Memento Mori.

Dans la mélodie sourde et irrégulière des montagnes austères, faite de vents et de l’écho distant des cailloux délogés par les rares habitants, il n’y avait que le cliquetis irrégulier de ses griffes de métal pour venir troubler l’équilibre de quelques notes dissonantes.
S’arrêtant en haut d’une butte pour prendre une pause après l’effort de plusieurs heures de montée, Justice leva le nez vers le ciel, gueule entre ouverte, et contempla le paysage qui se dévoilait à travers brumes et nuages éparpillés. C’était une vue devenue familière après toutes ces années à faire de ce vaste territoire rocailleux ce qui était de plus proche d’une maison.
Par le passé, il n’aurait pris qu’une dizaine de secondes pour se satisfaire de la vue et reprendre son chemin. Mais les années se sont écoulées, trop étirées même ; et il lui faut désormais plus d’une minute pour apaiser sa respiration et laisser s’atténuer la fatigue musculaire qui crispe tout son corps.

Physiquement, Justice n’avait pas vieilli.
Plus depuis le Monde Rouge et cette marque indélébile laissée tant dans son esprit que dans ses entrailles, plus depuis que le temps avait été distordu et qu’il finissait par se demander quand celui-ci le rattraperait comme il avait attrapé presque tous les autres. A l’exception de Joaquin, il n’avait plus depuis longtemps senti s’éveiller le Lien, mais même si son apparence semblait gelée à des années en arrière, son corps, lui, le rappelait bien à sa condition. La réalité était qu’à l’intérieur, il vieillissait comme les autres et se sentait de moins en moins capable.
Il continuait, pourtant. A exister plutôt qu’à vivre.
Le loup noir soupira avant de reprendre une marche tranquille.
Cette existence ne lui apportait plus d’autre plaisir que le seul apaisement de pouvoir encore se perdre, seul, dans ce lieu qui lui ressemblait. Sombre, abrupt, désolé, érodé, isolé.
Quelle ironie, quand il y pensait. Lui qui en arrivant ici avait atteint l’endroit où il n’avait plus besoin de fuir, où il pouvait réellement commencer à partager avec les autres, où il avait découvert d’autres existences et tissé de rares liens après être enfin sorti de l’enfer dans lequel il n’avait jamais été physiquement seul mais psychologiquement enfermé, se retrouvait maintenant à fuir la compagnie et à s’éviter toute interaction qui n’était pas nécessaire.
Comme si au fond et malgré tous ses efforts, il n’avait pas été destiné à la fin heureuse qu’il avait eu la prétention d’espérer un jour.
Le premier clou sur son cercueil avait été sa confrontation avec le Spectre et cette malédiction qui ne l’avait jamais plus quitté. Il avait vu de loin partir Misiek, et puis ensuite… Les seules autres rencontres qu’il avait eu s’étaient comptées sur les doigts d’une patte.
Aller dans le Nord et en revenir accompagné d’une fille — de sa fille — avait scellé à grands coups de tous les clous restants ce qui ferait son tombeau.

Justice devait se l’avouer, quand il croisait parfois dans le reflet d’une flaque son propre regard voilé.
Il avait perdu tout espoir que quoi que ce soit s’améliore et était profondément résigné. Toutes les émotions fortes qui avaient su s’embraser pour lui donner la force de combattre et d’accomplir, toute l’énergie qu’il avait cru un jour être le feu qui justifiait son nom, cette envie de comprendre pour devenir Justice et ne plus laisser de tyrans sur cette terre…
De tout cela il ne restait que des cendres malmenées par le vent. Une amertume et une colère enfouie, qui enserraient son coeur pour le laisser froid, morne et déçu.
Il avait vu ces derniers temps des orages sombres se former de part et d’autre du Continent. Sur les terres Nakhus, la foudre avait frappé et l’écho lugubre de ce tonnerre avaient roulé jusqu’à ses montagnes, le vent portant quelques rumeurs de la présence d’un dragon venu s’approprier et dévaster le lieu.
Celui qu’il avait été quelques années auparavant y serait allé. Il aurait combattu et aurait tenu tête, avec la même hargne que celle qui l’avait poussé à vouloir traquer puis éradiquer le Spectre.
Celui qu’il était maintenant avait détourné le regard sans autre arrière-pensée qu’un vague sentiment d’échec et était retourné se fondre dans les ombres des sommets.

Et maintenant… Maintenant ? Qu’est-ce qu’il attendait, au juste ?
Il avait du mal à se dire que la seule suite logique de son cheminement était de patiemment attendre la mort quand elle passerait au détour d’un sentier, quelque part entre ses allers-retours à la Passe Ventue, ou quand elle viendrait le cueillir dans son sommeil.
Pourtant, c’était bien à cela qu’il se trouvait réduit en sachant pertinemment qu’il n’y aurait aucun brusque sursaut de vie pour le sauver de cette déchéance.
Le seul sursaut de vie qu’il avait encore eu à donner à ce monde s’était retrouvé dans une unique descendance qu’il n’aurait pas du avoir.
Une fille qu’il aurait sans doute trouvé le moyen de ne pas laisser vivre s’il n’y avait pas eu Cassius et Joaquin pour questionner son absence.
Un fragment de lui qu’il avait honte de laisser à cette terre.

Et qu’il s’échinait pourtant à nourrir en usant de ses dernières forces et de ce qui étaient forcément ses derniers mois dans le monde des vivants.

Il ne se consolait que en se disant qu’au moins, s’il devait arriver quelque chose à son vieil ami solitaire, il serait toujours là pour permettre à celui qui le méritait de grandir et d’avoir une vie.
Cassius.

Silhouette noire à l’allure imprécise, Justice continua de lever patte après patte, carcasse vide d’émotions, pour s’enfoncer plus profondément dans le berceau froid et inhospitalier des Monts Célestes.
Si familier.

Spoiler:

☩ LEGION ☩
9 PC - FOR 3 AGI 2 END 3 ING 1
PV : 16

Il y avait eu une... errance.

Il n'aurait pas su comment qualifier cela autrement, mais il n'avait jamais eu pour fonction d'exceller dans les mots. On l'avait mis ici pour remplir un objectif : cet objectif avait été délayé, il ne savait trop comment — tout était... flou –, mais il était de retour à la traque.
Sa mémoire était confuse, mais pas assez pour entraver sa mission. S'il avait été quelqu'un d'autre, un de ces loups occupés à vivre une vie frivole et sans but véritable si ce n'est celui de simplement exister comme il lui semblait en avoir croisé par le passé dans ces... terres, il aurait pu s'en trouver contrit : il avait, à un moment donné, ouvert les yeux parmi les pierres. A demi-enterré, sa gueule pleine de sable, il avait eu le réflexe de creuser, de chercher de l'air. S'était extirpé. Alors tremblant et faible, il s'était trouvé au fin fond d'un ravin de pierres, sans vraiment savoir ce qui avait pu le conduire là, et encore moins combien de temps il y était resté. Ses muscles étaient raides et froids, sa pensée, confuse. Il ne se souvenait pas de grand chose. Il savait alors qu'il venait de la terre, et qu'à la terre il semblait être retourné, jusqu'à s'en extirper de nouveau.
Il avait eu conscience d'un but. Un but qu'il lui avait fallu quelques jours pour se remémorer, le temps de se trainer hors de sa fosse, d'attraper de quoi manger — à demi-revenu des morts, il demeurait un excellent chasseur –, de boire, un peu, et de dissiper cette... brume. Pour se remettre à la tâche, sans jamais ne serait-ce qu'envisager qu'elle n'avait plus lieu d'être.

A présent, il allait mieux.
Beaucoup mieux, pour être honnête, car il avait finalement trouvé ce qu'il cherchait.
Une piste.
Sa piste.

Il l'avait remontée dissimulé dans les ombres mauves et épaisses que projetaient les montagnes. Furtif et silencieux. Machine de guerre à qui l'on avait dès son plus jeune âge pris soin d'ôter toute possibilité d'âme et d'émotion, de remords, d'interrogations. Muscles puissants qui roulaient sous un poil lustré où se trouvaient désormais des cicatrices dont il n'était pas sûr de se rappeler la provenance et qui semblaient plus récentes, mais qu'importe. On n'attendait pas de lui qu'il pose des questions. On attendait par contre de lui qu'il élimine un problème.
Un problème sur lequel ses yeux se posèrent enfin, après une bonne heure à grimper à flanc de montagne. Là, juste en dessous de lui. Une silhouette familière, gravée dans sa mémoire, et maintenant inscrite dans sa rétine. Semblable à la sienne. Mais non conforme.
Une erreur à éradiquer.
Il ne prit pas un seul instant pour faire dans le sentiment, ni même pour se satisfaire d'un long périple qui touchait à sa fin. Il n'était pas là pour délayer. Un grondement grave monta dans sa gorge, son corps massif se ramassa sur lui-même. Ses babines abimées se soulevèrent pour découvrir deux paires de crocs taillés dans l'argent, ses griffes cliquetèrent sur la pierre.

D'un saut puissant et silencieux, Légion se jeta sur sa proie.
Ainsi justice fut en passe d'être délivrée.

Justice † 15/16 PV

Il y eut le tintement de l'argent sur la roche.

Et le temps qui se suspendit.

Ce cliquetis là n'était pas le sien.
Sa démarche était mécanisme qu'il connaissait par cœur, un essentiel sur lequel un morceau de sa concentration restait accroché en toute circonstance et dont la cadence, frappée par le rythme régulier des éclats de métal sur le sol, était si familière que son oreille savait noter immédiatement quand quelque chose différait. Ou quand un autre pas était derrière le sien.
C'était une chose que l'on apprenait dès les premières semaines, quand on naissait à un endroit où il allait falloir traquer toute une vie durant - et nécessairement, se trouver parfois traquer en retour. Une bonne machine de guerre devait connaître ses rouages.

Mais ce son là, cette note particulière, il n'y avait aucun autre pas que le sien sur ces terres qui pouvait le tirer.
Uniquement quelqu'un portant les mêmes griffes, taillées du même métal.

Pendant que ce moment suspendu s'étirait à l'infini, Justice amorça un demi-tour en réflexe.
Avant même de n'avoir ne serait-ce que pivoté la tête, le loup savait déjà ce qu'il allait trouver. Ou plutôt, qui.
Et ce savoir réveilla dans une explosion une peur au sein de ses entrailles, une peur qu'il pensait être si enfouie qu'elle en était morte, oubliée et abandonnée. Pourtant elle s'éveilla en l'espace d'une fraction de seconde, mordante et entière, aussi vive et violente qu'au premier jour de sa fuite.
Parce qu'elle ne l'avait jamais quittée.
Quand elle le gardait éveillé la nuit les premiers temps, puis fractionnait ensuite son sommeil en courtes tranches pour ne jamais le laisser connaître un véritable repos réparateur.
Quand dans la moindre ombre nocturne projetée par la lune, il croyait voir la silhouette d'un fantôme prêt à l'attraper.
Quand dans le murmure du vent et le chuintement de l'eau, il pensait entendre l'écho de leurs voix lugubres qui se réjouissaient de l'avoir retrouvé.

Le demi-tour exécuté, Justice se trouva en face de la masse sombre qui le surplombait.
Sorti d'un cauchemar, mais bien réel.
Il n'y eut pas besoin de mot. Il suffit que s'entrechoquèrent leurs regards, que le solitaire plonge un instant le crépuscule de ses yeux dans le noir abysse insondable des siens.
Pour comprendre qu'il n'y aurait d'autre issue que la mort.
La sienne ou celle de l'autre ; peu importait. Mais leur présence à tous les deux était une erreur dans la matrice - ou la nécessaire conclusion d'une histoire qui avait trop duré, selon le point de vue. Dans les deux cas, Justice et Légion ne pouvaient pas exister ensemble dans ce même espace qui n'était pas celui prédestiné par leur naissance.

Justice avait voulu fuir, Légion avait été envoyé pour détruire.

Il était un engrenage échappé d'une chaîne bien huilée qui n'autorisait aucun élément à se détourner.
Et pour cela, pour avoir été une faute, il devait être éliminé.

Le corps massif de Légion s'était élevé dans les airs, oiseau de mort qui dirigeait ses crocs d'argent sur lui, et même criblé par les lances de la terreur Justice possédait encore des réflexes tout autant ancrés dans la mémoire de ses muscles.
Il s'arracha au sol quand le temps sembla reprendre son cours et de l'attaque qui le visait ne fut touché que par le bout d'une griffe.
Un sillon rouge se dessina sur sa patte, la même qui fut blessée tant d'années auparavant, quand il fuyait à travers les tunnels vers sa liberté.
De là où il était après avoir recrée de la distance, les pupilles dilatées et le souffle court, il savait qu'il n'aurait désormais du répit que seconde fragmentée après seconde. De brefs instants de conscience et de lucidité, juste de quoi respirer et se rappeler d'avoir peur.
Le temps d'ouvrir la gueule pour en sortir un aboiement rauque.

— Tu devrais être mort.

Ses mots prirent une inflexion tordue et métallique, celle caractéristique de sa malédiction - et pour la première fois de sa vie, il fut heureux de l'avoir, et se prit à espérer qu'elle fonctionne sur Légion comme elle avait repoussé d'autres en inscrivant la peur dans leurs yeux.
Pourtant, en même temps qu'il l'espérait, Justice savait très bien que ça n'arriverait pas. La peur ne semblait pas être capable de luire dans ses yeux noirs.
Rien du tout n'y brillait. Il n'y avait qu'un vide infini.

☩ LEGION ☩
9 PC - FOR 3 AGI 2 END 3 ING 1
PV : 16

C'est à peine si Légion effleura son ennemi.
Ce n'était clairement pas une action volontaire : Légion ne jouait pas, Légion n'avait jamais joué, et Légion ne faisait pas dans le sentiment. Qu'il s'agisse de sournoiserie, de désir d'humilier ou encore de pitié, tout prétexte à une attaque ainsi manquée ne pouvait s'appliquer à lui. Il ne souhaitait pas jouer avec sa cible comme un chat se serait amusé à martyriser une souris. Il ne se repaissait pas avec délectation de la terreur de Justice. Il était là pour s'en débarrasser. Et efficacement, si possible.

Quelqu'un de plus émotif aurait pu se crisper d'un tel acte manqué. Quelqu'un avec un peu plus de corps à l'âme aurait pu se réjouir d'un affrontement final qui ne s'arrêterait pas sur une simple attaque. D'une apothéose grandiose pour mettre fin à toutes ces années de traque.
Mais pas Légion.
Ce n'était pas dans la grille de lecture qu'il appliquait à la vie. C'est à peine si cela se trouvait dans son vocabulaire.

Lorsque ses griffes éraflèrent la cuisse de Justice sans que cela ne lui procure aucune satisfaction, et qu'il atterrit un peu plus loin avec souplesse, il fit immédiatement volte-face. Et se surprit à ne pas bondir immédiatement lorsque l'autre lui adressa la parole. Il était probablement un peu rouillé.
Non. Il n'était pas rouillé.
Il ne dévierait pas.

— Toi aussi. Depuis longtemps.

Et il allait remédier à ce problème.
Légion s'élança de nouveau, frontalement. Pas d'arabesque, pas de feinte, pas de fioriture. Il n'avait pas à ruser. Il avait juste à agir.
Ce qu'il faisait.

Justice † 14/16 PV

Oui. Lui aussi, devait être mort depuis longtemps.
Il l'avait même déjà été, mort, s'il devait en croire les mots du Spectre qui l'avait maudit. Et si de son vivant, dans ce temps supplémentaire acheté par il ne savait quel miracle, il avait toujours repoussé jusqu'aux frontières de son esprit cette possibilité insensée - c'était maintenant en se retrouvant de nouveau confronté à celle-ci que la mort lui paraissait presque familière, incarnée en ces traits bruts et froids.
Peut-être que tout s'était toujours résumé à ça. Peut-être qu'il n'avait été que le pion d'un théâtre malsain, malmené par des puissances supérieures qui s'étaient lassées et détournées de lui et devaient maintenant mettre un terme à cette existence prolongée et artificielle.
Peut-être qu'il avait toujours été lié au Spectre, quand bien même il ne le rencontra qu'après plusieurs années de cette vie surnaturelle. Petit pantin ressuscité par son pouvoir, il aura semé sa vie de rencontres anormales pour ensuite lui arracher ce qu'il y avait encore d'ordinaire, le privant du peu qu'il avait - son lien avec le reste des mortels. Il avait fait de lui un monstre, pour le rapprocher davantage de sa propre nature abjecte. Il n'était jamais reparu face à lui après cela.
Désintéressé, il ressuscitait désormais une autre marionnette pour l'acte final et s'amuser une dernière fois de son pénible et kafkaïen destin.

Quand il regarda l'autre loup noir, ce n'était plus de la peur qui gonflait et se répandait dans tout son sang, mais de la haine.

A quoi bon avoir peur, quand il n'avait jamais été maître de rien et que l'on jouait à sa place les notes discordantes d'une mélodie déconstruite ?
A quoi bon avoir peur, quand il avait déjà connu la mort et que la fin de ce qu'il avait osé appeler vie ne lui avait apporté rien d'autre qu'une succession de déconvenues pour déjà l'enfermer dans un nouveau tombeau qu'il ne voyait pas ?

Oh, Légion... Si tu savais que toi-même tu n'es rien d'autre qu'une pièce de plus rapportée dans cette farce grotesque.

Mais Justice savait qu'en réalité, Légion n'en avait que faire. Lui-même n'avait toujours été, depuis sa conception, que l'incarnation parfaite d'un système funeste dans lequel il se complaisait en machine à détruire. Il n'avait que cela en tête, que cela pour animer son corps fuselé et son esprit maniaque, que cela pour fournir le fioul nécessaire à son fiel.
Légion ne se souciait pas de sa raison d'être, tant que lui était permis de s'adonner à sa seule mission.

Détruire, détruire, détruire.

C'est probablement la seule pensée qui résonne dans la cage de sa conscience stérile quand face à lui, il bondit de nouveau.

Justice, à son tour, bande ses muscles et se jette de l'avant avec la même volonté ferme venue annihiler toute autre forme de sentiment.

Détruire, détruire, détruire.

☩ LEGION ☩
9 PC - FOR 3 AGI 2 END 3 ING 1
PV : 15

Etre une machine de guerre ne le rendait pas pour autant totalement hermétique aux états qui pouvaient traverser l'esprit des autres autour de lui. Et plus particulièrement de ses adversaires. On lui avait d'ailleurs appris à s'y montrer particulièrement attentif, pour savoir déceler les changements de ses proies et y tirer avantage. Légion n'était pas un simple soldat à l'esprit stérile à qui on martelait des ordres qu'il se contentait de suivre sans broncher.
Il était l'ordre.
On l'avait formé pour qu'il les donne. Ce qu'il avait fait. Jusqu'à ce que sa tâche l'amène ailleurs, à la poursuite de ce fugitif auquel il faisait enfin face, et qu'il avait mis bien trop de temps à traquer.

Il vit la manière qu'avait Justice de le regarder changer. La crainte fit place à la rancoeur. Et à une détermination jusqu'ici absente.
Il se demanda distraitement ce que Justice pouvait bien voir dans ses yeux à lui. S'il était possible de trouver quoi que ce soit dans ces deux billes noires et insondables qui ouvraient son esprit sur le monde. Probablement pas.
Justice avait toujours beaucoup trop pensé et trop ressenti pour son propre bien. Son nom lui-même était une aberration ; un concept abstrait qui n'avait rien à faire dans une société aussi pratique que la leur. Quelque chose qui pouvait s'avérer mauvais, pour peu qu'on en vienne à trop le répéter aux travailleurs.
Il ne comprenait pas vraiment pourquoi on avait donné une chance au loup au lieu de disposer de lui comme on le faisait pourtant si facilement de leurs adversaires.
Il n'était pas là pour comprendre, cependant. Il supposait que les autorités avaient alors eu leurs raisons.
Tout comme il avait sa propre raison d'être là, maintenant.

Sûr de sa stature plus imposante, il ne chercha pas à éviter la collision et lui rentra dedans de plein fouet, avant d'arquer rapidement l'échine pour venir chercher à planter ses crocs dans la nuque de l'autre loup et s'y agripper avant-même qu'ils ne touchent de nouveau terre.
Avant de retomber avec lui au sol dans un entremêlement de griffes serties de métal, de poils à demi teintés de sang qu'on arrache et de grognements rauques.