Heavenbound | Marty

I held a magnifying glass up to our love
Burned a hole right though it
And in the light of day, I see the end of us
Guess I always knew it

Il faisait nuit noire, au-dehors. Mais dans la grande Bibliothèque, les lueurs des chandelles et des cheminées étaient toujours allumées, toujours enivrantes de chaude lumière dansante et de douce chaleur. Le temps paraissait presque ne pas exister entre les hauts murs chargés d'ouvrages en tout genre. Peut-être était-ce pour cela qu'Adellphe appréciait tant cet endroit. On pouvait laisser son esprit s'y perdre en oubliant un peu le temps qui s'écoulait au dehors, panser les blessures du passé, rêver de futurs impossibles mais si excitants. Ce n'était cependant pas pour rêver qu'elle était venue ce soir-là. Elle s'était promis de venir achever de clore le chapitre de son voyage en retranscrivant dans un ouvrage ce qu'elle avait retiré de ses aventures. Il était temps de faire le grand saut.

La gorge un peu nouée, elle parcourut les étagères d'un pas mesuré, comme si elle flânait - en vérité elle savait exactement où elle mettait les pattes ou où se rendre. Elle finit par s'arrêter devant quelques volumes à la couverture violacée ; les livres qui parlait des contrées lointaines. après un instant de silence durant lequel son regard s'accrocha aux reliures à peine usées, elle finit par se redresser et attraper le dernier. Puis elle se dirigea vers un pupitre.

Elle connaissait bien ces carnets pour les avoir lus et relus, lorsqu'elle rêvait de visiter elle-même toutes ces contrées qui y étaient décrites. Elle l'ouvrit au tier environ, là où une page presque vierge contenait quelques mots.

A l'Est se trouvent des montagnes habitées par un peuple mystérieux. Probablement lié aux cristaux (accessoires). Peu ouverts aux étrangers.

Ces quelques mots lui serrèrent d'avantage la gorge, et elle resta un long moment à les contempler. Puis elle se recula d'un pas. Avec des gestes précis, mesurés, elle s'en fut chercher de quoi écrire, une chandelle pour s'éclairer, une brassée de feuilles et de la ficelle pour ajouter les pages dont elle aurait besoin. Lorsque tout fut prêt, elle s'assit devant le pupitre. Ses paupières se fermèrent alors que, pour la première fois, elle laissait les souvenirs s'inviter dans son esprit, volontairement. Une vague d'images la submergea, et elle faillit faire machine arrière - tout jeter, s'en aller en courant, fuir à nouveau ces choses dont elle ne voulait plus entendre parler. Une larme coula sur sa joue, mais elle n'ouvrit pas les yeux. Sa respiration se stabilisa alors qu'un tremblement agitait ses pattes.

But if the sun don't shine
I can trick my heart

Des images, des voix, des sons, des odeurs, la pierre sous ses pattes
La neige, le pelage, les parfums, les découvertes, l'émerveillement
Le vent froid de la montagne, l'écho des pas dans les cavernes, le souffle haletant
Les sourires, les promesses partagées, les courses au soleil du matin, la chasse aux oiseaux.
Elle s'y noya sans plus résister.

You can still be mine
If we stay in the dark

Le froid, le froid intense, dehors et en dedans, le choc, la nouvelle, la joie
Mais pas partagée
L'incompréhension, la froideur d'un regard, les mots qui brûlent, les mots qui blessent
La trahison, l'effondrement, la solitude
La solitude
La solitude
Le cauchemar

Les larmes coulaient sans discontinuer sur ses joues, sans qu'aucun sanglot ne vienne secouer ses épaules pourtant. Elle était immobile, statue de miel à la lueur de la petite flamme, et tout son être paraissait sur le point de basculer dans un trou béant. Elle attendit, se laissa porter par les sentiments qui noircissaient ses pensées. Le mépris, la culpabilité, des regrets si forts qu'ils lui enserraient le coeur comme un étau et qu'elle sentait sa poitrine douloureuse.

Puis soudain, tout se calma. Comme si la tempête était passée, elle s'autorisa à ouvrir les yeux. Ses larmes avaient constellé le papier de petites tâches sombres, et sa vision était trouble. Elle inspira profondément et cilla plusieurs fois, jusqu'à ce que les lignes soient de nouveau nettes devant elle. Etrangement, elle se sentait... vide. Toutes les émotions, les bonnes comme les mauvaises, avaient déserté sa tête, ne laissait qu'un vide abyssal et la froideur pragmatique de ses pensées.

So shut the door
Dim the lights
Your body's warm
And it's so cold outside

Les souvenirs étaient là, inscrits comme des gravures dans sa mémoire. Mais leur évocation ne lui arrachait plus tant d'horreur - ils ne lui arrachaient plus rien en vérité. Elle sut que c'était le moment. Le moment de retranscrire tout ce qu'elle avait appris sur papier, pendant que son cerveau était capable d'en faire une lecture et une écriture aussi claire que de l'eau de roche. Sans aucun accroc sentimental.

We'll be in Hell tomorrow
But we're heaven-bound tonight

Elle attrapa la plume qui attendait sagement dans son encrier, et commença. Le temps se distordit alors qu'elle griffonnait sur les feuilles qu'elle avait prises. Bientôt, elle repoussa l'ouvrage des voyages et fut convaincue qu'il lui faudrait un carnet dédié ; elle continua d'empiler les feuilles avec des croquis, des noms, des informations qu'elle avait glanées. Elle n'y mit rien de sa propre histoire, mais peut-être quelqu'un avec un regard suffisamment acéré saurait y lire entre les lignes quelques bribes de ce qu'elle avait été là-bas.
Elle y avait été si heureuse, avant que tout ne bascule.
Malgré son grand vide intérieur, elle sentit un petit pincement serrer son coeur lorsqu'elle croqua les portraits des membres du clan.
Un en particulier.

Wish we could stay inside these walls, wrapped in our lies
Clinging to each other
But eventually, the truth will come for us
Like a knife-edged feather

Elle acheva sa courte description et tourna la page. Dans beaucoup de sens du terme, sans doute. Une expiration profonde lui échappa alors qu'elle continuait son oeuvre. Elle aurait été incapable de dire combien d'heures passèrent avant qu'elle ne se redresse. Un dessin de cristal ornait la dernière page, sans autre légende. Et elle resta à le contempler sans un mot, sans une pensée, simple compagne des battements de son coeur, encore de longs instants.

Quelque-chose picota ses yeux et elle s'ébroua. En relevant le regard, elle se rendit compte que son visage baignait dans un rayon de lumière perçant à travers les quelques fenêtres qui se trouvaient en hauteur du bâtiment. Elle ne put empêcher un sourire un peu triste d'habiter son visage.
Voilà. C'était fait.

Elle recula de quelques pas ; elle avait accroché les feuillets petit à petit avec la corde, mais il faudrait maintenant lui trouver une reliure adéquate. Elle avait besoin dans l'immédiat de s'éloigner un peu de tout cela, et elle se réfugia devant une haute cheminée, sur un tapis usé. Le regard happé par les flammes, il ne lui fallut qu'un instant pour s'assoupir, roulée en boule et son aile au-dessus d'elle comme une protection.
Et alors que le petit matin se levait sur le continent, elle fut pour la première fois depuis longtemps bercée d'un sommeil sans cauchemars.

Lorsqu'elle reprit conscience, elle resta quelques instants dans un état de demi-sommeil dans lequel aucune pensée ne l'habitait. Ses paupières s'entrouvrirent pour poser ses prunelles sur la lueur dansante des flammes. Elles étaient aussi chatoyantes et vives que lorsqu'elle avait fermé les yeux - les feux de la Bibliothèque ne s'éteignaient-ils donc jamais ? Elle cilla à plusieurs reprises, alors qu'elle reprenait conscience de tout son corps ramassé sur lui-même. Des fourmillements picotaient ses doigts, et elle finit par se redresser légèrement et soulever son aile pour pouvoir s'étirer. Petit à petit, elle resitua où elle se trouvait et ce qu'elle avait fait. Et goûta à la délicieuse sensation de poids qui s'était envolée de son coeur.

Avec précaution, elle rappela à elle les souvenirs qu'elle avait si longtemps bannis. Ils lui serraient toujours un peu le coeur, mais elle sentait que quelque-chose avait changé. Elle ressentait toujours de la culpabilité, de la solitude et des regrets. Mais ils semblaient être là en une discrète filigrane, et enfin laisser le champ ouvert à d'autres pensées, ou d'autres possibilités. Elle se redressa assise et secoua la tête. Alors, une odeur familière vint chatouiller sa truffe, et elle tourna la tête, les oreilles redressées.

Apparu derrière elle, comme s'il avait senti l'appel de leur promesse à se revoir, se trouvait nul autre que Marty. Un sourire léger étira les babines de la louve caramel alors qu'elle se relevait pour se retourner. Il paraissait plongé dans une lecture, un peu plus loin, et elle s'avança de quelques pas pour s'approcher de lui et signaler sa présence. Une part d'elle se doutait qu'en se mettant à lire exactement ici il avait sans doute remarqué qu'elle était là, mais il avait eu la délicatesse de ne pas venir la réveiller ou l'attendre juste à côté à son réveil, et elle lui en fut reconnaissante.

"Bonjour." Lança-t-elle simplement.

Et son regard disait bien mieux que ses mots sa joie à la revoir.

Les mots de Marty et son rire léger - presque précautionneux - tintinnabulèrent comme des clochettes à ses oreilles, après tant de temps à n'entendre que ses propres pensées, ses propres douleurs, ses propres réflexions. Ses propres démons. Contrairement à leur rencontre précédente, elle ressentit immédiatement son coeur se réchauffer à ce début d'échange. La perspective de retrouver un ami était si douce, une fois les peurs chassées. Un sourire léger étira ses babines et elle ferma un bref un instant les yeux - ce qui était pour elle aussi expressif que le petit rire que lui avait laissé échapper - amusé par sa remarque. Après avoir plongé dans les déboires de sa propre conscience si profondément, reprendre un pied dans les joies simples de la réalité était un bonheur qu'elle paraissait avoir oublié.

Elle hocha légèrement la tête en réponse à sa question et répondit :

"Je crois oui. J'ai beaucoup... réfléchi. Et parlé aussi."
D'une certaine manière.
Sur du papier, avec des mots presque neutres en apparence.

Son regard quitta un instant celui du loup brun pour se poser sur le tas de feuilles reliées qui se trouvait un peu plus loin, puis revint sur son ami.

"Et toi ?"

Elle se souvenait des rayons de soleil qui semblaient émaner de lui lorsqu'il racontait des choses, et était joyeuse d'avance à l'idée de lancer une conversation. Et puis elle avait remarqué - parce qu'il était difficile de faire autrement - le changement physique qui avait eu lieu chez Marty. Une nouvelle lumière qui émanait du soleil qu'il avait sur le pelage de son poitrail.

Il y avait si longtemps que la louve n'avait pas ressenti autant d'affection à son égard, ç'en était presque déroutant. Agréable, léger, mais tellement inhabituel. C'était sans doute en grande partie de son fait - elle avait conscience d'être peu expressive tant par son attitude que par ses mots, et que cela pouvait être interprété comme de la froideur ou de l'indifférence - mais elle appréciait de goûter de nouveau à ce sentiment si singulier d'avoir l'impression de... compter pour quelqu'un. Quelqu'un qui n'avait pas le sang pour l'obliger à être sympathique avec elle - sa famille comptait, mais ils étaient sa famille justement, et avec cela venait peut-être une sorte de responsabilité qui les obligeaient à l'apprécier. Peut-être devrait-elle un jour demander à Wymond ce pourquoi il l'appréciait, s'il l'avait toujours aidée parce qu'il se sentait le devoir de veiller sur sa fratrie ou s'ils auraient pu, dans un monde où aucun lien de sang ne les aurait liés, devenir aussi proches que ce qu'ils étaient.

Elle écouta avec attention la réponse de Marty ; elle n'était pas encore habituée au nouveau nom de la divinité qui avait succédé à Yurai - mais de ce qu'elle avait comprit, il ne s'agissait pas seulement d'un changement de nom, mais de quelque-chose de plus profond. Il avait donc officiellement rejoint les Nakhus. Cette pensée la laissait mitigée ; elle était heureuse pour lui et comme elle vivait plus ou moins avec cette meute, la perspective de le croiser encore d'avantage était réjouissante. D'un autre côté, elle ne parvenait pas à se résoudre à l'intégrer complètement car une part d'elle craignait encore de croiser la silhouette claire qu'elle avait aperçue lors de la chute de la comète. A cette pensée, une ombre passa brièvement dans son regard, presque imperceptible.
Le livre était terminé, mais son chemin à elle était encore bien long.

"Les bâtisseurs Nakhus ont gagné une lumière certaine." Répondit-elle avec l'ombre d'un sourire.

Il avait l'air heureux en tout cas, le loup solaire, de cette perspective d'essayer de nouvelles choses sans cesse. Il était resté évasif sur certains choix et elle n'insista pas, quand bien même cette ellipse attisa un peu sa curiosité. Marty lui avait donné l'impression de se confier facilement sur beaucoup de choses, même personnelles, ce qui rendait ses secrets plus intrigants que ceux du commun des mortels.

"Et que testes-tu en ce moment ?" Lança-t-elle finalement.

Le terme de bouturage lui dit vaguement quelque-chose, sans doute l'avait-elle déjà croisé lors de ses nombreuses lectures à la Bibliothèque. elle se rappelait que ça avait un lien avec la culture des plantes, et les paroles de Marty allèrent dans ce sens. Il oeuvrait donc à redonner vie au plateau que la venue du dragon avait ravagé et rendu stérile. Elle se fit la réflexion que cela lui allait plutôt bien comme activité, avec ce qu'il semblait être et ce qui émanait de lui.

La suite fut plus intéressante encore. Les oreilles de la louve caramel se redressèrent légère alors qu'elle la laissait intriguée. Ainsi, il était possible d'obtenir la faveur des dieux sans savoir en quoi elle consistait exactement ? Ou peut-être était-ce spécifique à l'ancienne divinité de la sagesse, sa valeur principale étant une quête que les loups menaient tout au long de leur vie. Les seuls indices que Marty avait à propos de son pouvoir étaient nébuleux. Un lien avec le passé et un reflet qui ressemblait à son frère - les pensées de Dell convergèrent aussitôt vers une piste sans doute trop évidente pour être vraie : peut-être voyait-il là un de ses ancêtres. Le passé et la ressemblance physique étaient deux clés menant dans cette direction.

Puis la discussion rebondit dans sa direction à elle. Ses yeux turquoise quittèrent brièvement le regard de Marty pour ricocher sur la pile de papiers non loin, avant de revenir sur le loup violacé.

"Je crois que c'est un vide qui sera bénéfique." Répondit-elle doucement.

Elle avait en effet un vrai sentiment de vide quelque-part dans son esprit, maintenant que les fantômes s'étaient tus - ou ne murmuraient que très bas par rapport à avant.

"Mais il me reste encore des choses à apprendre. Et des projets." Ajouta-t-elle. "Je souhaiterai rendre visite à Aiiro. Et..."

Elle marqua une hésitation, rare signe d'incertitude complètement visible chez elle, alors que son regard ne quittait pas son interlocuteur.

"... Peut-être pourrions nous aller voir ensemble les fleurs d'hiver, à la fin de la mauvaise saison."

Il se rappelait des fleurs, et il accepta son invitation avec un enthousiasme qu'elle avait de moins en moins de mal à considérer comme non feint. Son regard se réchauffa, tout comme son coeur. Elle savait, au fond d'elle, que retourner dans cette direction et remarcher dans les pas qui avaient amorcé un changement certain de sa vie ne serait pas facile. Elle s'y était refusée jusque-là, n'allant pas plus loin que les terres de son enfance. Mais elle avait le sentiment qu'elle en serait peut-être capable maintenant, peut-être capable d'apprécier même cette excursion aux côtés de Marty. Et quoi qu'il en soit, ce serait sans nul doute un pas intéressant sur le chemin qu'elle avait emprunté en jetant sur le papier les connaissances qu'elle gardait pour elle depuis tant de lunes.

Le loup solaire renchérit sur la grotte aux cristaux dont il lui avait parlé lors de la même conversation, et elle hocha doucement la tête. Elle était curieuse de découvrir un peu l'univers de Marty en dehors de ces moments où ils se croisaient. Elle avait très fort conscience qu'il existait par bien des manières au delà de ces moments - mais elle avait l'impression d'exister surtout durant ces moments-là, il fallait bien l'admettre. Elle ne sut que faire de cette pensée soudaine, de cette réalisation un peu étrange, lourde de questions et légère à la fois. Fort heureusement, la conversation était menée par celui des deux qui savait le mieux le faire - et ce n'était pas elle - et son camarade rebondit sur un autre sujet qu'elle venait d'évoquer.

"J'ai cru comprendre que ce n'était plus la même divinité que l'était Yurai. Et pas seulement de nom." Répondit-elle doucement.

Elle avait laissé son regard s'égarer sur les cheminées toutes proches, et le ramena sur Marty.

"Toi qui a fait sa rencontre, en as-tu eu la certitude ?"

Un frémissement agita les oreilles de la louve caramel, alors que ses yeux ne quittaient pas Marty. C'était intéressant, troublant, intriguant, ce qu'il révélait à propos de la divinité Nakhu. Ainsi donc, Yurai n'était plus vraiment. Dell n'éprouvait pas de tristesse ou de nostalgie à cet égard - elle ne l'avait pas réellement connue ni n'avait eu d'attachement spécial à son égard - mais elle réalisa combien le bouleversement devait être puissant chez la meute septentrionale. Contrairement aux Etelkrus qui brandissaient l'étendards de leur flamboyante triade, les Nakhus lui avaient toujours paru plus... intimement attachés à leurs divinités. La sagesse et l'intelligence n'étaient pas des valeurs semblables à la force et à l'agilité, cela allait sans dire - et inutile de préciser où allait la préférence de la louve à l'aile unique.

Aiiro était donc une entité complètement différente de celle qui l'avait précédée. Plus de genre, une couleur différente, et des valeurs prônées qui n'étaient plus les mêmes. Le changement et la compassion. Elle comprenait la remarque de Marty bien plus que sa première approche un peu distante pouvait laisser penser ; si elle avait du mal à se voir comme sage ou juste, elle avait toujours eu au fond d'elle une empathie certaine, impossible à endiguer malgré la muraille qu'elle avait dressé autour de ses propres émotions. Si elle cachait ses ressentis au monde, elle s'imprégnait sans difficulté de ceux des autres auparavant. Désormais... Elle n'en était plus si sûre. elle avait été si persuadée de comprendre ce que lui ressentait pour elle et la désillusion avait été si profonde qu'elle doutait en être toujours capable. Le pouvait-elle toujours, faire preuve d'empathie, être une oreille douce et compatissante ?

Quant au changement... Elle avait eu écho du fait que la nouvelle déité Nakhu l'incarnait, et c'était cela qui avait motivé son envie d'aller aventurer quelques pattes dans son temple - ou quel que soit le lieu où se trouvait Aiiro pour l'instant, l'Eglise Nakhu étant à demi détruite.

"Il me tarde encore plus de faire sa connaissance alors." Répondit-elle avec un petit sourire curieux.

Elle n'était pas étonnée que Marty fut trop modeste pour s'être jugé lui-même comme sage. Peut-être était-ce d'ailleurs là la plus grande marque de sagesse - peut-être avait-ce toujours été les Nakhus sans glowstick les plus sages, finalement ? Et puis la lueur indigo qui brillait désormais dans le pelage du loup solaire était également, il fallait bien l'admettre, un argument en la faveur de la divinité. L'envie de connaître par son biais une nouvelle facette de son ami venait de s'ajouter aux raisons d'aller lui rendre visite.

"Où peut-on rencontrer Aiiro ? Le temple de Yurai ne semble plus... apte à remplir ses fonctions désormais." Demanda-t-elle.

Elle se demanda ce qu'il était advenu de la fontaine divine. Elle se rappelait très bien avoir lu dans un livre les conséquences subies par les animaux qui avaient bu de ce liquide pendant la grande sécheresse passée, et il serait sans doute regrettable pour le territoire Nakhu que la terre elle-même vienne à s'en nourrir elle aussi.

Oh. Elle s'attendait à une réponse précise, ne doutant pas de la bonne volonté de Marty pour l'aider, mais pas à ce qu'il propose sans hésiter de l'y accompagner. En d'autres circonstances, elle aurait probablement trouvé une manière de refuser poliment et de récupérer l'information pour aller explorer par elle-même. Mais les circonstances étant ce qu'elles étaient, elle accepta avec plaisir.

"C'est une bonne idée, je te remercie." Répondit-elle.

Elle se redressa et s'ébroua légèrement. Son aile rebondit mollement le long de son flanc avec un bruissement de plumes. Elle désigna du museau la table sur laquelle se trouvait son atelier d'écriture.

"Je dois ranger les quelques affaires que j'ai sorties d'abord. Mais ensuite je serai prête à t'accompagner."

Il n'y avait pas énormément de matériel à ranger, mais elle aimait que les choses soient bien faites et remettre chaque objet à sa place. En quelques pas, elle était face au pupitre pour remettre à leur place plumes, encres, parchemins vierges et corde non utilisée. Une fois tout cela correctement rangé dans les hautes étagères, il lui restait encore quelque-chose à faire. Un frisson courut le long de son échine lorsqu'elle contempla sans mot dire la pile de feuillets reliés dont l'encre était désormais sèche. Après un instant de réflexion, elle s'en fut entre les rayonnages pour chercher l'endroit dans lequel elle s'était déjà rendue avec sa soeur Lark, quand celle-ci cherchait un carnet.

Un endroit où s'empilaient livres usés, à peine commencés, effacés, une sorte de boui-boui un peu caché où l'on pouvait trouver des matériaux pour recommencer de nouvelles oeuvres sans complètement partir de zéro. Elle fouilla délicatement avec ses pattes et finit par tomber sur ce qu'elle cherchait : une vieille couverture de cuir qui portait encore les marques de la colle et des ficelles qui avaient dû servir à tenir son contenu. Désormais, ce n'était plus qu'une coquille vide.

Elle l'emmena avec elle et l'ouvrit avec précaution pour y caler ses feuillets. Une cordelette pouvait la refermer ; ça ferait l'affaire pour l'instant. Elle aurait bien le temps de revenir coller correctement et décorer cette couverture de fortune. Jusque là, els feuilles ne risquaient pas d'être mélangées par erreur. Elle eut un drôle de sentiment en effectuant le noeud qui ferma ce chapitre de sa vie. Au fond, elle ne savait pas si elle aurait le courage de le réouvrir pour l'enjoliver. Peut-être plus tard, lorsque les choses seraient un peu tassées dans son esprit.
Peut-être jamais.

Elle déposa l'ouvrage près des autres traitant des voyages et des peuples étrangers. Sans écriture sur sa tranche, il y avait peu de chance que quelqu'un essaye de l'ouvrir pour le lire - à moins de ne plus savoir quoi lire du tout - mais elle saurait où le retrouver. Elle resta quelques secondes à le contempler, dans sa couverture noire et délavée, presque caché derrière les autres. Un soupir silencieux s'échappa de ses narines, et elle fit volte-face pour rejoindre Marty.
Elle était prête.