Il y avait contre son dos, un rayon de soleil d’été.
Et sur ses babines, l’ombre d’un sourire.

Il faisait particulièrement chaud, pour une journée d’automne. Il n’en avait jamais connu pareil avant celle-ci, il croit. Un soleil à son zénith, une chaleur comme celle de l’Ailleurs.
Quand les jours précédents étaient marqués par le déclin de sa condition, par la perte progressive de la puissance de ses cuisses et de sa motricité, par l’ombre vacillante devant ses yeux ternis, quand les jours précédents étaient marqués par la pluie, aujourd’hui
Désastre allait bien.
La persistance de l’exposition à l’astre semblait avoir soigné ses articulations figées par l’arthrose, et avait rendu à nouveau souple ses mouvements.

Il était redevenu digne disciple de l’Anaconda.
Et c’est vers l’Anaconda, qu’il se rendait désormais.

C’est une traversée des terres qu’il exécuta ailes déployées, Quetzalcoatl couvrant les plaines sans plus craindre la température. Pour mieux redevenir loup, devant l’arbre si souvent fréquenté, dans cette alternance de forme si souvent exécutés.

Il avait passé autant de temps sous sa forme de serpent à plumes qu’endormi, il croit.
Plus qu’une seconde identité ou qu’une seconde forme, elle avait pleinement fait parti de lui, et c’est tant en loup gris qu’en serpent aux ailes rouges, qu’on le reconnaissait.
…
Jamais Kiro n’aurait pu lui offrir meilleur don.

Et c’est sans doute pour cela, dans la résurgence de sa pleine santé,
Que Désastre voulut lui offrir sa meilleure danse.

Il avait beaucoup dansé, pour Kiro. De son retour de l’Ailleurs jusqu’à maintenant, seule la mauvaise saison, ou sa mauvaise condition, l’avait fait renoncé à ce qui était devenu un créneau important.
…
Désastre devait beaucoup, à Kiro. Et l’âge n’aurait pu lui faire oublier tous ces moments importants.

« Kiro. Je suis venu danser.
…
Et aussi, vous remercier. »

Pour beaucoup. Pour tout.
Devenir disciple de Kiro fut la seconde décision qu’il prit de lui-même, lorsque Pepper souhaitait faire de lui un fils d’Aka. Il devint, en obtenant sa lumière, celui qu’il voulait être.
La première fut de devenir panseur plutôt qu’Epée, disciple de Tawana plutôt que de Kalashnikov.

Sa tête s'incline devant la statue.

La première fois que le divin fut rencontré ne fut cependant pas au cours de son épreuve, mais bien avant. Quand il était un louveteau subissant la peur, et qu’il fit jaillir dans son esprit un éclair pour la dissiper à chaque fois qu’elle lui serait revenue.

Il partit d’un mouvement vif, déployant ses ailes et son corps reptilien, pour prendre cette forme lors de son ascension.
Celle d’un éclair.

Il l’avait fait grandir, Kiro.
Et par lui aussi, il s’émancipa. Il contribua comme ses amis, à l’altération de ses engrenages bien implantés.
A ceux que Pepper voulu infaillible, machine efficace qu’il devint sous ses ordres. C’est comme ça, qu’elle l’éduqua.
…
C’est comme ça, qu’il n’éduqua pas ses propres enfants.

Sa vie était faite de pleins d’expériences opposées, qui firent de lui ce qu’il était. Il apprit de beaucoup d’erreurs, et fit beaucoup de bons choix.
Il sauva des vies importantes. Tout comme il n'oublie, que Kiro aura sauvé l'amie importante devenue sa prêtresse.
Il fut un panseur renommé.
Autant qu'un soldat efficace.

Dans cette longue période au Grand Nord où le dieu n'oublia ses disciples. Dans cette guerre menée contre le Dragon Bleu.
Dans ces évènements qui occupèrent tant sa vie que celle de la meute.

Lorsqu’il menaça de toucher le plafond, il ramena ses ailes à lui et plongea vers le sol, se laissant descendre en arabesques avant, d’un battement, de reprendre un peu de hauteur.
Il fit le tour de l’arbre aux serpents, s'engouffrant par l’ouverture qui le dévoila aux mondes et le fit passer entre les branches où sifflent les serpents.
C’est retrouver pleinement le soleil, avant de revenir au plus près de la lumière divine.
Il tourne autour, en un huit que dessine son corps, sa gueule proche de sa queue. Pour mieux se défaire de cette figure, revenant au sol pour y tracer de nouveaux sillages.

La transformation l’épuise.
Il le sait, Désastre. Il le sait mais poursuit, dans une ultime décision.
Il choisit.
Il veut continuer à danser, pour Kiro. Il n’en aura plus l’occasion, il croit.

Car sa vie est finie.
Plus qu'une fatalité, c'est une simple réalisation.

Il le sent, oui, qu'il va mourir. En ce jour où il fait chaud et où le serpent à plumes peut persister dans ses souples et rapides mouvements, qu’il enchaîne au rythme de la moère qui vit tout autour de lui.
Il n'a pas peur. Ni pour lui. Ni pour ces âmes qui existeront encore, lorsque la sienne s’éteindra. Il pense aux derniers amis, à ceux qu'il reverra bientôt. Il pense à ses enfants, et à ces ainés qu'il va retrouver.
C'est osciller entre deux monde. Être encore vivant, mais s'approcher des morts. De penser à tous.
A Anette, qui lui apporta la vague qui calme.
A Tawana, qui fit de lui le panseur.
A Alexandrine, la meilleur amie. A Narcisse, celui comme un frère. A Anita, l'amie importante et mère de ses enfants. A Holly, comme une sœur.
A Pomme, sa grand-mère ainsi qu'à Dough, plus présent de ses oncles.
A ses enfants, Valériane, Naga, Mylo et Basilic.
A ses apprentis, Ottar et Kestrel.
A Atsuko et aux autres enfants du tournois, à TeHari, à Sakura, à ses derniers élèves, à ceux qui rêvèrent avec lui, à tous ceux qu'il rencontra.
A Pepper. Pepper...
…
Bientôt, ses mouvements se coordonnent au rythme de son coeur. Il décélère, le serpent vacille, ses ailes disparaissent et il ne reste bientôt plus que l'éparpillement de ses plumes sur le sol pour se souvenir de cette forme.
...
Ici s'achève sa danse.

Il est redevenu loup, non plus serpent à plumes.
Mais quelle que soit sa forme
Désastre fut Etelkrus avant tout.
Il fut panseur et disciple de Kiro.
Un ami important, un meilleur ami, un frère, un apprenti puis un mentor, un fils puis un père.
Jadis soldat, aujourd’hui émancipé.

Désastre a bien vécu et il n’a pas de regret, quand il ferme les yeux sur un dernier éclat de jaune et qu’il s’écroule.
Là, à l’entrée du temple du Serpent.
…
Il y avait contre son dos, un rayon de soleil d’été.
Et sur ses babines, l’ombre d’un sourire.

Convaincu d'être né Désastre et de mourir Astre.