Encore un jour qui s’achève. Assise sur la plage, les yeux pâles observent le soleil disparaître derrière les vagues. Un renard orangé s’agite autour de Nirvana, sans pour autant qu’elle ne lui accorde un regard.
Ce cadeau, était un rappel constant du combat contre le dragon.
Une piqure de rappel, pour ses erreurs et mauvais choix.
Pour lui rappelé à présent ce qu’elle était, plus rien.
Les gestes sont lents, quand elle vient se saisir d’un parchemin. Délicatement, elle trempe la pointe de la plume dans l’encre, avant de réfléchir à ses premiers mots. Écrire, ce n’était pas dans ses habitudes, mais le Dragon, au-delà de la priver de son ouïe… avait fini par la priver de toute volonté de communiquer.
Et puis, ces mots-là, elle n’aurait pas eu la force de les dire à voix haute.

Iris,

Aujourd’hui encore, je ne rentrerai pas.
T’écrire est au final bien plus douloureux et difficile, que je ne l’aurais imaginé. À présent, il est trop tard pour que je recule. Tu trouveras probablement tout cela hypocrite de ma part, après que j’ai tant détesté mère pour ce qu’elle nous a fait.

J’ai peur, Iris.
C’est un sentiment désagréable, qui m’habite constamment à présent. Je crois que la peur a toujours été là, quelque part, je m’en rends compte. J’ai toujours eu peur, depuis ma naissance. Peur, de ne pas être acceptée par les Etelkrus, peur de vous perdre Hollyhock, toi et Iberis… et progressivement ces peurs se sont concrétisées. Quand Iberis a été chassé par mère, la situation m’a échappé, c’est là que j’ai commencé à réellement la craindre cette peur. Car rien n’arrive jamais seul.
Alors je me suis tournée vers Dairo.
Comme aucun autre disciple ne l’avait fait jusque-là.
Chaque jour, chaque minute, je les consacrais à ma déesse, à son temple, ses disciples. Au point que cela en devint une obsession, au point que je me détourne de tous ceux n’ayant rien à voir avec elle.
Je voulais camoufler la peur… mais il n’est pas possible de tout camoufler.
Dairo comblait ce vide, qui s’installait progressivement en moi, quand toi tu t’éloignais pour te tourner vers d’autres, quand Hollyhock a chassé notre frère… dans les bras de la création de l’entité. Je me suis rendue compte à quel point j’étais seule.
Et trop fière pour l’admettre.

Dis-moi petit frère, penses-tu que les choses auraient pu être différentes ?
Que sommes-nous devenus, pour nous éloigné de nos jeux où nous combattions un serpent menaçant ?

Le Dragon, aurait dû être mon dernier acte.
Je n’avais jamais ressenti l’envie, de mourir, mais pour vous protéger, j’étais prête à le faire. Aujourd’hui encore, je recommencerai, sans l’ombre d’un doute. Qu’importe le prix à payer.
Parce que c’est ma faute si Hollyhock est morte.
Ma faute.
Sa mort, pèse sur ma conscience, Iris, c’est un poids si lourd à porter. Je revois sans cesse le dernier regard qu’elle m’a accordé, ce silence… je la déteste tellement pour ça, mais c’est ma mère… malgré la haine, je ne peux pas m’empêché de ressentir de la tristesse. Ça fait si mal Iris. Je revois encore son cadavre, ce corps sans vie qui me hante.

Les larmes coulent sur les joues de la sirène, viennent s’écraser sur le parchemin.

Je me demande…
Que se serait-il passé, si je l’avais empêché de partir ?
Serait-elle encore présente ?
Ces pensées, ne cessent d’habiter mon esprit, ce sont les seules voix que je peux entendre désormais.
Je suis allée au Dragon, contre l’avis de Dairo, contre l’avis d’Iberis… contre celui de Nael aussi, le propre père de mes enfants. Aucun ne semblait comprendre, pourquoi j’étais prête à tout risquer, pour affronter le monstre.
Comme si le Dragon représentait un quelconque intérêt pour moi.
Je n’y suis allée que pour vous, uniquement pour vous.
Pour toi initialement.
Pour Iberis aussi, quand il a voulu s’ajouter.
Seul toi et Nael saviez pour les enfants. Je ne voulais pas que d’autres l’apprennes, peut-être parce qu’au fond… je doutais d’être capable d’arrivée à terme.

J’étais déjà mourante avant le dragon.

La Brume, est un pouvoir puissant, censé être employé sur les autres. Cette simple utilisation est déjà lourde de conséquences, alors, quand je l’ai employé sur moi-même… quand j’ai voulu m’en détacher… j’ai réussi à en recracher le plus gros, mais le reste…
La Brume je ne m’en suis jamais vraiment séparée.
Parce que cela m’était impossible.
Une part d’elle, demeurait en moi, me laissant ainsi libre de mes pensées, mais empoisonnait l’intérieur de mon corps. Ottar l’a compris, m’a mis en garde contre son utilisation. Je l’ai écouté… en partie. J’en réservais l’utilisation, dans l’unique but de vous protéger.
Car je savais que chaque usage, réduisait un peu plus le temps qu’il me restait.
Car je savais que si je l’utilisais pleinement, pendant que les enfants grandissaient en mon ventre, cela les pourrirait.
Le Dragon ne m’en a pas laissé le choix.
Ce n’est pas grave.

J’ignore ce qui fut le plus douloureux, les blessures infligées par le dragon, le fait de perdre les enfants… chaque blessure était un couteau de plus que l’on enfonçait et retournait dans mon corps.
J’ai eu mal en les sentant quitter mon corps.
J’ai mal en sachant que jamais je ne les verrais grandir.
Les aurais-je pourri, comme j’ai pourri tout le reste Iris ? Ou aurais-je pu les rendre heureux, ces enfants ?
Je l’ignore.
Je ne le saurais jamais.
J’ai si mal, Iris.
J’ai menti à leur père. J’ai menti pour le faire partir, afin qu’il puisse connaître un peu de bonheur. Je lui ai fait croire que perdre nos enfants, cela ne m’avait pas atteint, que c’était nécessaire.
C’est faux.
Je regrette tellement, d’avoir dû faire ça. D’avoir dû brisé tout ce qu’il ressentait, en espérant le protéger. Lui pensait que je m’en moquais, alors que je n’entendais aucun de ces mots.
Je ne voulais pas qu’il sache pour ma surdité.
Car il serait resté.
J’ai chassé le bonheur qu’il aurait pu m’apporté, en espérant que lui puisse avancé.
Ai-je bien fait, Iris ?
J’aurais tellement aimé lui dire, à quel point je regrette. Que durant des jours, je les ai pleuré, nos enfants, hantée par des possibilités. Qu’aucun remède, ne pourra soigné cette peine. J’aurais aimé lui dire qu’ils sont enterrés, ici, en bas des falaises, que j’ai essayé de rendre hommage à leurs corps, orné chacune des tombes de coquillages. J’y viens tous les jours, dormir à leurs côtés, leur raconté à quoi ça ressemble le monde là-dehors.
Penses-tu qu’ils m’entendent là où ils sont ?

Je suis désolée, Iris, de ne pas avoir été la soeur que tu espérais.
Pour toi aussi, je pense que j’aurais été une réelle déception.
Comme je l’aurais été pour mère.
Nael.
Dairo.
Je ne suis désormais, plus qu’un coquillage brisée.
Aujourd’hui encore, je ne rentrerai pas.
Je ne rentrerai plus.
Un vieux diction dit : tout ce qui appartient à l’océan retourne un jour à l’océan.
… cela concerne aussi les coquillages j’imagine.
Pardon.

Je t’aime, petit frère.

La patte tremblante vient poser maladroitement la plume sur le sable. Nirvana renifla doucement, tandis que de ses yeux s’écoulait un flot de larmes. Avec délicatesse, elle roule le parchemin, le referme avec un coquillage, avant de le tendre au renard. Ce dernier l’observe un instant, avant de s’en saisir entre ses crocs.
Apportes-la lui.
Songeuse, Nirvana regarde la silhouette du renard s’éloigner progressivement, grave cette dernière image dans son esprit. L’image d’un gardien de la renarde.
Est-ce pour me punir, Dairo ?
Ou est-ce par pitié ?
Qu’importe.
L’ancienne prêtresse se tourne vers trois petits amas de sable, recouverts de coquillages. Avec douceur, elle passe une patte sur chacun d’eux, un sourire triste étirant ses babines. Que restait-il de ses enfants, là-dessous ? Probablement plus que de petits squelettes, une simple preuve qu’un jour ils avaient existé.
Puissions-nous nous revoir, un jour.
Écrire cette lettre à Iris, lui avait pris toute la nuit, là dans son dos, le soleil commençait à se lever. Lentement, Nirvana se tourna vers l’Océan, faisant un pas en sa direction, suivit d’un autre. Depuis qu’elle avait essayé de rompre son lien avec la Brume, elle n’avait pas repris son apparence aquatique.
Quand était-il après les blessures infligées par le dragon ?
Un soupir qui franchit ses babines, quand elle s’enfonce progressivement dans l’eau, grimaçant en sentant les écailles percer sa peau. C’était douloureux. Que représentait la douleur à présent ? La louve continua de s’enfoncer, la douleur déformant ses traits quand les branchies apparurent dans son cou. La voilà, adoptant cette apparence, celle qu’elle avait en arrivant sur ces terres pour la première fois. À l’époque, habitée de cette envie de vivre.
À présent…
Nirvana se laisse attirer vers le fond, le museau levé vers le ciel. Il n’y a pas de mouvement, pas de battement de nageoires, ni même d’inspiration.

Pardon Dairo, je t’aurais déçue jusqu’au bout.
Je pensais qu’après toutes ces années, je t’aurais compris.
J’aurais compris ce que tu voulais.
J’avais tout faux.
Tu es la seule que j’aurais aimé ne pas décevoir.
Que je ne veux plus décevoir.

Sa gorge la brûle, de même que ses poumons. Nirvana ferma ses paupières, laissant son corps tomber.

Jamais plus je ne te décevrai.
Jamais.

C’est comme s’endormir.

Je t’aime Dairo.

Un sommeil dont on ne se réveille pas.

Une lumière qui l’oblige à entrouvrir ses paupières. Est-ce à cela que ressemble le repos éternel ? Un endroit baigné de lueur orangé ? Une voix familière qui résonne dans son esprit quand une dernière illusion s’impose à elle. Tout à un goût de sel dans sa gueule, ça la brûle.
Tu n’es pas réelle.
C’est parce que mon plus grand regret est de t’avoir déçue, que tu es là, aux derniers instants.

Le corps lui continue d’être attiré vers le fond. Un sourire qui étire les babines de la sirène. Pourquoi appeler à l’aide ? Qui pour l’entendre ? Nirvana a tout fait pour être seule, pour que personne ne vienne la sauver.
Mes frères.
Je regrette de les quitter.
Tout comme je regrette de te quitter Dairo.
… mais regardons les choses en face, je vous décevrai, encore.
Les fruits pourris n’ont pas le droit au bonheur.
L’image de Samael qui s’impose dans son esprit, parmi tant d’autres. Un Etelkrus en perdition, que la prêtresse était parvenue à guider vers la lueur de la Renarde. L’avait-elle réellement été, une lumière pour quelqu’un ?
Non, je l’ai guidé jusqu’à toi, Dairo, comme j’aurais voulu en guider d’autres.
Peut-être étais-ce une erreur, si ils sont comme moi.

Quelques bulles qui s’échappent de la gueule de la louve, quand son dos vient heurter le fond. L’expression a quelque chose d’étrangement apaisé quand l’une des pattes flotte, vers la lumière orangée. Il n’y aurait pas d’appel à l’aide, car Nirvana n’en voulait pas.
Tu n’es pas réelle.
La véritable Dairo, je l’ai déçu, elle ne viendrait pas ici.
… mais j’accepte que tu restes encore… un peu.
Étais-ce une part de sa conscience qui s’efforçait d’essayé de la sauver ? Ou simplement lui faire croire que même en cet instant, elle n’était pas seule. Pourquoi maintenant ? Pourtant… Nirvana ne ressentait à cet instant pas de regret face à sa décision. Stupide ou non, ce choix était désormais tout ce qui lui restait. Les paupières se ferment, emportant cette dernière image de la lumière orange.

Laisses-moi disparaître.
Que je ne pourrisse plus personne.
Dairo.
Laisses moi redevenir simple coquillage, au milieu de cet océan.

La lumière du glowstick s’estompe, en même temps qu’une dernière bulle s’échappe de la gueule de Nirvana.
Un dernier soupir.
Un dernier sourire.
En guise d'adieu.