Quand tout recommence ○ libre !

Mâat ferma les yeux, une seconde, avant de se crisper de douleur une nouvelle fois. Puis son abdomen se détendit, et elle pût souffler quelques minutes. Des souvenirs remontèrent par vague dans son esprit épuisé. La première fois, elle s'en souvenait bien, elle avait cru mourir tellement les spames avaient été violents. Heureusement, Cassiopée était resté auprès d'elle pour la soutenir et la rassurer. Et puis Ehter et Schelling avait été les deux seuls louveteaux à sortir de leurs oeufs, sur la dizaine qu'elle avait pu sauver des prédateurs. Les débuts de la vie de famille avait été difficile pour les nouveaux parents. Combien elle regrettait son éloignement vis à vis de ses fils. Combien elle regrettait de les avoir abandonné mentalement bien avant de s'être enfuit. Si elle avait su que leur père ne tiendrait pas la barque comme il se devait, alors sans doute l'histoire aurait été toute différente. Peut-être. Mais cela elle ne l'avait appris que bien trop tard, alors qu'elle avait déjà remis le couvert avec ce traître. Alors qu'elle avait voulu qu'il la rejoigne, et qu'il avait refusé gentiment. Si leur relation avait débuté de manière incongrue, elle avait fini comme beaucoup d'autres. Une bouffée de rage monta à la gorge de la louve-crocodile, qui gronda sa souffrance tant morale que physique. Encore une contraction. Péniblement, l'hybride femelle se releva, haletante, pour rejoindre une plage plus à l'abri des regards, et donc, des risques.

Quelques heures plus tôt, Mâat y avait creusé un trou, à l'orée des bosquets qui surplombaient la berge. Le sable doré était encore collé en paquet dans ses longs cheveux de neige et sous ses coussinets. Les contractions de son bas-ventre s'accentuèrent. Il était temps. La disciple de Kiro ferma une nouvelle fois les yeux, revivant, cette fois, sa seconde pondaison. A l'époque, fragile et malade, il y avait eu très peu d'oeufs, et elle n'était parvenu qu'à en sauver deux. Sur les deux, un seul avait éclot. Mâat avait été enchantée de découvrir la frimousse de Sekmêt. Elle l'avait élevée comme un trésor. Elle l'avait tant aimmé cette gamine-là, en comparaison des deux premiers fils qu'elle avait lâchement laissé derrière elle. Le coeur de Mâat se gonfla de culpabilité, parce qu'lele regrettait beaucoup, mais surtout parce qu'lele avait récidivé. Croyant Sekmêt heureuse et épanouie auprès du Conseiller Brethen, Khal, que Mâat haïssait profondément d'ailleurs pour avoir blessée Sekmêt quelques années plus tôt, l'hybride avait fuit cette meute-ci aussi, pour s'éloigner de tous. Pour vivre en solitaire prêt des plages de sables doux, sous les chauds rayons du soleil. C'était ici qu'elle avait dit au revoir à Cassiopée d'ailleurs. La chagrin remplaça quelques seocndes la haine. Puis la douleur emporta tout, et la louve grogna férocement alors qu'elle mettait bas une vingtaine de petits oeufs fragiles et ronds. Ce fût fastidieux, Mâat soupira lorsqu'elle expulsa le dernier oeuf de son corps.

Assomée d'épuisement, il fallait pourtant qu'elle continue, son travail n'était pas fini. D'abord elle recouvra les oeufs de sable tiède. Dire qu'une nouvelle fois, elle était tombé dans le panneau. Une nouvelle portée, alors qu'elle avait abandonné ses trois enfants... Etait-ce raisonnaible ? De plus, elle se sentait lasse, vide, vieille. Elle ne savait même pas si elle survivrait jusqu'à leur naissance. Enfin... Elle le devait bien. Pour les protéger. Jusqu'au bout. Elle se savait mauvaise mère, et pourtant, elle avait reproduit ce shéma erroné avec un autre. Oui, un autre loup. Mais pas n'importe lequel. Un sourire se dessina sur les babines de la louve qui cherchait des morceaux de bois, de branches, des feuilles, plus protégé son nid. Il y a quelques semaines, au détour d'un chemin, elle avait retrouv Lieutenant. Surprise et joie. Il était le seul vrai ami de la femelle brune, et même plus encore. Il était son premier amour d'adolescente. Celui pour qui elle avait tant soupiré. Et ils se retrouvaient là, tout les deux, vieux et fatigués, déçus par le monde tout autant que ce qu'ils avaient pu décevoir. Mâat avait sourit, avec franchise, avec bonheur. Malgré toute sa rancoeur à l'égard de la gente masculine, elle n'avait pas pu adopter le même comportement avec lui. Peut-être parce que ce qu'elle avait ressenti pour le loup noir et feu à l'oeil glacé avait été puissant et inébranlable. Finalement, elle l'avait toujours aimé. Malgré tout le reste. Il avait suffit qu'elle le voie pour s'en rendre compte.

Quelques heures passées à discuter, à se remémorer, et surtout, à se murer dans un silence complice. Des regards échangées, une étreinte innocente tout d'abord, simplement pour signifier la joie de le revoir. Il n'avait pas refusé le contact. La période printanière, propice aux chaleurs lupines, avait fait le reste. Mais Mâat ne voyait pas vraiment cette troisième portée comme une erreur. Elle la voyait comme étant l'acceptation de Lieutenant pour ce qu'elle ressentait. Peu importait si cela n'était pas réciproque, il l'avait au moins aimé quelques heures, quelques jours, quelques semaines. Mâat se voyait comblée de la présence de l'ancien Bêta Séide. Pas besoin de grand discours, pas besoin de mots. Un regard, un câlin, et elle avait retrouvé un semblant de bonheur pour ses derniers jours. Puis Lieutenant était parti, parce qu'il avait senti le moment. L'hybride savait qu'elle le rejoindrait bientôt. Mais avant, elle allait porter, avec espoir, ces derniers petits êtres, preuves d'un amour de jeunesse pourtant éternelle. La louve tira des débris de végétaux jusqu'à son nid et l'en couvrit. Puis elle rejouta du sable humide, pour colmater les trous. Lorsque cette petite muraille de protection fût achevé, elle se laissa choir au bord de l'océan, un peu plus loin, pour se laver de la sueur et se détendre dans l'eau tiède. Tout en pensant à son passé, et à chacun des mebres de sa famille, elle jetait un oeil suspicieux alentour.

Afin de s'assurer que personne ne viendrait s'en prendre à ses oeufs, malgré le sommeil qui la guettait avec voracité.

Il l'observait depuis un moment, en réalité, quand la femelle se mit à surveiller les alentours.
Sous le vent, silhouette immobile dans les ombres de la végétation qui bordait les plages, il ne savait pas exactement ce qu'il faisait ici. Enfin si. Enfin pas vraiment. Il y avait beaucoup plus qu'une simple raison qui l'avait mené ici. Il était bel et bien parti à sa recherche. Sa soeur Maât. Sans doute celle avec qui il avait eu le plus d'affinité lorsqu'ils étaient enfants. Elle semblait faire partie des seules personnes de ce monde à savoir lire l'affection qu'il lui portait derrière son masque de glace. Il avait longtemps cru qu'elle était la seule. Chose qui avait changé très peu de temps auparavant d'ailleurs. Il s'était prétexté avoir besoin de lui dire, à elle, la dernière membre de sa famille encore sur les terres - encore en vie, certainement -, de lui annoncer cette nouvelle qui était pour beaucoup une bonne nouvelle. Pour lui aussi. Un peu. Mais c'était surtout une sorte d'instinct qui l'avait poussé à partir sur les traces de la louve reptile. Quelque-chose d'inexplicable mais auquel il se refusait à résister. Même s'il ne le comprenait pas complètement. Oh, il avait émis des hypothèses naturellement, peut-être ce pseudo lien entre fratries existait-il vraiment finalement. Peut-être était-ce son pouvoir qui avait compris suffisamment de choses pour qu'il devine qu'il lui fallait aller vers elle - cela ne l'aurait pas surpris d'ailleurs.

Il avait donc cheminé parmi les terres, le glowstick lumineux et les sens aux aguets, pour finalement retrouver sa piste se dirigeant vers les Criques. Le soleil et l'eau, où aurait-il pu la trouver d'autre ? Mais il ne se doutait pas de la scène de laquelle il allait être témoin. Lorsqu'il arriva - fort heureusement - le travail était déjà fait. mais il connaissait sa soeur, et la voir amasser du sable et recombler un trou, la mine fatiguée, ne lui laissa que peu de doutes sur ce qui venait de se passer. Il fut... surpris. Ce qui aurait pu être considéré comme de l'absolue mauvaise foi puisqu'en soi, il venait plus ou moins de provoquer la même chose. Mais une louve de cet âge... Il savait que tous deux avaient beaucoup vécu, et dans des directions très différentes. Beaucoup beaucoup vécu et fait couler d'années. Il savait que beaucoup de femelles ne survivaient pas à une mise bas lorsqu'elles étaient âgées - voir même devenait stériles. Il l'observa en silence, sans oser l'interrompre, jusqu'à ce qu'elle n'aille s'étendre sur le sable et commence sa garde. Il se fit la rapide réflexion qu'il aurait peu-être du se montrer avant, juste pour que sa silhouette ne passe pas par la case "prédateur dangereux" avant qu'elle ne l'identifie.

Son regard se posa sur le sable fraîchement retourné et à peine masqué par le petit monticule végétal. Etait-ce cela qu'il avait pressenti ? Cette naissance - ou presque - de son sang ? Il savait qu'elle avait eu d'autres enfants, et jamais cela ne lui avait donné telle impression. Il déglutit, et son regard vairon se redressa pour se poser sur la femelle. Finalement, il décida de se montrer. A pas mesuré, il sortit des buissons. Ses pas se firent silencieux sur le sable, mais son odeur et le bruissement des branches l'avaient trahi, il n'en doutait pas. Il s'approcha doucement de la louve, sans agressivité aucune. En silence, comme toujours. Avec précaution. Comme s'il redoutait ce que les années avaient pu dresser entre eux, ce que le destin pouvait leur avoir réservé comme haïssable ironie. Son regard bicolore chercha celui de Maât.

Il s'arrêta à quelques pas.
La salua d'un léger mouvement de la tête.

Effectivement, une odeur de loup, mâle, Séide, parvint aux narines de l'hybride avant qu'elle n'entende les fourrées s'écarter. D'instinct, la femelle, même ereintée, montra les crocs avec véhémence, tout en grognant son hostilité au monde entier. Lorsque les prunelles glace et or de la louve-crocodile accrochèrent celles, identiques, de son frère, le monde se figea l'espace de quelques secondes. Mâat eut l'impression que la brise iodée se retira, qu'elle cessa de faire chuchotter les feuilles des cocotiers et des buissons. Elle eut l'impression que même le chant régulier du ressac se taisait. Comme si l'océan, le monde tout entier, se retirait pour leur laisser l'intimité de retrouvailles probablement aussi chaleureuses que silencieuses. Pourtant, la Solitaire resta interdite. Elle ne pouvait se départir de cette méfiance toute naturelle de femelle qui protégeait des vies à venir. Celle d'une mère qui sent la menace. Mais Mâat passa au dessus de tout ça. Parce que malgré les années, malgré les épreuves, les chutes et les ascensions, malgré les souffrances et les déboires avec les autres membres de sa race, il y avait une chose plus forte que tout : l'amour qu'on a pour ceux qui ont partagé nos premières années, pour ceux qui nous ont aidé à nous contruire, pour ceux qui ont été notre motivation à continuer, à se redresser, à a se libérer. Et si il y avait bien longtemps qu'elle ne l'avait pas vu, Anthem demeurait un pillier de sa vie. Un rappel vivant qu'il fût un temps, la vie était heureuse et simple.

Un rappel vivant, qu'il y avait au moins un loup pour qui elle n'avait jamais été autre chose qu'une soeur à aimer et épauler. Anthem arrivait aussi discret qu'un nuage venant l'abriter d'un soleil trop fort. Elle peina à se lever, mais elle força ses muscles à obéir. La disciple de l'Anaconda avança jusqu'au mâle gris, lentement. Elle s'arrêta juste devant lui, observant ces traits qu'elle connaissait par coeur, avisant ces ridules autour de ses yeux identiques aux siens pour enfin ancrer son regard vairon à celui de son frère. Le coin des babines de la Solitaire s'élevèrent pour fendre son museau en deux. Les crocs de gavial qui ornaient sa mâchoire se dévoilèrent en un sourire enchanté. Les iris bleu glacé et mordoré flamboyant de Mâat scintillèrent de nouveau, pour la première fois depuis de longues années. Son visage rayonnant contrasta soudain étrangement avec ce corps voûté et efflanqué, avec ces poils grisonnants et rêches de sueur, cette longue tignasse emmêlée, et ces cernes violines sous ces yeux qui retrouvaient leur gaieté passée. Oui, Mâat avait vieillis. Elle avait fêté son deuxième été. Et cette dernière grosesse, était une erreur autant qu'un bonheur. L'énergie requise pour l'évolution de ces ovules en oeufs, puis la pondaison, et enfin, la protection de ces êtres futurs jusqu'à leur sortie de l'oeuf ne tarderait pas à achever l'hybride. Et cela se voyait sûrement, ce qui expliquait le fait que les prédateurs soient plus hargneux et insistants que lors de ses deux premières portées...

Mâat ouvrit la gueule avant de la refermer. Quoi dire ? " Bonjour ? ", "Tu as l'air en forme ! ", " Quoi de neuf ?", " Tu m'as manqué !" ? Non. Ca n'avait pas de sens. Et puis, Anthem et elle n'avait jamais eu besoin de mots, ou très peu. C'est peutêtre ce qui avait fait la force de leur complicité, autrefois... Puis, sa voix rocailleuse et eraillée franchit la barrière de ses crocs de crocodiles pour énoncer tout ce qu'elle ressentait à la fois, dans une pointe d'humour qui lui aurait été encore familière il y a quelques temps :

« C'est la providence qui t'envoie ? »

La Solitaire au glowstick flaverscent s'assit, enroula sa longue queue touffue au bout autour d'elle, et pencha la tête sur la côté, les yeux emplient de soulagement et de joie. Anthem pouvait être son salut. Peut-être. Après tout, qui lui restait-il encore ? En qui avait-elle assez confiance ? Il n'y avait plus que son frère, et ses enfants, qu'elle avait lâchement abandonné. Quelle mauvaise mère elle faisait. Vraiment. La folie de cette dernière portée l'atteignit enfin. Encore une fois, elle avait fait le mauvais choix, au mauvais moment. N'apprendrait-elle donc jamais ?

Comme il pouvait s'y attendre, la première réaction de la femelle ne fut pas exactement positive. Mais elle changea rapidement de visage en le reconnaissant. Il la laissa s'approcher en la détaillant. Elle semblait avoir accusé le coup de la vieillesse d'avantage que lui - mais c'était sans doute l'effort de la ponte qui lui donnait également cet air fatigué et... presque las. Elle se planta devant lui, et leurs yeux identiques se rencontrèrent en silence. Il avait toujours trouvé ce détail fascinant, petit. ils étaient les deux seuls de leur fratrie à avoir cette caractéristique. Il s'était souvent demandé si leurs parents aussi. Ou s'ils avaient le regard bleu d'Io et Egypt, et qu'eux deux n'étaient que de simples fantaisies de la nature.
Elle lui sourit, et la lumière sembla se faire sur son museau alors que ses babines étiraient ses joues. Et cela réchauffa le coeur du gris bien plus qu'il ne l'aurait cru. Un instant durant, il oublia tout ce temps qui avait passé, toutes ces choses qui leur étaient sans doute arrivées à tous les deux, et retrouva les moments complices qu'ils partageaient et durant lesquelles elle lui accordait ce grand sourire. Elle n'avait pas changé. Même si l'âge avait durci leurs traits et leur corps, et emplit leur regard de souvenirs, tout au fond, elle semblait toujours la même. Il eut un sourire discret en retour - ce qui était, le concernant, l'équivalent de ce grand sourire qu'elle lui adressait - et inclina légèrement la tête.

Oui.
Il était heureux de la revoir. Étonnamment heureux. Il avait oublié qu'il lui restait des accroches dans ce monde plus anciennes que celles qu'il avait tissé ces dernières lunes. Différentes aussi. Fortes. Cette impression se renforça lorsqu'il entendit de nouveau le timbre de sa voix, si particulier, si unique et reconnaissable. Une voix éraillé, plus grave que celle des autres louves, plus vibrante aussi. Et elle vibra jusqu'au fond de lui, ramenant à la surfaces des souvenirs d'un temps qui n'était plus que poussière pour lui.

"Je crains que nous ne soyons pas très bons amis elle et moi." Répondit-il sans se départir de son ombre de sourire, les prunelles plongées dans celle de sa soeur.

Non, la providence avait décidé de ne faire quasiment aucune intervention dans sa vie, ou pour provoquer des ironies qu'il aurait mieux aimé de ne pas vivre. Mais enfin. Il avait passé de longues années à regretter, à s'en vouloir de ce qui s'était passé, sans être capable de se pardonner. Il ne l'était toujours pas, mais il savait qu'il était trop tard désormais pour avoir des regrets. Personne ne ramènerait Etheria. Personne ne reviendrait donner à Romance l'enfance qu'elle aurait du avoir, ni ne l'empêcherait lui de se détacher lentement de ces terres pour aller voir ailleurs et provoquer tout ce qui s'ensuivrait. Cela ne lui servait plus à rien de regretter trop amèrement, et sa rencontre avec Plume Blanche avait apporté un baume à son coeur blessé. Peut-être était-ce elle, la providence.

Cependant, la phrase de sa soeur ne fut pas un mystère pour lui. Elle savait qu'il avait acquis au fil des ans cette capacité à comprendre beaucoup - sans doute trop - et que le sens ne lui échapperait pas. Elle avait besoin d'aide. Il la savait solitaire, âgée, et maintenant future mère. La vie n'était sans doute pas si facile que son grand sourire ne le laissait paraître. Il sonda son regard. La fatigue et la joie s'y mêlaient aux ombres des choses vécues. Etait-ce sa famille à venir qui l'inquiétait ? Le père de ses enfants étaient peut-être une menace ? Ou avait-elle vécu et fait des choses aux lourdes conséquences ? Des dizaines d'hypothèses su succédèrent sous son crâne, triées à la volée, chassées, reprises. Même s'il n'y avait qu'un seul moyen d'être complètement certain. Il prit sur lui et tâcha de calmer cette frénésie de ses pensées. Il avait relativement peu de contrôle dessus, mais il répugnait à l'utiliser de façon trop... intensive sur les loups qui lui étaient proches. Il avait l'impression d'être un imposteur, et les vieilles blessures lui avaient montré que de toute façon, tout cela n'étaient que des suppositions.

"Que se passe-t-il ?"

Elle sentit le poids de son regard comme s'il lisait en elle d'une facilité déconcertante. Elle en fût aussi gênée que soulagée. Il était étrange de sentir ainsi sondée et comprise après tant d'année à se voir écartée ou simplement rejetée. Mâat devait avouer qu'elle s'était éloignée de la masse aussi, devenant plus renfermée et solitaire au fil des ans. Au début, fuir les Séides et suivre Aendil lui avait semblé salutaire. Mais même si elle n'avait pas été jugée directement comme autrefois dans sa meute natale, elle même s'était isolée parce que se sentant trop différente. Elle en avait haït ses géniteurs, son ex-compagnon, Cassiopée, comme si c'était à cause de cela qu'il était aller voir ailleurs, elle en avait haït sa propre existence. Trop de colère enfermée dans ses tripes. Trop de honte aussi, rébarbatrice du temps où elle était jeune louveteau. L'hybride sentit que tout cela s'échappait à travers cet échange de regards identiques, et qu'Anthem comprenait sans pourtant ne rien savoir de l'histoire. Après tout, il était son frère. La culpabilité lui fit monter la chaleur aux joues. Jamais elle n'aurait dû partir et abandonner derrière elle son jumeau et ses fils. Elle n'aurait alors pas fait toutes ces erreurs. Mais elle n'aurait pas non plus retrouver Lieutenant.

Elle n'aurait pas eu le bonheur de le voir accepter ses sentiments et passer ses derniers temps auprès d'elle. Un mal pour un bien, oui ? Peut-être. Elle ne savait plus. La seule conviction qui animait encore l'esprit de la femelle sable et chocolat était qu'il fallait un avenir à ses petits à naître et qu'elle ne pourrait probablement par leur offrir. En tout cas pas seule. Et au fond, qui pouvait mieux l'épauler à éduquer des enfants que le loup qui avait reçu la même éducation qu'elle et qui, logiquement, avait les mêmes valeurs ? Mâat inspira, lâchant Anthem des yeux pour observer l'horizon, tout au bout du monde.

« Mes petits vont avoir besoins de bons parents. »

Parce que même si elle survivait pour les voir grandir un peu, elle ne serait pas une bonne mère. Elle avait raté les deux premières fois, elle ne pouvait pas prétendre réussir cette fois-ci.

« Je ne suis pas sûre de pouvoir tenir ce rôle. »

Parce que je n'ai pas su le faire par le passé. Parce que je suis vieille et épuisée. Parce que je n'aurais peut-être pas la force. Parce que je fuirais peut-être encore pour mourir seule, loin de tous. Pour ne pas être un poids pour eux, ni pour toi. Les orbes ambré et bleu glacé de la femelle se reposèrent sur le grand mâle sombre à l'impressionnante tignasse immaculée. La Solitaire hybride avait conscience de l'énorme service qu'elle demandait au Séide. Prendre en charge toute une tripotée de louveteau n'était pas simple. Elle ne savait même pas s'il avait déjà une famille, s'il était seul ou avait trouvé chausette à sa patte. Elle se mordit la lèvre. Une inspection olfactive lui apprit qu'il côtoyait assez régulièrement une femelle pour avoir une trace de son odeur sur le pelage. Elle n'avait pas fait attention. Quelle soeur faisait-elle ? Mâat était un monstre. Une mère indigne et fuyante. Une soeur égoïste et irresponsable. Quelle compagne avait-elle été alors ? Etait-ce pour cela que Cassiopée ne l'avait jamais rejointe pour se trouver une autre louve ? Que Lieutenant avait préféré mourir seul plutôt que dans ses pattes ? Etait-elle la louve la plus abominable au monde ? Oui, elle devait l'être. Depuis toujours, elle n'avait été qu'un monstre...

« Je ne mérite pas ce rôle. »

Ses prunelles ocre et azur se noyèrent dans celles, jumelles, de son frère. Si lui avait toujours su la comprendre, elle, avait visiblement perdu cette capacité à le cerner. Cela l'attrista et la conforta dans l'idée qu'elle ne méritait même pas de l'avoir pour frère. Elle ne méritait rien d'autre que le désert sentimentale. Malgré tout, elle sourit à nouveau, plus timidement. Ses pensées s'emmêlaient, se chevauchaient, elle perdait la boule. Elle ne supportait plus ce fourmillement cérébral qui l'épuisait plus encore. Parfois, elle se laissait aller à croire que la mort serait un soulagement pour elle, comme pour tous ceux qui aurait pu la connaître. Triste état des lieux. Mâat ne souhaitait plus se relever de cette dernière épreuve. Seulement tenir, pour protéger les petits. Le plus longtemps possible.

Il l'écouta sans mot dire - chose peu surprenant en soi. Il y avait un étrange contraste entre ce qu'il entendait dans ses mots et ce qu'il lisait dans ses yeux, qui semblaient s'accrocher à son regard comme s'il était son dernier recours, la seule chose qui l'empêchait d'aller sombrer plus profondément. Qu'avait-elle vécu pour que tant de ténèbres ne se soient infiltrées au coeur de ses lumineuses prunelles ? Pour qu'elle lui demande à lui, qui n'avait jamais été capable d'être un bon parent, un bon compagnon, ou quoi que ce soit de vraiment bon, de prendre ses enfants sous on aile ? Bien qu'il l'ignorât, il était étrange comme leurs histoires se ressemblaient. Tous deux avaient quitté leur meute, tous deux avaient connu l'amour, tous deux s'étaient retrouvés seuls et n'avaient pas su devenir véritablement un père ou une mère. Et désormais ils se retrouvaient, jumeaux d'un temps ancien au destin si lié, au crépuscule naissant de leur existence, contemplant ce qui s'y était passé avec des yeux plein de regrets. Elle finit par lâcher qu'elle ne méritait pas d'être mère. Il la contempla en silence, cherchant à comprendre ce qu'elle voulait dire. Mais rien ne pourrait percer les mystères de son histoire, si ce n'était elle-même. C'était une des choses qu'il était incapable de deviner. Ils avaient tous les deux vécus trop loin leur existence presque parallèle et ignoraient complètement ce qui s'était jouée dans celle de l'autre.
Et pourtant ils s'étaient retrouvés aux premiers instants presque comme si de rien n'était.

Maât eut un sourire timide, chose qui lui ressemblait assez peu. Anthem inspira profondément, en silence. Son regard quitta un instant celui de sa soeur pour se poser sur le sable retourné et les plantes froissées qui le recouvraient maladroitement. Sous cette couche protectrice dormaient de futurs êtres de son sang, les enfants de Maât. Etaient-ce ses premiers ? Il n'en savait ren. Ils avaient perdu tant de temps et avaient tant de choses à se dire. Réflexion qui l'étonna presque lui-même - la parole était loin d'être son point fort.

"Je ne sais pas... Si je suis à la hauteur." Répondit-il plus bas en reposant les yeux sur elle.

J'ai fait des choses que je regrette. J'ai brisé des existences qui ne l'auraient pas été sans moi. Je me fais peur, parfois. Il lui sembla chercher au coeur du regard vairon de sa soeur quelque-chose qui le convaincrait que cela pouvait être possible. A travers cette sorte de joie nostalgique mêlée au désespoir et à la lassitude, que pouvait-il y avoir qui l'aie menée à lui pour une telle requête. L'image de Plume Blanche lui vint, soudaine, s'imposant à son esprit. Sa silhouette aux courbes douces que le temps arrondissait doucement. Il n'avait pas le choix. Il ne pouvait réparer ce qu'il avait fait, mais il devait apprendre des erreurs terribles qu'il avait commises pour endosser le rôle qui lui était inconnu de père. S'il le faisait pour ses enfants, quelle serait la seule raison valable de refuser pour ceux de sa soeur ? Y avait-il encore dans son coeur suffisamment d'épines pour qu'il se rétracte et n'accepte pas ? Non. Non, il ne pouvait pas refuser.

"Je vais être père aussi." Murmura-t-il, comme s'il se confiait à elle. "Ma première fois n'a pas été des plus réussies. Je tâcherai de faire mieux avec ceux-là..."

Il eut un petit geste du museau vers les oeufs enfouis.

"... et avec eux aussi, si tu le veux."

Il soupira légèrement, puis replongea les yeux dans les siens. Parmi la multitude de questions qui pouvaient se poser à cet instant précis sur le pourquoi du comment, les causes et les conséquences, le passé noueux et les erreurs commises, une seule se présentait à lui à cet instant précis. Une question qui ne soulevait pas le passé, mais qui regardait le futur incertain. Pourquoi lui confiait-elle ceci ? Comptait-elle partir ? Etait-ce la fin de son histoire, déà, si vite venue après leurs retrouvailles ?

"Même s'ils auraient bien plus besoin de toi." Souffla-t-il finalement.

Ce n'était pas un reproche, et il savait - ou espérait - qu'elle le comprendrait encore assez pour entendre qu'il ne la blâmait de rien. Mais eux n'avaient pas connus l'amour de leurs parents. Il n'avait pas donné à Romance ce qu'elle aurait mérité, sa douce fille, elle qui méritait bien plus d'amour qu'il n'aurait jamais pu lui en procurer. Même s'il veillait sur eux, rien ne remplacerait l'amour de leur propre mère. Il ne resterait à jamais dans leurs yeux que quelqu'un de leur sang, mais ne les avait engendrés, portés.
A moins que le secret ne vienne assombrir tout cela et les plonger dans une dangereuse illusion.

Les paroles de son frère firent eurent un éch violent et inattendu dans son coeur. Ainsi Anthem doutait de lui, tout comme elle. Le Séide avait déjà été père, au moins une fois, et semblait visiblement regretter ce qui ressemblait à un échec, à entendre sa voix basse et confessante. Mâat se sentit tellement légère, tellement pleine de gratitude pour ce loup au pelage sombre qui vibrait des mêmes sentiments qu'elle, qui avait vécu un parcours apparemment similaire. Malgré toute cette distance entre eux, ils étaient pareils. Aussi identiques que ces regard si particuliers, brûlant entre la chaleur et la glace. Se rendre compte que l'on est pas seule et sans doute le besoin qu'elle avait cherché à combler, à chaque minute de sa vie. Depuis toujours. Et c'était seulement maintenant, à l'aube de son départ -elle le sentait venir, même si espérait pouvoir élever ses petits malgré tout-, qu'elle comprenait que ce lien qu'elle partageait avec Anthem était plus fort que tout, et que grâce à cela, en fait, elle n'avait jamais été seule. Jamais. Lorsqu'il accepta de prendre en charge ses petits, l'hybride se sentit mieux, apaisée, déchargée du fardeau de se sentir au bout du rouleau. Parce quoi que fût le futur proche pour elle, ses petits seraient entre de bonnes pattes. C'était sa dernière prière aux Dieux, et on lui accordait.

« Merci Anthem... »

Sa voix trahit le soulagement intense de voir l'avenir de ses enfants gagner une chance d'exister. Elle ne saurait jamais remercier assez son frère pour cela. Ce qu'il lui offrait là était le plus magnifique des cadeaux, la plus belle preuve d'amour et de confiance. C'était un peu ironique de comprendre que cela venait de son frère, alors que c'est ce qu'lele recherchait chez un compagnon. Mâat ferma les paupières. Elle entendit le soupir de son frère, compris son cheminement de pensées. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, leurs prunelles s'accrochèrent, s'ancrèrent, et il lui assena une vérité qu'elle ne savait que trop, mais qu'elle tentait de se cacher avec force.

« Je sais, et je donnerais tout ce qu'il me reste pour rester avec eux... »

Les yeux de la louve crocodile quittèrent Anthem, et elle tourna la tête vers son nid.

« C'est juste que... Il ne me reste presque plus rien. »

Plus de relations extérieures, pas de tanière, pas de plan B, pas de facilités à la chasse, et puis, même en oubliant les aspects matériels et pratiques, le plus important était que la Solitaire avait trop peu d'énergie, de patience et de force pour se maintenir en vie et offrir du confort à ses futurs petits. Elle le savait. Et même en sachant cela, elle ferait son possible, évidemment. C'était le rôle d'une mère, non ? Donner sa vie pour ses enfants. Chose qu'elle aurait dû faire déjà pour Ether et Schelling, puis pour Sekmêt. Elle regarda à nouveau son frère. Les épaules de Mâat se voutèrent, elle relâcha la tension. Elle devait arrêter de s'en faire. Anthem venait d'assurer la survie de ses futurs bébés. Elle n'avait besoin de rien de plus.