→ Stèle des Endormis

Ici se sont endormis...

Safran
Chulhei
Bree

Le goût du sel dans sa bouche.
Ce fut la première sensation qui revint à la louve de neige, alors qu'un brouillard épais noyait ses pensées. Un goût un peu âcre et qui lui donnait envie d'aller engloutir à grandes lampées une pleine rivière. Ensuite vint le bruit, le rugissement régulier et lointain - ou assourdi ? - des vagues le long des rochers. Leur roulis lourd qui faisait grincer la structure de bois de la Carcasse qui se trouvait non loin, dont elle sentait l'odeur de vieux bois mêlée à celle des algues. Et puis...

Brusquement, Bree ouvrit les yeux. Aussitôt, ses paupières se plissèrent sous l'injonction de sa rétine aveuglée par le grand jour qui régnait là-dehors. Elle cilla plusieurs fois, et le monde devint petit à petit quelque-chose de regardable, qui n'agressait plus ses yeux clairs avec cette lumière infernale. Elle parcourut les alentours du regard, reconnut sans peine l'endroit où elle se trouvait, ce qui confirma son intuition. Et son cerveau ralentit mit un temps phénoménale à se demander enfin comment elle avait atterri ici. Elle se sentait plutôt mal, presque nauséeuse. Son sens du toucher lui rappelait graduellement combien était froid le temps, là où elle se trouvait, exposée à tous les vents. Et son dernier souvenir... Hm. Intuile de le détailler ici, mais il impliquait assez fortement ce cher loup brun aux cheveux noirs dénommé Chulhei. Chulhei ! Elle redressa la tête d'un brusque mouvement, et le monde se mit à tanguer devant elle. Au même instant, un frisson violent la secoua et l'engagea à bouger d'une quelque manière, sans quoi elle risquait fort de ne plus pouvoir le faire.

Avec précaution, elle se redressa sur ses quatre pattes et attendit un instant pour être certaine de pouvoir marcher sans dégringoler aussitôt sur les pics rocheux en contrebas. Elle se sentait faible, très faible, et cela n'était pas vraiment pour lui plaire. Cependant à l'heure actuelle, elle était surtout préoccupée par le fait que le Raeder se trouvait dans ce qui lui semblait être son dernier souvenir, et qu'elle était actuellement seule. Alors qu'elle balayait de nouveau les alentours du regard et que son coeur pulsait pour faire circuler à nouveau avec énergie le sang dans son organisme, un flash lui parvint. Une voix douce, qu'elle ne connaissait pas, lui souffla deux mots au creux de l'oreille.
Aime. Ajani.
Elle resta immobile, parfaitement consciente qu'il n'y avait personne autour, personne du moins qui ne pouvait lui avoir parlé avec une telle présence, elle guetta quelque-chose. D'autres mots que ces deux termes mystérieux, dont un qu'elle ne comprenait pas. Ajani. Elle en appréciait la sonorité, sans en saisir le moindre sens toutefois. Elle finit par secouer la tête doucement et se mettre en marche.

Il ne lui fallut que quelques instants pour tomber sur deux silhouettes familières. La première était celle de Safran, la fille de Chulhei. Elle ne la connaissait que de manière lointaine car il était loin d'être un secret sur Morne-Oeil que cette pirate détestait les continentaux, d'où qu'ils viennent. Un loup qui donnait allégeance à la terre était un ennemi des Raeders, point final. Peu désireuse de provoquer des tensions inutiles, Bree n'avait jamais tenté de l'approcher plus franchement. Et puis elle devait bien s'avouer à demi-mot que la relation qu'elle entretenait avec Chulhei, dans laquelle ils jouaient les jeunes loups que personne ne doit voir, avait quelque-chose de... plutôt exaltant. Ils rompaient son quotidien où elle était si sérieuse, si appliquée dans chacune de ses tâches, si solitaire aussi. Il y avait peu de loups avec lesquels Bree aimait vraiment passer du temps, vers lesquels elle pouvait aller spontanément. Et ce grand loup à la patte boiteuse en constituait une bien large proportion.

Ce fut donc avec un demi-soulagement qu'elle vit non loin de Safran sa silhouette ô combien familière. Elle s'approcha à petites foulées des deux Raeders et se pencha sur eux, le coeur battant. Mais comme elle quelques instants plus tôt, ils semblaient simplement être plongés dans un profond sommeil. Leur museau était détendu, leur poitrail se soulevait doucement et régulièrement. Dans sa prudence habituelle, la jeune louve contourna doucement Safran pour aller effleurer du museau la joue du brun, à travers ses mèches de cheveux. Son odeur lui donna un frisson, qui n'avait cette fois-ci rien à voir avec le froid. Des images de ce dernier souvenir, si précieux, dansèrent par flash devant ses yeux.

"Chulhei ?" Murmura-t-elle.

Il était entre le sommeil et le réveil, à ce moment où les rêves se font plus concrets mais plus absurde, à ce moment où on continuait à garder les yeux fermés comme si on voulait continuer à dormir alors qu'on savait très bien qu'on se réveillait. Dans son rêve se mélangeait le son lointain des vagues et l'odeur de la mer, il sentait sa gueule pâteuse et ses écailles le démangeait comme si elles n'avaient pas été en contact de l'eau depuis trop longtemps et pourtant, dans une envie de flemmarder, il ne voulait pas se réveiller. De toute façon, il n'avait pas d'obligations n'est-ce pas ? Alors pourquoi ne pas profiter des dernières minutes avant la  nouvelle journée ? Mais quelque chose vint lui chatouiller la joue, ce qui lui tira un sourire malgré ses yeux fermés tandis qu'il pivotait sur le dos dans un étirement. Il reconnaissait cette odeur, celle légère de cette louve qui n'était pas d'ici, celle salée de cette ange qui se voulait sirène pour le monstre qui lui plaisait. Chulhei étira devant lui ses pattes avant, toujours les yeux fermés dans un réveil difficile, avant d'attraper l'encolure de la louve pour la tirer vers lui, profitant du poids de sa personne affalée sur le sol, un sourire malicieux et satisfait sur le visage. Et finalement, il entrouvrit les yeux, le monde était flou et lumineux, il lui fallu quelques secondes pour s'accoutumer.
Contre lui, la fourrure blanche de celle qu'il venait d'enlever dans son réveil mais au delà de la fourrure immaculée, plus loin de quelques mètres, se découpant dans le paysage du littoral au loin, la forme brune de sa fille, ses yeux rubis donnant l'impression d'un éclat de sang. Cet air menaçant et sauvage, elle aurait tellement pu ressembler à sa mère si le mâle brun n'en gardait pas le souvenir de la louve souillée par l'accouchement et l'eau de mer à laquelle il avait enlevé l'enfant qu'elle lui devait. Un froncement de museau accompagné par l'éclat blanc des babines l'interpella, tendu par un soudain stress, il ne fit pas attention qu'il enfonçait les longues griffes de sa pattes déformée dans la peau de la louve blanche. Et pourtant, la pirate se retourna dans un soufflement de nez méprisant. 

« Tu ferais mieux de lui dire de dégager rapidement, avant que l'île ne s'en occupe d'une quelconque manière »

Par son biais, celui de quelqu'un d'autre ou par celui de la malédiction. L'océan pouvait même décider de l'engloutir s'il le voulait mais maintenant qu'elle avait mis un visage précis sur le fantôme blanc qui errait sur ses plages, elle n'allait plus la laisser courir aussi librement sur son île. Si elle ne lui avait pas sauté dessus, c' était simplement par respect pour son père mais au-delà de tout l'amour qu'elle portait à son géniteur, la volonté de protéger ce qui lui appartenait ainsi que ça haine de ce qui se trouvait au delà de la mer.
Elle laissa le duo seul, disparaissant entre les rochers escarpés qui avaient depuis longtemps crevés la coques de l'immense navire où elle avait grandi.