Ne te découvre pas d'un fil | Dysis

Ne te découvre pas d'un fil
Cassius, 4 mois

Terré dans un renfort rocheux, à peine assez gros pour le contenir tout entier, Cassius attendait que l'orage passe.

Il s'était laissé surprendre, guère habitué à la météo locale. Parti en excursion un peu plus loin de la tanière que prévu, alors que son père s'était une nouvelle fois absenté, emmenant son oiseau avec lui, il s'était amusé à remonter les sentiers qu'il connaissait déjà, décidant d'aller un peu plus loin, aujourd'hui, histoire de connaître un peu mieux le coin où il vivait. Jusque là le temps avait été ensoleillé, mais rapidement le vent s'était levé, et voilà que de derrière les hautes falaises avaient déboulé d'énormes nuages noirs chargés de pluie. Pluie qu'ils n'avaient pas tardé à déverser, transformant rapidement le canyon d'ordinaire si sec en une perpétuelle étendue de cours d'eau chaotiques et de cascades plus ou moins grosses, probablement tous aussi dangereux les unes que les autres pour quelqu'un de sa taille. La température avait chuté d'un coup, le vent n'avait pas cessé, l'orage avait grondé, Cassius s'était fait rincer, et il avait galopé aussi vite que ses pattes format réduit pouvaient le lui permettre, jusqu'à trouver un abri de fortune abrité de la tourmente météorologique. Il s'y était enfoncé, s'y était roulé en boule, et avait attendu.
Cela faisait un petit moment maintenant.
Un petit moment et l'orage semblait enfin se calmer, mais la pluie n'en finissait pas de tomber pour autant. Le battement régulier des gouttes qui martelaient le sol avait quelque chose d'apaisant, et s'il n'avait été aussi terrifié à l'idée de ne pas réussir à rentrer chez lui, vu l'état dans lequel cette tempête soudaine semblait avoir mis le canyon, Cassius aurait pu s'endormir. Ou au moins somnoler.
Mais non, il regardait avec un mélange de fascination et d'appréhension le ciel noir qui continuait de déverser sa bile sur le monde et d'inonder les ravins qu'il était censé traverser pour repartir, et attendait désespérément que ça se calme.
Ca finirait bien par se calmer.

Rapidement, si possible.
Il commençait à avoir un peu froid.

Il avait le regard dans le vague lorsqu'une forme pâle attira son attention, un peu en contrebas, sur le côté. Cessant immédiatement de rêvasser pour se focaliser sur le présent, Cassius se redressa, étirant le cou pour mieux voir ce qui se passait. Une bourrasque chargée de gouttelettes lui amena l'odeur d'une femelle, non solitaire mais pas Etelkru non plus. Elle était logiquement soit pirate soit Nakhu. La première situation n'était clairement pas favorable, mais la louve n'avait pas l'air d'être à moitié poisson — de ce qu'il savait des poissons, n'en ayant pour le moment jamais vu de sa vie – et ne portait pas sur elle d'odeur de sel. Il pouvait donc espérer qu'il s'agissait là d'une Nakhu.
Un clan dont il n'avait rien à craindre si ce n'est la promesse de conversations idiotes et ennuyeuses, selon son paternel.
Cassius n'était pas sûr d'avoir les mêmes goûts que Joaquín, en termes de conversation. Déjà, parce que Joaquín ne parlait pas beaucoup, si ce n'est pour dispenser ses enseignements. Aussi, parce que Joaquín trouvait la plupart des gens idiots, et cela l'incluait probablement lui-même, son fils, dans le lot.
Il décida d'attendre et de voir.
Quelques secondes plus tard, la louve se stoppait devant lui et croisait son regard, attendant visiblement quelque chose.
Elle était grande et svelte, et dotée d'une épaisse chevelure bouclée, actuellement saturée d'eau de pluie. Ne sachant pas trop quoi faire, parce que les quelques loups qui n'étaient pas de sa famille étendue qu'il avait pu croiser étaient tous de son âge et que celle-ci était adulte, il décida de se recroqueviller sur lui-même pour prendre moins de place et de se décaler sur le côté, s'installant contre le mur et laissant ainsi à la femelle la place pour s'installer, si elle le souhaitait.

Il suffit de quelques secondes pour que Cassius se retrouve ainsi lové dans un petit trou de roche aux côtés d'une louve de meute — meutarde, aurait dit son père – à attendre que l'orage se tasse. Il hocha la tête lorsque celle-ci le remercia, soufflant un petit de nada dont il doutait qu'il ait pu être entendu.

L'espace n'était pas bien vaste mais tous deux avaient réussi à trouver une disposition qui ne rendait pas l'expérience inconfortable. Pas de promiscuité désagréable et de poil humide partagé avec un inconnu ; juste le battement régulier de la pluie, entrecoupé de quelques craquements de tonnerre, des flashes blancs, une certaine forme de quiétude. Presque un peu trop confortable si l'on considérait qu'il ne savait rien d'elle et qu'il était franchement trop petit pour pouvoir se défendre en cas de pépin, mais étonnamment, il se sentait complètement calme.

Et parce que ce RP n'allait pas être franchement intéressant s'il ne se passait et ne se disait absolument rien, au bout de quelques minutes, peut-être cinq, peut-être dix, Cassius finit par rompre le silence qui s'était installé entre eux :

— Tu es Nakhu ?

Il allait bien falloir meubler, et c'était une bonne occasion d'en apprendre un peu plus sur les clans du coin. Et puis, il était curieux.

Tu chasses, ici ?
Il essayait, oui. Avec de plus en plus de résultats à mesure que les tentatives se succédaient et qu'il gagnait en agilité et en force, que son corps continuait de pousser comme une jeune plante, que les leçons de son père s'accumulaient.
Il ne chassait clairement pas des coyotes, pas même des lapins.
Généralement il chassait des lézards. Et au vu de la question de la louve, cela tombait bien.

— Oui ! Des lézards, surtout. Je suis trop petit pour le reste.

L'inérêt d'un canyon était qu'on pouvait y trouver plusieurs types de lézards — enfin, de reptiles– différents. Plus ou moins gros et plus ou moins vifs. Il ne se lassait donc pas à cavaler sans cesse après le même genre de lézard des murailles.
Un nouveau flash illumina leur petite alcôve. Ce n'était clairement pas un temps à trouver des lézards. Ceci devaient se reposer, bien au sec dans des crevasses chaudes, loin des regards et des truffes baladeuses.

— Tu en cherches ?

De nouveau son regard alla des pieds à la tête de la louve, pensif. Son harnachement semblait par endroits fait d'une sorte de cuir, peut-être, un peu comme celui hérissé de pics qui protégeait sa gorge. Peut-être cherchait-elle de gros lézards pour l'entretenir ?

Les yeux de Cassius s'écarquillèrent légèrement lorsqu'elle mentionna la présence d'un serpent géant. Ca, il n'en avait très clairement jamais croisé, et sa présence ici-même en était peut-être la preuve. S'il était apparemment plutôt grand et robuste pour un louveteau de son âge — selon son père, en tout cas, car à part Apparence et quelques brèves rencontres faites au cours des semaines passées il n'avait pas grand monde de son âge avec qui se comparer –, il doutait franchement de sa capacité à survivre à une rencontre avec un serpent affamé et beaucoup plus gros que lui. Vu qu'il faisait présentement la taille parfaite pour se faire boulotter par un serpent balèze mais supposément pas géant de type python, boa ou anaconda.
Il pensait que la Passe était plus ou moins sécurisée, notamment grâce à la vigilance et aux patrouilles incessantes de son père. Celui-ci n'avait jamais mentionné de serpent géant.
Devait-il lui en parler ?

— Tu veux dire quoi par géant ? Il faisait quelle taille ?

Six mètres ? Quinze ?
.... trente ????

— Et que s'est-il passé ? En tout cas, moi, je ne l'ai jamais vu.

Douze mètres. C'était absolument énorme. Tellement énorme que Cassius n'était même pas sûr que le reptile en question aurait pris la peine de tenter de le boulotter s'il avait croisé sa route, tant lui était minuscule en comparaison. Il ne savait pas si c'était très rassurant : un simple coup de queue de la part de l'animal aurait suffi à le court-circuiter définitivement. Et dire qu'il commençait tout juste à se déplacer avec confiance dans le Canyon.
Et puis, s'il existait ici quelque chose capable de tuer même ça ?
A moins que le serpent ne soit mort parce qu'il était tout simplement... trop gros ? Etait-ce possible ?

Son attention fut heureusement détournée de la possible crise d'angoisse annoncée par la présence tout aussi possible de prédateurs gigantesques au pas de sa porte par la mention d'une louve tachetée. Cherchant des trésors. Son sang ne fit qu'un tour et, bien loin de saisir le sens caché de la question de l'autre femelle, il embraya immédiatement sur un sujet qu'il connaissait bien.

— Oh ! Est-ce qu'elle avait un chignon, et des yeux un peu dorés, mais moins que les miens ? Et des tâches blanches ?

La petite queue de Cassius s'agita derrière lui.

— Ma presque-soeur aime bien chercher des trucs, c'était peut-être elle !

Une lueur d'excitation embrasa ses prunelles jaunes.

Elle avait appris à Apparence à chasser. Cassius écarquilla un peu les yeux, impressionné. Il n'était pas certain que ce soit quelque chose que Justice ait jamais à faire : tout comme Joaquín, il était un père assez absent — bien plus, même –, et contrairement à Joaquín, il ne semblait pas vraiment emballé à l'idée de passer ses connaissances à sa fille.
Joaquín compensait ça, des fois, et essayait d'enseigner des choses à la jeune louve. Faisant généralement preuve d'une patience qu'il était bien loin de montrer lorsqu'il s'occupait de lui, son propre fils, mais il supposait que c'était parce qu'Apparence était...
... eh bien, parce qu'elle était meilleure que lui. Elle aurait fait une bonne fille pour Joaquín, Cassius en était certain. Et il lui arrivait, lorsqu'il regardait ainsi son père s'occuper de sa presque-soeur, de se dire que Joaquín le pensait aussi.
Ca lui faisait sacrément mal dans la poitrine, de réaliser ça.

Mais il ne lui en tenait pas rigueur. Il n'en voulait à aucun des deux pour ça. Il aurait juste dû mieux se débrouiller, lui. Etre un meilleur fils.
Il releva ses yeux jaunes vers la louve.

— Nous sommes nés quasiment en même temps et avons été élevés ensemble. Nos pères sont amis. Nos mères... on ne les connaît pas. Du coup on est comme un frère et une soeur, même si on n'a pas le même sang.

Il fronça le nez, pensif. Ca lui paraissait bien résumer la situation, même si ça ne parvenait en rien à décrire l'immense affection qu'il pouvait éprouver pour Apparence, et son dévouement envers elle. C'était aussi ça, être presque-frère-et-soeur.

— Tu as des frères et soeurs, toi ? Ou... des presque-frères et soeurs, peut-être ?

Cette situation était peut-être plus fréquente qu'il ne le pensait. Il ne savait pas grand chose du monde, après tout.

Demi-frère. Ca ressemblait un peu.
Et Cassius avait un parent en moins, lui aussi. Sauf qu'il s'agissait de sa mère.

Mais toute possible réflexion sur le sujet s'évanouit lorsque la louve parla de nouveau d'Apparence. Que sa presque-soeur ne l'ait pas mentionné ne le choqua pas spécialement : si elle n'avait pas de raison de le faire, pourquoi aurait-elle parlé de lui ? En revanche, une expression confuse vint se peindre sur son visage lorsque la Nakhu dit qu'Apparence avait prétendu être orpheline. Il eut un discret mouvement de recul, fronça les sourcils. C'était bizarre.

Puisqu'Apparence n'était pas orpheline, à part peut-être de mère, mais elle avait toujours Justice. Elle avait aussi Joaquín, et elle l'avait lui.
Mais vu la manière dont Justice était au final absent de sa vie, peut-être qu'elle se sentait comme une orpheline, au fond. Et même si Joaquín et surtout lui étaient présent pour elle, peut-être que pour elle, ça ne pourrait jamais remplacer la présence d'un vrai parent, voire de deux, à ses côtés. Il eut une moue triste, son coeur se serrant à l'idée qu'Apparence en vienne à tenir de tels propos. Peut-être qu'il tenterait de lui en parler, la prochaine fois qu'ils se verraient. De lui montrer que quoi qu'il arrive, lui, Cassius, si imparfait soit-il, serait toujours là pour elle. Savoir que sa soeur pouvait se sentir si seule lui mina le moral.

— ... son père n'est pas très présent. C'est surtout le mien qui s'occupe d'elle.

Et voilà que sa gorge commençait à se serrer. Il se sentait assez nul, tout à coup. A ruminer des problèmes aussi futiles que ses difficultés à se montrer à la hauteur des attentes de son père quand Apparence, elle, n'en avait quasiment pas, de père. Quel idiot.
Il serra les dents, chassant tant bien que mal les picotements qui commençaient à apparaître derrière ses yeux, et releva le nez vers la louve. Il n'avait pas vraiment envie de continuer sur ce sujet là.

— Tu t'entends bien avec ton frère ?

— Je comprends, fit-il en hochant doucement la tête.

C'était une situation qu'il pouvait facilement mettre en parallèle avec la sienne. Les différences qui séparaient Apparence et lui étaient lui de n'être que physiques : il lui arrivait de se dire qu'il existait littéralement un monde entre sa presque-soeur et lui, tant ses réactions pouvaient parfois le dérouter. Il était cependant loin de la blâmer pour ça. Et ça lui avait permis de développer une certaine adaptabilité avec le temps. Ou en tout cas, il avait le sentiment de se débrouiller de mieux en mieux pour gérer les soudains revirements de situation qui pouvaient avoir lieu lorsqu'ils étaient tous les deux.
Ou même lorsqu'ils étaient séparés, à en juger par ce qui venait de se passer quelques instants plus tôt avec la Nakhu. A croire qu'Apparence pouvait le surprendre même en étant loin.

Par-delà le mur d'eau qui s'affinait entre l'extérieur et leur abri de fortune, le roulement du tonnerre se faisait plus lointain. Il semblait que la tempête était finalement passée, et à mesure que les minutes s'écoulaient la pluie dehors se faisait moins drue. Il releva la tête vers la louve.

— Je pense que je vais bientôt y aller.

Il fallait qu'il rentre avant Joaquín. Mais pas avant d'avoir fait un détour par la tanière de Justice. Juste pour vérifier que tout se passait bien là-bas, et surtout qu'Apparence, si elle avait encore été laissée seule par son père, était bien à l'abri.

Il observa la louve hésiter : à quoi, il ne le comprit que lorsqu'elle finit, un peu gauchement, par poser la patte sur son torse, et lui donner son nom.
Ah. C'est vrai qu'il avait oublié ce détail.

Un sourire en coin étira les lèvres de Cassius, qui répondit avec un petit hochement de tête :

— Cassius.

Sourire qui fut bien vite remplacé par l'expression sérieuse qui lui était coutumière, lorsque son attention se reporta lentement sur le sentier par lequel il était arrivé, et la longue route qu'il lui restait à parcourir, détour inclus, avant de rentrer chez lui. Il adressa un dernier regard à Dysis :

— A plus, Dysis !

Et c'est sur ces derniers mots que Cassius se remit en route, au petit trot, bondissant avec précaution sur les rochers qu'il ne pouvait esquiver. Bien vite avalé par les hauts murs de roches rouges qui délimitaient son immense demeure.