Emporter le secret

TW : Suicide

Mort d’Holly

Image par Aeva

Emporter le secret

De ses pattes tremblantes, elle prépare les plantes.
Hollyhock n’est pas panseuse et ses derniers apprentissages en matière de soins remontent déjà à des années : Qu’importe, ce n’est pas pour cela qu’elle rassemble les feuillages et les baies diverses, juste cueillies.
Elle n’est pas assez sotte pour ignorer ce qui tue.

C’est une idée qu’elle a eu à plusieurs reprise, dans sa vie mouvementé, sans jamais l’exécuter : Il y a toujours eu cette petite chose pour l’en empêcher. Un ami, un enfant, l’espoir de s’en sortir.
Mais la situation actuelle ne lui offre d’autre échappatoire.

Sa fille aime un Raeder, un ennemi.
Hollyhock est fondamentalement attachée aux valeurs de son clan et à ce que lui a laissé Pepper. Techniquement, elle devrait la punir, lourdement, pour s’assurer qu’elle ne leur porte préjudice. Ou du moins, en parler à Anita et, alors, tout le monde saurait que leur prêtresse orange, que sa fille…
Elle déglutit.
Elle en est incapable, de ça, de faire du mal à son enfant. C’est déjà trop dur d’avoir perdu Iberis pour le bien du clan.
Alors quoi ?
Peut-être mentir et décevoir ? Hollyhock ne peut être ce genre d’Alpha.

La louve bleue rentre et s’isole.
Elle prend de quoi laisser une note pour ceux qui restent, puis se ravise. Ils savent, qu’elle les aime, elle le leur a déjà dit.

Hollyhock presse les plantes pour les amalgamer. Elle inspire profondément…
S’arrête.
Elle ne peut pas s’endormir ici. Quelqu’un la retrouvera, peut-être qu’on comprendra et elle ne peut, ne veut, pas rajouter ce fardeau sur les petites épaules de ses enfants, ni sur celles de personne.

La louve bleue s’en va en terres libres, sans un regard pour quiconque croiserait sa route. Grandes-Ailes la suit, mais elle n’accorde que bien peu d’importance au battement de ses ailes, ni à la voix d’Azymondias qui fait écho dans sa tête.

Hollyhock arrive aux Monts Célestes, épuisée.
Les souvenirs lui reviennent : C’est ici qu’elle s’est lancée le défi de gravir un sommet. Un défi qui s’est conclu par le retour de la belle Alexandrine, lors de la descente.
Celle ci, de descente, sera plus rude.

Elle grimpe, les muscles douloureux, le regard embué par les larmes.
Elle fuit ce qui la rend malheureuse et se conforte en se disant qu’en partant, elle emmène le secret avec elle.
Nirvana fera ce qu’elle voudra, n’en parlera pas, vivra son amour interdit avec son pirate. Et son frère, l’un de ses frères, du moins, sera là pour elle.

Une pensée va à son Iris. Elle est désolée de ne pas pouvoir poursuivre son apprentissage plus longtemps et lui laisser les clés d’un clan qui tombe en ruines.
Elle est, cependant, convaincue qu’il s’en sortira mieux qu’elle.
Lui aussi, est entouré, et il est assez grand, et assez fort, pour ne plus avoir besoin de sa maman.

C’est mieux ainsi.

Hollyhock s’arrête, le souffle court. Elle n’a plus la condition physique pour atteindre le toit du monde, hélas.
Elle relève la tête, inspire, savoure le contact du vent frais dans ses cheveux.

En dessous d’elle, le vide l’appelle.
Il a toujours été là, à chaque étape de sa vie : Lorsque son frère est mort, lorsqu’elle s’est retrouvée sans famille chez les Etelkrus, lorsqu’Alexandrine a disparu, lorsqu’elle l’a laissée derrière, lorsque Pepper s’est endormie, lorsque Méridor l’a trahie, lorsqu’elle a vu partir son fils et que sa fille ne veut plus d’elle…
Le bonheur n’est pas une chose accessible à quiconque le désire.

Le vide, seul, ne l’a jamais laissée.
La louve bleue n’a plus envie de se battre ni même d’être consolée : Elle est vieille, usée par la vie, et sait d’expérience que les plaies refermées finissent par se rouvrir.
Et au delà de tout cela, elle emporte avec elle, le secret de sa fille.

Dans le vide, Hollyhock plonge et disparaît.

[DoB : 12/09/2019]

If you must mourn
Don't do it alone

If you must leave
Leave as though fire burns under your feet

If you must speak
Speak every word as though it were unique

If you must die, sweetheart
Die knowing your life was my life's best part

If you must die
Remember your life

Holly, on aurait dû se parler.
Ce furent les premiers mots qui surgirent dans son esprit en réponse à la vision qu'elle eut d'un corps inanimé, tout en bas du ravin.
Elle s'entendit presque les prononcer, de ce ton à la fois candide et un peu réprobateur, à mi-chemin entre la taquinerie de discussions d'adolescentes et l'inquiétude sincère d'adultes qui se soutenaient.
D'adultes qui connaissaient les faiblesses de l'autre et faisaient attention à ne jamais les laisser prendre le dessus.

Holly... J'ai pas réussi, cette fois, hein.
Pas réussi à être la présence qui soulage et réconforte, l'oreille qui écoute et la voix qui conseille.
Pas réussi à voir les signes pour ensuite les combattre.

Pas réussi à la garder près d'eux.

Holly, j'aurais aimé que tu finisses ta vie dans ce bonheur qui a toujours poursuivi sans réussir à le consolider.
Pas brisée au fond de ce gouffre froid et impersonnel qui se fichait bien de savoir qui tu étais.

Holly, je savais que tu allais mourir avant moi. Tu te fatiguais bien plus vite.
Je t'aurais tenue la patte le moment venu, nous aurions pu rire un peu en parlant du passé.
Qui avait été avec elle dans ses derniers instants mis à part ses démons, ses regrets et la terreur du vide qui l'avait engloutie sans se faire prier ?

Anita prit une inspiration sifflante qu'elle relâcha avec difficulté en un soupir tremblant, devenu peu après un sanglot.
Elle était venue dès qu'elle avait appris la nouvelle tout en sachant que comme une traînée de poudre, elle se répandait déjà au Castel. Mais son devoir, avant toute autre chose, était d'abord de ne pas laisser celle qui fut une de ses plus proches amies seule et morte au fond des montagnes.
Elle n'était pas venue seule.
Plus que d'avoir besoin d'aide, elle savait qu'il y avait une autre âme qui aurait voulu porter ce fardeau et être à ses côtés pour l'ultime chute de sa vie. Il n'y en aurait plus d'autre, maintenant, de bas.
Et plus de haut non plus.
Son regard se tourna vers celui de sa sœur et s'y ancra un moment.

Axie, est-ce qu'il y a quelque chose à dire ?

Les mots lui paraissaient bien inconsistants en cet instant.
Les pertes s'exprimaient dans l'absence et le silence après tout.

Il y avait cependant une tâche qu'elles devaient bien finir par exécuter, même si l'esprit d'Anita ne parvenait toujours pas tout à fait à s'y résoudre.
Car ce serait l'accepter pour de bon, ne plus laisser la moindre trace de doute sur la réalité de sa mort.
Elles le savent pourtant bien, qu'elle l'est.
Morte.

Alors après un léger hochement de tête à destination de sa sœur, Anita se tourna vers le vide, le corps tendu et la gorge nouée. Le temps d'une seconde, elle ferma les yeux.
Puis se laissa tomber dans ce vide qui lui avait pris son amie.
Mais elle avait des ailes, qu'elle déploya avant de rencontrer les rochers en contrebas.

Elle était là, maintenant, si proche d'elles. Le blanc de son pelage tranchait avec la roche sombre d'une manière presque criarde, comme si les monts eux-mêmes s'évertuaient à dire qu'elle n'avait rien à faire ici.
Anita s'approcha, doucement, les oreilles sifflantes et le cœur battant trop fort pour sa poitrine si compressée. Un reniflement, puis elle se pencha sur le corps inanimé de celle qui avait été dans leur vie depuis leur enfance.
Elle fut une guide, une amie, une amante, une confidente, une collègue.

D'une patte qui se glissa derrière les épaules creusées par l'âge, la dernière Alpha souleva le corps rigide, encore tiède, et l'approcha contre elle en une dernière étreinte.

— On te tient, Holly. On te ramène à la maison.

Des larmes silencieuses dévalaient maintenant ses joues, troublant sa vue et mouillant le poil clair ébouriffé alors qu'elle hissait Holly sur le dos de sa sœur.

Elle tenta de ne pas penser aux quelques tâches de sang qui collèrent à sa peau, concentrant plutôt son regard brouillé sur le ciel.
Une aile passa sur l'épaule de sa sœur, caresse de soutien.

Puis la louve fléchit les postérieurs et se propulsa dans les airs.
Il lui sembla devoir déployer plus d'efforts qu'elle n'eut jamais à en fournir pour s'arracher au sol, elle ne portait pourtant même pas le poids du cadavre.

Le cœur lourd et gris comme le ciel chargé de pluie, elles volèrent de retour vers le Castel.

If you must fight
Fight with yourself and your thoughts in the night

If you must work
Work to leave some part of you on this earth

If you must live, darling one

Just live
Just live
Just live

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