Dans la rumeur de chacun des instants [Libre]

Samaël

Ses muscles avaient fini par se raidir avec l'âge. Samaël ne faisait plus comme autrefois ces grandes rondes que lui demandait son rang, les réduisant à un territoire plus restreint. Ces derniers temps pourtant, cela aussi devint difficile, le simple aller retour entre le camp Etelkru et le temple de Dairo agressant ses os et ses articulations. En plus des herbes pour lutter contre les insomnies, s'ajoutaient maintenant celle pour lutter contre l'arthrose.
Ce fut quelques syndromes grippaux qui le condamnèrent à ne plus sortir de sa tanière. S'ils avaient fini par passer, ils avaient cloué l'ancien prince à sa couche durant une grosse semaine. Un temps d'immobilité combiné avec l’affaiblissement du à la maladie et à l'âge ainsi qu'à l'humidité trop grande de ces régions et Samaël ne pouvait plus marcher sans que la douleur vienne lui crisper la mâchoire tant elle était intense. Il avait donc cessé de se rendre au temple, ne se déplaçait guère plus qu'entre la tanière des panseurs afin de récupérer de quoi le soulager et la sienne au fond de laquelle il se contentait de simplement attendre à défaut de pouvoir dormir.

Le mâle brun le devinait, doucement, il approchait de la fin du voyage. Sa longévité l'avait étonné, surtout suite à l'apparition des premiers maux de l'errance. Cela faisait combien d'années à présent ? Sa condamnation lui paraissait bien plus lointaine encore.
Samaël n'aurait su si ce surplus avait été une chance qu'il n'avait su saisir et apprécier ou la simple prolongation d'un long supplice. Il avait essayé, mais chaque choses qu'il avait désiré accomplir avaient fini par lui glisser entre les pattes. Maintenant, il s'ankylosait au fond de sa tanière, dans l'attente que l'errance finisse d'étendre ses doigts jusqu'à envelopper totalement son âme.

Il y avait du soleil ce matin, remplaçant une nuit bien trop fraîche pour un loup comme Samaël. Afin se profiter de la chaleur des rayons, le mâle brun s'était aventuré jusqu'à l'entrée de son logis, se couchant là où il n'y avait pas d'ombres. Pour éviter trop d'aller retour douloureux, il avait ramener sa bouilloire où infusaient les herbes qu'on lui avait donné, comptant siroter le breuvage au fil de la matinée.

Samaël

Il ferme les yeux mais Samaël ne dort pas, parce que toujours, le prince errant cherche à repousser l'instant des cauchemars. Le soleil réchauffe son poil et le mâle essaye de se projeter là où il ne peut plus aller. Sa truffe qui perçoit encore l'odeur des autres loups, de ceux qui reviennent des forêt résineuses des dents de rocs, de ceux qui reviennent des plaines herbeuse des Rougelandes, de ceux qui sentent la vase du Marais aux lianes et de ceux qui sentent l'odeur saline des Falaise littorales, ce mélanges lui rappelle qu'il est bien au Castel quand l'odeur des herbes médicinales de l'antre des panseurs lui rappelle quel est son âge. Ses oreilles, dressées droites sur sa tête, plus longues que celles de la plupart de ses congénères nés ici, marchent encore également. Il entends la voix des épées et des boucliers qui organisent une patrouille à venir, celle des louveteaux qui se chamaillent.
Il entend aussi cette voix féminine qui prononce son nom. S'il avait entendu son approche, Samaël prit tout de même plusieurs secondes avant de daigner à ouvrir les yeux et relever la tête qu'il orienta sur le côté afin d'avoir la jeune louve du côté de son œil voyant.

« Physalis, vous désiriez quelque chose ? »

Samaël

Elle cherche à obtenir quelque chose de sa part, c'est un fait qui s'inscrit comme une évidence pour le mâle lorsque la jeune louve vint s'asseoir auprès de lui avec ses longues tirades venant détourner sa question. Physalis avait remarqué son absence de ses chemins habituels, de ce quotidien qui avait été brisé. Cela n'étonna pas spécialement Samaël, malgré toute la fierté des Etelkrus et la dominance arrogante de leur influence sur ces terres, le clan restait petit, minuscule même aux yeux de celui qui avait été prince et dirigeant d'une armée. Ce n'était pas compliqué de remarquer des changements et les informations circulaient vite, la sœur de cette demoiselle ne faisait-elle pas présence rare ces derniers temps?

« Je l'ignore. » Samaël vint prendre sa tasse entre ses pattes avant, faisant tourner le mélange de liquide et de plantes par le biais de légères inclinaisons. Il appréciait peu la décoction, le mélange étant trop amer pour lui, ce n'était pas un goût que le mâle appréciait généralement. « Les panseurs le déconseillent. » Mais ce n'étaient les avisées paroles de ces derniers qui auraient convaincu le vieux mâle de faire ou non le trajet.

Le regard or revint sur la jeune louve après l'avoir quitter quelques instants pour l'infusion.

« C'était des questions sur Dairo que vous aviez à me demander ? »

Lui omettait volontiers de répondre à celles qu'on lui posait lorsqu'elles demandaient à être trop personnelle.

Samaël

« Vous avez des craintes pour mon devenir ? Vraiment ? »

Samaël se retint d'arquer un sourcil mais le ton de sa voix et le sourire qui s'étira sur ses babines ne cachèrent pas les doutes que le vieux mâle avait envers la sincérité des paroles de la jeune louve.

« Vous devez bien être une des seules à avoir cette préoccupation, surtout parmi les loups de votre âge. »

Il prit une nouvelle gorgée de son thé. Si Samaël peinait à savoir ce que désirait véritablement la jeune Physalis de lui, il ne parvint pas non plus à lui accorder la simple sympathie ou empathie à son égard comme uniques raisons de sa présence à ces côtés à cet instant-ci.

« Vous auriez plus à gagner auprès de vos camarades ou d'un adulte dont le poids des années ne fait pas encore trop souffrir. »

Il reposa sa tasse, vide.

« Je ne m'inquiètes pas des panseurs. »

Il n'avait pas besoin que Physalis « s'occupe » de quoi que ce soit pour qu'il aille là où les panseurs n'auraient pas aimé. Samaël pouvait être aussi têtu que droit, au grand damne de certains points de la réglementation Etelkru, notamment celui qui imposait de ne jamais se déplacer seul.

« Hé bien, le temps devient bien long, je serais tenté d'accepter votre proposition pour cette fois. »

Là où il l'aurait sans doute refuser en tant normal. Il n'y avait pas grandes connaissances à faire et de son point de vue, la jeune louve perdait un peu son temps. Samaël déclinait bien plus que durant toutes des dernières années et et il était indéniable qu'il approchait de la fin.

Samaël

C'est avec bien moins de souplesse que la jeune louve que Samaël se releva également. La douleur de l'âge lui fit plisser le museau tandis qu'une faiblesse plus importante sur une de ses pattes arrière la fit trembler quelques instants. C'était d'autan plus frustrant pour lui de se sentir ainsi diminué alors même qu'il avait traversé à trois reprises le Désert blanc là où réaliser qu'une seule fois le voyage relevait déjà du miracle. Alors même qu'il avait été ce guerrier qui combattait par grands bonds, il aurait été difficile aujourd'hui d'en faire un seul. Ce constat le mit d'humeur.

« L'habitude sans doute. »

Si sa première réponse fut plutôt évasive, relativement détachée alors qu'il s'évertuait à se relever convenablement, c'est un œil doré à l'expression bien plus froide qui se posa sur Physalis.

« Permettez moi également, mais je doute fortement que vous soignez le genre de jeune fille dont le cœur se préoccupe sincèrement des plus anciens. J'ignore ce que vous désirez véritablement mais je doute d'être en mesure de vous l'accorder.»

Mais à l'avoir ainsi ramener à sa douloureuse réalité, la jeune louve avait tout intérêt à tenir ses engagements à présent qu'il était levé. Samaël entreprit à commencer la marche.