ta Licorne.

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Tu vois et entends cet appel à la proximité. Tu veux y céder. Tu en as bien besoin. Tu t'avances vers ton Amie. Mais la toux t'empêcher d'aller plus loin. Tu imagines la douleur ressentie par ce bruit si rauque. Pauvre gorge meurtrie. Ton âme compatissante veut y remédier. Ton regard se fait chercheur. Tu fouilles le cabanon de jardin. Il est petit, cela te prend peu de temps.

"Je n'ai rien pour te préparer une tisane."

Ta voix se fait désolée. Tu n'aimes pas être dans l'incapacité d'aider pleinement les tiens. Tu sors de ta besace le seul remède que tu possèdes.

"J'ai seulement ce pot de miel."

Mais ta Licorne risque de se salir. Ce ne sera pas très élégant pour une fidèle de Moiro. Et moins efficace sans la combinaison avec de la Mauve ou de la Guimauve. Mais c'est tout ce que tu as.

Tu ouvres le pot et le déposes près des pattes de ton Ancre. Tu t'allonges doucement à ses côtés, en veillant à ne pas trop frôler ce corps abimé.

Soudainement, tu redresses ta tête dénuée d'oreille. Tu viens de penser à quelque chose. Un petit rien qui peut aider Prudence à aller mieux. Avec délicatesse, tu déroules le petit serpent qui t'avait été confié face à l'Anteka. Tu remets Peter à sa propriétaire.

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Tu te soumets à la demande de ton Amie. Comme à ton habitude. Cà a toujours été ta vie çà. Répondre positivement à toutes les requêtes que l'on te fait. Sans cesse sollicitée. Jamais une plainte. Et un sourire accroché aux babines.

Tu laisses le souffle de ta Licorne se faire plus profond. Tu veilleras sur son sommeil. Autant que possible. Jusqu'à ce que le trop-plein d'émotions éclate. T'emportant dans son sillage. Dans un songe forcé par l'exténuation. Coupant net les pensées et autres choses sombres qui grouillent en toi.

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L'extinction de ton cerveau ne dure pas. Tu es la première éveillée. Ton corps est habitué à se lever dès l'aube. Pour aller prendre soin du Jardin de Maman. C'est ta petite habitude. Ensuite, tu irais voir les patients. Pour finir par offrir ta prière matinale à Dame Yurai.

Mais aujourd'hui, il n'y aura rien de tout çà. Parce que dès que tu ouvres les paupières, tu prends une claque. Une deuxième. L'horreur de la journée d'hier te revient. Chassant le minuscule espoir que tout cela n'était qu'un simple cauchemar. Tout est glaçant de réalité.

Aussi froid que ce petit corps roux recroquevillé contre ta poitrine. Dans un ultime câlin. Ton museau le pousse délicatement comme pour l'inciter à se réveiller. Mais tu sais bien que c'est un geste vain. La Mort, tu l'as suffisamment côtoyée pour reconnaitre sa présence.

Waffle n'est plus. Le joyeux Écureuil qui accompagne chacun de tes pas depuis le sacrifice de Maman t'a quitté. Il n'aurait pas dû. Pas aussi tôt. Ce n'est pas dans l'ordre des choses. Tout comme jamais un Dragon n'aurait dû dévaster leurs terres.

Les Nakhus ne méritent pas çà. Tu ne mérites pas çà.

Et pourtant, tu finiras comme lui.

Rendue trop vulnérable par tes émotions, tu as été une porte ouverte au Mal. Il s'est engouffré en toi, ne te laissant aucune chance. Seulement un léger répit avant la chute finale.

Qui aurais-pu imaginer un seul instant que le propre lieu que tu adorais, que tu chérissais depuis toujours, ton Petit Éden, pourrait te piéger ainsi ? T'inoculer ce Poison perfide. Qui coule dans tes veines, qui grignote tes cellules.

En es-tu consciente ? Toi, la Grande Sortcelière ? Préfères-tu fermer tes yeux trempés de larmes ?

Avec ta délicatesse légendaire, tu t'écartes du corps de Prudence. Tu veux lui éviter la vue d'un corps sans vie. Sa nature risque de la faire souffrir. Alors, tu t'en vas sans un bruit. Tu transportes ton Waffle dans ta gueule et tu sors du cabanon.

Tu t'engouffres dans la végétation prise de folie. Tu cherches parmi cette explosion de vie végétale. Là ! C'est l'endroit idéal. Tu reconnais cet arbre.

Les souvenirs pénètrent en toi. Tu revois ton adorable écureuil faire des acrobaties qui en feraient pâlir de jalousie Kiro lui-même. Sur cette branche, il aimait s'y reposer. Dans ce creux, il cachait les noisettes que tu lui donnais. A force de grimpette, le tronc est par endroit devenu plus lisse. Ta patte vient caresser ces marques.

Désormais, le temps les recouvrira. L'arbre n'aura plus à subir ces innocentes facéties. Plus personne d'ailleurs.

Waffle était ton lien avec Hanna. Tu l'avais découvert au retour de ta terrible Épreuve de Glowstick. Il t'attendait dans la Grotte aux Cristaux. Il ne t'avait jamais quitté. Un auxiliaire discret qui t'a aidé à surmonter ton premier Deuil. Et les suivants aussi.

Son rôle se termine ici. Dans ce trou que tu creuses directement avec tes griffes de diamant.

Sa disparition aussi brutale est un signe. La prochaine disparition sera la tienne, n'est-ce pas ?

Le cœur lourd, tu procèdes à son enterrement. Il n'y a pas d'Uma pour t'aider cette fois. C'est une cérémonie personnelle. Entre ses deux pattes griffues, tu déposes une Noisette. Tu couvres son corps des plumes composant l'une de tes Fausses-Oreilles. Et tu recouvres doucement le tout. Le corps secoué de sanglots. De la perte de ton ombre rousse.

Tu ne peux rester plus longtemps ici. Tu crains d'inquiéter ton Amie par ton absence. Alors, après un dernier regard à cette nouvelle tombe, tu te détournes.

En chemin, tu récoltes diverses plantes. Tu te prépares au long combat qui t'attends. Qui vous attends.

C'est bien chargée que tu pénètres à nouveau dans le cabanon. Tu cherches de ton regard doré ta Licorne. Est-elle réveillée ? Comment se sent-elle ce matin ?

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Elle est bien réveillée. Le repos semble lui avoir fait du bien. Elle est déjà debout malgré ses blessures. En tout normal, elle ne devrait même pas quitter la position horizontale. Mais ce n'est pas un temps normal. Tu le sais bien et tu repousses tes alertes et conseils de Sortcellière. Il faut de bons médecins pour prendre soin de ta chère Licorne. Toi, tu es là pour elle pour l'instant. Mais ton temps t'est compté. Tu ne veux surtout pas devoir l'abandonner seule, ici. Alors, il faut bouger. Il faut rentrer à la Maison.

"Oui. Tu seras mieux soignée là-bas."

Tu hoches doucement la tête. Vous allez devoir affronter une deuxième fois les terres dévastées. Respirer cet air putride et empoisonné. Dans l'espoir de retrouver la Lumière des vôtres. Quête difficile, mais pas impossible. Car cette fois, vous serez prêtes.

Ce n'est pas pour rien que tu t'es chargée de plantes diverses. Tu les déposes au sol et les trie. En trois tas distincts. Feuilles de Passiflore et fleurs d'Aubépine. Écorce de Saule blanc et fleurs d'Achillée millefeuille. Muguet et Aconit. Tu les désignes un par un. Tu dévoiles ta stratégie.

"Somnifère. Soin. Toxique."

Tu grimaces un peu au dernier. Mais tu dois être prête à toute éventualité. Comme pour le Spinosaure. Il n'y a pas le choix. Tu dois être capable d'aller jusqu'au bout. Sans flancher. Pour Prudence. Tu as d'ailleurs mis de côté des baies de Guarana. Pour pallier à l'avancée du poison. Pour cacher ton état. Pour t'aider à accomplir ton destin.

"Vois-tu d'autres choses qui pourraient nous aider ?"

Tu songes à ton armure en peau de Mosasaure. Mais pour aller la récupérer, il faudrait laisser ton Amie seule. Tu n'envisages pas cette possibilité.

"Et surtout, est-ce que tu te sens prête à y retourner ?"

Elle est la seule juge de ses capacité. Quel que soit le choix qu'elle fera, la Colombe sera là pour l'épauler. Amies, c'est pour la Vie.

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Tu ne t'attends pas à ce genre de requête. Tu pensais plutôt à de quoi soulager la douleur des côtes brisées. A jouer le rôle de soutien, comme tu l'as toujours fait. Mais une promesse aussi importante...

Ton regard doré essaye de fixer celui de ta Licorne. Tu vois ce sourire au bord de ton champ de vision. Tu ne veux pas décevoir. Tu ne veux pas faire souffrir non plus.

C'est difficile. Trop. Tu es incapable de mentir. Tu profites de ce mouvement de patte pour échapper au contact visuel. Tu regardes cette griffe qui n'attend que la tienne.

Tu déglutis avec difficulté. La boule est de nouveau là. Qui obstrue ta gorge. Qui te donne envie de mouiller ton museau. Tu te retiens. De toutes tes forces. Tu remets ton masque d'Oracle. Tu te fais forte et confiante. Rayonnante de mauve.

"Tu n'as pas à t'inquiéter pour les nôtres. Nocera et Lestat ont déjà pris la tête de l'organisation. Les équipes ont été formées et tout se met doucement en place. Rien ne sera laissé au hasard pour lutter contre l'Intrus. Pour retrouver nos richesses perdues. Notre morceau de Cœur perdu."

Tu étires même tes babines en un sourire des plus convaincants possibles. Ta griffe de diamant vient s'accrocher à celle de ton Amie.

"Nous gagnerons, ma Licorne. Je te le promets."

Et pour çà, il te faut fignoler deux-trois petites choses. Tu retournes près de tes tas. Et comme tu l'as fait tant de fois par le passé, tu prépares somnifère et poison mortel. Tu broies consciencieusement les plantes. Tu extraits leur jus le plus pur. Celui qui contient les effets recherchés. Tu fais prudemment glisser chaque liquide obtenu dans une fiole étiquetée. Il ne te restera plus qu'à tremper la pointe de tes flèches avant le tir.

Avec l'Achillée millefeuille, tu prépares des cataplasmes d'avance. Ils vous seront utile en cas de plaies et pour stopper les saignements. Quant au Saule blanc, il suffira de mâcher l'écorce pour profiter de ses bienfaits anti-douleur.

Te voilà prête. Pour ton dernier combat, peut être.

Tu te redresses et tu t'avances vers Prudence. Ton museau va chercher le sien. Un signe d'encouragement. Vous ne savez pas ce qui attend dehors. Mais vous êtes ensemble. Là est votre Force.

"Rentrons à la Maison."

Dame Yurai, veillez sur nous.

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