Live your life and smile [Aendil]

A la base, Aendil était juste sorti pour se promener.
Il ne se remettait que difficilement du changement de conseil et se sentait las dès lors que l'un des ses camarades venait s'enquérir de son état. Physiquement, si on excluait deux yeux crevés qui lui pourrissaient la vie et l'obligeaient à renoncer à ce qu'il avait de plus cher au monde, il allait bien.
C'était mentalement qu'il commençait à se casser la gueule.

Ses erreurs le rattrapaient petit à petit. Il s'y était attendu, on récolte ce que l'on sème. Ce qu'il avait moins prévu, par contre, c'était de tout se prendre sur le coin de la gueule en si peu de temps. Sa fierté payée au prix d'un œil, l'abandon de son môme payé au prix des larmes et la trahison de sa compagne payée à celui du plus douloureux des amours. Un amour qui finirait par partir loin de lui, le laissant seul, en proie à ses angoisses et dans l'attente d'un retour improbable, il en était certain.
Pour ça, il lui en voulait.
Pour ça, il s'en voulait.
Pour ça, il se sentait trahi.

C'était pour fuir cet amas d'idées noires qui élisaient domicile dans son esprit à mesure du temps qu'il restait enfermé dans le squat, c'est à dire tout le temps puisque sa condition d'aveugle ne lui permettait beaucoup de folies au niveau des activités,
Pourtant, il en faisait, des folies, à son échelle.

Car il fallait être fou pour partir sans prévenir personne. Oh, évidemment, il finirait par revenir au clan. Il n'avait pas le choix. Les proies lui filaient toutes entre les pattes désormais. Tout ce qu'il souhaitait, c'était de pouvoir oublier tous ses problèmes le temps d'une promenade sur la côte. De les jeter à la mer comme on jette une bouteille.
Tout comme il avait envie de se jeter, lui aussi.

Après tout, qui le regretterait ? Il était inutile, ambitieux, têtu et hargneux. Si il avait pu être quelqu'un de bien, par le passé, ce n'était rien que la condescendance d'un loup à qui tout réussissait.
Ou qui se montrait suffisamment habile pour cacher ses erreurs.
Maintenant que presque tout était découvert, il n'aurait plus l'air de rien. Adieu, fierté et crédibilité.

Il prit une grande bouffée d'air salin.
Quelques mètres plus bas, il devinait des rochers tranchants. Si il choisissait d'en finir aujourd'hui, sa mort serait rapide et il n'aurait pas beaucoup à souffrir. Pas de risque de finir les pattes simplement brisé à attendre que son corps décide à lâcher prise, faute de sang pour tout faire fonctionner. C'en serait seulement terminé d'être un aveugle inutile. Fini des regards chargés de pitié et de peine de ses camarades. Fini de la solitude.
Là-haut, il les domineraient tous.

Il aurait sauté sans problème si seulement, outre cet air marin, il n'avait pas senti l'odeur d'un congénère. Or, si il devait mourir aujourd'hui, ce serait à l'abri des regards. Peut-être n'était ce là qu'une excuse pour repousser l'échéance. Peut-être que plus que mourir, il avait simplement envie de goûter au bonheur.
Tout ce qu'il savait vraiment, c'était qu'il n'avait qu'une chose à dire à la mort.
Pas aujourd'hui.

Aendil se racla la gorge.

▬ Qui est-ce ?

▬ Et ? Tu comptes aller lui dire à quel point je suis un enfoiré tout juste bon à te persécuter ?

Aendil était de mauvaise humeur. Ce n'était pas souvent, que cela lui arrivait, et la plupart du temps il se gardait bien de le laisser voir. Enfin, ça, c'était avant. Maintenant, il se foutait bien de plaire au petit peuple de Punk Wolf. Qu'ils le voient comme un connard si il le souhaitait, c'était ce qu'il était. Un putain d'opportuniste qui s'était accroché à sa belle place comme une moule à son rocher. Il emmerdait bien ce monde qui s'était foutu de sa gueule.
Bien que ce loup n'en fasse pas partie. Ce gars là n'était rien d'autre qu'un boulet.

« Woh, tout va bien ? On dirait que tu sors la première fois depuis des semaines et ça pour aller à un enterrement. »

L'inquiétude du loup le surprit. Était-il si pathétique pour qu'un ennemi se soucie de son état ? Probablement, lui même devait bien avouer avoir connu des jours bien meilleurs et s'être montré beaucoup plus souriant. Ces temps heureux lui semblaient si lointain. A cette époque, celle qui l'avait connue les épaules libres des toute culpabilité, il n'était alors qu'un très jeune loup à qui tout souriait.
Puis, il y avait eu les gamins, la dispute, l’œil crevé, la fille qu'il avait offerte à sa compagne, l'étouffement, cet amour impossible.
Et la trahison.
Et les rapaces qui étaient descendus en piqué sur le trône qu'on leur offrait. Qu'elle lui offrait.

Qu'ils crèvent tous.
Tous, sauf ses fils.

▬ Il est vrai que je ne sors plus beaucoup.

Ce n'était pourtant pas faute de le vouloir. Plusieurs fois, il avait rêvé de traverser les terres de Punk Wolf en courant, sans se prendre le premier arbre à la con qui aurait l'idée de se dresser sur son passage sans qu'il puisse le voir. Tout comme il avait rêvé, non sans culpabilité, de pouvoir regarder Suète. Une fois, une toute dernière fois.
Il soupira.

▬ J'aurais peut-être pas du te menacer de mort. Tu le méritais pas.

Mais j'ai eu tellement peur.

Aendil écouta avec plus ou moins d'attention les paroles de l'autre mâle.
Le conseil était sage et il l'aurait probablement appliqué, si seulement il avait encore eu des amis sur cette terre. Son seul véritable allié, celui qui ne l'avait jamais trahi, se trouvait désormais là haut, quelque part dans le ciel, probablement caché derrière les nuages puisqu'il ne pouvait plus le voir. Quelques jours plus tôt, il était encore persuadé d'avoir Suète à ses cotés, encore. Mais ça, c'était avant qu'elle le pousse de son piédestal, le réduisant, par ce geste, au même rang que n'importe quel infirme. A cause d'elle, il était à nouveau inutile et représentait même un poids pour ceux qu'il avait jadis guidé, quand tout allait un peu mieux.

Et ça, il ne pouvait pas le supporter. Quand bien même il adorait Suète. Quand bien même, en cet instant même, il mourrait d'envie de quitter de la retrouver et de lui demander de le pardonner d'être aussi con et imbu de sa personne. D'un autre côté, il se disait que c'était sûrement mieux dans l'état actuel des choses. Qu'en cherchant désespérément le contact de la mère de ses gosses, il ne ferait que l'aimer davantage. Ce qui ne lui ferait pas de bien, à en juger par son état actuel.

Il secoua doucement la tête. Ces simples pensées avaient recréé ,l'étau dont il pensait s'être débarrassé, autour de sa gorge. Les larmes montaient à ses yeux morts. Il n'en voulait plus, de celles la, ne comptant plus le nombre de fois ou elles avaient dégringolées le long de ses joues. Toujours plus ou moins pour les mêmes raisons. Peut-être bien que le loup brun avait raison et qu'il était un peu déprimé.

▬ Les amis, ça va, ça vient...

Il se racla la gorge et cacha son chagrin de façon acceptable selon lui. Aendil n'était pas du jour à étaler ses problèmes, surtout pas à un étranger. De ce fait, cette conversation l'incommodait un peu même si son congénère semblait vraiment vouloir le sauver de la noyade. Au fond, Aendil lui en était reconnaissant.

▬ Mais j'ai deux fils formidables. Dont un qui sait qui je suis. J'imagine que je pourrai toujours aller me promener avec lui. Donc ça va aller.

Et une fille, aussi, mais pour une raison qui lui échappait, il ne l'avait pas mentionnée. Peut-être par ce qu'elle était trop liée à sa mère. Mère dont il sentait les doutes, la colère, la lassitude aussi sûrement. C'était de sa faute aussi, il ne pouvait pas la blâmer pour ça.

▬ Dis moi, puisque mon fils n'est pas avec moi en ce moment, ça te dérangerait de faire un bout de chemin avec moi ? Je vais finir totalement gelé si je ne bouge pas... On pourra toujours causer en marchant si tu veux.