Lower & lower l P.V. Hax

Lied

On la laissait tout faire.

Ou pas loin. Elle n'avait pas assez d'éléments de comparaison pour s'en rendre vraiment compte, mais si elle ne se faisait pas bouffer par un prédateur d'ici quelques mois, ce serait plus qu'un miracle. Parce que Lied, quelques semaines, quelques mois à son actif, vadrouillait déjà au travers des plaines. C'était rigolo, il y avait mille choses à voir et à découvrir. Par exemple, cette semaine, elle avait découvert... Un ravin. Elle savait que si elle revenait avant la nuit, avec quelques histoires et découvertes, Maman ne s'inquièterait pas. Alors...

Elle avait trouvé le ravin, et elle était rentrée.

Elle était revenue au ravin, l'avait longé, et était rentrée.

Elle était revenue au ravin, l'avait longé de l'autre côté, et était rentrée.

Puis elle avait coupé en diagonal, pour pouvoir aller un peu plus loin. Et en allant plus loin elle avait trouvé, en s'approchant au bord, vraiment tout au bord du ravin...

Un chemin. Presque un escalier, qui descendait tout au fond tout au fond du ravin. Piaillant de bonheur devant sa découverte, Lied avait gratté la terre pour pouvoir revenir le lendemain.

Ils étaient maintenant le lendemain. Joie ! Du haut des centaines de mètres qui constituaient les parois du ravin, Lied s'approcha et descendit une première marche. Yay ! Et une deuxième. Une troisième. Quinzième...

... Centième...

... Beaucoup plus qu'elle ne savait en compter. Et le fond... Soyons honnêtes, le fond ne se rapprochait pas beaucoup, et Lied commençait à fatiguer et à trouver ça un peu ennuyeux. Si elle continuait à s'enfoncer, avec la journée qui avançait, elle ne pourrait bientôt plus voir le soleil ni l'heure du jour...

...

.........

Voilà voilà, on va faire comme si on n'y a pas réfléchi, comme si ça n'était pas si important, comme si rentrer avant la nuit ne faisait pas partie des règles mmmh ? Pataclop, pataclop, le chemin descend, descend, descend encore. Tout autant le jour décline, le point de non-retour depuis longtemps passé, mais pas assez loin pour que Lied réfléchisse aux impacts de ses choix. A la nuit qu'elle allait devoir passer hors de la grotte, par exemple.

Seule.

Cassius, 5 mois

Cela ne faisait que quelques mois qu'il était sur Terre, et déjà Cassius avait le sentiment que trouver facilement le sommeil ne ferait jamais partie de ses compétences.
Certes, il avait bien dû réussir à dormir comme un bébé lors de ses premiers jours — pas très compliqué quand on n'avait même pas encore les yeux ouvert, sans doute –, mais les jours en question, il ne s'en rappelait pas. Pas plus qu'il ne se rappelait du visage ou de la voix qu'avait bien pu avoir sa mère, alors encore à ses côtés, supposément. Ses souvenirs les plus lointains remontaient au Nord, certes, mais demeuraient flous, sporadiques. Comme les échos de quelque chose dont il ne parvenait plus à se saisir.
Ce dont il se rappelait sans problème, cependant, c'était qu'il dormait déjà mal là-bas. Et que ça ne s'était pas arrangé avec le temps.
Peut-être à cause de la notion de danger perpétuel cultivée par son père qui le poussait à ne jamais totalement dormir sur ses deux oreilles, et ce en dépit de la présence de Joaquín et de son aura de protection à ses côtés la plupart du temps. Peut-être parce qu'il se passait trop de choses dans sa tête.
Peut-être juste parce qu'il était né comme ça.
Dans tous les cas, ne pas réussir à s'endormir facilement lui semblait la chose la plus naturelle du monde, mais cela ne l'empêchait pas de rager un peu sur cet état de fait dans des moments comme celui-ci.

Il ne faisait pas encore totalement noir mais son père s'était de nouveau absenté pour aller chasser en fin d'après-midi, et il n'avait rien à faire. Voyant la luminosité décliner lentement dans la tanière qui était la leur, Cassius, qui s'ennuyait dur comme fer, s'était dit que c'était peut-être l'occasion d'essayer de dormir, parce qu'après tout il n'était pas censé se coucher trop tard, et qu'il n'avait rien à faire car l'oiseau de son père n'était même pas là pour lui tenir compagnie, et puis en plus, il était un peu fatigué. Il s'était ainsi roulé en boule dans le petit coin qui était le sien, avait fermé les yeux, et avait attendu.
Incroyable de voir comment la fatigue avait pu instantanément le quitter à ce moment précis, après de longues minutes à engourdir tout son corps et alourdir ses paupières.
Ca faisait bien une demi-heure qu'il essayait, et il en avait un peu marre.

Ca ne l'empêchait pas de persévérer. Il avait adopté une stratégie qui consistait à se retourner à peu près toutes les huit minutes, dans l'espoir que le changement de position stimule quelque chose. Ca ne marchait absolument pas. Et plus il restait là à se tourner et à se retourner comme une tortilla sur le feu, plus il s'énervait de ne pas parvenir à dormir et plus il bougeait.
Encore quinze minutes et c'est avec un gémissement mécontent que Cassius s'était relevé et ébroué, abandonnant définitivement l'affaire. Prétextant que c'était parce qu'il s'inquiétait pour son père et non pas juste parce qu'il était peut-être un peu nul, qu'il n'y arrivait pas.
Se retrouvant désormais dans une tanière immense et sombre avec toujours strictement rien de bien intéressant à faire, il s'était mis en tête de sortir un peu, pour guetter le retour de son père, ou au moins voir autre chose que ces parois de terre rouge qu'il connaissait désormais par coeur. Et à peine avait-il atteint la sortie de secours — celle qu'il préférait parce que l'atteindre impliquait de sérieux skills d'escalade et de crapahutage pour quelqu'un de sa taille et que ces derniers, il les maîtrisait que la brise du soir avait porté jusqu'à ses narines une odeur inconnue.
Pas loin de leur repère.

En sa qualité de petit consciencieux et peut-être un peu anxieux aussi, Cassius n'avait clairement pas pu retourner se coucher en sachant que quelqu'un qu'il ne connaissait pas traînait vers chez lui. Il avait donc cette fois-ci décidé d'aller voir de quoi il retournait.

Et on en était là. Après avoir trottiné précautionneusement le long des sentiers qu'il commençait désormais à bien connaître, il avait remonté la piste, veillant à rester sous le sent et à couvert, se mêlant parmi les ombres du canyon. Il l'avait remontée, remontée, et encore remontée. Jusqu'à sa source.
Une petite louve, encore plus jeune que lui. Qui ne portait pas l'odeur d'un clan sur elle.
Qui était toute seule.
Posté environ un mètre plus haut qu'elle sur une étroite corniche, tapis au sol, Cassius fronça le nez. Ce n'était pas super normal comme situation. Certes, il était lui-même un petit tout seul dans le Canyon en ce moment précis, mais déjà, il était plus vieux, et en plus, il vivait ici. Et il n'avait pas l'impression qu'elle, elle vivait ici. Déjà parce que sa tenue avait l'air beaucoup trop chaude pour être portée dans le coin en pleine journée, et aussi parce que ben justement il vivait ici alors si elle aussi elle avait vécu ici d'une manière ou d'une autre il l'aurait su.
Ce n'était vraiment pas très normal, tout ça.
Et du coup Cassius ne savait pas trop quoi faire. On lui avait dit de se méfier des inconnus, mais elle était petite, et elle était solitaire, et elle était une fille, et on lui avait aussi dit qu'il fallait bien se comporter avec les filles. Et il n'était pas sûr que rester comme ça caché dans les ténèbres à la fixer en silence était un bon comportement. En tout cas il n'aurait pas aimé qu'on lui fasse le coup à lui, c'était sûr.
Alors après quelques longues tergiversations, et après avoir failli changer d'avis trois fois, Cassius prit une grande inspiration, son courage à deux mains, et s'arracha aux ombres qui étaient siennes pour descendre de deux petits bonds de son perchoir,
atterrissant à quelques mètres derrière elle, et entreprit de la rattraper en trottinant, en ayant l'air aussi naturel que possible.

— Euh, salut ! fit-il lorsqu'il fut presque à son niveau, parce qu'en vrai il ne savait pas trop quoi dire d'autre.