Un calme ambiant | Roy

La nuit était particulièrement froide. Les précédentes l'avaient été aussi, bien-sûr, mais pas avec autant de férocité et d'ardeur. Maintenant que la jungle était partie, le froid était lui revenu avec la ferme intention de montrer qu'Everbloom ne l'avait en rien ébranlé. L'hiver serait dur, sans aucun doute. Incapable de dormir à l'entrée de sa grotte, proche de l'ouverture où sifflaient des courants d'airs glacés, Roy avait fini par tirer un trait sur l'idée de sommeiller plus longtemps ce jour-là. Sa tanière abritait de nombreux blessés, rescapés de la bataille, et il n'avait pas véritablement eu le choix de la place. Mais il ne regrettait en rien de leur avoir cédé son abri - après tout, il était de son devoir de s'occuper convenablement d'eux. Etant particulièrement sensible au froid, il avait guidé ses pas vers les Plaines Savanes, une sacoche accrochée à son flanc, dans l'espoir d'y trouver quelques dernières plantes qui auraient survécu aux gelées. Il se faisait assez peu d'illusions, car cet endroit était connu pour sa sécheresse. Cependant, avec l'invasion d'Everbloom, toutes les terres avaient eu droit à un petit regain d'humidité. Alors savait-on jamais.

Et il éprouvait le besoin de faire quelque-chose. D'occuper son esprit en occupant son corps, s'il ne pouvait pas sombrer dans le néant de la nuit. Il avait enterré loin au fond de lui la tristesse et la colère qui pesaient sur son coeur. Même l'ennemi mort, il continuait de le rouer de coups. Il avait diagnostiqué que sa soeur Maisie ne vivrait plus que très peu de temps. Son père aussi, qui avait été atteint d'une grave maladie. Il avait l'impression d'être dans une sorte d'entre-deux temporel où rien encore ne se passait, mais où tout menaçait de s'effondrer d'un instant à l'autre. Et il savait avec certitude que tout finirait pas s'effondrer. A cette pensée, une ombre passa dans son regard, et il pressa le pas. Ses espoirs de trouver quoi que ce soit furent balayés aussitôt qu'il posa un pied dans les sèches Plaines Savanes. Les herbes, qui se mêlaient aux restes desséchées des plantes de la jungle, crissaient sous ses coussinets avec un bruit désagréable. Au moins ici il ne faisait pas froid.

Il ne fit pas demi-tour pour autant et continua son avancée, s'enfonçant un peu plus dans la vaste étendue d'herbe jaunie. La lune, pleine, éclairait si fort qu'il avait presque l'impression d'être en plein jour. Seul le halo argenté qui baignait tout aux alentours et illuminait son pelage nacré le détrompaient. Il mit quelques instants avant de remarquer qu'une autre présence se trouvait dans les environs. Il avait avancé en contemplant d'avantage le gris vide de ses pensées que celui qui s'étendait devant ses pattes. Ce fut lorsqu'un rire à la sonorité claire résonna qu'il revint à la réalité. Non loin, une silhouette était couchée à demi-masquée par les hautes herbes. Roy s'immobilisa à quelque distance, plantant son regard glacé sur cette dernière. Impossible de distinguer d'ici s'il s'agissait d'un loup ou du'ne louve, ni de percevoir de quel clan il parvenait.

Le Savant se fit statue, de neige au milieu des hautes herbes, alors que s'étirait le silence.

Sans surprise, ce fut l'autre loup qui vint vers lui, sans doute dès qu'il eut perçut sa présence. Alors qu'il s'approchait, Roy constata quelque-chose de fort curieux. De loin, on aurait pu prendre la silhouette qui approchait pour une louve, par ses formes douces, presque graciles, et son allure dansante. Pourtant, lorsqu'elle arriva à sa portée, son odeur était clairement celle d'un mâle. Et quand bien même son parfum n'était pas musqué à outrance, il lui manquait de toute évidence une saveur que les louves dégageaient en cette période : celle des chaleurs. Un léger regard, très bref mais bien placé, permit à Roy de ne plus avoir de doute sur le genre de son très probablement prochain interlocuteur. C'était donc "il". Même si tout dans son attitude suggérait le contraire. Et pourtant, Roy était loin des stéréotypes masculins et il en fallait beaucoup pour qu'il trouve ainsi un contraste étrange. Lui-même était un loup de petite taille - certainement un peu moins haut que celui qui approchait - et dont les longs cheveux blancs et savamment tressés le long de son cou ne rejetaient pas l'image d'une masculinité à toute épreuve. Cela avait été une forte préoccupation dans sa jeunesse, ce qui l'avait poussé à s'entraîner dur, lui donnant un corps musclé malgré sa fonction de Savant.

Cette observation, aussi futile puisse-t-elle être, eut au moins le mérite de le tirer un peu de cette léthargie émotionnelle dans laquelle il se plongeait volontairement depuis... depuis que cela était devenu nécessaire. Rien ne se reflétait dans son regard bleu glace, aucun sentiment, aucune émotion. Rien qu'un immense vide froid et insondable. Quant à l'autre loup, son regard était tout aussi insondable puisque recouvert d'un épais bandeau. Un aveugle ? Etrangement, alors que tout allait dans cette direction, Roy eut un doute sur cette supposition. Doute qu'il mit de côté lorsque son congénère le salua, tout en entreprenant de tourner autour de lui dans un désagréable écho d'une rencontre qu'il avait faite quelques temps auparavant. Son chemin avait croisé celui d'un lupin dont l'étrange folie l'avait mis profondément mal à l'aise, le rendant encore plus froid que coutume. Et qui avait notamment commencé leur conversation en l'encerclant de plus en plus près tel un prédateur. Fort heureusement, ce loup-ci se contenta de le contourner presque paresseusement avant de revenir se placer dans on champ de vision. Ce n'était pas exactement l'approche qui plaisait le plus au blanc - mais enfin.

"Roy. Savant Séide." Répondit-il sans s'encombrer de fioritures inutiles.

Il détailla l'individu se tenant devant lui en silence. C'était un loup de taille moyenne - plus grand que lui, hélas, comme il l'avait pressenti en le voyant approcher - qui avait un pelage dont les teintes allaient de l'anthracite à la cendre, le tout rehaussé par des mèches bouclées d'une couleur dot il n'était pas certain s'il s'agissait d'un rose sombre ou d'un rouge profond. Il laissa ce doute aux ombres de la nuit. Le seul point commun qu'ils avaient était ce collier au bout duquel pendait une lumière émeraude, qui créait une ambiance presque dérangeante maintenant qu'ils étaient face à face.

"Et vous ?" Continua-t-il finalement.

« Enchanté Roy, mon nom est Machiavel. Pour vous servir... »

Elle n'en voyait pas l'utilité de divulguer son rang et sa meute tout particulièrement.
Sa patte avant-droite se fléchie élégamment, tandis que sa tête s'était baissée légèrement, la louve aux cheveux rouges avait fait une révérence des plus gracieuses. Sa voix, grave et naturellement sensuelle, semblait prendre les dessus sur celle du mâle devant elle, qui parlait de manière directe, froide mais presque muette. Il agissait comme un robot. Il ne semblait posséder une âme en lui. Son corps était comme une marionnette indépendante. Mais cela allait-il duré ? En tout cas, ce loup se disait être savant, il n'allait donc être facilement manipulable en vu de ses connaissances. Machiavel haussa des épaules, toujours le sourire entre les babines.

« Que faites-vous par ici ? »

Dit-elle, l'air toujours aussi moqueuse. Machiavel était souvent perçue comme un être agaçant par son sourire semblant insolent, mais aussi par sa personnalité étrange et malsaine. Machiavel n'était pas très bien vue. Mais elle n'était connue que de peu de personnes. Donc peut importe. 
Dans ce cas-ci, le nombre était bien mieux que la qualité. Cela n'avait que peu d'importance si un, deux ou trois loups la détestent du plus profond de leur cœur. Tant qu'ils restaient trois, ce n'est pas quelque chose de bien préoccupant. 

Machiavel analysait le loup face à elle. Limite était-elle plus virile que lui. Ses cheveux et sa taille n'arrangeaient pas son cas, mais sa musculature calmait un peu le tout. Après, si c'était volontaire, pourquoi juger ? 
Il pouvait très bien avoir des mâles efféminés, comme Machiavel par exemple, qui est un parfait androgyne. Cela ne le dérangeait point du tout. Même que parfois, certains étaient bien jolis à regarder. Bien plus que les grands mâles musclés et intimidants.

Son interlocuteur eut une sorte de révérence face à lui, un geste dont il n'avait pas l'habitude. Et encore moins lui étant adressé, lui qui n'occupait pas un rang élevé dans la hiérarchie - pas plus que la grande majorité des loups en tout cas. Certes, il avait été contraint de prendre les choses en main durant Everbloom lorsque Tatsu, Reno, Paprika et Leemoncello avaient été pour l'un malade et pour les autres partis combattre le coeur de la plante. Mais il ne considérait pas que quiconque lui doive quelque-chose pour cela. Il avait fait son devoir, et c'était tout. Le cauchemar que tous avaient vécu avait complètement effacé ces petits instants de gloire. Ils s'en étaient sortis, pas indemnes, mais la meute avait survécu. Désormais, le pire était passé.
La présentation orale de son interlocuteur avait le côté ampoulé de son geste. Il se dénommait donc Machiavel.

Il lui demanda ensuite ce qu'il fabriquait dans les environs. Sa voix était comme son allure - plus ambiguë encore, il était impossible de trancher nettement en faveur d'un genre ou l'autre - et s'il n'y avait pas eu son odeur, il aurait été bien difficile à Roy de déterminer qu'il s'agissait bien d'un et non d'une. Il y avait dans sa voix une sorte de moquerie à peine cachée, mais dont le blanc avait bien du mal à saisir l'origine. Il n'y eut pourtant aucune trace de la brève perplexité qui surgit dans son esprit. Rien ne changea dans son expression, et son regard demeurait accroché à la silhouette de Machiavel, à l'endroit où il supposait que se trouvaient ses yeux, derrière le bandeau qui les camouflait. Ce loup le voyait-il ? Etrangement, quelque-chose le dérangeait dans cette hypothèse. Peut-être le fait qu'il soit si certain dans ses mouvements, dans la direction de son museau. Ou bien il s'était si bien fait à la cécité que cela ne lui posait plus aucun soucis de la cacher. Si c'était le cas, c'en était presque impressionnant.

Que faisait-il ici au juste ? Lui-même n'en savait rien.
La sacoche qui pendait le long de son flanc offrait une explication presque évidente pour quiconque le croiserait - encore d'avantage pour les Séides, peut-être était-ce moins trivial pour un loup d'une autre meute et qui n'avait pas les même us.

"Dernière cueillette avant que le froid n'ait tout recouvert." Répondit-il en désignant sa besace d'un geste du museau. "Et vous ?"

Car vous, vous n'avez pas de sacoche.
Il y eut un bruit dans les hautes herbes, un peu plus loin à sa droite, qui fit frémir son oreille. Mais ses prunelles restèrent fichées dans l'ombre qui recouvrait celles, invisibles, de Machiavel.