Lieu de culte [Libre]

Un nouveau hurlement qui résonne, un nouvel appel à se réunir.

Grimalk avait brusquement relevé la tête de sa création non sans un bref soupir, sourcils froncés, frustré de sentir sa concentration éclater comme une pierre soumise à trop de pression. La vague d'émotion passée après l'avoir balayé d'un vent sec, il repose son regard sur l'objet à ses pattes, tenté d'y retourner dans l'immédiat comme le lui crie son envie.
Mais une pause lui serait bénéfique malgré tout, tout comme un changement d'air et la stimulation que pourrait lui apporter d'aider le clan avec... Il ne sait pas encore avec quoi, mais l'appel doit bien être motivé par quelque chose.
Faisant glisser ses pattes sous son corps, il se lève et s'étire puis se met en marche vers le Plateau. De tous les lieux où leur nouveau foyer aurait pu être établi, c'est celui dont la météo lui est la plus ingrate qui se trouva élu.
Mais peu importe. Il s'adapterait, il sait le faire, il l'avait toujours fait : aucun environnement ne saurait devenir obstacle.

Lorsqu'il rejoint finalement le rassemblement - initié cette fois par celui qui fut son référent à son arrivée - c'est encore à l'écart, qu'il se place, comme le sont aussi certains autres.
Il ne trouve toujours aucune conviction, aucun ressenti particulier quant au sort de leur Déesse Yurai - si tant est qu'il faut toujours l'appeler ainsi. Ce choix dont ils débattent, il leur laisse.
Qui voudrait de toute manière de son avis, lui étranger, au fond, et qui avait choisi de se tourner vers Ao ?
Ce dont il est capable, en revanche, c'est d'aider à ce qu'il y a de concret à faire pour la suite. Aussi, quand Stendhal puis Dysis un peu plus tard - et aussi un autre jeune, l'un des enfants de Violette - s'éloignent pour grimper plus haut dans les sommets, Grimalk ne tarde pas à emboîter le pas.

Des alternatives évoquées, c'est encore bâtir quelque chose de nouveau qui l'attire le plus plutôt que de s'acharner à faire tenir les ruines du passé.

[ Quelques dizaines de minutes plus tard. ]

Il ne s'est pas pressé pour les rejoindre, et ce ne fut pas difficile. Plusieurs traces à pister, et la silhouette de Marty plus loin devant lui qui lutte contre la montée sont des points de repère qui ne lui demandent même pas d'effort de concentration.
Après tant de journées passées à son projet, il admet trouver un certain calme dans cette marche et les paysages peu coutumiers qu'elle dévoile.
Un peu avant qu'il n'atteigne à son tour les trois autres loups, son ouïe capte déjà les bribes de conversation et les idées qui s'établissent, aussi est-il capable de se joindre sans tarder à la conversation lorsqu'il a posé patte auprès d'eux et les a chacun salué d'un sobre signe de tête.
Le prétendant à Ao prend néanmoins le temps de d'abord balader son regard doré sur les environs, s'attardant sur les spécificités du lieu, essayant de se créer une image mentale de ce qui a déjà été proposé.

Puis sa voix grave s'élève, posée.

— De là où je viens, les sites sacrés sont décorés de bandes de tissu colorées, nouées ensemble ou laissées libres dans le vent, qu'ils appellent enoshûr. Le lien au mortel.

Il marque une brève pause, le temps de lever une patte et, d'une griffe, de tracer un éphémère dessin dans la neige. Une structure de pierre, basse, mais surmontée d'arches auxquelles étaient accrochées les bandes de tissu. Nombreuses comme les feuilles d'un vieil arbre qui n'avait de cesse de s'étoffer avec les visites des fidèles, au cours des années.

— Chaque visiteur doit apporter un morceau de tissu lors de son passage et l'y laisser, de préférence un tissu ayant une histoire pour le mortel. Ils sont là pour attester des pensées qui demeurent même quand le corps n'est plus là pour se recueillir, pour montrer du respect en abandonnant devant le divin une partie de soi, pour rappeler aux divinités de la connexion qui les unit à leurs croyants. Et ils permettent de repérer le lieu de culte de loin une fois que de nombreux passages ont eu lieu.

Là est le but premier de sa remarque et du parallèle qu'il établit, dans ce pèlerinage qu'ils veulent marquer et l'objectif unique en son sommet.

Les symboliques qu'il propose semblent faire l'unanimité, du moins au sein de ce petit groupe. Groupe dans lequel il sait pourtant qu'en plus de lui-même, au moins une autre n'accorde pas de passion particulière à la déité mère des Nakhus. Mais la foi a d'universelle ce pouvoir de lier. D'un monde à un autre, pour une croyance ou plusieurs ; rien n'empêche de reprendre un concept et de l'entendre résonner selon sa propre mélodie.
Lui n'a jamais été très pieu, davantage versé dans le concret que dans l'ésotérique - mais ces terres ont pour non-négligeable différence que leurs idoles le sont, concrètes. Dans tous les cas, ce qui a servi à un peuple vivant très loin d'eux trouvera ici une autre application, une nouvelle façon de vivre. Chacun laisse bien les pensées qu'il veut derrière ce bout de tissu abandonné, après tout.
D'autres idées viennent s'ajouter et Grimalk se fait attentif, ses yeux d'or se posant tour à tour sur chaque voix qui s'élève. Il incombe à Stendhal de résumer comment peuvent se joindre toutes les propositions et d'énoncer ce qu'il reste à faire : le Mage bascule son poids d'une patte à l'autre, libérant l'un de ses antérieurs pour venir commencer à tâter le sol à son tour. Il reprend néanmoins la parole sur la question des arches, une réponse lui venant rapidement en tête.

— Du bois flotté.

Ses yeux restent rivés sur le sol même quand vient vibrer sa voix grave, déjà concentrés à étudier la matière qui s'effrite sous ses pattes.
Ceux d'entre eux qui connaissent le matériau en comprendront les atouts : présent dans la nature en relative abondance, résistant, déjà traité par les éléments eux-mêmes pour affronter les intempéries quand la plupart des métaux rouilleraient vite en ce climat froid et humide, balayé par les vents et la glace. Ce bout de continent est entouré d'océans facilement accessibles ; il ne sera pas dur d'en trouver. C'était un tout autre périple à Arabahos ; et il valait mieux échanger cette ressource rare que d'éprouver le voyage jusqu'aux étendues d'eau salée.
Il se tait, désormais. La discussion sur le confort de leur Déesse revenue changée, peut-être plus tout à fait immortelle, n'est plus de son ressort : il préfère se focaliser sur la matière qu'il doit extraire du sol. L'endroit délimité par Stendhal semble être une bonne piste, lui cherche à en exploiter les cavités encore cachées : en retirant toute matière friable et terreuse pour ne garder que la pierre solide qu'ils ne pourraient aisément casser, leur fontaine serait toute trouvée dans le puits naturel qui se dévoilerait ainsi - à condition qu'il soit assez profond.
Il ne resterait plus qu'à la raffiner à leur convenance pour en lisser forme et aspérités.
La première couche de terre et de gel déblayée, Grimalk n'hésite pas à enfoncer ses pattes avec force pour venir jusqu'à racler la roche qui se trouve en profondeur : ses griffes portent armure de métal, elles résisteront. Il sera moins susceptible de se faire mal qu'eux.

Alors il creuse et vient frotter le roc dans des crissements ; ôte la matière, recommence encore.

[ Dé en FOR pour creuser profondément et jusqu'à la roche sous-jacente ]

Concentré à la tâche, Grimalk laisse se focaliser son attention sur le rythme régulier de ses griffes raclant la roche, presque hypnotisé par la répétition du mouvement et le son de l'or s'entrechoquant avec les pierres, des milliers de grains de toutes tailles venant ensuite bondir et dégringoler d'entre la tenaille de ses doigts qui les extrait au fur et à mesure.
Il en devient presque imperméable aux interactions qui continuent d'avoir lieu autour de lui ; seule une part d'instinct en lui restant vigilante, par la force de l'habitude, à la composition de son environnement. Ainsi enregistre-t-il les mouvements de ceux qui entrent et sortent - mais sa perception du temps s'évanouit dans le flou linéaire de ses pensées absorbées.

Ce n'est que lorsque les autres s'interrompent que lui-même réalise que le trou ainsi réalisé suffit à leur besoin et que lentement il se relève, autorisant à la mécanique de ses gestes de cesser pour cause de travail accompli.
Au bon moment pour voir Dysis revenir vers eux, chargée du bois que lui aura conseillé plus tôt dans la discussion. Il sent sur lui le regard de Stendhal, anticipe la question avant même qu'elle ne lui parvienne.
Puisqu'il s'agit de sa suggestion, on attend de lui qu'il guide également la suite.
Son museau se fronce légèrement sous la réflexion qui concentre alors ses souvenirs, quand bien même les grandes lignes de sa réponse sont déjà établies et prêtes à fuser, lui chatouillant presque la langue.
Un second regard se lève vers lui, et après quelques secondes de plus il laisse entendre sa voix grave.

— Je n'ai pas vécu assez longtemps là où je suis né pour voir comment ils le travaillaient, j'en ai seulement vu les résultats. Ma mémoire de leurs armatures me fait dire qu'ils ont sélectionné des morceaux de taille régulière et de bonne courbure et qu'ils les nouaient solidement tout en laissant assez de flexibilité à la structure pour résister aux intempéries.

Comme des arbres pliant dans le vent, souples pour ne pas se briser.
Pour une arche, le reste de la réflexion s'en remettait sans doute à des principes classiques de construction pour trouver le bon équilibre entre une base solide en guise de pilier central, profondément plantée dans le sol, et une déclinaison plus subtile d'autres morceaux choisis avec soin pour former le reste de la structure.