Les arcanes

Une allumette craqua, sa flamme apaisante crépita en quelque étincelle, puis le mage vint l’accoler contre la mèche d’une bougie. Le cœur s’enflamma, répandent sa lumière et sa chaleur dans la pièce humide et sombre de la bibliothèque. Il pleuvait cette nuit-là. L’orage grondant à l’extérieur, et le verre brisé au fenêtre donnait un air dramatique à l’étude de son défunt père. Les livres et les parchemins s’étaient accumulés formant des piles si hautes qu’on n’en distinguait presque plus les murs derrière l’accumulation d’objets en tout genre et de paperasses. Les curiosités s’y faisaient nombreuses, trophées de ses nombreuses escapades, ou simple objet qui n’avait encore su trouver sa place parmi les étagères.

Le corbeau n’était certainement pas le plus ordonné. Parmi l’ensemble de babioles oubliées et de bibelots décrépis, l’on pouvait trouver protégé sous une coupe de verre, deux exemplaires de bourgeon de pomme d’or qui scintillaient de leur éclat mordoré à la lumière des bougies. Précieux, il les avaient gardé sous bonne surveillance, les chérissant comme la prunelle de ses yeux, en devenant légèrement obsessionnel au point de s’assurer régulièrement de leur parfaite conservation. Il n’aurait été souhaitable qu’une moisissure ou un peu de poussière viennent mettre à néant ses efforts pour obtenir ces précieux ingrédients, car ce qui était rare avait d’autant plus de valeur à ses yeux qu’il lui était nécessaire pour accomplir sa potion.


Jusqu’à ce jour, il avait veillé. Jusqu’à ce jour, il les avait conservé. Aujourd'hui, il n'en disposerait plus que d'un exemplaire, un seul. Le second serait à conserver.

Le carnet, son propre carnet dans lequel il compilait ses propres recherches, était posé sur un petit secrétaire, certainement le seul mobilier épargné de l’encombrement laissé par ses nombreux sujets de recherche. Certainement la seule place, où il fut susceptible de le retrouver sans effort. Le carnet était laissé ouvert sur cette page exacte :

Corps Fertile

Un bourgeon de pomme d'or [ Existence à démonter ressource rare de la sylve ]
Un œuf magique ?
Le Sang des partenaires[/list]

Réduire et Amalgamé
Le miel adoucit.

La page, noire d'encre était couverte de ratures et d’annotations, des idées qu'il avait jeté sur le papier.
Dans un coin corné du carnet, s’était joint un croquis, une illustration représentant un bourgeon de pomme d’or et un schéma retraçant l’emplacement où les deux bourgeons furent découverts, même si le mage doutait d’en trouver un troisième exemplaire à la même place, il préférait garder leur emplacement en mémoire, juste au cas où la nécessité le pousserait à retourner chercher un spécimen de plus.

Ne lui restait plus qu'à attendre, il était neveux. Dans l'attente, il avait blanchi la verrerie, polit les récipients et la vaisselle en argent. Il était neveux car le doute subsistait toujours en son esprit dominant et provocateur.

Les aigrettes étaient basses, le regard vide posé sur un coin de table alors qu'il ajustait et réalignait une fois de plus ses ustensiles. Bien que sachant qu'il n'aurait besoin d'autant, pour compléter cette recette, il n'avait pu s'empêcher d'en entretenir l'ensemble. des précautions, des manies certainement aussi.

J'espère qu'elle n'oubliera ni le miel,
Ni la plume.

Il sera les crocs sur une grimace amère, l'heure avançant. les doutes se faisaient plus prenants.

Et si je venais à échouer.

L'échec n'était pourtant pas permis.

Il n’était pas attention, avait trépigné une partie de la soirée, formant des allées et venues entre l’entrée et le fond de la pièce jusqu’à ce que son passage ne laisse aucune place à la poussière qui pourtant avait longtemps recouvert le sol. Il finit par trouver place, immobile face à l’entrée, prenant son mal en patience. Bien que l’absence et les retards faisaient peser le doute en son esprit, il avait promis, ils s’étaient promis qu’ils se feraient confiance, du moins qu’il essayerai.

Lucian, je suis là!

Ha. Elle était là, le mâle redressa subitement la tête en la voyant apparaître dans l’entrée tel un fantôme. Il se redressa sur des quatre patte et vint à sa rencontre en s’avançant d’un pas pour l’accueillir, sa longue queue se balançant calmement derrière lui, trahissant son impatience.

« Tu est en retard. »Fit-il remarquer d’un ton neutre et monocorde qu’il avait pour habitude d’employer en toute circonstance.

Il la laissa poser ses affaires, et les déballer, regardant par dessus ses épaules, ce qu’elle avait emporté.

J'ai pris deux pots pour le miel, car tu ne m'as pas dit quelle sorte tu voulais. J'ai du miel de thym des montagnes, et un de fleur de la vallée.

« La sorte n’a pas vraiment d’importance, seule ta préférence compte. Y-en-a-t-il un qui t’es préféré parmi les deux ? »

Cela n’était que de peu d’importance, elle pouvait bien choisir d’ajouter celui qu’elle préférait après tout, le miel n’était présent dans cette recette que pour couvrir l’amertume de celle-ci et la rendre un peu plus buvable et moins désagréable en bouche. Le mâle fit un tour dans la pièce, souleva la coupe recouvrant les bourgeons et s’en saisit d’un, qu’il déposa dans le pilon avant de se tourner vers la louve.

« Nous allons pouvoir commencer. Tu as la plume ? »

Il redressa le museau vers elle. Les deux aigrettes étaient pointées vers elle, interrogative. Il attendit d’obtenir une réponse, il aurait été dommageable de broyer le bourgeon si durement obtenu s’ils n’avaient rassemblé les ingrédients nécessaires à la conception.

« Il suffit de tout rassembler dans le pilon. Le bourgeon, l’œuf magique remplacé par la plume et nos deux sangs. Lorsque tout broyé et mélangé, tu pourras ajouter du miel à ta convenance.»

Simple et rapide, non, alors pourquoi était-il si anxieux. Ne restait plus qu’à la mettre en œuvre.

Lorsqu’il évoqua son retard, en simple fait. La louve sembla se vexer et lui surprenant sa réaction abaissa ses aigrettes plus bas les faisant presque disparaître sous son toupet frisé noir et blanc. Peut-être n’aurait-il pas du l’évoquer, pas comme cela, pas si brutalement. Il retiendra sans doute la leçon, qu’il valait mieux parfois se taire que faire cas des situations passées. Alors il se plongea dans sa recette sans plus souligner la situation.

Je préfère celui de fleurs !

Alors tu pourras ajouter une portion de celui-ci lorsque tous les autres ingrédients seront les uns aux autres. Il se saisit de la plume tendue et vint la déposer dans le récipient.

Voilà ! Tu veux de l'aide ?


Il s’arrêta face à elle, l’avisa du regard pendant une courte pause avant de faire volte-face pour aller récupérer son pilon dans lequel il avait versé l’ensemble des ingrédients à l’exception des sangs. Pilon qu’il posa sur la bureau. Après réflexion, il concéda à lui céder un rôle dans cette conception, lui laissant de l’espace, il s’écarta du bureau en reculant d’un pas.

Il indiqua le pilon du museau, puis vint se saisir de la dague fixée à sa cheville gauche.

« Un peu de nos deux sangs est nécessaire. »

Du fils de sa lame, il trancha dans sa propre chaire jusqu’à faire jaillir le liquide nommé à juste titre liquide de vie. Maintenant sa patte au dessus du bol, il laissa son sang glisser contre ses coussinets jusqu’à ce que quelques gouttes se fondent parmi les autres ingrédients à l’intérieur du bol.

« Ton tour. »

Il lui tend la dague après l’avoir nettoyer avec un chiffon imbibé d’alcool. Son regard resta posé sur elle, dans le cas où elle aurait besoin d’aide. Il n’était plus temps de reculer.

Le mage se fit oublier dans l’angle de la pièce, se posant en simple observateur pendant quelques minutes, il se retint de toute intervention, tout commentaire. Silencieux. Il demeurait inquiet pourtant gardait ses inquiétudes pour lui. Car même s’ils avaient œuvré au mieux, rien ne prouvait qu’ils œuvraient vers le succès. Peut-être l’échec les attendaient au bout du chemin et leurs efforts communs seraient alors vains.

Lorsque la louve se saisit du bol, porta la mixture à ses lèvres avec hésitation, il retint son souffle. Ses yeux inquiets posés sur elle. Est-ce qu’elle doutait de cette décision, craignait-elle son enchaînement à ce quasi nouveau rôle de mère
? Toute fois, il n’irait à l’encontre de cette décision qui lui appartenait, attendant.

La louve finit par boire la mixture.

Le corbeau souffla avant de baisser les yeux sur le bol, soulagement peut-être, libérer d’un poids qui venait de s’envoler. Se releva queue droite et marcha jusqu’à la louve. Il ne restait qu’à ranger tout ce bazar. Sans un mot, il commença à ranger, ce qui pouvait l’être. Ils avaient terminé, et le fait de se dire qu’ils avaient atteint l’aboutissement de quelque chose lui était étrange, si étrange qu’il n’aurait su y mettre des mots. Alors ne sachant quoi dire, il garda le silence. Ne resterait plus qu'à attendre le résultat.