Sleep, endless sleep | Libre

Helga


Elle rangeait les herbes. Lentement, très lentement. Ses pattes, avec l'habitude, n'avaient presque plus besoin de ses yeux pour attraper les tas d'herbes sèches et les suspendre aux crochets incrustés dans le côté de la tanière des guérisseurs. D'ailleurs, heureusement, car aujourd'hui, elle ne voyait plus même ses pattes posés par terre lorsqu'elle était assise: seule des couleurs floues. Enroulant son écharpe autour de son cou contre le froid, lentement, elle va à la recherche d'un tas de paille pour aller remplir les couchettes des patients.

Elle ne la trouve pas, cette paille. Mince alors, qui l'avait pas remplie ? Ou alors quelqu'un l'avait-il déplacée ? Comme c'était agaçant.

"Tawana, je ne trouve plus la paille - c'est terrible, si tu sors, tu m'en prendrais ?" demande-elle à la forme qui vient d'arriver à l'entrée de la tanière des guérisseurs.

Pomelo -car Tawana est mort depuis longtemps- rentre doucement dans la tanière personnelle de Helga, remarquant les tas de mauvaises herbes mortes qu'elle a essayé sans succès d'attacher au mur sur des crochets qui n'y sont pas. Depuis quelques jours, elle n'est plus parmi les guérisseurs, parce qu'elle ne parvient plus à y travailler correctement. Parfois elle se perds, parfois elle commence à essayer le traitement d'un tel à l'autre. Perrine et Désastre ne pouvant pas passer la journée à la surveiller, elle est maintenant chez elle, a essayer de continuer son travail, sans pour autant comprendre qu'elle n'est plus à son travail.

Les vieilles pattes commencent à déchirer des vieux morceaux de tissu pour essayer de faire des bandages. Heureusement, son écharpe est fermement accrochée autour de son cou. Hier, elle essayait d'en faire des bandages.

"Venez Dame Helga, mangez donc de ceci, c'est l'heure de la pause." dit Pomelo, en lui posant un bout de viande devant elle.

La vieille louve brune aux cheveux gris tourne la tête, confuse.
"Perrine ? Qu'est ce que tu fais là, je te pensais ailleurs ..."

"Non, non, c'est Pomelo !"

Le regard grisâtre n'affiche aucune reconnaissance, et le coeur de la bleue se serre.
Elle titube, et Pomelo s'empresse de la soutenir, pour se faire pousser d'une patte ferme.

"Non, non, j'ai pas besoin d'aide Perrine, j'ai juste besoin de paille. Est ce que tu sais si Tawana peut chercher de la paille ?"
Pomelo, se mordant la babine, insiste jusqu'à parvenir à ce que Helga s'assoie.
"C'est moi, Pomelo ? Pomy ?" souffle-elle, ses oreilles basses, sa queue entre ses pattes, ses yeux scintillants.

"Tu me reconnais hein, tata Helga, hein ? Tu me vois ?" demande-elle, en lui tenant les pattes.
Mais la vieille louve la regarde sans la voir, ses yeux posés sur l'entrée de la tanière.
Elle prends sans y réfléchir le morceau de viande entre ses pattes, pour en déchirer un tout petit morceau avec ses crocs, et le mâchonner très lentement. Elle repose le morceau de viande par terre, puis essaie de retourner ranger l’ensemble de la tanière, ce contre quoi Pomelo lui pose une patte sur l'épaule pour l'empêcher d'aller se fatiguer.

"Mange un peu plus tata, tu n'as pas fini."

Le brune, d'ordinaire patiente, mets un petit coup de patte.
"J'ai pas besoin qu'on me dise quoi faire Perrine, tu es insupportable aujourd'hui." dit-elle en essayant de se dépatouiller.
Elle est soudain prise de vertiges, et Pomelo l’attrape rapidement, pour la poser dans sa couchette.

"Perri ?"
La vieille cherche avec ses pattes la forme bleue qui lui échappe.
"Oui, oui je suis là ?" abandonne Pomelo.

"J'ai toujours cru qu'ils reviendraient, Perri, j'ai toujours cru qu'ils m'oublieraient pas... mais ils sont pas là. J'ai plus de famille ici, ils sont tous partis." dit-elle soudain, les yeux embrumés de larmes.

Pomelo ne sait pas quoi faire de ces paroles, alors elle cherche désespérément de quoi changer le sujet, rendre l'ambiance moins pesante.
"Euhm.."
"Heureusement que je t'ai toi, Tawana et Désastre." dit-elle, tout doucement, en fermant les yeux avec un soupir.

"Euhm, oui, euh ... "

...

"... tata ?"

C'est au son des larmes de Pomelo, allongée à côté de Helga, que les Etelkrus seraient prévenus de la mort de la vieille guérisseuse, qui s'éteint sur sa couchette, alors que les oiseaux commençaient à chanter dans les arbres.

Elle sent la patte sur son épaule sans vraiment la sentir, mais viens cacher sa tête mouillée de larmes contre la patte chaude et rassurante. Les larmes ne s'arrêtent plus, elle a la truffe qui coule en plus des yeux, et inspire en grande coups stridents pour essayer de se calmer.
La carte ? Helga lui en avait parlé de temps en temps, mais elle n'y avait jamais fait suffisamment attention. Non, c'était pas vrai: elle n'avait même pas écouté. Elle s'était dit 'pff, c'est un truc de guérisseur ça, ça ne m'intéresse pas' et maintenant, elle regrettait tant. Si seulement elle avait plus écouté, si seulement elle s'était intéressée à qui elle était, Helga, avant d'être sa mentore. Si seulement ... Si seulement..
Si seulement elle avait réalisé plus tot.

Si seulement elle avait encore du temps.

Les yeux fermés très fort, comme pour essayer d'oublier l'image de Helga allongée, qui ne bouge plus, elle parle entre les larmes.

"Je-snif- je lui ai pas dit que je l'aimais"

Elle saisit ses épais cheveux avec ses pattes avant pour y enfouir sa tête et continuer de pleurer. Il n'y aucune lumière dans le monde en ce moment. Il n'y avait rien qui puisse l'ôter à la tristesse et la culpabilité. Elle n'avait pas chéri sa presque-deuxième-maman. Elle aurait pu. Elle aurait du.

Elle se calme un peu, et fait de la place dans la tristesse pour écouter. Les larmes toujours plein les yeux, elle se frotte les paupières avec ses pattes avant, pour se reprendre. Au fond, elle sait qu'elle continuera de pleurer plus tard, mais pour le moment, elle renifle et elle écoute. En écoutant, elle jette un petit coup d'oeil au cada- non, c'est trop dur à penser - au corps d'Helga.

Elle respire en longues inspirations tremblantes, pour se calmer un peu, en évitant de regarder en face la vérité, le corps qui ne bouge plus.
Qu'est ce qu'elle va lui dire, quels mots ? Elle a pas envie de dire n'importe quoi. Elle n'as pas envie de lui honte, elle qui choisissait souvent si bien ses mots.

"Je ... snif ...."
Elle voulais lui dire quand elle bougeait encore, quand elle l'entendait encore. Maintenant, ca lui paraît terrible, de dire des choses à son corps mort. Elle préfère attendre de pouvoir les dire à son esprit. Elle serre ses pattes ensemble en cherchant du courage, et se rattache a l'idée de la bougie. Elle parlerait à une bougie, plutôt.

"Tu pourras m'apprendre comment faire des bougies ?" demande-elle, en jetant un petit coup d’Veil aux yeux jaunes du panseur au visage blanc.

Elle qui d'habitude est une petite pile d'énergie et de muscles est guidée sans difficulté jusqu’à l'extérieur. Une partie d'elle ne veut pourtant pas laisser Helga seule : comme si elle allait se réveiller, et qu'elle se sentirait seule si il y avait personne autour d'elle... mais elle ne va pas se réveiller.

Elle lève les oreilles pour l'écouter, et s'essuie de nouveau les yeux avec ses pattes. Puis elle écoute, comme dans une espèce de transe. Elle hoche la tête. Elle voulait apprendre les bougies ... et elle voudrait sans doute parler, un jour. Mais pas maintenant. Maintenant, si elle parle, elle va pleurer, elle le sent. Parce que Helga est toujours là, sans vraiment être là.

Elle relève la tête et sourit d'un fin sourire.
"Merci"

Son mieux est assez, et Pomelo se détends un peu à côté du loup gris zébré de blanc, son esprit s'en allant ailleurs, dans ses souvenirs.

[finito ? ]

[ fini oui ]