Guard l P.V. DC

Ramassée dans les hautes herbes, Alexandrine sent les muscles rouler sous sa peau. Le rythme de son coeur est bas, si bas, si calme. Son regard est fixé sur la gazelle paissant tranquillement devant elle. Elle inspire profondément, laisse les effluves si familières l'envahir. Elle retient son souffle. Goutte, du bout de sa langue, la richesse des fragrances qui lui parviennent. Exhale dans le silence le plus complet.

Elle se ramasse sur elle-même, disparaît entièrement derrière le rocher, malaxe la terre de ses griffes, anticipe.

Une nouvelle inspiration, elle se penche vers l'avant.

Top, départ.

Elle bondit, ses pattes arrières branchées sur ressort, souple malgré sa masse, puissante, bolide tout en impulsions. Ses pattes raclent le sol ; elle bénéficie ici d'une adhésion incroyable. Tous les éléments sont en sa faveur, pour cette course-poursuite savamment planifiée. La proie n'a aucune chance. En vitesse de pointe, en vivacité, elle excède probablement Alexandrine ; mais à quoi servent ces atouts quand cette dernière est surprise par plus d'une centaine de kilos de muscles et d'ailes, et une paire de crocs plantés dans la jugulaire ?

Rien.

La gazelle relève la tête en bondit, mais Alexandrine feinte à gauche pour bondir à droite et l'écraser contre la roche derrière elle, éclatant sa cage thoracique sous son poids.

A la rage, succède le silence.

Alexandrine se relève et s'ébroue, lèche sur ses babines le sang frais qui s'écoule.

Aujourd'hui... Aujoud'hui, elle participerait aux proies du clan. Elle nourrirait, et se nourrirait.

Elle l'a entendue arriver, sans lui accorder d'attention particulière. Elle n'est pas sous le vent et la brise de début d'après-midi ne lui apportait aucune information. Mais le pas était lupin, bien qu'un peu lourd, et sur ces terres elle ne se faisait aucun doute qu'il appartenait à l'un des membres du clan.

Lorsque la voix de Sakura retentit derrière elle, Alexandrine se détourne tranquillement de la proie pour lui faire face. La guerrière grise teintée de rose se dresse face à elle... Ronde comme un ballon. Ca n'est pas sa première portée, elle le sait, elle est celle qui a attiré l'attention du grand Dire. L'un de ses premiers rôde plus souvent qu'à son tour dans les terres du Nord, bien qu'elle ne l'ait pas croisé.

Elle est absente, et échange peu, mais à chaque fois qu'elle met les pattes en terres Etelkrus elle glane toutefois une information ou deux. Tita se fait toujours plaisir à la tenir au courant des dernières infos, sous forme de bullet point, de quelques notes de bas de page.

Encore des gosses.

C'était pas mal pour le clan, supposait-elle.

Alexandrine hocha la tête. Au moins, c'était Sakura, rouge guerrière, fière combattante du clan, pas un quelconque loup dont elle aurait du supporter la présence malgré elle.

... Ava.

Son aboiement résonne, montagne qui s'ébranle, à peine reconnaissable. Alexandrine, d'un signe de tête, lui retourne la question.

Et toi ?

Bien qu'elle s'intéresse peu à ses congénères et leurs devenirs (ou peut-être ?), elle est prête à lui accorder un peu d'attention.

La franchise et les manières de la louve grise l'amusent. Sa bonne humeur, aussi. Mais elle n'en montre rien - non qu'elle se garde, mais son corps ne sait simplement plus s'exprimer. Il est cette coquille rigidifiée par le temps et le froid, demandant lourds efforts pour s'altérer.

Alors elle se force, et hoche la tête pour signifier qu'elle a entendu, qu'elle écoute bien, qu'elle comprend même si elle ne répond pas. Sakura s'approche, et Alexandrine se tend en la voyant se diriger vers la proie - réflexe stupide, acquis du manque et de la frugalité. Elle force ses muscles à se desserrer sous sa peau, et gronde.

Mange.

Pour un, pour deux, pour trois, pour se remplir le ventre, qu'elle mange à ne plus avoir faim.

Rester ici ?

En voilà une bonne question.

P'r l'instant.

Tant que son dieu le lui intimerait, tant qu'on aurait besoin d'elle, tant que le désir de repartir ne prenait pas le pas sur tout le reste. Peut-être une semaine, peut-être un mois, peut-être un an.

Peut-être ne repartirait-elle jamais ? Est-ce là, ce qu'on exigeait d'elle ?

Elle s'autorisa à considérer avec curiosité, et non avec dégout, cette éventualité. Le dragon en son sein aimait ce climat plus doux et tempéré, se repaissait des rayons du soleil et de la présence de ses congénères. Mais son coeur se languissait déjà des possibles, de la neige, des hauts monts glacés et des monstres inlassables.

Ou était-ce de la solitude ?

Elle n'était pas certaine.

Là, de nouveau, elle observait Sakura.

Et ne savait pas quoi lui dire. Quelles étaient les conventions ? S'enquérir de la progéniture, vieillissante ou à venir ? S'enquérir des beaux jours, et du quotidien ?

Alors elle reste, là, silencieuse, à la regarder manger.

Alexandrine finit par s'allonger en vache, à côté de Sakura et de la proie. A sa question, elle secoue la tête :

Non. Entendu parler ?

Le Grand Nord était... Grand. On pouvait passer des jours, semaines et mois sans jamais croiser personne. Et les dires, malgré leur haute taille, savaient se faire particulièrement discrets pour ne pas invoquer colère et convoitise de la part des dinosaures. Même lorsqu'ils se croisaient, ils n'étaient pas particulièrement loquaces. Mais peu loquaces ne veut pas dire muet, et ils parlaient toujours en la croisant de ce demi-petit qui découvrait les terres.

Mais les conversations tournaient court, après l'assurance que les loups étaient vivants, bien portant, et chassaient.

Rentre ? Souvent ?