All lights off - Libre.

Elle avait longuement hésité avant d'y retourner.

Bien-sûr, elle ne risquait plus d'être transportée à l'extérieur du dôme, maintenant que celui-ci n'était plus. Restait la possibilité que la pierre soit capable de la transporter sur d'autres lieux et sans la moindre précision -pouvant la balancer au milieu d'un océan ou peut-être au sommet d'une montagne.
Tout comme il était également possible que lorsqu'elle la récupérerait, celle-ci ne soit plus devenue qu'un banal caillou dénué de toute magie.

Et il n'y avait qu'une seule façon d'en être sure : la retrouver.
S'aventurer dans les bois n'avait pas été chose aisée. Outre leur effrayante réputation de base qui l'avait déjà conduite en ce jour fatidique à se perdre au milieu des troncs épais et serrés, il avait fallu composer à la fois avec un souvenir effacé et trouble datant de plus d'une année et avec la nouvelle apparence de cette forêt autrefois prolifique et dense - désormais rien de plus qu'un cimetière d'os et d'écorce.
Cela lui avait pris la matinée, de s'enfoncer au plus profond des bois tout en prenant garde à suffisamment marquer son chemin, tentant de se raccrocher aux maigres repères de son enfance, rebroussant parfois chemin et manquant de hurler de frustration.

Puis elle l'avait vue.

Au même endroit que la première fois, la pierre bleutée reluisait faiblement dans un buisson asséché, éveillant en son cœur des battements au rythme plus soutenu. Il y avait cette excitation satisfaite d'avoir retrouvé l'artefact magique responsable de sa disparition mais l'angoisse de le toucher de nouveau allait de paire. Peut-être aurait-elle du faire le choix de la laisser là, cette pierre ; de l'oublier comme ces bois savaient si bien le faire - il était encore temps de faire demi-tour.
Pourtant, elle voulait savoir. Savoir si le pouvoir était toujours présent et concentré au cœur du minéral. Savoir si peut-être elle pourrait en faire un atout, apprendre à la maîtriser. Et si la pierre décidait de nouveau en un éclair éblouissant de la transporter à l'autre bout du continent... Il n'y aurait cette fois aucune barrière magique qui l'empêcherait de rentrer chez elle.

Du bout de la truffe après une dernière inspiration un peu étranglée, elle avait frôlé la surface lisse de la roche.
Et rien ne s'était passé.

Une pointe de déception la piqua -tout cela pour ça ?, mais elle ne pouvait désormais, après tous ses efforts, simplement laisser ici le caillou. Elle avait donc entrepris de le ficeler autour d'une de ses pattes - et peut-être parviendrait-elle à en percer des secrets.
Puis son regard en rasant le sol craquant de végétaux morts avait été retenu par un reflet teinté de rose et d'une pointe violacée, provenant de sous les restes amoncelés d'un arbuste et d'un squelette.
Deux petites potions, l'une luisant à la couleur de Moiro et l'autre d'un violet plus sombre, semblaient attendre sagement le retour de la louve en ces lieux depuis on ne savait quand.

Un mince sourire étonné étira ses babines, et sans autre forme de procès, elle s'était emparée des deux objets magiques avant de rebrousser chemin à bon train.

• • •

Il y avait peut-être bien un endroit sur ces terres, à défaut d'un loup de sa connaissance, qui pourrait enfin répondre aux nombreuses questions qui s'étaient formées dans sa tête.

Tant d'artefacts magiques rassemblés au même endroit - n'était-ce pas assez étrange et extraordinaire ?
Etait-elle la seule à avoir un jour trouvé la piste vers ce drôle antre d'abondance mystérieuse ?
Et surtout, que faire de ces trois objets désormais en sa possession, l'un d'eux ayant déjà déchargé un jour sa magie sur elle contre son gré mais en contenant peut-être encore, les deux autres renfermant des secrets qu'elle devrait volontairement goûter en en retirant le bouchon - mais à quel prix ?

Outre son séjour involontaire et bien plus long que prévu chez ses cousins les Etelkrus, la jeune louve n'avait jamais eu l'occasion de sortir des terres de sa famille et de son clan, désormais réduit à des cendres dispersées aux quatre vents et s'accrochant encore aux vestiges de ce que tout le monde appelait désormais les terres désolées.
Elle n'avait encore jamais pu croiser d'étranger ou de curieux venu voir l'étendue des dégâts à son tour mais elle imaginait sans peine leur regard chargé de pitié à leur égard, peut-être même agrémenté d'un peu d'un peu de condescendance, de mépris et d'affliction pour les anciens membres de ce clan dont les rumeurs avaient désormais pu se répandre à bon train.
Ces Lazulis qui n'avaient pas été capables de s'entendre, ces Lazulis qui avaient énervé les Dieux, ces Lazulis bons à rien qui n'étaient plus que poussière, ces Lazulis qui par leur bêtise avaient laissé tout un pan du continent mourir.
Ses mâchoires se serrèrent et Mildred accéléra le pas pour traverser les terres menant au Nord, se glissant dans les ombres et les brumes en espérant ne croiser personne sur sa route.

La Bibliothèque était immense - c'était le premier constat qui l'avait frappée, comme il avait du frapper tant d'autres.
Le son de ses griffes sur le vieux bois résonnant en échos autour d'elle la nimbait d'une ambiance cérémonieuse et quelque peu lugubre, le chemin entre les épais rayons de livres éclairé de rideaux de lumière dorée tombant en cascade par les hautes fenêtres et dévoilant la poussière qui virevoltait avec légèreté dans tout le bâtiment.
Mildred n'avait jamais été la plus assidue à l'apprentissage de la lecture mais elle savait néanmoins se débrouiller - au moins avait-elle les bases.

Mais il lui faudrait désormais trouver sa voie entre ces rangées fournies qui semblaient s'agglutiner à l'infini et l'immensité de la tâche qui s'annonçait lui arracha un soupir.

La première étape pour faciliter ses recherches allait être de trouver le coin de la bibliothèque qui se rapprocherait le plus possible du thème de ses interrogations, en espérant évidemment que celle-ci était entretenue par une certaine logique de sections.
Hésitante, Mildred avança à petits pas à travers les hautes étagères, laissant ses yeux divaguer sur les couvertures parfois effacées et dégradées, s'accrochant davantage aux images et aux gravures quand elle en distinguait qu'aux minuscules lettres qui prendraient un temps fou à déchiffrer.

Spoiler:

Ses espoirs semblèrent se confirmer après quelques minutes à déambuler avec précaution sur les planches grinçantes, le nez levé vers les ouvrages qui paraissaient effectivement groupés par thèmes.
Ils venaient en de nombreux styles et couleurs ; certains semblant terriblement anciens et d'autres presque neufs - y avait-il quelqu'un qui s'occupait de refournir les rayons et d'écrire de nouveaux livres ?
Si oui, cet individu devait être d'une grande connaissance.

Elle se savait en territoire Nakhus, aussi était-elle possible qu'elle croise la route de l'un d'entre eux - elle n'aurait pas grand chose à en craindre au vu de leur réputation, et elle pouvait même au contraire s'attendre à une forme d'aide si cela arrivait.
Pour autant, elle préférait autant que possible se débrouiller seule dans sa recherche - d'abord car elle était loin d'être une incapable, ensuite car elle préférait éviter une discussion inutile autour d'elle ou de de son clan, puis parce que cela lui épargnerait de devoir expliquer le contenu de sa noire besace qui contenait les petites potions à un inconnu.
Se dressant sur ses pattes arrières, Mildred colla son nez au plus près des dos de livres et des couvertures, déchiffrant leurs titres et leurs reliures. Plusieurs firent naître l'espoir en elle - entourée de mots et de dessins représentant la magie, les mystères, les artefacts et les pouvoirs ; cette zone de la bibliothèque semblait porter toutes ses attentes.

D'une patte agile elle s'appliqua à déloger au hasard quelques livres - elle aurait bien plus de facilité à en inspecter le contenu au sol qu'accrochée à une étagère.

Spoiler:

Les pages s'ouvrirent en dégageant une petite tempête de poussière.
Elle avait désormais à ses pattes cinq ou six ouvrages qui lui semblaient tout à fait prometteurs. Les pages étaient décorées de dessins divers, certains simplement tracés à l'encre noire, d'autres bien plus aboutis en différentes couleurs voire même en dorures ; les mots s'enchaînaient et les légendes truffaient les recoins de chaque image. De son regard qui passait rapidement d'un texte à l'autre elle attrapait parfois quelques mots, mais la tâche serait décidément ardue... Chaque livre à ses pattes portait une thématique proche de sa recherche mais ils étaient tous épais de quelques dizaines, voire centaines de pages pour les plus imposants d'entre eux - il lui faudrait rester ici pendant tellement de temps si elle voulait tous les lire et être sûre de ne pas passer à côté d'une information ! Du temps qu'elle ne possédait pas.

Elle passa une patte sur une illustration d'un livre de potions avec un soupir pensif, feuilletant de l'autre quelques uns des autres ouvrages, espérant que quelque chose lui sauterait aux yeux.
D'un geste du museau elle découvrit également les pans du tissu qui recouvraient les deux tissus, laissant la lueur colorée doucement émise par ses petites potions baigner la scène d'une nouvelle ambiance.

Et puis il s'agissait de magie, après tout. Parfois celle-ci répondait à sa propre logique et savait d'elle-même nouer des liens avec ce qui la concernait...
Les yeux attentivement posés sur tous les ouvrages tour à tour et continuant à feuilleter doucement d'innombrables pages, Mildred attendit, espérant secrètement qu'il se passe quelque chose.

Elle ne sut réellement combien de temps elle passa à faire défiler images et textes, caractères effacés et pages jaunies.
La lumière qui se diffusait par les hautes fenêtres et s’imprégnait à la lourde atmosphère poussiéreuse diminuait peu à peu en intensité et couleur, trahissant la tombée de la nuit. Mildred réalisa avec un soupçon de déception qu’elle n’avait pas pensé à se munir d’une quelconque lumière pour l’aider à continuer ses recherches dans l’obscurité, les derniers rayons qui traverseraient la pièce signeraient donc la fin de ses tentatives pour aujourd’hui - ce n’était peut-être pas si mal, car elle sentait déjà faiblir les paupières lourdes sur ses yeux tant sollicités.
C’est là qu’elle le vit, révélé sur la page qu’elle avait distraitement tourné dans ce livre qu’elle s’apprêtait à clore.
Son regard clair s’illumina soudainement et la découverte renvoya une décharge d’énergie et d’intérêt dans tout son corps, qui se redressa et se rapprocha de l’ouvrage ancien. Elle fit plusieurs fois l’aller-retour entre l’image et la potion qui reluisait près d’elle ; pas de doute. Elle avait trouvé la fiole rose.
L’excitation fit lentement battre sa queue et elle s’accrocha avidement aux quelques mots encore discernables ; avant de serrer les crocs avec une frustration amplifiée par le temps passé à fouiller les livres pour finalement obtenir une page abimée dont les indications étaient soient illisibles, soient raturées, soit rédigées de quelques mots incompréhensible d’une langue ancienne. Elle enregistra néanmoins le mot qui était le plus fort de tous. Gain. Jusqu’au coucher de quelque chose, peut-être le soleil. Elle n’en tirerait rien d’autre.
La jeune louve se releva avec difficulté après tant de temps passé sur un sol si peu confortable et rassembla les livres en une pile, s’apprêtant à les remettre en place - quand un feuillet en glissa et tomba sur le parquet avec un sifflement délicat.

Curieuse, Mildred approcha son museau des images.
Et reconnut sans mal la pierre bleutée qu’elle avait ficelé contre sa patte.
Un petit sourire releva le coin de ses lèvres ; la providence lui souriait finalement, quelques minutes avant son départ. Elle effleura pensivement le minéral qu’elle avait gardé d’une patte légère en lisant les mots usage unique, ne sachant si elle devait être déçue ou soulagée. Probablement un peu des deux. Pour autant, elle rechignait à se séparer de l’artefact. Peut-être pourrait-elle s’en faire un bijou — en souvenir.
Et puis il y avait ce dernier dessin, dans un coin. L’autre potion. Ajoutée là en désordre, comme si cela n’avait rien... d’officiel. Elle pencha la tête, intriguée.
Tout avait été raturé, et seule subsistait une longue interrogation griffonnée d’un trait presque nerveux.

Un frisson parcourut son échine quand elle reposa les pupilles sur la fiole qui dans cette pénombre prenait une teinte bien plus lugubre que sa consoeur.

En hâte elle rassembla les deux potions et les enveloppa du tissu noir qui étouffa leur lumière, reprenant sur ses épaules son singulier paquet. Les livres furent rangés à la hâte, assemblés en une pile qu’elle poussa au bas de l’étagère et laissa là - sans doute aurait-elle dut remettre chacun d’entre eux à sa place mais elle avait hâte de repartir de cet endroit et des ténèbres qui allaient bientôt le plonger dans une atmosphère plus pesante encore.
Mildred n’avait jamais été faite pour dépérir en intérieur. Elle était une fleur du soleil et du grand air.

De toute façon, pas grand monde semblait venir en ce lieu sombre et étouffé par la poussière. Alors qui se formaliserait de quelques ouvrages jamais consultés sur de la magie ancienne ?
Ombre se fondant furtivement parmi les rayonnages, elle prit un trot rapide et se dirigea vers la sortie, échine basse.