In the end | Libre

In the end

It starts with one

Le Grand Sommeil tombait sur la terre, étirait lentement les fils du temps, étouffait les vies et les histoires dans un manteau de nuit et de silence. Les pas du loup de neige se posaient avec lenteur sur le sol meuble du Cimetière. L’un après l’autre. Un battement de coeur encore, et son esprit serait envahi par une torpeur enchanteresse, un sommeil profond dont rien ne pourrait l’éveiller avant qu’il en soit décidé. Un battement de coeur encore, et tous les vivants de ce monde sombreraient soudain dans les bras d’une morphée qui n’existait que dans les contes d’autres univers. Un battement de coeur encore, et tout ceci cesserait d’appartenir aux Vivants pour voir revenir les esprits de temps en anciens, afin qu’ils accomplissent une quête périlleuse et éthérée.
Un battement de coeur encore, qui serait le dernier.

All I know

En cet instant de temps figé, les échos de la conversation que le loup blanc venait de quitter résonnaient encore dans son esprit. L’image de son jeune frère Volstein, désormais meneur des Nakhus, flottait devant ses yeux de glace à l’éclat fatigué. Roy avait vécu longtemps, avait vécu beaucoup. La lumière grandissante du glowstick attaché au collier de son cou en était la preuve criante pour qui savait la lire. Ce collier offert par son père, en un temps qui lui paraissait si ancien que c’était presque comme s’il n’avait jamais existé. Il posa une patte sur le sol, ses muscles se préparant à un prochain, pour le diriger loin de cette île où dormaient des fantômes. Autour de lui, il n’y avait que des tombes. Il y en avait beaucoup dans son coeur aussi. Il y en avait eu bien trop tôt sans doute.

It's so unreal

Le temps s’arrêta avec douceur. Roy, comme chacun d’entre les loups, n’en prit pas conscience. Il ne prit pas conscience de son corps qui soudain ne répondait plus, de son esprit qui était envahi d’une brume épaisse. Du sol qui venait à la rencontre de sa joue - ou était-ce l’inverse. Du flot de ses longs cheveux qui dessinait autour de lui et dans l’air une auréole ondulante, avant de s’échouer sur le sol. Ses paupières se refermèrent sur son regard froid, alors que derrière lui les silhouettes de ses congénères étaient prises du même mal. Dans le ciel qui devenait d’encre montait une lune immense, et sa lumière inondait les corps qui s’effondraient tous de concert. Sans un bruit, sans un mot, sans réaliser ce qui leur arrivait.

Watch you go

Roy tomba au sol sur le flanc, les babines entrouvertes. Le souffle qui s’en échappait était aussi ténu qu’était forte la lumière de son glowstick émeraude, qui pulsait sur son poitrail avec une ardeur féroce. Autour de lui, toutes les minuscules plantes, les mousses, les brins d’herbes qui avaient réussi à se frayer un chemin dans la terre presque stérile où reposait tout un chacun, flétrirent doucement. Mais le coeur fatigué du guérisseur blanc était une chose bien difficile à soigner. Bien des coups y avaient été mis, bien des battements effrénés l’avaient secoués, bien des angoisses qu’il gardait tues l’avaient enserré plus qu’il ne fallait.

I tried so hard
And got so far
But in the end
It doesn't even matter

Beaucoup auraient trouvé Roy bien chanceux. Car Roy n’avait pas conscience que son dernier instant était proche, tout proche. Il avait déjà bien eu l’occasion de songer à la mort, mais jamais il n’avait connu l’angoisse de cet instant fatidique. La peur de s’en aller sans avoir accompli ce pour quoi on était venu au monde. La peur de partir, de disparaître à jamais dans les esprits. Mais peut-être n’aurait-il jamais eu peur, alors, si cela seul était la cause de toutes les craintes. Car Roy était fatigué, fatigué d’avoir tant fait de choses pour que cela ne mène à rien. Il avait été un fils incapable de soigner sa mère, un frère incapable de protéger sa soeur, un alpha incapable d’être apprécié, un mentor incapable de le demeurer, un père incapable d’être présent, un compagnon incapable de sauver sa belle. Il avait été guérisseur, et s’il avait été conscient il aurait espéré qu’on le retienne ainsi. Il avait toujours brillé dans ce domaine, et avait réalisé bien trop tard qu’il aurait dû s’y restreindre, ne jamais tenter de jouer les chevaliers, les amants ou les meneurs. Il n’était simplement pas fait pour ça.

I had to fall
To lose it all
But in the end
It doesn't even matter

Son coeur se serra une dernière fois, de concert avec la lumière qui brillait devant lui et jetait des éclats tout autour. Les noms sur les pierres autour de lui lui étaient inconnus, mais peu importait désormais. Plus rien n’importait désormais.
Ce qui avait été fait était désormais gravé dans la pierre, aussi futile que ce fût.

In the end
It doesn't even matter

Le silence tomba alors que l’immense astre lunaire se levait à l’horizon. La lumière du monde s’éteignit. Celle de Roy brilla un moment encore, douce.
Il n’y avait plus rien à guérir maintenant.
Il n’y en aurait plus jamais.

Après le réveil, de longs instants pour enfin reprendre pleinement conscience s'étaient passés.

Mais enfin, après que les minutes ne se soient étirées et que la confusion jouant avec la notion de temps et d'espace se soit dissipée, il avait pu reposer correctement ses yeux sur le monde qui l'entourait. N'ayant compris (n'ayant vraiment cherché à comprendre) ce qui s'était passé, il s'était relevé tout simplement. Tout ce qu'il sut, après que les autres silhouettes assoupies se soient volatilisée, fut qu'une resta. Aussi blanche que la neige qui pouvait rester dans l'endroit, décembre étendant encore ses longs bras remplis de glace. Aussi silencieuse que le paysage du cimetière, qui n'exprimait jamais de grands tumultes dans cette vie, qui piaillait souvent d’événements rebondissants et de nœuds de vie embourbés de paroles et de cris. Ici, aussi silencieuse que le lieu, la dernière silhouette avait demeurée, ne se décidant à quitter ce qui était aux yeux de 'Clou, son lieu de travail.

Ne sachant qu'en réalité, elle avait simplement quitté ce monde.
Ici, au cimetière, c'était un autre type de spectacle qui se jouait, au lieu de la comédie burlesque ou tragique de la vie et ses grands toboggans émotionnels. Un autre type de drame, plus sombre même si plus calme. Un tableau que 'Clou voyait souvent se dépeindre quand il allait recueillir ceux qui étaient passés de vie à trépas, plus rarement directement dans le lieu où la personne prendrait sa dernière demeure.

Et dans la neige, ce loup au pelage immaculé ne se fondait que trop bien.
La sensation d'isolement serra le cœur du croque-mort, pas pour lui, mais bien pour cette personne qui avait périt sans doutes sans un mot. Sans présence d'autrui. Mourir seul était bien bien haut dans la liste des choses tristes de la vie. S'il avait su, s'il avait pu, il aurait été là lui-même. Juste pour un mot, juste pour une patte dans laquelle mettre la sienne, ou une présence rassurante dans cet instant qui pouvait revêtir plusieurs masques. Effrayante, apaisante, fatigante, rapide, ou agonisante. Le loup clouté secoua doucement la tête. Il ferait comme toujours, le travail d'aller retrouver la famille restant du loup, s'il en restait seulement une. Cela faisait partie de la tâche. Il s'en était fait un principe, même. Pour que finalement, même si le dernier instant s'était passé sans être entouré, que personne ne finisse oublié.

Autant que faire se peut.

Tout près de ce corps, désormais aussi froid que la neige autour d'eux, 'Clou se pencha. Il observa. 'Clou chercha l'élément le plus significatif, et nota que son collier serait celui qui sans doutes, serait le plus reconnaissable pour la famille. Il souleva doucement le corps pour pouvoir ôter l'accessoire depuis son cou et religieusement le plia, l'entoura autour d'une de ses grosses pattes pour pouvoir le transporter à la recherche des proches. Puis il prit le corps entier, sur son dos le plaça, et l'emmena avec un respect tout particulier, qu'il n'accordait pas même à certains vivants, vers un emplacement qu'il avait déjà creusé quelques semaines plus tôt.

De là, il le déposa dans un linceul, pour le protéger des ravages de la nature, le temps d'aller quêter ceux qui partageaient son sang. Il posa une sorte de bâche ensuite pour protéger des intempéries, une fois le tissu aussi clair que la personne résidant à l'intérieur fut attentivement recouverte. Il observa ensuite la silhouette, et dans le silence et la brume épaisse du cimetière, souffla un volute de vapeur.

"Que les dieux t’accueillent et t'accordent la paix éternelle." souffla t-il.

Une dernière prière, qu'il récitait à tous les morts, mais surtout à ceux qu'il n'avait trouvé que trop seuls.