Into the Night - Nymeria.

« Into the night
Walk through the rain
Away from the lights
And in the distance, you're fading away

And I run through the night
Across the bridge beneath the sky

When I let go of your hand
You vanished in plain sight
I hear you calling
To meet you where the river ends

Into the night
It's coming my way
And I see your face
Dissolve in the rain »

[ Quelques jours durant, après son épreuve chez Ao la Dragonne. Automne. ]

Les jours qui suivirent son épreuve, Grimalk ne reprit pas tout de suite le chemin des terres Nakhus.

Ses pas le menèrent ailleurs, le long de sentiers abrupts de montagne comme à travers des plaines paisibles et des forêts obscures.
Un itinéraire qui aurait pu ressembler à une errance, une déambulation sans but. Il y en avait pourtant bien un, de but, pour guider son allure et diriger son regard intense. Un but qui puisait sa source au même endroit que dans la finalité recherchée.
Un but lié à nul autre que ce nouveau poids, léger mais présent, qui se balançait autour de son cou et faisait parfois tinter le métal de ses chaînes.

A l'intérieur une puissance, une présence.

Celle des illusions dont il aura fait connaissance sous l'égide de la Dragonne, celles qu'il devait désormais apprendre à maitriser de lui-même.
Sous la surface elles rôdaient ; dans son esprit elles finirent obsessions.
La simple pensée de leur existence gonfla, mua, déborda pour devenir explosion qui d'un désir impératif reconfigura l'ordre de ses priorités.
Il lui fallait les découvrir.
Pour de vrai, pas prisonnier du royaume imaginaire d'Ao, pas soumis à ses règles et à ce qu'elle scénarisa quand il ne fut que marionnette à sa merci.
Il lui fallait en ressentir de nouveau l'énergie grisante, se confronter à leurs limites comme aux siennes, faire s'entrechoquer leurs mondes jusqu'à ce qu'ils s'assemblent.

Il lui fallait...
Apprendre à les contrôler, oui, et à ne faire qu'un avec elles.

Il ne sut dire qui d'elles ou de lui furent les plus décisionnaires des itinéraires qu'il sélectionna et des destinations qu'il conquit, à la fin. Qui de sa soif de les faire s'éveiller de nouveau, ou de la leur de s'extirper de leur contenant de verre, domina les choix qui s'ensuivirent.
Quand les animaux débusqués devinrent sujets d'expérimentation.
Quand dans son œil une douleur transperça et que son pouvoir démontra ainsi son emprise.
Quand grisé par la découverte de ces nouvelles sensations il soumit les créatures vivantes, les proies, à subir l'épreuve de ce don.

Quand pour repousser au maximum les contraintes de son contrôle, il abattit chacune des bêtes qui lutta trop ardemment et eut l'audace de se défendre.

Derrière lui, dans chaque lieu où il acheva toute insolence résistance et assouvit son besoin de contrôle, restèrent flottantes dans la brise une odeur de sang et les traces vaporeuses de papillons violets qui s'éteignaient.

[ Dédale Occulte, à la nuit tombée. ]

Ombre parmi les ombres, sa silhouette louvoie sur des terres plus connues.

Mais le sol qu'il foule ne porte plus traces aussi nombreuses depuis quelques temps. Ils sont nombreux, à déjà avoir déplacés leurs affaires sur le nouveau lieu de vie commun. Lui ne l'a pas encore fait, cloîtré la plupart du temps au cœur du Dédale pour avancer sur le projet qui appartient désormais au passé. Il ne sait pas s'il le fera.
Veut-il vraiment rejoindre les hauteurs qui lui sont si désagréables dans le simple objectif de dormir au même endroits que tous ceux qui forment son clan ?
Il n'en est pas certain.

Ce n'est de toute manière pas vers cette réflexion que sont tournées ses pensées.

Mais vers celle qui comme un débris au milieu d'un torrent habite son esprit d'une présence irrégulière, engloutie par les flots rageurs d'un courant sauvage pour parfois ressurgir au beau milieu d'une rapide et n'en devenir que plus évidente.

Il n'aura eu de temps à lui consacrer, ni moralement ni physiquement, depuis leur entrevue dans le Désert. Son travail sur l'offrande aura accaparé presque l'intégralité de sa personne. Sa venue chez Ao était devenue priorité.
Ce fut Ao elle-même qui choisit ensuite de la faire apparaître au cœur de son épreuve.

La nuit claire dans laquelle il se glisse chuchote presque son nom, alors que Grimalk suit son effluve vers les contreforts du Dédale, là où il espère retrouver sa trace loin du Plateau quand bien même le jour a déjà fui, loin de ces lavvus où il la sait vivre avec Blizzard.
Quand il finit par percevoir sa présence et qu'il verrouille sur elle son regard, orbes dorées reluisant dans la pâle lueur de la lune, un rictus de satisfaction de l'avoir trouvée - seule - dévore son visage et il s'approche jusqu'à pouvoir la dominer de sa stature, son museau allant de l'avant jusqu'à ce que leurs souffles presque se mélangent.

— Nymeria.

Shaëk.

Dans la pénombre qui règne, le rose du glowstick de Nymeria ressuscite les souvenirs de son épreuve.

Comme des photographies passant devant ses yeux, Grimalk se perd quelques instants dans une réalité trouble où se superposent l'instant présent et les images marquantes enregistrées quelques jours plus tôt au cœur du temple d'Ao.
La silhouette auréolée de la louve sombre, son visage souriant alors qu'elle l'entraîne dans les profondeurs.
Les mouvements ondulés de son corps délicat et sa lumière qui se balance quand au plus noir des ténèbres ils s'enfoncent.
Sa panique quand elle disparaît sous l'eau, attrapée par le monstre.
Son flanc qu'il perce dans une erreur que lui impose la Dragonne pour le déstabiliser.

Son regard implorant quand il la dévore ensuite, pris dans la frénésie de ses illusions.

Le Mage cligne des yeux. Il s'est à peine reposé sur les derniers jours, malgré la quantité d'énergie qu'avait consumée l'obtention de son glowstick.
C'est le présent qui regagne alors pleinement sa conscience quand il inspire l'odeur de la louve et que sa voix vient faire frémir ses oreilles. Au terme qu'elle prononce pour de vrai, miroir de sa pensée, il laisse s'agrandir un sourire équivoque. Les félicitations sont acceptées en silence et sans mouvement, seuls ses yeux restant fermement accrochés à ceux de Nymeria, avant de lentement parcourir le reste de son corps dans une observation minutieuse de l'individu qu'il n'aura plus revu d'aussi près depuis la dernière fois. C'est d'abord sur les multiples ornements dorés qui décorent toujours ses cheveux que s'arrête son regard, ceux qui savent toujours capturer son attention de leurs multiples reflets et de leur gracieuse confection, avant d'ensuite constater leur absence en d'autres endroits de son corps. Bijoux remplacés par un harnachement de cuir, agrémenté de sacoches, de porte-livres, de lames.
Mais elle reprend la parole et de nouveau son attention change de cible, sa tête se penche tout en restant dans la proximité de leurs visages.
Il laisse de nouveau s'écouler quelques instants de silence avant que sa voix grave ne vibre en contraste avec les intonations plus mélodieuses de l'autre Nakhu.

— Il m'a fallu rassurer Ao sur le bienfondé de ma présence. Elle a ensuite accepté mon offrande, m'a ouvert les portes de son épreuve.

Une pause interrompt ses mots. Une hésitation, peut-être.

— Tu y étais. Dans mon épreuve.

De nouveau il s'arrête dans son récit, s'immobilise jusqu'à presque suspendre sa respiration.
Il n'a pas encore décidé ce qu'il lui en dirait. En attendant, il guette la moindre de ses réactions avec une curiosité acérée.

Rien n'échappe à son regard inquisiteur. Il capture les tressaillements des oreilles, tente de percer la réflexion qui s'installe derrière le regard doré rendu plus sombre par l'atmosphère obscure autour d'eux où ne brillent que leurs deux glowstick et la diffuse aura de la végétation bioluminescente.
Dans ce silence qui dure encore, Grimalk ne rompt pas sa fixe observation, guettant le moindre indice. Jusqu'à ce que la voix de la louve ne finisse par lui répondre - et que ce soit à son tour de frémir. Ses crocs se serrent d'une brève et involontaire impulsion, un spasme contracte les doigts de ses pattes avant de quitter son corps aussi vite qu'il était arrivé, flux d'énergie qui le parcourt et ne se laisse pas dominer.

Il ne sait pas vraiment différencier la frustration de la surprise dans ce qu'il ressent alors, pris de court sur son propre récit par les intuitions de Nymeria.
Ce n'est toutefois pas vraiment juste. D'un lent mouvement, il prend un peu de recul en redressant la tête et passe une langue sur ses babines, là où s'était formé un rictus ironique.

— L'épreuve a débuté dans la Bibliothèque, dans un recoin que je ne connaissais pas. Il y avait un trou dans le plancher, un passage. Et seule la lumière de ton glowstick pour nous guider dans cette descente.

Une première pause alors que se lisse son expression pour devenir plus grave.

— Nous avons débouché sur une grotte obscure et tu as été attirée dans l'eau par un monstre. Je me suis battu contre lui.

De sa faute, du moment où son arme la blesse elle au lieu de s'abattre sur la créature, il ne parle pas.

— Ao a commencé à me montrer mon pouvoir, celui que j'obtiendrai en scellant ma réussite. Grâce à sa puissance, j'ai pu achever le monstre...

Ses yeux ne cillent pas et plus rien ne bouge chez lui dans le moment qui se suspend une fois de plus.

— ... Emporté par ce que je ne maîtrisais pas encore, je t'ai tuée aussi.

Le goût de son sang avait semblé réel dans cet espace d'illusions, créé de toutes pièces par la Déesse.
Mais il l'avait bien moins été que celui qu'il fit ensuite couler chez ces proies chassées avec cette force nouvelle. Là où il n'avait pas perdu le contrôle.
Après quelques secondes supplémentaires laissées au silence et à la neutralité presque dérangeante de son visage, un sourire confiant vient brusquement dévoiler la pointe de ses crocs alors qu'il se penche sur Nymeria pour se rapprocher d'une oreille et y souffler quelques derniers mots.

— Mais ce n'était qu'une illusion.

Du bout des crocs, il vient jouer avec la pointe fine de l'oreille de la louve, le cœur battant.

La réaction de l'autre Nakhu ne se fait pas attendre, quand elle répond à son approche pour venir à son tour glisser des mots au creux de ses tympans. Nymeria n'a pas l'air troublée le moins du monde par ce qu'il expose, par les visions et les actions qui auront rythmé son épreuve. Il ne sait pas tellement à quoi lui s'attendait en lui décrivant les grandes lignes de ce qu'il s'était passé, mais il ne poursuit pas cette ligne de pensées. Il se contente d'un lent et sourd grondement aux dents qui viennent jouer avec sa mâchoire, réceptif au contact qui vient décharger frissons et petits chocs d'énergie dans tout son corps, hérisse son poil et fait tressaillir sa peau. Contre son encolure il la laisse se placer, d'une patte qui se lève vient enserrer ses si fines épaules et raffermit sa prise d'une brève contraction musculaire. Possessif.
Mais il la laisse néanmoins se dégager quand elle cherche son regard, et l'or de ses iris poursuit la trajectoire de ceux qui luisent face à lui dans la pénombre. Il va y avoir d'autres paroles, il le sent, et il est avide de les cueillir autant que de sentir de nouveau sa proximité - là où il a l'impression que son absence laisse soudain un froid désagréable s'attaquer à son corps.

Ses oreilles se font plus droites et son regard plus acéré à l'affirmation que ce lieu qu'il n'a jamais vu existe et que Nymeria sait comment y accéder.
Grimalk se penche vers l'avant, tend son encolure jusqu'à ce que son souffle revienne se mêler à celui de la disciple rose de lèvres qui presque se touchent, et ses yeux ne cillent pas en restant fermement accrochés aux siens.

— Si cet endroit est réel, j'irai.

Ao ne peut pas le lui avoir montré pour rien. La Dragonne aurait pu créer n'importe quel espace de toutes pièces, imaginer un monde fictif, mais lui révéler un lieu nimbé de mystère qui existe... Ce ne peut être un hasard.
Sa voix se fait plus grave, presque oppressante.

— Me montreras-tu comment m'y rendre ?

D'un centimètre pour clore la distance, sa truffe vient pousser celle de Nymeria alors qu'un rictus revient dévorer ses babines et révéler ses crocs d'or et d'ivoire.

« You think you see through my wall
But you don't see me at all
I'm closing down my life and hide
Until I end the war inside

I can't love you the way I need »

Elle s'avance, glisse son visage contre les angles du sien de cette manière qui continue de l'électriser sans même qu'il ne le choisisse.
Grimalk avait toujours été, d'une certaine manière, l'esclave de ses sensations. Toute étincelle pouvait devenir éclair prêt à le perforer de part et d'autre - une puissance bienfaitrice qu'il cultive pour mieux la maîtriser. Par l'âge, par l'expérience, par l'apprentissage - il sait aujourd'hui mieux dominer ces manifestations sauvages et en désordre. Mais il y en a qu'il ne cherche pas à repousser, ni même à freiner.
Pourquoi vouloir apaiser ce feu brûlant qui le dévore à chacun de ces contacts, puisqu'il est si agréable ?
Les mots qui sortent de la gueule de Nymeria le sont aussi, agréables. D'un mouvement spasmodique de mâchoires, il imagine ces fameux secrets éclater sous ses crocs comme des os emplis de moelle.
Il a l'impression de pouvoir obtenir d'elle tout ce qu'il désire, et même si ce n'est probablement pas tout à fait vrai, il se complaît dans cette émotion galvanisante que d'être en mesure de s'accaparer toutes choses.

Nymeria lui livre son corps, maintenant ses secrets. Que peut-il obtenir d'autre de la disciple de Moiro ?

Peut-être est-ce même un peu trop facile, pour lui qui s'épanouit et s’oublie dans la persévérance, mais cela lui convient pour le moment. Il finira bien par buter sur des difficultés - c'est évident. Il les écraserait à ce moment-là.
Et en attendant, il profite de ce qui est acquis - répondant à son approche d'un sourire qui s'élargit encore.

Le mâle se laisse faire quand la plus fine corpulence de sa comparse le repousse vers le mur. Son corps accueille avec un frisson le contact des textures différentes de la roche et des plantes contre son pelage, qui frémit encore à chaque fois que leurs poils s'entremêlent. Ses yeux d'or qui ne cillent presque jamais restent verrouillés dans ceux qui en face renvoient un même éclat, et quand la louve reprend la parole, leur intensité semble s'affirmer plus encore. Peu de secondes sont laissées au silence avant qu'il ne lui réponde, en même temps qu'il reprend le flambeau de l'initiative et attrape entre ses crocs la lanière de cuir autour de l'encolure de la louve pour l'attirer complètement à lui.

— Ce qu'il s'est passé dans l'épreuve d'Ao n'est que le fruit d'un monde imaginaire dans lequel la Déesse a imposé ses règles. Dans ce monde-ci, je suis celui qui contrôle.

Comme pour le lui prouver, Grimalk lève sans prévenir une patte qu'il abat avec fermeté - mais sans violence - sur le côté des épaules de la louve. Jouant de sa masse plus imposante, de sa force et de l'effet de surprise, il la retourne sans difficulté et inverse leurs positions, se retrouvant à son tour par-dessus elle.
Ses lèvres s'étirent sur un rictus avide et sa poitrine vibre d'un grondement sourd alors que descend avec insistance sa truffe le long des poils doux de son encolure, s'enivrant de son odeur.