Cold was the ground | Alexandrine

Sujet: Cold was the ground | Alexandrine Jeu 26 Mar 2020, 15:45

Solitude leva le nez.
Ça empestait la meute, dans le coin.

Déjà plusieurs heures que le solitaire tentait de gravir ce mont, avec la maladresse caractéristique de ceux qui n'ont pas l'habitude de l'altitude. Cela faisait quelques jours qu'il la voyait, au loin, cette cordillère : par chez lui, les reliefs aussi importants étaient rares, pour ne pas dire inexistants ; le concept de montagne était tout nouveau pour lui, et il avait filé en ligne droite vers les Monts. Le Solitaire était comme un enfant face à un nouveau jouet : il se voyait déjà courir le long de la pente abrupte pour la dévaler à toute vitesse de l'autre côté.

Quelle n'avait pas été sa surprise quand il s'était aperçu que, contrairement à ce qu'il pensait, la montagne ne jaillissait pas de la plaine comme si cette dernière était percée d'une aiguille, mais que le relief s'escarpait graduellement, passant de plaines en buttes, de buttes en collines, de collines en monts et de monts en véritables montagnes. Quelle n'avait pas été sa surprise également quand il avait constaté que cette chaîne de montagne était beaucoup, mais alors beaucoup plus grandes que ce à quoi il s'était préparé : alors qu'il pensait rencontrer de petites collines, il se retrouvait face à des monticules gigantesques, qu'il ne pouvait évidemment pas gravir en courant très vite et redescendre sur l'autre versant façon toboggan.

Le mâle clair se retrouvait donc là, à serpenter entre les rochers, les creux, les failles dans la roche et les sapins, apprenant sur le tas les rudiments de l'escalade, découvrant malgré lui l'impossibilité d'avancer en ligne droite en montagne. Il découvrait qu'il devait ménager son souffle, regarder où il mettait les pieds, que comme chez lui la neige, de plus en plus présente à mesure qu'il avançait, camouflait les nombreuses congères et de dangereux précipices. C'était un véritable entraînement, même pour le guerrier chevronné qu'il était.

Mais là, maintenant, tout de suite, ce qui le préoccupait, c'est que ça puait la meute.

Plus il s'avançait le long de la crête, plus l'odeur gagnait en intensité. Pour son odorat de fin limier, l'odeur en devenait presque obsédante tant elle était présente. Visiblement, de nombreux loups du même clan faisaient des allers-retours dans le coin : le solitaire ne devait pas être très loin de leur tanière, ou trou, ou grotte, ou peu importe comment les autochtones appelaient leur squat. L'animal ralentit sa cadence ; il ne savait que trop bien ce qu'il arrivait chez lui quand une meute en rencontrait une ; autre et, bien que les gens d'ici ne soient pas particulièrement hostiles, Solitude préférait rester sur ses gardes.

Un petit bruit, sous un sapin, attira son attention.
Prudemment, le mâle s'approcha, distinguant une petite forme claire sous un sapin.
Comme un petit animal.
Ou un bébé loup.

Sujet: Re: Cold was the ground | Alexandrine Ven 27 Mar 2020, 04:06

Elle jouait.

Elle était toute seule, mais elle était VRAIMENT pas loin du Castel. Elle était tellement pas loin, qu'elle voyait tout le monde, et que si elle criait N'IMPORTE QUI pouvait l'entendre. Alors bon, elle avait le droit quand même ! Elle avait plus de QUATRE MOIS maintenant, si elle ne pouvait pas sortir de sa grotte, que pouvait-elle bien faire ! Et puis elle avait des AILES, elle pourrait toujours s'envoler si besoin !

Ah ben non, elle ne savait pas les utiliser encore.

Mmh.

MAIS TANT PIS. C'était bien trop amusant, bien trop génial que d'aller chasser des petites chenilles dans les gros troncs tombés de travers, fouiner dans les champignons pour débusquer des araignées, attraper des bourdons et des abeilles dans les fleurs, collectionner les perces-neige dans les coins encore gelés. Et puis ils l'avaient VU jouer devant - c'est pas parce qu'elle était partie UN PEU sur le côté que ça allait changer grand chose.

Alors Alexandrine joua. Joua. Et joua encore, assez longtemps pour en avoir PLEIN LES PATTES et être MEGA FATIGUEE et aller s'étaler sous un énooorme sapin pour faire une petite sieste. Fiouh. Qu'est-ce que ça faisait du bien, qu'est-ce que c'était agréable de dormir sur ce lit d'épines, piquer un somme.

Qu'est-ce que c'est désagréable, de se faire réveiller par une truffe qui fouine dans son cou.

Alexandrine la repoussa d'un coup de patte :

Maman pas tout de suite-

Et se retourna, les yeux gourds de sommeil.

Pour voir ce qui, de toute évidence, n'était pas sa mère. Ni son autre mère. Bien que la carrure puisse correspondre à l'une de ces deux là, il n'y avait que ça de commun.

Petit instant de flottement musique s'il vous plait.

AAAAAAAAAAH-

Alexandrine donna un grand coup de patte dans la terre pour la jeter dans les yeux du SI GRAND LOUP qui la regardait, et sauta comme un lapin dans une fissure dans le bois, à quelques mètres. Planquée dans l'arbre creux, trop loin pour qu'une patte ne vienne la déloger, elle attendit un instant, avant de crier :

TU ES UN SOLITAIRE ? TU VAS ME MANGER ?

Et, après un long instant, beaucoup plus bas, un simple murmure :

T'es pas du bon côté. La frontière. T'es pas du bon côté. Pssst. Tu dois partir. Mes mamans elles vont te manger.

Sujet: Re: Cold was the ground | Alexandrine Ven 27 Mar 2020, 14:03

C'était bel et bien un louveteau.
Minuscule et clair, roulé en boule et complètement endormi, arborant l'expression de béatitude complète propre aux petits exilés au pays des songes. Fait étrange, c'est que la crevette arborait deux espèces de pans de peau nue, deux excroissances de cuir qui lui partaient de derrière les épaules, et qui ressemblaient étrangement à des ailes de chauve-souris. Interloqué - clairement, il n'avait pas fini d'être étonné par ces contrées étranges -, Solitude approcha sa grosse truffe de l'animal, doutant brusquement de son caractère canin et même, réel. Peut-être que l'altitude lui filait des hallucinations, peut-être qu'il ventilait mal ?

— Maman pas tout de suite-

Solitude eut un mouvement de recul, alors que l'étrange créature, définitivement bien réelle, clignait des paupières, encore vaseuse. Évidemment, tout à sa curiosité, le mâle clair n'avait pas vraiment pris garde à ne pas faire de bruit, ou à ne pas trop s'approcher : ses manœuvres d'investigation, d'une subtilité légendaire, avaient mené au réveil de la petite bête, qui tentait visiblement de comprendre où elle était, ce qu'il se passait, si on était déjà le matin, encore un peu, hein, dit ?

Puis elle posa ses yeux sur Solitude, qui, en contre-plongée, ne devait guère apparaître sous son meilleur profil. Un mouvement de panique gagna la loupiotte, qui poussa un cri. Un minuscule coup de patte fit voler de la poussière, que Solitude évita par réflexe en levant la la tête, et disparu comme un écureuil dans un tronc d'arbre.
Ah.
Oups.

— TU ES UN SOLITAIRE ? TU VAS ME MANGER ?

Solitude fronça les sourcils ce qui, vouons-le, ne lui donnait pas l'air très intelligent.
Il ne se serait pas défini clairement comme solitaire, non. Il avait grandi dans une meute soudée, puissante, et ne faisait l'expérience de la solitude - haha - que depuis qu'il était arrivé ici. Après, il n'avait pas spécialement côtoyé les meutes, peut-être était-ce à cela qu'elle faisait référence ? A cela s'ajoutait le fait que, elle aussi, empestait la meute, la même que celle dont il reniflait l'odeur depuis quelques temps, et dont il suspectait être sur le territoire de chasse. Ce qui semblait assez logique, si l'on estimait qu'un petit perdu ne devait en tous cas pas être trop loin de sa famille...

Concernant la seconde question, c'était une éventualité. Parce que chez lui, on savait qu'une portée à venir, si elle était nombreuse, pourrait constituer un véritable festin pour la meute. On ne les mangerait pas tous, évidemment, puisqu'il fallait penser à la survie du clan. Mais en période de disette, surtout sur les territoires où la nourriture était aussi rare qu'au Pays du Froid, on ne faisait pas les fines bouches ni les difficiles. Il en allait de même avec les ennemis vaincus et tués au combat : de la viande restait de la viande. Clairement, le mâle clair passait certainement pour un barbare rustre au vu des standards des gens d'ici.

Mais là, il n'avait pas faim.
Et, son raisonnement avait beau ne pas être d'une finesse à toute épreuve, il doutait que manger le rejeton d'un clan dont l'odeur était partout ici soit une bonne idée.

— T'es pas du bon côté. La frontière. T'es pas du bon côté. Pssst. Tu dois partir. Mes mamans elles vont te manger.

La voix paraissait faible, de ce côté du tronc creux, comme chuchotée. Comment ça, pas du bon côté ? Le concept de frontière était plutôt abstrait pour le solitaire mais il saisissait bien l'idée de territoire. Mais clairement, il n'avait pas envie de faire demi-tour, en tous cas pas avant d'avoir pu gravir au moins un de ces sommets, parce qu'il détestait commencer quelque chose et ne pas le finir. Et puis, ce n'était pas parce que cette meute était cannibale qu'elle lui faisait peur, pour les raisons susnommées. Par contre, il ne comprenait pas bien pourquoi les daronnes en question voudraient l'attaquer lui plutôt qu'un sanglier, alors qu'il était visiblement plus fort et drastiquement plus dangereux ; mais après tout, n'était-il pas en train de parler à un loup avec des ailes ? Il n'était plus à ça près.

— Je vais pas te manger. Pourquoi elles me mangeraient, tes mamans ?

Il marqua une pause et s'assit, désireux de montrer sa non-agressivité à la petite. Si elle pouvait lui donner deux-trois infos sur comment ça marchait dans ce monde, il était clairement preneur.

— J'ai pas très envie de partir. Tu sais par où il faut aller pour arriver en haut de la montagne ?

Sujet: Re: Cold was the ground | Alexandrine Dim 29 Mar 2020, 20:05

Il n'allait pas la manger.

Elle espérait bien, mais ses mamans elles avaient dit qu'il fallait faire attention aux solitaires. Enfin surtout Mamanette. Et tous les loups disaient que c'étaient des pourritures qui ne méritaient que les geôles ou de crever la gueule ouverte d'un pieu. Elle n'avait pas encore trop bien compris pourquoi, mais ça avait sûrement une part de vérité. Ils volaient les bébés - comme elle - pour en faire on ne savait quoi.

Pourtant la petite Rowena n'avait pas l'air d'aller mal. Mint non plus. En plus Mint il avait toujours des idées trop cool !

Alexandrine s'égarait un peu, mais lorsque la voix du solitaire retentit de nouveau elle recula encore dans son tronc, le poil hérissé. Il était vraiment très grand, ce solitaire. Et en plus, vu ce qu'il disait, il était vraiment très très bête. Il allait falloir tout lui expliquer !

T'es SUPER BÊTE toi dis donc !

Alexandrine approcha son oeil de la fissure pour pouvoir l'observer. Il était encore assez loin mais... Il pouvait défoncer le tronc d'arbre pour l'attraper, non ? Elle était sûre que Mamanette pouvait. MaSheina, elle, aurait pu glisser ses pattes à l'intérieur. Elles étaient formidables, ses mamans.

Tu peux aller dans les montagnes, mais faut pas que tu passes chez nous. Sinon, toute la meute elle va te DEFONCER TON GROS CUL PLEIN DE VERS.

Elle s'agitait, le tronc vibrait alors qu'elle s'émoustillait. Elle adorait les scènes de combat. Peut-être que si elle criait très fort, un adulte viendrait et commencerait à se battre avec le solitaire. Et elle pourrait voir ça ! Ca serait génial !

Mais ça voulait dire que le solitaire mourrait peut-être. Et que quelqu'un qu'elle aimait bien pourrait être blessé. C'était dommage, d'en arriver là juste parce qu'on discute avec quelqu'un de bête. Elle reprit ses explications en parlant lentement et détachant les mots, comme ses mamans le faisaient quand ils étaient plus petits :

Il faut que tu restes DERRIERE les odeurs. Ici c'est chez NOUS et pas chez TOI. Tu dois rester PAS ICI. Sinon TOUS LES LOUPS DE LA MEUTE et ils sont au moins MILLE ils vont venir et HOP. T'es mort. Même si t'es grand et gros et fort. Parce que nous on est SUPER grand, SUPER gros et SUPER forts.

Voilà voilà.

Sheina

Les enfants n’en faisaient qu’à leur tête.

Sheina était initialement partie chercher des plantes au Castel, à ramener au marais aux lianes en échange de quelques proies, permettant ainsi aux enfants de profiter un peu de la vie du camp Etelkrus. Si Narcisse était restée bien sage dans un coin à observer les guerriers s’entraîner, Alex n’avait pas eu la même sagesse, profitant de cela pour s’échapper. La prêtresse de Kiro lâcha un soupir, son odorat cherchant à repérer la trace de la petite à défaut de pouvoir la voir en plein jour. La piste se dirigeait vers les monts célestes. La demoiselle ne manquerait pas d’être punie pour avoir pris de tels risques, surtout qu’il lui était encore impossible de s’envoler pour prendre la fuite.

Tout cela procurait des migraines à l’hybride qui passa une patte sur ses tempes. L’effet du jour la rendait particulièrement fatiguée et pas forcément des plus patiente. L’odeur d’Alex se mélangeait à une autre… plus sauvage… un solitaire. La queue pointue de Sheina remua alors que ses oreilles pointues étaient tirées vers l’arrière. Son inquiétude fut vite calmée en sentant toutefois l’odeur de sa fille mélangée à celle de la sève. Remuant ses ailes qui avaient tendance à s’engourdir rapidement de par le manque d’activité, la louve mauve s’adressa directement à l’étranger, adoptant un ton neutre, parce que tout cela l’indifférait.

« — Vous n’avez rien à faire ici, solitaire, quand bien même vos intentions ne seraient mauvaises. »

Parce qu’ici, un solitaire avait plus de chance de pourrir dans les geôles que de pouvoir repartir en pleine forme. Cela avait été le cas de Siam. Ne souhaitant faire resurgir ces souvenirs, l’hybride leva la truffe en direction de l’arbre dans lequel était caché sa fille.

« — Descends Alex. »

Un ordre simple, qui trahissait toutefois son impatience. Au moins était-elle sauve et mis à part crier n’avait rien fait de plus. Sans regarder le solitaire, Sheina lui parla.

« — Vous devriez partir avant que d’autres Etelkrus n’arrivent, je ne peux garantir qu’ils vous traiteront avec autant de tolérance que moi. »

— T'es SUPER BÊTE toi dis donc ! Tu peux aller dans les montagnes, mais faut pas que tu passes chez nous. Sinon, toute la meute elle va te DEFONCER TON GROS CUL PLEIN DE VERS. Il faut que tu restes DERRIERE les odeurs. Ici c'est chez NOUS et pas chez TOI. Tu dois rester PAS ICI. Sinon TOUS LES LOUPS DE LA MEUTE et ils sont au moins MILLE ils vont venir et HOP. T'es mort. Même si t'es grand et gros et fort. Parce que nous on est SUPER grand, SUPER gros et SUPER forts.

... WAT

...

Solitude ouvrit la gueule, comme pour répondre, puis la referma. La voix de la petite avait résonné dans le trou de l'arbre, agrémenté de cliquetis de griffes, indiquant la sévère difficulté qu'avait la gamine à tenir en place. physiquement, comme si les mots de la gamine se répercutaient contre les paros de sa gueule et à l'intérieur de sa cage thoracique. Il les entendait en boucle, sans vraiment les comprendre, comme dans le déni total de ce qu'il venait de se passer.
Personne.
Mais vraiment personne.
Ne lui avait jamais parlé comme ça.

Chez lui, les petits, on les élevait dans la crainte de l'adulte. Un gamin réfractaire pouvait même être privé de repas - ce qui comptait sérieusement quand la nourriture était trop rare pour que l'on puisse manger tous les jours - avec le risque que cela comprenait de finir mort de fatigue dans la neige, incapable d'avancer d'avantage, alors que la meute poursuivait sa route sans jeter un regard en arrière. Et là, cette petite crotte de souris qui l'insultait dans le plus grand des calmes, se sentant visiblement protégée par cette étroite paroi de bois, comme s'il ne pouvait pas éclater ce bout de bois d'un coup de patte. L'écart culturel entre lui et les gens d'ici ne lui expliquait absolument pas l'impunité totale qu'avait la loupiotte à lui parler aussi mal. Parce que ce n'était pas la perspective de se battre avec des chauves-souris véner quand il aurait broyé la gamine entre deux doigts qui lui faisait peur.

Mais le mâle n'eut pas vraiment le temps de décider s'il était en colère ou juste surpris, et encore moins de décider si ça valait vraiment le coup de faire quoi que ce soit à l'encontre de la gamine qu'apparut, entre les arbres, une autre chimère, bien plus grande que celle qui se cachait dans le tronc. La robe bleue - attends, quoi- les cheveux dans les mêmes tons, et comme la petite, deux immenses ailes de cuir qui ornaient son dos. Il n'en fallut guère plus à Solitude pour en déduire que c'était la daronne. Ou la tante.
Attends, et si tous les loups du coin étaient des croisements foireux entre des chauves-souris et des lupins ??!?!!?

— Vous n’avez rien à faire ici, solitaire, quand bien même vos intentions ne seraient mauvaises. Vous devriez partir avant que d’autres Etelkrus n’arrivent, je ne peux garantir qu’ils vous traiteront avec autant de tolérance que moi.

Bon au moins, il avait appris deux choses : les loups-chauves-souris s'appelaient les Etelkrus et n'étaient visiblement pas enclins à accueillir chez eux les loups qui n'étaient pas comme eux. Mais après, la nouvelle venue était tout à fait calme, et rien dans sa posture n'indiquait qu'elle ne lui soit hostile, d'aucune façon. Clairement, le solitaire ne se sentait pas menacé, et avait après ce qu'il venait de se passer tout sauf envie de s'en aller en s'excusant pour la gêne occasionnée, merci d'avoir prévenu. Clairement, la loupiotte lui avait mal parlé et même s'il n'avait pas encore décidé s'il allait ou non en faire son quatre-heures - métaphoriquement, évidemment, Solitude avait certifié à "Alex" qu'il n'allait pas la manger et il n'avait qu'une parole - il n'était pas prêt à céder le terrain à la mère après un affront pareil.

Il avait une fierté, tout de même.

— Je vais pas partir d'ici. Elle m'a insulté, la petite.

Alexandrine n'était pas très à l'aise dans son tronc d'arbre. En vérité, elle aurait largement préféré sortir de là, mais elle avait encore bien trop peur de ce que le grand loup clair pourrait lui faire. Vu qu'il était bête, il pourrait même la confondre avec un lapin ou un écureuil si elle attendait trop longtemps dans son arbre, non ? Comment allait-elle bien pouvoir s'en sortir ? En plus, il était pas bien épais, l'arbre. Elle n'y avait pas trop pensé mais... MamAnette elle pouvait facilement lui bousiller la gueule, à ce petit tronc. Et si le solitaire était assez fort pour l'en déloger comme ça ?

C'est alors que la voix de sa mère rententit.

MAMAN !

Ce fut un flot de paroles qui commença à s'écouler de sa gueule sans interruption :

MAMAN MAMAN le solitaire iL EST BÊTe il dit qu'il veut aller dans LES MONTAGNES mais il a traversé la FRONTIERE je lui ai dit de partir chercher les montagnes de L'AUTRE COTE sinon vous alliez luI DEMONTER LE CUL mais il VEUT PAS et-

Et j'ai peur je veux pas sortir. Mais avant que ces mots ne franchissent ses babines, sa fierté de louvette prit le dessus et lui cloua le bec. Elle fit la moue. Ouais, elle avait CARREMENT PEUR du grand solitaire, elle n'était encore qu'une Petite, et savait pertinemment qu'elle ne pouvait pas s'y frotter. Mais non, elle ne pouvait tout de même pas l'AVOUER qu'elle avait PEUR, ELLE enfant de la plus GRANDE MEUTE. Pas devant MaSheina. Pas devant quiconque. Et sûrement pas devant le solitaire.

Elle gigotait beaucoup, dans son arbre, mais n'avait pas trop peur pour l'instant. MaSheina était là. Elle aurait vraiment préféré que ce soit MamAnette qui vienne, cette fois, parce qu'elle aurait fait PEUR au solitaire, c'était sûr et certain. MaSheina, elle, elle faisait pas peur.

Et pourtant, c'est d'elle dont elle craignait toujours les punitions et les remontrances.

Sheina

L’Etelkrus s’apprêtait à réfuter les accusations à l’égard de sa fille, qu’elle n’imaginait lancer des insultes, mais elle dût refermer sa gueule entrouverte lorsqu’ales prit la parole. Roh bon sang ! Cette enfant n’arrangeait rien à sa situation, de même qu’à celle de Boîte à Clou. Il n’y avait que lui pour injurier de la sorte. Sheina passa une patte sur son front, de nouveau assaillie par une migraine — elles se multipliaient avec les enfants —.

« — Alex ça suffit. Ne parles pas mal des autres, encore moins lorsqu’ils sont devants toi et lorsque tu ignores ce dont ils sont capables. »

Sous-estimer son adversaire pouvait être fatal.

« — Maintenant descends de là, sinon c’est moi qui viens te chercher. »

Et la gamine n’était sans savoir que de jour, la vue lui était ôtée et que ses griffes étaient particulièrement longues. La disciple de Kiro se tourna vers la solitaire, les sourcils froncés.

« — Ma fille a raison, vous devriez partir. Les Etelkrus ne sont pas chaleureux à l’égard des loups de votre espèce, solitaire. »

Sheina le serait encore moins si il comptait s’en prendre à sa fille.

— MAMAN MAMAN le solitaire iL EST BÊTe il dit qu'il veut aller dans LES MONTAGNES mais il a traversé la FRONTIERE je lui ai dit de partir chercher les montagnes de L'AUTRE COTE sinon vous alliez luI DEMONTER LE CUL mais il VEUT PAS et...

C'était une vraie pipelette, la gamine.
Les mots s'écoulaient de sa gueule en flot continu, ininterrompu, cachant avec peine la frousse qu'elle semblait ressentir et résonnait étrangement dans ce tronc d'arbre de l'impunité qui lui servait de barrière au monde. Visiblement, l'intervention de la daronne n'avait pas eu pour effet de la calmer, bien au contraire. Cette dernière semblait blasée, à moins que les chimères de cette meute ne soient pas en capacité de ressentir d'émotions. Ou alors elle avait complètement jeté l'éponge face à tant d'énergie. Lui non plus, d'ailleurs, ne semblait pas, malgré le fait qu'elle ne soit visiblement pas sereine, être capable de la faire taire, et en tous cas freiner le torrent d'injures qui ricochait de sa gueule. Ce qu'il ne s'expliquait pas, d'ailleurs : d'habitude, sa stature et ses sourcils suffisaient à faire taire ses semblables, sans parler des petits.

— Alex ça suffit. Ne parles pas mal des autres, encore moins lorsqu’ils sont devants toi et lorsque tu ignores ce dont ils sont capables. Maintenant descends de là, sinon c’est moi qui viens te chercher.

Là c'était certain, la chimère était soûlée. Elle passa sur son front une patte désabusée, témoignant de la fatigue que lui évoquait sa gamine.

— Ma fille a raison, vous devriez partir. Les Etelkrus ne sont pas chaleureux à l’égard des loups de votre espèce, solitaire.

Là, ça commençait vraiment à le soûler.
Clairement, jusqu'ici, Solitude avait été sympa. Il avait refréné ses ardeurs à corriger l'insolente, il avait renoncer à attaquer de front la daronne, il avait même fait des phrases pour expliquer sa situation. Avec des verbes et des COD. En plus, il n'avait pas l'impression de demander la lune : une verte remise à sa place de la petite, voir même la possibilité de le faire lui-même à sa façon, et il serait tranquillement reparti de son côté, contournant le territoire pour effectuer son ascension des monts célestes pépouze dans son coin. Mais là, on s'en sortait avec une insistance à le faire dégager et même pas un mot plus haut que l'autre pour la gamine : clairement, c'était trop. Pour un loup du Nord, Sol était ouvert d'esprit mais il avait quand même une fierté et un honneur, que la famille chauve-souris considérait comme un paillasson depuis un poil trop longtemps.

Le solitaire fit donc la chose la plus évidente à faire ans cette situation : d'un coup de patte qui témoignaient d'une force et d'une violence phénoménale, il fit voler en éclat le tronc d'arbre dans lequel la petite se cachait depuis le début de leur échange, dévoilant sa silhouette recroquevillée dans les débris de sa cachette. Clairement, il n'allait pas la réduire en charpie, bien que l'envie ne lui en manquait guère : la grande bleue avait suffisamment insisté sur le fait qu'il était chez des gens véner' qui n'hésiteraient pas à lui déboîte la tronche. Mais elle devait être assez grande pour capter que son petits corps de souris était bien plus fragile que le bois dans lequel elle le cachait, et que si elle était en vie, c'était encore parce qu'il était globalement un type sympa. Il lui lança un regard mauvais, le plus effrayant dont il était capable, avant de rebrousser chemin.

A toute vitesse.
La scène n'avait pas duré plus de dix secondes.

Spoiler:

Mais MaSheina insiste, elle ne sent pas la peur qu'Alexandrine essaye de camoufler, elle n'entend que ses cris et ses insultes. La louvette se terre un peu plus dans son arbre sans rien répondre. Elle ne peut pas refuser l'ordre direct adressé par sa mère, mais elle ne veut vraiment pas retourner voir le solitaire.

Ce dernier choisit pour elle, lorsqu'il défonce le reste d'arbre dans lequel elle se terre d'un coup de patte monstrueusement puissant. Les yeux d'Alexandrine s'ouvrent comme des soucoupes et elle se cache de ses ailes pour ne pas recevoir des éclats dans les yeux.

AAAAAAH- PUTAIIIIIIIIIIIIIIN-

Elle espère aussi, très, très fort, que le solitaire ne viendra pas la cueillir, se faisant plus petite. Beaucoup plus petite. Souris, dans son arbre. Mais non, elle sent la masse d'air déplacée par le gros solitaire alors qu'il prend la fuite en courant.

Ni une, ni deux, ses instincts galvanisés par la fuite du grand mâle blanc, Alexandrine arrête net son hurlement pour voir le loup s'enfuir comme un lapin.

Elle bondit hors des restes de son tronc et fait quelques bonds en sa direction.

C'EST CA CASSE TOI SALE PETITE SOUS MERDE T'FACON T'ES NUL TU SAIS PAS PARLER ET TU SENS PAS LES FRONTIERES-

Elle tremblait. Elle tremblait de tout ses membres, son poil ras hérissé sur son corps et ses ailes vibrant doucement autour d'elle. Des larmes de rage, de peur et d'impuissance perlaient au coin de ses yeux. Tant d'émotions pour un si petit être...

Sheina

Le solitaire prit la fuite, après s’en être pris à l’arbre d’où provenait l’odeur d’Alex. Sheina laissa échapper un grognement mécontent. Les sourcils de l’hybride se froncent alors que son regard se dirigent vers sa fille qui sautille un peu partout.

« — Où diable as-tu donc appris à jurer de la sorte, mademoiselle ? »

Décidément, les enfants n’apprenaient-ils jamais de leur erreur ? Ne voyait-elle pas qu’un solitaire pourrait très facilement s’en prendre à une louve de son âge sans difficulté ?

« — Tu ne devrais pas être aussi impolie avec les solitaires Alex. Certains sont dangereux et même si celui-ci semblait plutôt pacifique, tu l’as bien énervé. Il risque de revenir. »

Sheina soupira, ses babines se tordirent un bref instant en une expression de douleur. Ces foutues migraines !

« — Il me faudra avertir le Heaume. En attendant promets-moi de ne pas chercher les embrouilles si tu ne peux t’en sortir ? »

C’était plus pour sa protection que celle des autres.

Ses enfants comptaient avant tout.

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